Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale

Réunion du 25 juin 2020 à 14h15

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Monsieur le ministre, la commission des lois a décidé dans l'urgence de confier à deux de ses membres, Catherine Di Folco et Maryse Carrère, une mission d'information sur les méthodes d'intervention et les moyens d'action de la police et de la gendarmerie à la suite du trouble profond provoqué par plusieurs événements et déclarations récents.

Les forces de sécurité intérieure ont été mises à rude épreuve ces dernières années - terrorisme, « gilets jaunes », Black Blocs, confinement... -, le tout sur fond d'une délinquance toujours très élevée. Les policiers et les gendarmes exposent jour après jour leur propre vie en mettant en oeuvre l'usage de la force à bon escient, de manière maîtrisée. Le respect du droit dans l'usage de la force, de même que le respect des règles d'intervention et des personnes, sans distinction d'origine, sont les composantes systémiques de l'action des forces de sécurité de notre République.

Les contrôles internes et externes, conçus pour s'assurer de la conformité des pratiques au droit, doivent naturellement déboucher sur des sanctions sévères en cas de manquement. Nos forces de sécurité sont d'ailleurs elles-mêmes très attachées à cette exigence, qui garantit la préservation de leur honneur.

Certaines polémiques et prises de position récentes, y compris au sein de votre ministère, suscitent des inquiétudes. Les forces de sécurité ont été doublement accusées de racisme et de violence à la suite d'une agrégation d'éléments sans lien direct entre eux. La situation dans notre pays n'est pas comparable à celle des États-Unis, où la conquête des droits civiques pour les minorités n'est pas définitivement acquise. En France, l'égalité entre les citoyens, quelle que soit leur origine, a été proclamée il y a 231 ans et se trouve pleinement garantie par la loi et la justice.

Des procédures judiciaires sont également en cours concernant le décès de personnes qui s'étaient opposées à leur interpellation. La justice doit évidemment faire toute la lumière sur ces affaires largement médiatisées, dans lesquelles les batailles d'experts font rage.

Il y a eu enfin des rixes entre bandes rivales qui exerçaient entre elles une sorte de justice ethnique, et à l'occasion desquelles on a pu juger trop timide, à l'inverse, l'action des forces de l'ordre. Une semaine avant, elles étaient mises en accusation pour un excès de zèle...

Si les dérives individuelles sont intolérables, elles ne doivent pas pour autant conduire à une remise en cause immédiate et irréfléchie des conditions d'intervention de nos forces de sécurité intérieure.

Vous avez vous-même prestement réagi à un cas particulier, monsieur le ministre, en annonçant publiquement la fin du recours pour tous à la technique dite de l'étranglement, avant de revenir quelques jours plus tard sur vos propos, sans doute pour les préciser. La polémique qui s'en est suivie doit tous nous inciter à la prudence.

Au fond, comment garantir que l'évolution de certaines techniques d'intervention, voire de certaines armes, ne conduise pas à démunir nos forces de sécurité intérieure des instruments indispensables à l'exercice de leur mission ?

Debut de section - Permalien
Christophe Castaner , ministre de l'intérieur

La sécurité se trouve au coeur de notre pacte républicain. À l'heure où tous les amalgames et raccourcis semblent permis, y compris à l'égard du ministère de l'intérieur, je veux commencer par rendre hommage aux policiers et gendarmes, ces héros du quotidien qui répondent présents et protègent les Français à chaque instant. Notre devoir est de les défendre et de leur donner des moyens d'agir.

Les coupes claires des années 2007-2012 dues à la révision générale des politiques publiques (RGPP) ont durablement pénalisé nos forces de sécurité intérieure. Depuis 2017, la priorité donnée à la sécurité s'est traduite par une hausse inédite du budget de la sécurité de plus de 1 milliard d'euros, et d'un effort conséquent en matière de ressources humaines. Dix mille policiers et gendarmes supplémentaires, ce sont autant de femmes et d'hommes pour combattre la délinquance, protéger nos frontières, effectuer des missions de renseignement ou maintenir l'ordre.

Cette augmentation des effectifs s'est également accompagnée d'un changement de méthode, avec la création de la police de sécurité du quotidien. Nous voulons que nos forces de l'ordre soient sur le terrain, au contact des populations, et qu'elles travaillent en partenariat avec d'autres acteurs, notamment les polices municipales. Le dispositif des quartiers de reconquête républicaine permet aussi, dans 47 quartiers, d'avoir des effectifs supplémentaires dans la rue pour combattre les trafics et affirmer la présence de l'État.

Donner les moyens à nos forces de l'ordre, c'est également les faire travailler dans des locaux dignes de ce nom : 900 millions d'euros ont été investis entre 2018 et 2020 pour rénover des casernes et des commissariats. Ce n'est pas encore assez, mais c'est beaucoup plus que dans les dix années précédentes. Parallèlement, le renouvellement du parc automobile se poursuit avec l'acquisition de 5 334 véhicules par an en moyenne de 2017 à 2020, soit 31 % d'augmentation par rapport au mandat précédent.

La rémunération des gardiens de la paix, des gradés de la police et des sous-officiers de gendarmerie a considérablement augmenté depuis 2017, le protocole que j'ai négocié le 19 décembre 2018 permettant des hausses supplémentaires comprises entre 120 et 150 euros nets par mois en moyenne.

Avec Laurent Nunez, j'ai également souhaité aborder de front la question des cycles horaires des agents, le facteur déclenchant de cette réflexion étant le problème du suicide des policiers et des gendarmes. Ces cycles rendaient difficile la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, avec souvent la possibilité de ne prendre qu'un week-end ou un mercredi sur six. J'ai fait en sorte, au terme d'une réforme négociée avec les organisations syndicales, que les agents puissent avoir un week-end de trois jours toutes les deux semaines et un mercredi toutes les deux semaines.

