Intervention de Christophe Castaner

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 25 juin 2020 à 14h15
Audition de Mme Adeline Hazan contrôleure générale des lieux de privation de liberté pour la présentation de son rapport annuel d'activité pour 2019

Christophe Castaner , ministre de l'intérieur :

La sécurité se trouve au coeur de notre pacte républicain. À l'heure où tous les amalgames et raccourcis semblent permis, y compris à l'égard du ministère de l'intérieur, je veux commencer par rendre hommage aux policiers et gendarmes, ces héros du quotidien qui répondent présents et protègent les Français à chaque instant. Notre devoir est de les défendre et de leur donner des moyens d'agir.

Les coupes claires des années 2007-2012 dues à la révision générale des politiques publiques (RGPP) ont durablement pénalisé nos forces de sécurité intérieure. Depuis 2017, la priorité donnée à la sécurité s'est traduite par une hausse inédite du budget de la sécurité de plus de 1 milliard d'euros, et d'un effort conséquent en matière de ressources humaines. Dix mille policiers et gendarmes supplémentaires, ce sont autant de femmes et d'hommes pour combattre la délinquance, protéger nos frontières, effectuer des missions de renseignement ou maintenir l'ordre.

Cette augmentation des effectifs s'est également accompagnée d'un changement de méthode, avec la création de la police de sécurité du quotidien. Nous voulons que nos forces de l'ordre soient sur le terrain, au contact des populations, et qu'elles travaillent en partenariat avec d'autres acteurs, notamment les polices municipales. Le dispositif des quartiers de reconquête républicaine permet aussi, dans 47 quartiers, d'avoir des effectifs supplémentaires dans la rue pour combattre les trafics et affirmer la présence de l'État.

Donner les moyens à nos forces de l'ordre, c'est également les faire travailler dans des locaux dignes de ce nom : 900 millions d'euros ont été investis entre 2018 et 2020 pour rénover des casernes et des commissariats. Ce n'est pas encore assez, mais c'est beaucoup plus que dans les dix années précédentes. Parallèlement, le renouvellement du parc automobile se poursuit avec l'acquisition de 5 334 véhicules par an en moyenne de 2017 à 2020, soit 31 % d'augmentation par rapport au mandat précédent.

La rémunération des gardiens de la paix, des gradés de la police et des sous-officiers de gendarmerie a considérablement augmenté depuis 2017, le protocole que j'ai négocié le 19 décembre 2018 permettant des hausses supplémentaires comprises entre 120 et 150 euros nets par mois en moyenne.

Avec Laurent Nunez, j'ai également souhaité aborder de front la question des cycles horaires des agents, le facteur déclenchant de cette réflexion étant le problème du suicide des policiers et des gendarmes. Ces cycles rendaient difficile la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, avec souvent la possibilité de ne prendre qu'un week-end ou un mercredi sur six. J'ai fait en sorte, au terme d'une réforme négociée avec les organisations syndicales, que les agents puissent avoir un week-end de trois jours toutes les deux semaines et un mercredi toutes les deux semaines.

Je me suis enfin attaqué au sujet des heures supplémentaires, qui ont explosé à partir de 2015, notamment en raison des nécessités de la lutte contre le terrorisme. C'est une dette vis-à-vis des policiers, mais aussi une charge insoutenable pour l'avenir, avec un risque de rupture opérationnelle majeur. Certains policiers peuvent ainsi partir six à huit ans avant l'échéance de leur retraite pour rattraper ces heures supplémentaires.

Dès la fin 2019, nous avons mobilisé 45 millions d'euros pour payer une part de cette dette au profit de 31 000 policiers. Ce fut une première, de même que l'enveloppe de 26,5 millions d'euros prévue dans le budget de 2020 pour payer des heures supplémentaires programmées.

Ces réformes ont un seul but : accompagner nos forces pour permettre leur engagement dans les meilleures conditions. Les moyens que nous avons consacrés sont importants, mais, dans le contexte récent des violences subies par les forces de sécurité, ils ne suffisent pas et doivent être poursuivis.

Être policier ou gendarme, c'est accepter des contraintes pour venir en aide, défendre et protéger. Les manifestations violentes ne remontent pas au phénomène des « gilets jaunes ». Chacun a encore en tête les images de ce CRS en flammes, atteint par un cocktail Molotov, le 1er mai 2017. Au demeurant, le phénomène est mondial, les attaques contre les policiers ayant, par exemple, augmenté de 46 % en Allemagne l'an dernier. Nous devons l'intégrer et nous réarmer en conséquence.

Je refuse que ces atteintes à l'uniforme se banalisent et je les condamne, comme vous, avec la plus grande fermeté. J'ai toujours défendu l'honneur des policiers et des gendarmes, et je continuerai de le faire à chaque instant. Je me souviens d'ailleurs qu'on me l'a beaucoup reproché.

