Intervention de Adeline Hazan

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 24 juin 2020 à 10h30
Audition de Mme Adeline Hazan contrôleure générale des lieux de privation de liberté pour la présentation de son rapport annuel d'activité pour 2019

Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté :

Il faut fermer, mais pas à clé, la porte des chambres, en expliquant aux patients qu'il ne faut pas sortir. S'ils font mine de sortir, il faut aller les voir et discuter avec eux. Nous leur avons aussi proposé de mieux organiser le stockage du matériel de désinfection, qui était disposé juste devant les chambres : le personnel craignait que les malades contaminent ce matériel en le touchant.

Il faut rappeler que ces pratiques sont illégales, contraires à l'intégrité physique et psychique des personnes. Les personnels en conviennent et font autrement.

Par ailleurs, nous avons visité 24 centres de rétention administrative (CRA), ainsi qu'une zone d'attente. Aucune amélioration n'a été constatée. J'étais opposée au doublement de la durée maximale de rétention, portée de 45 à 90 jours en 2018. Nous commençons à en constater les dégâts : une telle mesure est inutile et génère des tensions. Cela a peut-être permis une toute petite augmentation du nombre de personnes reconduites à la frontière, mais les personnes sont souvent libérées au final, après être restées dans ces centres trois mois au lieu de 45 jours. Les CRA connaissent une évolution sécuritaire, qui les fait ressembler de plus en plus à des prisons.

Lors du débat sur la loi Asile et immigration en 2018, je m'étais prononcée en faveur d'une interdiction du placement des enfants en rétention. Ma proposition n'a pas été retenue. J'ai été entendue dans le cadre de l'examen, par l'Assemblée nationale, de la proposition de loi visant à encadrer strictement la rétention administrative des familles avec mineurs : ce texte prévoit de fixer la durée de rétention à 48 heures, avec une intervention du juge des libertés et de la détention (JLD) au bout de 24 heures, et de prévoir la possibilité de prolonger le délai jusqu'à cinq jours. C'est un pas en avant par rapport à la situation actuelle, mais cela me semble insuffisant, d'autant qu'il n'y a apparemment pas de possibilité de faire adopter rapidement cette proposition de loi.

Dans les 60 commissariats et gendarmeries que nous avons visités, nous continuons de constater un hébergement indigne, une politique immobilière inadaptée, et des conditions d'hygiène épouvantables. Les gendarmeries posent toujours un problème de surveillance de nuit : en l'absence de permanence, les gardés à vue sont seuls, sans bouton d'appel, avec un passage seulement toutes les deux ou trois heures - en cas de problème, la personne a le temps de mourir. Nous avons évoqué ce problème depuis longtemps, mais force est de constater que très peu de boutons d'appel ont été installés.

Nous dénonçons également la garde à vue de « confort administratif » : en région parisienne, les gardes à vue sont souvent notifiées en début de soirée, puis il ne se passe rien avant le lendemain matin, quand débutent les auditions.

Autre pratique choquante : les commissariats retirent systématiquement tous les objets - montre, ceinture, lunettes, soutien-gorge pour les femmes - à l'ensemble des gardés à vue. Pour certaines personnes, dangereuses ou agitées, cette pratique est normale ; pour les autres, c'est une atteinte à l'intégrité et à la dignité. D'autant qu'on oublie souvent de leur rendre ces objets pour la comparution devant le juge...

S'agissant des centres éducatifs fermés (CEF), la situation n'a pas évolué par rapport aux années précédentes. La protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) est d'accord avec nous, les inspections diverses et variées font les mêmes constats, et pourtant rien ne change... Il aurait fallu tenir compte des évaluations avant de décider de construire d'autres CEF. Les difficultés sont connues : d'énormes problèmes de personnel, des équipes en crise, une qualité inégale du suivi éducatif, une politique contrastée de l'ordre et de la sécurité, parfois trop souple et parfois trop sévère. Heureusement, les fouilles de mineurs, interdites par la PJJ, sont de moins en moins fréquentes.