Je me suis enfin attaqué au sujet des heures supplémentaires, qui ont explosé à partir de 2015, notamment en raison des nécessités de la lutte contre le terrorisme. C'est une dette vis-à-vis des policiers, mais aussi une charge insoutenable pour l'avenir, avec un risque de rupture opérationnelle majeur. Certains policiers peuvent ainsi partir six à huit ans avant l'échéance de leur retraite pour rattraper ces heures supplémentaires.

Dès la fin 2019, nous avons mobilisé 45 millions d'euros pour payer une part de cette dette au profit de 31 000 policiers. Ce fut une première, de même que l'enveloppe de 26,5 millions d'euros prévue dans le budget de 2020 pour payer des heures supplémentaires programmées.

Ces réformes ont un seul but : accompagner nos forces pour permettre leur engagement dans les meilleures conditions. Les moyens que nous avons consacrés sont importants, mais, dans le contexte récent des violences subies par les forces de sécurité, ils ne suffisent pas et doivent être poursuivis.

Être policier ou gendarme, c'est accepter des contraintes pour venir en aide, défendre et protéger. Les manifestations violentes ne remontent pas au phénomène des « gilets jaunes ». Chacun a encore en tête les images de ce CRS en flammes, atteint par un cocktail Molotov, le 1er mai 2017. Au demeurant, le phénomène est mondial, les attaques contre les policiers ayant, par exemple, augmenté de 46 % en Allemagne l'an dernier. Nous devons l'intégrer et nous réarmer en conséquence.

Je refuse que ces atteintes à l'uniforme se banalisent et je les condamne, comme vous, avec la plus grande fermeté. J'ai toujours défendu l'honneur des policiers et des gendarmes, et je continuerai de le faire à chaque instant. Je me souviens d'ailleurs qu'on me l'a beaucoup reproché.

Lors des dernières semaines, et même des derniers mois, on a vu des combats et des causes nobles dévoyés par des militants qui ne veulent qu'une chose, faire vaciller la République. Seuls les policiers et les gendarmes sont fondés à faire un usage légitime de la force. C'est l'essence même de leur mission. Ils doivent l'accomplir évidemment avec proportionnalité, discernement, exemplarité, mais ils doivent pouvoir l'accomplir sans peur.

C'est après le décès de Cédric Chouviat, au mois de janvier dernier - je n'ai donc pas, monsieur le président Bas, réagi prestement à la suite d'un cas particulier -, que j'ai mis en place un groupe de travail conjoint entre la police et la gendarmerie pour passer en revue les techniques d'interpellation. À l'issue de ces travaux, le directeur général de la police nationale (DGPN) m'a proposé de surseoir à l'enseignement de l'étranglement, jugeant cette technique dangereuse. Cette technique n'est d'ailleurs plus enseignée depuis le début des années 2000 dans la gendarmerie nationale et l'administration pénitentiaire. Laurent Nunez et moi-même avons donc décidé de mettre fin à son enseignement, et nous avons demandé à un nouveau groupe de travail de proposer des alternatives à cette méthode d'ici au 1er septembre prochain.

Je suis convaincu également que nous devrons faire monter en puissance la formation continue des policiers et des gendarmes sur la voie publique. J'ai donc décidé que, à défaut de suivre un nombre minimal d'heures annuelles de formation aux techniques d'intervention, ces derniers ne pourraient plus exercer sur la voie publique.

J'ai aussi, le 8 juin dernier, demandé au DGPN de me faire des propositions pour renforcer la protection juridique des policiers. Plusieurs pistes sont sur la table pour faciliter leurs démarches et mieux les accompagner.

Je veux enfin aborder franchement la question des images et je souhaiterais que cette mission d'information nous aide à ouvrir le débat. Il existe aujourd'hui une forte asymétrie : nos policiers et gendarmes subissent ces images, mais ils ne peuvent les utiliser pour se défendre. Chacun peut faire des vidéos, les couper, les détourner et les jeter en pâture sur les réseaux sociaux. De leur côté, les forces de l'ordre ne sont pas en mesure de prouver leur bonne foi et d'établir la réalité des faits. Ce n'est pas acceptable, et c'est pourquoi j'ai demandé d'accélérer la généralisation des caméras-piétons, un outil de prévention qui contribue aussi utilement à apaiser certaines situations conflictuelles et à renforcer la sécurité de nos policiers et gendarmes sur la voie publique. Les forces de l'ordre présentes sur le terrain le reconnaissent d'ailleurs aisément, même si elles critiquent le matériel dont elles sont dotées. Une montée en gamme technologique m'apparaît opportune et j'ai demandé que l'on étudie la possibilité de résilier le marché passé voilà quelques années.

Je souhaite aussi que nous puissions communiquer les images des caméras-piétons, non seulement dans le cadre des enquêtes judiciaires, mais aussi pour établir ou rétablir les faits. J'ai besoin du soutien du Parlement pour que ce droit légitime de défense soit accordé à nos forces de sécurité intérieure.

Ministre de l'intérieur, élu de terrain, je connais la dureté et l'intensité des missions menées par nos policiers et gendarmes. Je comprends aussi et partage ce terrible sentiment d'injustice qu'ils éprouvent en constatant que leur travail n'est pas assez reconnu et valorisé. Tous les jours sur le terrain, ils nous protègent et protègent la République, ils n'économisent aucun effort et ne pensent qu'à leur devoir.

Nous leur devons respect, reconnaissance et soutien. Nous devons aussi exiger d'eux le meilleur et l'exemplarité. Je veillerai toujours à ne pas tomber dans le travers qui consisterait à négliger l'un et l'autre, parce que je sais pouvoir compter sur eux pour porter cette double ambition. Nous devons les défendre sans cesse face aux amalgames et aux accusations qu'ils subissent, face aux insultes et aux coups.