Lors des dernières semaines, et même des derniers mois, on a vu des combats et des causes nobles dévoyés par des militants qui ne veulent qu'une chose, faire vaciller la République. Seuls les policiers et les gendarmes sont fondés à faire un usage légitime de la force. C'est l'essence même de leur mission. Ils doivent l'accomplir évidemment avec proportionnalité, discernement, exemplarité, mais ils doivent pouvoir l'accomplir sans peur.

C'est après le décès de Cédric Chouviat, au mois de janvier dernier - je n'ai donc pas, monsieur le président Bas, réagi prestement à la suite d'un cas particulier -, que j'ai mis en place un groupe de travail conjoint entre la police et la gendarmerie pour passer en revue les techniques d'interpellation. À l'issue de ces travaux, le directeur général de la police nationale (DGPN) m'a proposé de surseoir à l'enseignement de l'étranglement, jugeant cette technique dangereuse. Cette technique n'est d'ailleurs plus enseignée depuis le début des années 2000 dans la gendarmerie nationale et l'administration pénitentiaire. Laurent Nunez et moi-même avons donc décidé de mettre fin à son enseignement, et nous avons demandé à un nouveau groupe de travail de proposer des alternatives à cette méthode d'ici au 1er septembre prochain.

Je suis convaincu également que nous devrons faire monter en puissance la formation continue des policiers et des gendarmes sur la voie publique. J'ai donc décidé que, à défaut de suivre un nombre minimal d'heures annuelles de formation aux techniques d'intervention, ces derniers ne pourraient plus exercer sur la voie publique.

J'ai aussi, le 8 juin dernier, demandé au DGPN de me faire des propositions pour renforcer la protection juridique des policiers. Plusieurs pistes sont sur la table pour faciliter leurs démarches et mieux les accompagner.

Je veux enfin aborder franchement la question des images et je souhaiterais que cette mission d'information nous aide à ouvrir le débat. Il existe aujourd'hui une forte asymétrie : nos policiers et gendarmes subissent ces images, mais ils ne peuvent les utiliser pour se défendre. Chacun peut faire des vidéos, les couper, les détourner et les jeter en pâture sur les réseaux sociaux. De leur côté, les forces de l'ordre ne sont pas en mesure de prouver leur bonne foi et d'établir la réalité des faits. Ce n'est pas acceptable, et c'est pourquoi j'ai demandé d'accélérer la généralisation des caméras-piétons, un outil de prévention qui contribue aussi utilement à apaiser certaines situations conflictuelles et à renforcer la sécurité de nos policiers et gendarmes sur la voie publique. Les forces de l'ordre présentes sur le terrain le reconnaissent d'ailleurs aisément, même si elles critiquent le matériel dont elles sont dotées. Une montée en gamme technologique m'apparaît opportune et j'ai demandé que l'on étudie la possibilité de résilier le marché passé voilà quelques années.

Je souhaite aussi que nous puissions communiquer les images des caméras-piétons, non seulement dans le cadre des enquêtes judiciaires, mais aussi pour établir ou rétablir les faits. J'ai besoin du soutien du Parlement pour que ce droit légitime de défense soit accordé à nos forces de sécurité intérieure.

Ministre de l'intérieur, élu de terrain, je connais la dureté et l'intensité des missions menées par nos policiers et gendarmes. Je comprends aussi et partage ce terrible sentiment d'injustice qu'ils éprouvent en constatant que leur travail n'est pas assez reconnu et valorisé. Tous les jours sur le terrain, ils nous protègent et protègent la République, ils n'économisent aucun effort et ne pensent qu'à leur devoir.

Nous leur devons respect, reconnaissance et soutien. Nous devons aussi exiger d'eux le meilleur et l'exemplarité. Je veillerai toujours à ne pas tomber dans le travers qui consisterait à négliger l'un et l'autre, parce que je sais pouvoir compter sur eux pour porter cette double ambition. Nous devons les défendre sans cesse face aux amalgames et aux accusations qu'ils subissent, face aux insultes et aux coups.

Je l'ai dit mille fois, il n'y a pas de police structurellement violente ou raciste. Laurent Nunez et moi-même avons confiance dans nos forces de l'ordre. Nous ne cesserons jamais de les soutenir et de leur accorder les moyens dont elles ont besoin pour accomplir leur devoir. Nous sommes fiers de nos policiers, fiers de nos gendarmes, comme eux-mêmes doivent être fiers du métier qu'ils accomplissent au service des Français et de la République.

Les travaux que vous conduisez au Sénat sont importants pour préparer des rendez-vous cruciaux comme le Livre blanc de la sécurité intérieure ou le budget pour 2021.

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