Nous avons publié un fascicule intitulé « Recommandations minimales pour le respect de la dignité et des droits fondamentaux des personnes privées de liberté », en quelque sorte un droit souple de la privation de liberté. Depuis la création du CGLPL, des milliers de recommandations ont été publiées, et nous avons souhaité les rassembler. Ce sont des règles minimales valables dans tous les lieux de privation de la liberté, de la prise en charge au retour à la vie normale de la personne en passant par les modalités de son séjour dans ces lieux. Ce fascicule sera utile aux professionnels, aux avocats, aux magistrats, aux parlementaires et aux gouvernants.

Nous avons également publié le 10 juin dernier le troisième rapport sur la prise en charge des détenus radicalisés. Le premier datait de juin 2015, avec un avis assez négatif sur les unités dédiées : il était inefficace de regrouper des catégories de personnes qui n'avaient rien à faire ensemble. Les changements apportés à la prise en charge de ces détenus par la Chancellerie nous ont conduits à produire un deuxième rapport, en juin 2016 : nous avons également donné une appréciation négative sur les unités de prévention et de prise en charge.

Depuis 2018, un nouveau dispositif, articulé autour de la mise en place des quartiers de prise en charge de la radicalisation (QPR) et les quartiers d'évaluation de la radicalisation (QER), a été mis en oeuvre : c'est la raison pour laquelle nous avons rédigé ce nouveau rapport. Depuis 2014, à chaque drame, la prise en charge de ces détenus est modifiée sans réelle évaluation des dispositifs précédents. J'ai bien conscience que ce dossier est extrêmement difficile, et qu'aucun pays n'a trouvé de solution idéale ; d'ailleurs, je n'ai pas de proposition à faire.

Beaucoup de choses ne vont pas dans le nouveau dispositif : il n'existe pas de définition de ce qu'est la radicalisation en prison, et la prise en charge ne présente pas de garanties suffisantes, notamment en termes déontologiques. On fait suivre des détenus que l'on soupçonne d'être radicalisés par des binômes de soutien, formés de psychologues et d'éducateurs : les détenus ne sont pas informés des soupçons à leur encontre, et les rapports consécutifs à ces entretiens finissent dans leur dossier et dans celui du juge. Cette absence totale de contradictoire me semble tout à fait contraire aux droits de la procédure pénale. Quant à la prise en charge, elle est largement insuffisante : on met à l'écart une certaine catégorie de détenus dans des conditions insatisfaisantes et sans aucune préparation à la sortie. Depuis une loi de 2016, ont été supprimées presque toutes les possibilités de réduction de peine, de permission de sortir, de semi-liberté. Maintenant, on s'aperçoit que ces détenus vont sortir l'année prochaine, et on cherche comment les condamner une deuxième fois...

Pour tous ces détenus, les mesures de sécurité sont exorbitantes. Aucune individualisation n'est prévue, alors qu'il n'y a rien de commun entre un jeune arrêté parce qu'il allait partir en Syrie et une personne très ancrée dans le djihadisme et qui a perpétré des crimes terroristes.

J'en viens à la crise sanitaire. Nous avons immédiatement alerté sur les deux dangers particuliers auxquels étaient confrontés les lieux de privation de la liberté : un risque plus important de contamination et des risques d'atteinte aux droits fondamentaux des personnes privées de liberté. Nous avons mis en place un dispositif de suivi des établissements par téléphone, sauf pour les situations jugées extrêmement graves : nous nous sommes ainsi déplacés dans trois lieux - les CRA de Vincennes et du Mesnil-Amelot et l'hôpital de Moisselles.