Je l'ai dit mille fois, il n'y a pas de police structurellement violente ou raciste. Laurent Nunez et moi-même avons confiance dans nos forces de l'ordre. Nous ne cesserons jamais de les soutenir et de leur accorder les moyens dont elles ont besoin pour accomplir leur devoir. Nous sommes fiers de nos policiers, fiers de nos gendarmes, comme eux-mêmes doivent être fiers du métier qu'ils accomplissent au service des Français et de la République.

Les travaux que vous conduisez au Sénat sont importants pour préparer des rendez-vous cruciaux comme le Livre blanc de la sécurité intérieure ou le budget pour 2021.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je reviens un instant sur la question des moyens. Il va bien falloir qu'on finisse par s'entendre sur les chiffres ! Les moyens supplémentaires ont en effet permis de procéder à une remise à niveau des effectifs, mais, contrairement à ce que vous indiquez, nous constatons que ni les moyens matériels ni les formations ne suivent au même degré.

Le projet de budget de la mission « Sécurité » pour l'année 2020 montrait une baisse des crédits de formation, des crédits hors personnel et des crédits de munitions. S'agissant des achats de véhicules, on constatait une baisse des crédits de 24 % pour la police nationale et d'un tiers pour la gendarmerie par rapport à 2019. Nous voudrions comprendre pourquoi vous n'avez pas les mêmes chiffres que ceux qui résultent de l'examen des documents budgétaires.

Chacun admet qu'il n'est pas toujours possible de procéder à une interpellation uniquement par une invitation de courtoisie et que la contrainte est parfois nécessaire. Des méthodes sont donc enseignées dans les écoles de police et par le biais de la formation continue. Mais, à partir du moment où un individu est récalcitrant, il s'expose de lui-même à ce que les conditions de son interpellation le mettent en danger, et d'ailleurs les policiers et les gendarmes sont les premiers à se mettre en danger en cas de confrontation physique. Il est donc très important qu'ils sachent toujours à quoi s'en tenir et qu'ils se sentent soutenus.

Lorsque l'on supprime une méthode, il faut savoir par quoi la remplacer. Le 15 juin dernier, le DGPN a expliqué que « dans l'attente de la définition d'un nouveau cadre et dans la mesure où les circonstances l'exigent, la technique dite de l'étranglement continuera d'être mise en oeuvre avec mesure et discernement » - heureusement ! - et qu'elle « sera remplacée au fur et à mesure de la formation individuelle dispensée. » Mais nous ne savons pas par quoi ! Il a aussi précisé que la technique de la prise arrière, destinée à immobiliser la personne debout et à l'entraîner au sol afin de la menotter, était toujours enseignée et appliquée. Si nous abandonnons des méthodes, il convient de savoir par quoi on les remplace afin que la police et la gendarmerie ne soient pas démunies pour interpeller des individus récalcitrants, tout en faisant en sorte de ne pas exposer ceux-ci à un danger disproportionné dans la situation dans laquelle ils se sont mis d'eux-mêmes.

Debut de section - Permalien
Christophe Castaner , ministre

On peut tout faire dire aux chiffres... Vous n'avez pris en compte qu'une partie du budget, qui est relativement marginale par rapport au volume global des crédits dépensés pour cette politique.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Les hommes et les femmes travaillant dans les forces de sécurité doivent pouvoir disposer d'équipements de protection, d'équipements d'intervention et de véhicules en bon état. Des agents aux mains nues ne pourront guère rendre service à la population ! L'examen des grandes masses budgétaires ne suffit donc pas.

Debut de section - Permalien
Christophe Castaner , ministre

Le budget de la sécurité - je ne parle pas du budget du ministère de l'intérieur - a augmenté de 1,7 % et 205 millions d'euros en 2018, de 2,6 % et 334 millions en 2019, et de 4,1 % et 519 millions en 2020. Il faut faire la différence entre le titre 2 et le hors-titre 2. L'an dernier, nous avons fait porter l'effort sur les rémunérations et le recrutement ; d'autres, à d'autres moments, ont fait des choix différents... À une époque, on comptait 12 500 policiers et gendarmes de moins sur le territoire national et je ne suis pas sûr que l'équipement était meilleur... Nous arrivons à peine à rattraper le retard grâce à l'effort engagé depuis 2016 par le gouvernement précédent.

Les crédits hors titre 2 n'ont jamais été aussi élevés : ils ont augmenté de 12 % et s'élèvent à 2,4 milliards d'euros. Est-ce pour autant suffisant ? Non. Les dépenses d'investissement dans l'immobilier atteignent 900 millions, un niveau qui n'a jamais été atteint, mais qui ne suffit pas à rattraper le retard. De la même façon, nous avons acheté 5 334 véhicules chaque année depuis 2017, soit une augmentation de 31 % par rapport à la précédente mandature. Fin 2016, la police disposait de 2 000 tablettes et smartphones, contre 50 000 à la fin de l'année 2019. Dans la gendarmerie, on est passé de 9 100 terminaux à 67 000. On ne comptait que 2 000 caméras-piétons fin 2016, contre 10 594 aujourd'hui, et je souhaite aller plus loin. Cela ne suffit pas, certes, mais il faut reconnaître l'effort qui a été réalisé : le budget du ministère de l'intérieur a été l'un de ceux qui ont connu la plus forte augmentation ces dernières années.

