Intervention de Adeline Hazan

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 24 juin 2020 à 10h30
Audition de Mme Adeline Hazan contrôleure générale des lieux de privation de liberté pour la présentation de son rapport annuel d'activité pour 2019

Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté :

Je vous remercie de m'avoir invitée pour la présentation de mon rapport annuel, d'autant que j'achève dans quelques semaines mon mandat, dont je souhaiterais tirer devant vous quelques enseignements.

Le contrôle général des lieux de privation de liberté (CGLPL) est la seule institution de la République qui peut visiter à tout moment ces lieux. Nos quarante contrôleurs font 150 visites par an dans des établissements que nous rendons, de ce fait, visibles, ce qui est un plus pour la démocratie.

Depuis 2008 - j'ai pris mes fonctions en 2014 -, les libertés fondamentales et les droits fondamentaux des personnes détenues et retenues ont beaucoup régressé. Auparavant, il existait un socle de droits fondamentaux inaliénables ; depuis la loi relative à la rétention de sûreté de 2008, les choses ont changé. Au pénal, on examine davantage la dangerosité d'une personne que sa culpabilité. À ce propos, je m'inquiète de la proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l'encontre des auteurs d'infractions terroristes à l'issue de leur peine, récemment adoptée à l'Assemblée nationale, qui permet de condamner une personne non pas pour ce qu'elle a fait, mais pour ce qu'elle est susceptible de faire.

Le CGLPL a joué un rôle de vigie des droits fondamentaux depuis sa création. Je commencerai par répondre au questionnaire que vous m'avez envoyé, avant de formuler quelques réflexions sur ce qui s'est passé dans les lieux de privation de liberté durant la crise sanitaire.

En ce qui concerne les prisons, nous avons visité 22 établissements en 2019. La surpopulation est le principal problème : en mars 2020, les prisons comptaient 71 000 détenus, vivant dans des conditions extrêmement dégradées. On relève un manque de personnel, un problème de violence - entre les détenus, et entre ces derniers et les surveillants -, et un mauvais accès aux soins. La Cour européenne des droits de l'homme a, dans une décision du 30 janvier 2020, condamné la France pour la surpopulation carcérale et l'absence de voies de recours suffisantes pour les détenus. J'ose espérer que cette condamnation fera bouger les choses...

En ce qui concerne la psychiatrie, nous avons visité 34 établissements. Une prise de conscience commence à naître depuis la loi de 2016 de modernisation de notre système de santé, qui comprenait des mesures sur l'isolement et la contention. J'ai fait de ce secteur une priorité de mon mandat. L'hospitalisation sans consentement ne doit pas nécessairement signifier l'enfermement - et dans ce cas, il faut veiller à limiter les atteintes aux droits fondamentaux.

Néanmoins, beaucoup reste à faire : le regard sur le patient doit changer. Le respect des droits des patients hospitalisés sans leur consentement, ce n'est pas simplement apporter un supplément d'âme, c'est une partie intégrante du soin.

Nous avons récemment publié un rapport thématique sur l'hospitalisation sans consentement, dans lequel nous dénonçons le recours trop fréquent à cette procédure. Depuis trente ans, nous avons supprimé deux tiers des lits d'hôpitaux psychiatriques, ce qui est énorme. Mais les économies budgétaires faites n'ont pas été affectées à l'amélioration des soins de ville. Actuellement, une personne qui commence à avoir des symptômes psychiatriques doit souvent attendre six mois pour obtenir un rendez-vous dans un centre médico-psychologique (CMP) : durant ce délai, les troubles vont empirer, ce qui peut conduire à une hospitalisation.

Nous avons publié il y a une dizaine de jours une recommandation en urgence portant sur l'hôpital de Moisselles, dans le Val-d'Oise. Je m'y suis rendue avec mon équipe à l'improviste, en pleine crise de la Covid-19, à la suite d'une alerte : les patients, en soins libres et en soins sans consentement, atteints de la Covid-19 ou soupçonnés de l'être, étaient enfermés à double tour jour et nuit. Une patiente s'est défenestrée - heureusement, elle n'est pas décédée. J'ai alerté le ministre, car certains établissements faisaient une confusion entre le confinement pour la Covid-19 et la mise à l'isolement. Deux jours plus tard, les organes de gouvernance de l'hôpital ont décidé d'arrêter cette pratique. Personne n'a envie d'enfermer ou d'attacher des patients par plaisir, mais le personnel de l'hôpital ne voyait pas le problème, estimant que les gestes barrières ne pouvaient pas être assimilés par ces patients, alors que ceux-ci avaient bien compris - ils nous l'ont dit - qu'ils ne devaient pas sortir de leur chambre. Notre discussion avec les membres de la direction a permis de trouver une autre organisation.

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