Nous allons publier un rapport de fin de crise dans une quinzaine de jours. Dans tous les lieux de privation de liberté, les mesures de protection ont été mises en place plus tardivement qu'ailleurs : les psychiatres ont reçu des directives nationales et des masques plus tard que les autres médecins, le personnel n'a été doté de masques que le 29 mars. L'arrêt des visites extérieures a été insuffisamment compensé : en prison, j'ai sollicité la gratuité totale du téléphone, plutôt qu'un crédit forfaitaire de 40 euros, et la mise en place de parloirs par visioconférence - malheureusement, cela n'a pas été fait. Par ailleurs, les recours devant le juge judiciaire sont devenus plus difficiles, le summum ayant été atteint par l'ordonnance du 25 mars permettant la poursuite de tous les mandats de dépôts en cours sans comparution devant le juge. D'autres mesures ont posé problème : l'absence de présentation devant le juge de l'application des peines (JAP) ou le JLD en matière de psychiatrie, même en visioconférence - les décisions étaient uniquement prises sur la base du dossier -, l'absence des avocats qui soit se plaignaient d'un respect insuffisant des gestes barrières soit devaient répondre à un véritable interrogatoire avant de voir leurs clients.

Néanmoins, la crise sanitaire a eu une conséquence positive. Le nombre de détenus a diminué de 13 000, ce qui s'explique par la libération de 6 000 détenus et, pour le reste, par des personnes qui ne sont pas entrées en prison : nous sommes revenus à un seuil de 100 % d'occupation, que nous n'avions pas connu depuis trente ans. La garde des sceaux a demandé aux magistrats, qui n'avaient pas attendu ses instructions du 25 mars, de libérer des détenus avant la fin de leur peine.

Je suis favorable à ce système de régulation carcérale : lorsque le seuil d'occupation des prisons approche les 100 %, une coordination entre les magistrats et l'administration pénitentiaire devrait permettre de déterminer, au cas par cas, les détenus qui peuvent, sans risque pour eux et la société, sortir de manière anticipée. Il aurait fallu inscrire dans la loi de programmation et de réforme pour la justice ce principe de régulation carcérale. Avoir mis en oeuvre cette régulation pendant la crise a montré que c'était possible ; il faudrait maintenant la rendre obligatoire.

En psychiatrie, je veux saluer la décision du Conseil constitutionnel du 19 juin dernier, qui a déclaré inconstitutionnel l'article sur les mesures d'isolement et de contention de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, au motif qu'il ne prévoit pas l'intervention du juge judiciaire pour contrôler ces mesures. La loi a constitué un progrès, car elle a apporté des précisions sur ces mesures, qui doivent être très courtes et prises en dernier recours, mais elle n'avait pas prévu de recours au juge pour prendre de telles décisions. Le Conseil constitutionnel a donné six mois au législateur pour modifier cette loi.

Depuis le déconfinement, l'administration pénitentiaire a diffusé deux notes, l'une pour la période allant du 11 mai au 2 juin, l'autre du 2 juin au 22 juin. Les parloirs ont repris, mais avec un visiteur seulement, une fois par semaine et sans enfant ; les activités collectives étaient très réduites jusqu'au 2 juin ; depuis le 11 mai, tous les agents, et pas seulement ceux qui sont au contact des détenus, portent un masque. Depuis le 2 juin, on assiste à une reprise progressive des transferts, les parloirs sont étendus à deux visiteurs et aux enfants de plus de seize ans. En revanche, les unités de vie familiale et les parloirs familiaux n'ont pas repris. La reprise des ateliers se fait progressivement. Malgré ces prescriptions de l'administration pénitentiaire, on nous a signalé un endroit où les mineurs sont toujours refusés, un autre où le père d'un détenu a été refoulé parce qu'il avait plus de 70 ans...

Durant ce mandat, je suis satisfaite de voir que j'ai pu faire bouger les choses dans le domaine de la psychiatrie. Nous avons lancé un pavé dans la mare en 2016 avec une recommandation en urgence à Bourg-en-Bresse, où des personnes étaient attachées depuis un an. Cet électrochoc a permis de déboucher sur une loi.

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