J'en reviens à la question de la technique. Comme vous, je ne suis pas un spécialiste. Aussi, quand les directeurs généraux de la police et de la gendarmerie nationales me présentent un rapport pour dire que cette technique, employée de façon marginale en intervention, ne devrait plus être enseignée, je ne peux que les suivre. Cette méthode qui vise à empêcher soit l'oxygène de parvenir au coeur, soit le sang d'irriguer le cerveau, semble dangereuse. C'est pour cette raison que j'ai suivi leur recommandation. Toute personne en responsabilité aurait pris la même décision. Il s'agit aussi de protéger les forces de l'ordre en ne leur enseignant pas une technique qui pourrait les conduire un jour devant un juge. J'aurais commis une faute en prenant une autre décision.

Il existe des techniques de substitution. Les gendarmes réalisent des interpellations et les personnels pénitentiaires parviennent à gérer les situations alors qu'ils n'ont pas le droit d'utiliser l'étranglement. J'ai donné deux mois et demi à un groupe de travail placé sous l'autorité d'un directeur départemental de sécurité publique expérimenté, M. Frédéric Lauze, qui comprend un médecin du Raid, un médecin légiste, un policier judoka, etc., pour définir les techniques de substitution. Je ne veux pas que les policiers soient désarmés dans leur capacité d'intervention. Comme ils ont été formés à cette technique, à la différence des gendarmes, nous leur devons une formation aux nouvelles techniques. En tout cas, cette technique est très marginale. L'usage de la contrainte doit être strictement nécessaire et proportionné. L'article 122-5 du code pénal autorise la légitime défense : en cas d'absolue nécessité, les agents peuvent légitimement utiliser tout mode de riposte face à une personne qui veut porter atteinte à leur intégrité physique. C'est la différence avec une interpellation. Cette distinction est essentielle.

On peut donc faire confiance à l'expérience de ceux qui m'ont rendu ce rapport pour savoir qu'ils ne voulaient absolument pas priver nos forces de capacités d'intervention ; ils savaient que cette technique n'était que très marginalement utilisée, ce que reconnaissent tous les policiers avec qui j'ai échangé. Ils m'ont aussi proposé cette décision après avoir fait une comparaison internationale des techniques d'interpellation. Je ne comparerai pas cette décision avec celle qui a été prise récemment par le président Trump. Cette technique ne sera dorénavant plus enseignée dans les écoles de police et nous devons trouver des moyens de substitution. J'attends des propositions dans un délai court et je souhaite que tous nos agents puissent avoir une formation individuelle.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Merci pour ces précisions. Nous auditionnerons le directeur général de la police nationale sur ces points. Vous avez mis l'accent sur les effectifs, mais les matériels n'ont pas suivi. L'évolution de la part des dépenses, hors personnel, dans le budget du ministère de l'intérieur est frappante : après s'être redressée en 2015 et 2016, elle s'est écroulée par la suite.

Debut de section - Permalien
Christophe Castaner , ministre

Si les effectifs et les salaires augmentent, la masse salariale augmente, et donc, mécaniquement, la part des dépenses hors personnel baisse ! Mais les moyens pour la sécurité intérieure augmentent. Vos propos rejoignent ceux de la Cour des comptes. J'ai fait le choix politique, que j'assume, de remettre à niveau les rémunérations. Soyons concrets. Il est facile d'évoquer des pourcentages, mais, pour un policier, l'important c'est de savoir s'il a une voiture en bon état. En 2017, nous avons acheté 5 088 voitures, 6 000 en 2018, 5 005 en 2019, alors que l'on en achetait 3 081 chaque année, en moyenne, depuis 2012...

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Puisque vous parlez des véhicules, je voudrais ne pas être en reste : fin 2019, on comptait 8 320 véhicules à réformer dans la police nationale, et 3 358 dans la gendarmerie nationale, soit environ 11 % des véhicules de gendarmerie... Le problème est là et nous sommes disponibles pour vous aider.

Debut de section - Permalien
Christophe Castaner , ministre

Il faudra convaincre la commission des finances qui sait nous rappeler l'exigence d'équilibre budgétaire...

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Di Folco

Je m'associe tout d'abord à l'hommage que vous venez de rendre à nos forces de l'ordre dans leur action quotidienne pour assurer la sécurité de nos citoyens, notamment face aux attentats ou dans le contexte des manifestations violentes.

L'enseignement de la technique de l'étranglement est interdit, mais quand cette technique sera-t-elle interdite dans la pratique ?

Il est souvent reproché à l'institution policière de fonctionner en silo, ce qui nuit à la conduite d'un véritable pilotage, notamment en matière de ressources humaines. Certains syndicats ont récemment appelé à « une réorganisation complète » de la police nationale. Quelle est votre perception de la situation ? Avez-vous engagé des réflexions en ce sens ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Eustache-Brinio

Je m'associe aussi au message en faveur des forces de l'ordre, qui protègent notre liberté.

Le 17 juin, vous avez indiqué ici même, à l'occasion des questions d'actualité au Gouvernement : « Trop souvent, policiers et gendarmes doivent faire face à des provocations, à des menaces, à des insinuations, à des injures et à des mises en cause incessantes. » Constatez-vous, sur le plan statistique, une augmentation des actes d'agression ou de violence à l'encontre des policiers et gendarmes ? Quelles en sont, selon vous, les principales causes ?

Depuis quelques semaines, on assiste à des émeutes urbaines. Les policiers et les gendarmes subissent des tirs de mortier, parfois de gros calibre. C'est très dangereux et il est très difficile aux forces de l'ordre d'interpeller les auteurs. Ne faudrait-il pas modifier la législation, pour interdire la vente de mortiers par exemple ?

En 2018, le rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur l'état des forces de sécurité intérieure faisait état de la nécessité d'améliorer l'accès des policiers à la protection fonctionnelle. Vous avez vous-même annoncé la mise en place d'un groupe de travail sur la sécurité juridique des forces de l'ordre. Celui-ci a-t-il déjà été mis en place ? Quel est son calendrier ?

