Intervention de Dominique Estrosi Sassone

Réunion du 23 juin 2020 à 14h30
Débat sur la situation du logement et du bâtiment — Débat organisé à la demande du groupe les républicains

Photo de Dominique Estrosi SassoneDominique Estrosi Sassone :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à la fin de 2020, la France devrait avoir construit 100 000 logements de moins qu’en 2019, soit une réduction d’environ 25 % de la production annuelle.

Après la crise sanitaire, dont nous ne sommes peut-être pas sortis, c’est une crise aiguë du logement qui s’annonce. Ce chiffre, avancé par la Fédération des promoteurs immobiliers de France et certains observateurs, s’explique par l’arrêt du secteur de la construction pendant presque un trimestre. Nous espérons bien sûr que cette prévision ne se réalisera pas, monsieur le ministre, mais elle souligne en tout cas la gravité de la situation et l’urgence d’y apporter des remèdes appropriés.

Si nous sommes bien dans l’urgence, prenons pourtant le temps de porter le bon diagnostic sur la maladie. Le secteur immobilier s’inscrit dans le temps long, les logements neufs et réhabilités ne représentant, chaque année, guère plus de 2 % des logements existants. Plus que dans d’autres domaines, les décisions d’aujourd’hui auront un impact sur les décennies à venir. Il nous faut donc tirer les bonnes leçons de la crise.

Le logement y est apparu comme un bien de première nécessité. Sans toit pour sa famille, il est impossible de se protéger de l’adversité et de se projeter dans l’avenir. À cet égard, le confinement a mis en évidence une grande inégalité entre les Français. Selon une récente étude de l’Insee, 5 millions de personnes vivent dans un logement suroccupé. Nos concitoyens ont d’autant plus mal vécu cette épreuve qu’ils sont mal logés. Or cette situation va s’aggraver dans les prochains mois, nous mettant au défi de rattraper le temps perdu et de construire plus.

La crise du logement sera d’autant plus dure que la crise sanitaire a laissé la place à une crise sociale et économique. La Banque de France a indiqué qu’il y aurait vraisemblablement plus d’un million de chômeurs de plus début 2021 qu’il y en avait fin 2019. Cela va se traduire par plus de précarité, plus d’impayés de loyers, plus de demande d’aides personnalisées au logement (APL), et par des besoins de logements sociaux. Il faudra donc construire plus abordable et protéger le logement.

Par ailleurs, en raison du développement massif du télétravail, le marché de l’immobilier professionnel pourrait connaître un tournant, ouvrant la voie à une reconversion de nombreux bureaux en logements.

De même, les investisseurs institutionnels pourraient revenir sur le marché du logement résidentiel. C’est une opportunité qu’il nous faut en tout cas saisir.

Construire plus, plus abordable, mais aussi construire mieux et plus durable. En effet, la crise sanitaire ne doit pas masquer les enjeux climatiques et environnementaux, qui rendent impérieuses la rénovation thermique des bâtiments et une réelle sobriété foncière.

Construire mieux, c’est également prendre en compte que, à l’instar du choléra et de la tuberculose, qui ont façonné la ville haussmannienne du XIXe siècle, le Covid-19 va modifier la ville de demain. Compte tenu de l’objectif de zéro artificialisation nette, c’est moins une « ville jardin » qu’une ville compacte qualitative, où proximité rime avec solidarité et espaces partagés, que nous devrons proposer.

Enfin, il ne sera pas possible d’atteindre ces objectifs sans tenir compte d’un tissu économique durement éprouvé par la crise. Beaucoup d’entreprises sont menacées de faillite ; or, dans la chaîne du logement, chaque maillon est solidaire. Pour qu’il n’y ait pas de rupture aujourd’hui, il nous faut mettre en œuvre une chaîne de loyauté économique, pour prendre en charge les surcoûts et les retards. Pour que cette chaîne soit plus résiliente demain, nous devrons faire confiance aux acteurs économiques et libérer les énergies.

Une fois le diagnostic posé, il s’agit de savoir quels remèdes nous entendons proposer.

Le premier défi est de construire plus et plus abordable. Pour ce faire, j’ai la conviction qu’il faut nous appuyer sur trois acteurs : les bailleurs sociaux, Action Logement et les investisseurs institutionnels.

Les bailleurs sociaux sont prêts à jouer leur rôle de filets de sécurité, mais nous devons pour cela leur redonner les moyens d’agir, de construire, de rénover, c’est-à-dire revenir sur la réduction de loyer de solidarité (RLS), a minima via un moratoire, car le dispositif pèse aujourd’hui pour 1, 3 milliard d’euros chaque année. C’est aussi baisser la TVA sur le logement social : une TVA à 5, 5 %, c’est 5 000 euros de moins par logement, ce qui est déterminant quand on parle de 130 000 constructions neuves et de 150 000 rénovations par an.

Action Logement, ensuite, doit être replacée au centre du dispositif. Le groupe paritaire est actuellement contesté dans son existence, dans ses objectifs, et il doit se recentrer sur sa mission première, qui est de loger les salariés, car ils en ont absolument besoin.

Enfin, il faut faire revenir les investisseurs institutionnels dans le logement. C’est sans doute là que doit porter l’effort pour réussir à construire plusieurs dizaines de milliers de logements en plus chaque année. Pour les accompagner, il est nécessaire de faciliter la conversion des bureaux en logements, soit en jouant sur les délais, soit en sécurisant le taux réduit de TVA. Il est également impératif de considérer l’investissement dans le logement comme un investissement productif économiquement et socialement.

J’ai la conviction qu’il faut libérer les énergies. Fixons-nous l’objectif d’une division par deux des délais des procédures et des recours, car le logement souffre de la complexité excessive du droit de l’urbanisme. Il faut aujourd’hui plus d’un mandat de maire pour réviser un plan local d’urbanisme (PLU), ce qui est beaucoup trop long. Cependant, j’ai conscience qu’il n’y aura pas de choc de simplification venu d’en haut ; cela ne marche pas. C’est pourquoi je vous propose, monsieur le ministre, de réunir autour de vous, dès cet été, un « Ségur de la simplification du droit de l’urbanisme » pour aboutir à des propositions partagées et juridiquement sûres, qui permettront de réussir durablement la relance de la construction.

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