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Je vous remercie pour votre message de soutien aux policiers et aux gendarmes. Ce message devrait toutefois s'accompagner de moyens humains et matériels supplémentaires et d'un soutien constant à tous ceux qui assurent notre sécurité, parfois au péril de leur vie. Vous avez déjà annoncé des mesures. Pourriez-vous nous apporter des précisions ?

Les policiers doivent normalement suivre une formation annuelle de douze heures pour garantir leur maîtrise des techniques d'intervention. Il y a deux ans, notre collègue François Grosdidier relevait, dans le rapport de notre commission d'enquête, que de nombreux policiers ne se voyaient pas dispenser cette formation. Confirmez-vous ce constat ? En moyenne, quel est le pourcentage de policiers de terrain qui sont en mesure de respecter, chaque année, cette obligation réglementaire ?

Dans l'attente de la suppression de la technique de l'étranglement, envisagez-vous d'ordonner qu'un entraînement renforcé soit suivi par l'ensemble des policiers de terrain ?

Vous avez, un temps, envisagé de remplacer l'usage de la technique de l'étranglement par une utilisation plus généralisée du pistolet à impulsion électrique, dont l'une des formes est le taser. Si celui-ci peut être une alternative, qui a également ses détracteurs, encore faut-il que les forces sur le terrain en soient effectivement et suffisamment équipées. Est-ce le cas ? Les contraintes budgétaires permettront-elles réellement un équipement effectif ?

Debut de section - PermalienPhoto de Maryse Carrère

Nous abordons cette audition dans un état d'esprit constructif et exigeant, avec la volonté de s'extraire des polémiques. Je souscris à vos propos sur la nécessité de prendre avec prudence et recul les images que l'on peut voir circuler sur les réseaux sociaux, hors de tout contexte. Nous attendons un éclairage sur la réalité des missions des forces de l'ordre et souhaitons connaître vos analyses. Notre principal objectif doit être de renforcer la confiance entre les citoyens et les policiers et les gendarmes. Les rapports avec la population peuvent varier fortement selon les lieux, entre zones urbaines et zones rurales.

Depuis 2013, les policiers et les gendarmes peuvent être équipés de caméras mobiles afin d'apaiser les tensions entre la police et la population dans le cadre des contrôles ou des interpellations. Combien de policiers et gendarmes en sont aujourd'hui équipés ? Le recours à cet outil vous paraît-il devoir être accru pour limiter le nombre d'incidents ?

Vous avez annoncé une refonte des services d'inspection du ministère de l'intérieur. Quel est l'objectif de cette réforme ? Avez-vous constaté des insuffisances dans l'exercice des missions d'inspection ? Est-elle liée à une hausse des incidents ?

Debut de section - Permalien
Christophe Castaner , ministre

Madame Di Folco, je ne vais pas rentrer dans les détails de la technique de l'étranglement, car je sais que vous auditionnerez des personnes plus compétentes que moi sur ce sujet. Toutefois, cette technique ne doit pas être confondue avec la prise arrière, qui est très utilisée par nos forces de sécurité face à des personnes qui refusent de se laisser interpeller et de se soumettre à la loi, et qui ont parfois une corpulence importante. Il est nécessaire d'avoir des techniques permettant de neutraliser un adversaire de plus grande taille pour lui passer les menottes - d'autant plus avec la féminisation des effectifs. Le débat sur les techniques d'interpellation va au-delà de l'étranglement. Le plaquage ventral, que j'ai eu l'occasion de défendre, est indispensable pour nos forces de l'ordre, mais doit être temporaire et j'ai précisé que l'appui sur la tête ou la nuque devait être prohibé.

Il existe deux techniques d'étranglement : l'étranglement dit « aérien » consiste à exercer une pression sur la trachée à l'aide de l'avant-bras pour réduire, voire supprimer, la circulation de l'air vers les poumons et le coeur ; l'étranglement dit « sanguin » consiste à comprimer les artères carotides pour limiter la circulation du sang vers le cerveau et peut causer de graves dommages, y compris dans les entraînements. L'enseignement de l'étranglement a été arrêté ; d'autres techniques devraient être définies. Dans l'attente des préconisations du groupe de travail, toutes les techniques que nos policiers ont apprises doivent être utilisées, en fonction des circonstances et en privilégiant évidemment un usage modéré de la force, comme les policiers y ont été formés.

L'usage de la force est légitime quand il vise à mettre un terme à un délit ou à des situations à risque. Seules la police et la gendarmerie, ou l'armée dans certains cas, sont habilitées à utiliser la force. Il est nécessaire de le rappeler, comme je l'ai fait dans mon allocution du 8 juin, même si on en a moins parlé que d'autres propos, qui ont été détournés... Le DGPN a adressé une instruction à l'ensemble de nos forces précisant que la technique de la prise arrière serait toujours enseignée et appliquée.

Le groupe de travail a deux mois et demi pour faire des préconisations. Nous formerons individuellement chaque agent à ces nouvelles techniques, complémentaires de toutes les autres techniques auxquelles ils sont déjà formés.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Di Folco

L'enseignement de cette technique a certes été arrêté, mais la pratique se poursuit-elle encore actuellement ? Il me semble que la réponse est oui.

Debut de section - Permalien
Christophe Castaner , ministre

Oui, pendant deux mois et demi, le temps de procéder à une substitution de techniques, car personne n'envisage de désarmer la police. La note du DGPN est très claire à ce sujet.

J'ai lu dans la presse que je prévoirais la substitution intégrale des pistolets à impulsion électrique : c'est faux, je n'y suis pas favorable, ni d'ailleurs les organisations syndicales. Il existe de nouveaux dispositifs techniques que nous allons expérimenter. Le prochain budget prévoira des acquisitions en ce sens, sans toutefois aller vers un équipement de toute la police, car ces dispositifs ne sont pas adaptés à toutes les situations. Toute interpellation ne nécessite pas un pistolet à impulsion électrique.

Vous évoquez une réorganisation complète de la police nationale, les organisations syndicales appellent aussi à une telle réorganisation, mais chacun n'en a pas la même conception.... Avec Laurent Nunez, dans le cadre du Livre blanc que nous aurons probablement l'occasion de venir vous présenter, nous souhaitons poser la question d'une réorganisation fonctionnelle importante, permettant de développer les responsabilités territoriales, les approches par thématiques ou filières, le rôle du préfet comme interlocuteur des maires, etc. Nous voulons prendre le temps et ne pas nous précipiter. La gendarmerie nationale et la police nationale n'ont pas la même organisation, un modèle n'a pas vocation à remplacer l'autre.

En 2019, 17 246 policiers ont été blessés, contre 15 414 en 2018. C'est une évolution significative. Nous avons certes connu un cycle de 55 000 manifestations, notamment des « gilets jaunes » ; toutes n'ont pas été violentes, mais beaucoup l'ont été. Aujourd'hui, les tensions se développent significativement et se transforment parfois en réelle violence, quels que soient les territoires concernés. Cela va de l'insulte à l'agression physique directe contre nos forces de sécurité. Plus personne ne supporte plus rien. Nous devons donc le prendre en compte et former, équiper et défendre nos forces de sécurité intérieure en conséquence. Je souhaite que la protection fonctionnelle monte en puissance afin que nous défendions systématiquement nos personnels pour les faits les plus importants. Pour simplifier leurs démarches, une application internet dédiée sera disponible sur leur smartphone avant la fin de l'année. Cela fait partie de mes annonces du 8 juin dont on n'a pas suffisamment parlé.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Eustache-Brinio

Vous n'avez pas répondu à ma question sur les mortiers.

Debut de section - Permalien
Christophe Castaner , ministre

Oui, effectivement, c'est un sujet qui m'irrite... Madame Eustache-Brinio, malgré nos différences d'approche sur certains sujets, nous nous rejoignons sur notre vision et notre ambition pour la protection de nos concitoyens.

Peu de gens tirent des feux d'artifice avec des mortiers ; en revanche, les mortiers sont très utilisés dans le cadre des violences urbaines. Les forces de l'ordre réussissent à interpeller, mais peu. La police de Gennevilliers que j'ai rencontrée hier a ainsi réussi à interpeller un marchand ambulant de cocktails Molotov, ainsi que, grâce à la vidéo-protection de la ville, les agresseurs de CRS par tirs de mortier.

J'ai demandé à mes services de travailler sur l'interdiction de la vente de ces produits, qui sont détournés de leurs fins. Mais cette autorisation relève des règles du Marché commun européen. Certains arrêtés préfectoraux ont été annulés, car contraires à la directive du 12 juin 2013 qui limite grandement nos marges de manoeuvre. J'ai cependant demandé à mes services de poursuivre leurs réflexions sur la question des usages non professionnels de ces produits.

S'agissant de la formation, je tiens à tordre le cou à certaines contre-vérités. La durée de la formation a été fortement revue à la baisse après 2015, car il fallait « trouver des bras » pour mener des missions de protection - un choix que j'avais soutenu à l'époque : de douze mois, elle est passée à dix mois et demi, auxquels s'ajoutaient six mois de stage. La formation sur le terrain sera désormais renforcée, avec huit mois en école et seize mois de formation dans un poste qui ne sera pas votre poste d'affectation, soit un total de vingt-quatre mois de formation.

S'agissant de la formation permanente, depuis 2015-2016, les policiers sont de plus en plus nombreux à pratiquer les trois tirs par an et à bénéficier des douze heures de formation annuelles prévues. Nous devons améliorer cette situation, sur les tirs, mais aussi sur la gestion des interpellations. Bien souvent, les agents hésitent à partir en formation afin de ne pas affaiblir leur équipe. Mais les agents affectés à la sécurité publique doivent bénéficier d'une formation continue plus active. La formation annuelle sera désormais obligatoire pour pouvoir rester sur le terrain. Nos forces mobiles bénéficient de beaucoup plus de formation, même si, pendant la crise des « gilets jaunes », l'intervention sur le terrain a parfois conduit à reporter les formations prévues. En 2018, 64,9 % des policiers avaient suivi la formation annuelle de douze heures.

Nous comptions, en 2020, 11 000 caméras mobiles, contre 2 000 en 2017. Le taux de compréhension de l'utilité de cet outil est élevé, car il a clairement permis de changer la relation avec l'interlocuteur. Mais la satisfaction n'est pas au rendez-vous sur la qualité du matériel en raison d'une durée d'autonomie et d'une facilité d'exploitation des images insuffisantes. Nous allons donc revoir notre marché et être plus offensifs sur ce sujet.

S'agissant de la réforme des inspections générales, je vous transmettrai les rapports de l'IGPN et de l'IGGN, qui montrent que 1 960 enquêtes judiciaires ont été conduites en 2019 par ces deux inspections. Elles sont craintes par nos forces de l'ordre, car elles fournissent un extrêmement bon travail. Qui pourrait les remplacer ? C'est un métier et il est bon qu'il soit fait par des policiers, car ils sont d'autant plus sensibles lorsqu'ils constatent qu'on leur a menti ou caché des choses.

Sur le volet administratif, la vision n'est pas toujours satisfaisante, comme nous l'avons constaté l'an dernier au moment de la disparition de Steve Maia Caniço à Nantes. Un rapport de l'IGPN m'avait été remis en juillet, mais j'ai également saisi l'Inspection générale de l'administration (IGA), car nous avions besoin d'une vision plus globale sur la gestion de l'ordre public ; c'est sur la base de ces deux rapports que j'ai annoncé des décisions au mois de septembre, notamment la révision de nos méthodes d'intervention de nuit ou au bord de l'eau. Je souhaite que désormais, sur les cas les plus sensibles, nous puissions réunir un collège des inspections, afin que l'IGA - dont la composition a été élargie - puisse mener des enquêtes avec une vision plus globale, en s'appuyant sur l'IGPN et l'IGGN. Cela nous permettra de dépasser le cadre policier et de porter un regard différent. Cette réforme a été lancée et sera opérationnelle très prochainement. Même si une mauvaise publicité a été injustement faite à l'IGPN, la plateforme de signalement ouverte au public est désormais mieux connue : les citoyens doivent avoir une réponse lorsqu'ils ont une question.

Sachez que ces inspections font actuellement un travail d'évaluation de l'accueil et du suivi des femmes victimes de violences, via notamment des inspections inopinées dans les commissariats et gendarmeries ainsi que des entretiens avec les femmes victimes. Plus généralement, elles interrogent les victimes confrontées aux forces de sécurité intérieure sur la qualité de l'accompagnement méthodologique et psychologique mis en oeuvre. Ne jetons donc pas le bébé avec l'eau du bain !

Debut de section - PermalienPhoto de Muriel Jourda

Un policier sera jugé demain à Bayonne, accusé d'avoir blessé une jeune femme avec un lanceur de balles de défense (LBD). Une décision récente du Conseil d'État a classé une arme similaire au LBD, et ses munitions, en catégorie A. Or, la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) nous apprend que le LBD utilisé par les forces de police et de gendarmerie ne bénéficie d'aucun classement et que ses munitions sont classées dans une catégorie inférieure à celles des munitions concernées par la décision du Conseil d'État. Ce dernier a considéré que l'arme était spécifiquement destinée au maintien de l'ordre et que le canon était rayé, ce qui permet une précision de tir. Or la doctrine d'emploi du LBD exclut le maintien de l'ordre, ce qui a été confirmé par le ministère de l'intérieur en 2019, en réponse à une question écrite de notre collègue Patricia Schillinger. Le Défenseur des droits a d'ailleurs préconisé la fin de l'emploi des LBD.

Compte tenu de la polémique qui entoure les LBD et dans l'intérêt tant de la population que des forces de l'ordre, le ministère de l'intérieur ne devrait-il pas prendre l'initiative de modifier les textes relatifs au classement des armes et ainsi que ses pratiques afin de n'utiliser que des armes qui font l'objet d'un classement conformément à la loi ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Ce qui vous inquiète, c'est qu'une arme non classée puisse être utilisée ?...

Debut de section - PermalienPhoto de Muriel Jourda

Oui, c'est bien cela. Il me semble que cela nécessite une clarification législative, car la législation est très complexe.

Debut de section - PermalienPhoto de Loïc Hervé

Dans votre propos liminaire, vous avez préconisé la diffusion des images des caméras mobiles afin de rétablir l'égalité des faits entre les policiers et ceux de nos concitoyens qui filment, de plus en plus systématiquement, les interventions de la police. Il est vrai que ces pratiques se généralisent. Récemment, à Annecy, une femme a filmé l'intervention de policiers qui venait porter secours à une personne, au motif suivant : « On ne sait jamais, ça peut servir » Les comportements mal intentionnés à l'égard de la force légitime se développent : ils doivent être combattus. Mais si les images filmées par les policiers, qui servent de preuves, étaient désormais transmises aux médias, leur nature et leur destination en seraient modifiées. Le procès n'aurait plus lieu au tribunal, la procédure disciplinaire n'aurait plus lieu à l'IGPN ou à l'IGGN, mais dans la presse ! Une telle évolution législative est préoccupante. Je comprends votre logique et je sais qu'elle est fondée sur de bonnes intentions, mais j'attire votre attention sur ces risques de dérive qui posent une vraie difficulté de fond. Le remède me semble pire que le mal.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacky Deromedi

Je m'associe au soutien à nos forces de sécurité. L'usage de la force est indispensable à l'exercice de leurs missions. Leur vie est parfois en danger et ils doivent se défendre quand ils sont violemment attaqués. Nous constatons un manque de respect de l'autorité, c'est une question d'éducation. Il faudrait envisager un enseignement sur le respect de l'autorité dans nos écoles.

Le groupe de travail concerne-t-il également la gendarmerie nationale et le personnel pénitentiaire ? Ses conclusions pourront-elles nous être transmises ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Nous souhaiterions en effet pouvoir apprécier vos conclusions, avant de proposer nos propres conclusions.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

J'ai récemment rencontré un policier qui m'a fait part de son mal-être et m'a dit : « Nous sommes des ouvriers d'État, fiers de servir notre pays et nos concitoyens. » Je pense qu'il aurait apprécié vos propos liminaires.

Avez-vous constaté, sur le plan statistique, une augmentation du nombre des incidents liés à l'utilisation des techniques d'intervention ? Avez-vous constaté une augmentation des signalements auprès de l'IGPN pour violences policières ?

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Détraigne

Permettez-moi de partager avec vous un témoignage. Il y a quelques années, j'ai effectué un stage de trois jours dans une caserne de gendarmerie. C'est l'occasion de découvrir comment sont équipées et entraînées nos forces. Je peux témoigner que nous avons, dans la gendarmerie, des professionnels parfaitement formés, avec la tête sur les épaules. Mais on les connaît peu et on ne sait pas toujours bien ce qu'ils font. Il serait utile, pour l'édification de nos citoyens, qu'ils les connaissent un peu mieux.

Debut de section - Permalien
Christophe Castaner , ministre

La formalisation des décisions de classement des armes relève du service central des armes du ministère de l'intérieur, que je vais interroger. Je vous communiquerai sa réponse technique sur le point précis que vous avez soulevé.

Le Conseil d'État a été saisi à plusieurs reprises, et notamment le 1er février 2019, de la question du retrait du LBD. Sa réponse a été très claire : l'usage de ce moyen de défense est encadré et il est rendu nécessaire par l'existence de violences et d'atteintes aux personnes et aux biens. C'est malheureusement une réalité, chaque jour, chaque nuit. Malgré ces tensions qui ne font que croître, sachez que le nombre de tirs de LBD a diminué de 43 % en 2019 par rapport à 2018. En outre, les tirs de LBD, sauf circonstances exceptionnelles liées notamment à la légitime défense, sont désormais systématiquement filmés. Il existe une doctrine différente entre la police et la gendarmerie et nous travaillons actuellement à élaborer une doctrine partagée. Je défends l'usage du LBD : je sais que nos forces de sécurité intérieure sont formées à son usage et qu'elles ne l'utilisent que dans un cadre strictement nécessaire, immédiat et proportionné. Bien sûr, il peut y avoir des fautes, mais elles conduisent alors à des contrôles, des enquêtes, voire des suites judiciaires. Il faut avoir les bonnes personnes, bien équipées, bien formées, au bon endroit. Nous avons été amenés, à certains moments de grande tension, à affecter à l'ordre public, pour défendre nos institutions et la sécurité de notre pays, des femmes et des hommes qui n'étaient pas formés à cet ordre public : ce n'est pas la solution, mais nous devions alors renforcer nos moyens d'intervention. Le LBD est une arme intermédiaire qui permet d'éviter le contact physique et d'avoir recours à d'autres techniques ou de moyens plus dangereux. Nos forces savent s'adapter et l'utiliser avec parcimonie : nous avons connu deux mois de manifestations des « gilets jaunes » en 2018, contre six en 2019 et pourtant l'on constate une baisse de son utilisation.

Je comprends le débat sur la diffusion des images filmées par la police, mais nous sommes aujourd'hui dans une situation asymétrique injuste. Mon rôle est de défendre nos forces. Le procès a déjà lieu dans la presse et sur les réseaux sociaux et il peut marquer l'opinion publique, car une vidéo, éventuellement tronquée, peut atteindre trois millions de vues ! Une vidéo, si elle est seule, peut mettre en cause les forces de sécurité intérieure. Tout en respectant le droit à l'image, nous devons protéger nos forces. Lors de l'attentat de Villejuif en janvier dernier, le premier film que j'ai visionné présentait comme des violences policières la neutralisation de l'agresseur terroriste qui venait de poignarder des passants. C'est un sujet d'équilibre, mais je ne veux pas que certains aient tous les droits, y compris celui de tronquer la réalité. Je ne suis pas favorable à l'interdiction de filmer, mais, à l'inverse, nos forces doivent pouvoir se défendre. Les forces de l'ordre doivent pouvoir se défendre dans le procès public qui leur est fait.

Je suis favorable à rendre publiques les conclusions du groupe de travail. Vous avez aussi souhaité avoir communication des rapports de l'IGPN et de l'IGGN sur les techniques d'intervention, mais je crois savoir que vous les rencontrerez en audition. Si les inspections me demandent l'autorisation de vous transmettre leurs travaux, ce sera sans difficulté pour moi.

L'expression « ouvriers de l'État » est belle, mais elle montre aussi toute la misère et la difficulté de la mission quotidienne des forces de sécurité intérieure. L'expression « fiers de servir » est porteuse de tout le sens de l'engagement des policiers et des gendarmes. J'ai visité ce matin l'école des officiers de la gendarmerie nationale de Melun : les élèves n'y cherchent pas un métier, mais à servir. Et je sais que demain, dans une école de commissaires de police que je visiterai, j'entendrai le même discours : leur engagement est porteur de sens. Mais quand ils sont victimes d'une société de plus en plus violente, dénoncés, instrumentalisés par le biais d'images, soumis à l'opprobre public, qu'on leur manque de respect, c'est beaucoup plus dur. L'enseignant, l'élu et le maire le vivent aussi, comme les policiers, les gendarmes, les militaires, les pompiers volontaires, qui incarnent la République. Il faut défendre nos 250 000 « ouvriers de l'État fiers de servir ». Ils sont en première ligne et nous devons les accompagner. Les auteurs de violences urbaines n'aiment pas la République et veulent atteindre ses institutions.

Nous avons identifié huit affaires de décès imputables à l'usage de la force depuis 2014, police et gendarmerie confondues : deux sont clôturées et ont débouché sur l'absence de responsabilité et six sont encore en cours. Il faut des enquêtes. Personne ne peut parler à la place de la justice. Il y va de notre démocratie. Nous devons respecter les décisions de justice, même lorsqu'elles ne nous conviennent pas.

En 2019, les deux inspections générales ont été saisies de 879 cas de violences policières alléguées. Les enquêtes sont en cours et lorsque cela est nécessaire, des éléments sont transmis aux autorités judiciaires. Le signalement est désormais plus facile, grâce à la plateforme : l'évolution des chiffres ne correspond donc pas nécessairement une aggravation de la situation. La qualité de la formation est essentielle, mais la formation continue doit devenir une priorité.

Nous devons faire mieux connaître nos forces de sécurité. La journée de la sécurité intérieure chaque année à la mi-octobre, l'accueil en stage des élèves de troisième, le dispositif des cadets, la réserve le permettent déjà. Mais il est important que chacun sache, dès le plus jeune âge, que la police est bienveillante. Assurer la sécurité des Français, c'est être bienveillant avec les Français.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je vous remercie de votre intervention.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 16 heures.