Intervention de Amélie de Montchalin

Réunion du 23 juin 2020 à 21h30
Débat à la suite de la réunion du conseil européen des 18 et 19 juin 2020

Amélie de Montchalin :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre invitation qui me permet de faire un point d’étape sur les discussions concernant notamment le plan de relance, ainsi que le prochain budget européen 2021-2027 et de répondre à vos questions à l’issue du débat.

Permettez-moi de saluer l’engagement du Sénat depuis le début de la crise pour promouvoir une réponse européenne ambitieuse et susceptible de répondre aux défis qui sont les nôtres aujourd’hui.

Ce débat intervient à un moment très important – peut-être crucial – pour l’Europe et pour notre pays, car si l’épidémie n’a pas disparu, ses conséquences économiques et sociales apparaissent.

La réunion des chefs d’État et de gouvernement de vendredi dernier a marqué le démarrage d’une négociation à l’échelon du Conseil européen sur le plan de relance et le prochain budget de l’Union pour la période 2021-2027.

Elle a été l’occasion de constater combien nous avions avancé ensemble en quelques semaines. Plus personne ne remet en cause aujourd’hui le principe d’un plan de relance européen ambitieux. Chacun a également pris conscience que personne ne pouvait sortir seul de ce qui s’annonce comme la plus grave crise économique depuis la Seconde Guerre mondiale. Personne ne conteste non plus l’utilité de répartir dans le temps long les coûts de la crise ni la nécessité d’un emprunt commun pour investir et relancer ensemble nos économies. Tel est le chemin qui a été parcouru en si peu de semaines.

Cette première réunion était une étape nécessaire. Elle a permis de comprendre les positions, les attentes et les sujets de préoccupation de chacun. Pour parvenir à un accord, une réunion « en présentiel » s’impose. Charles Michel en a fixé la date aux 17 et 18 juillet prochain. Si une réunion supplémentaire est nécessaire, nous l’organiserons, mais l’objectif du Président et de la Chancelière est d’arriver à un accord en juillet.

Il y a en effet urgence. Cela a été rappelé tant par le Président de la République que par la Chancelière devant le Bundestag la semaine dernière, alors que l’Allemagne prendra dans quelques jours – le 1er juillet – la présidence du Conseil de l’Union européenne jusqu’au mois de décembre.

Si nous n’agissons pas vite et si nous n’agissons pas ensemble, nous irons vers une récession durable. Or nul ne peut se satisfaire d’une telle situation. Elle entraînerait l’aggravation des inégalités entre États et contribuerait à fragmenter le marché intérieur ; elle pourrait alimenter un déclassement économique durable de l’Europe et, surtout, elle pourrait mettre en péril des millions d’emplois et aggraver une situation sociale déjà difficile.

Avant d’aborder en détail les lignes politiques que nous défendons avec le chef de l’État auprès des vingt-six autres États membres, je souhaite revenir quelques instants sur la méthode qui a été celle du Président de la République ces dernières semaines, car en diplomatie la méthode compte peut-être parfois plus que le contenu.

La France et l’Allemagne ont proposé dès le 28 mai un outil de relance fondé sur la solidarité et sur un objectif bien compris et pleinement partagé de souveraineté européenne. Cet accord est l’aboutissement d’un très long travail de conviction mené par le Président de la République avec la Chancelière. Sans la main tendue par le Président à l’Allemagne depuis 2017, que ce soit au travers du discours de la Sorbonne, des rencontres à Meseberg, ou encore très récemment lors du conseil des ministres franco-allemand de Toulouse, nous n’aurions pas pu arriver à cette compréhension commune des moyens et de la nécessité de rendre l’Europe plus forte et plus souveraine.

Je suis donc convaincue que s’il y a une victoire aujourd’hui, c’est celle de notre persévérance et de la persévérance du Président de la République à faire avancer le sujet d’une souveraineté européenne pleinement assumée et pleinement comprise au cours des dernières années.

Suivant cette dynamique franco-allemande favorable, la Commission a proposé un cadre budgétaire complet le 27 mai. Nous pensons que cette proposition est à la hauteur de l’enjeu historique et qu’elle démontre une réelle ambition politique. Ursula von der Leyen a compris l’enjeu existentiel auquel l’Europe est confrontée.

Notre responsabilité est maintenant de créer les conditions d’un accord dans les prochaines semaines en prenant en compte les besoins que chacun a exprimés. Ces besoins sont légitimes, car ils sont le reflet des situations politiques intérieures. Nous devons pleinement les apprécier.

À cet égard, la France détient une responsabilité particulière, car, d’une certaine manière, cette proposition franco-allemande nous oblige. Il est essentiel que l’accord que nous trouverons en respecte l’esprit de compromis.

C’est pourquoi nous multiplions les échanges avec nos partenaires. Le Président se trouve ce soir à La Haye pour un échange approfondi avec Mark Rutte. J’étais moi-même il y a dix jours en Autriche et, la semaine dernière, aux Pays-Bas. J’échange très régulièrement avec les pays du groupe de Visegrád et je me rendrai la semaine prochaine en Suède et dans les pays baltes.

Cet accord me paraît conditionné à deux points que nous devrons garder à l’esprit lors des négociations.

Premièrement, il nous faut sortir d’une logique de blocs. Trop souvent, par facilité ou par confort, nous décrivons l’Europe en opposant le Nord et le Sud, l’Est et l’Ouest, les pays frugaux et les pays de la cohésion. Mais ces blocs n’existent pas réellement. On observe des nuances très fortes et tout à fait perceptibles entre les membres de ces fameux blocs dès lors que l’on se rend sur place et que l’on approfondit les échanges avec les entreprises et les syndicats. La réalité politique de l’Autriche n’est pas celle de la Suède. Les réalités économiques et sociales et l’expérience de la crise propres à chaque pays entraînent des besoins et des attentes différents.

La méthode que nous mettons en œuvre depuis trois ans avec le Président de la République repose sur la conviction qu’il n’y a pas de grands et de petits pays. Chacun doit pouvoir lever le bras pour finalement trouver un accord à l’unanimité qui respecte pleinement les intérêts de tous les États, de tous les pays, de toutes les situations.

Deuxièmement, nous sommes au début d’une crise économique historique inédite. Il nous semble essentiel de garder à l’esprit que les premières personnes concernées sont les salariés, les travailleurs, les entrepreneurs, les personnes sans emploi ou celles qui pourraient perdre leur emploi. C’est pour cela que je veille lors de chacun de mes déplacements à rencontrer les partenaires sociaux, les syndicats, les représentants d’entreprises, qui jugent unanimement ce plan de relance plus que jamais nécessaire.

Aucun pays ne dispose de clients et de fournisseurs uniquement sur son sol national. Le marché intérieur, qui a fondé notre prospérité, nous a rendus interdépendants. Nous devons aujourd’hui en tirer les conséquences.

Les partenaires sociaux mènent parfois le combat en avance de leur gouvernement pour faire comprendre que c’est dans leur propre intérêt comme dans celui des salariés et des entreprises que nous devons agir.

Nous devons garder à l’esprit que nous agissons d’abord et avant tout pour les salariés, pour les familles, pour ceux qui voient l’économie de même que leur avenir personnel se fragiliser.

Il est de notre responsabilité de convaincre. C’est pourquoi je tiens à partager avec vous les cinq messages que je fais inlassablement passer à nos partenaires.

Le premier concerne l’urgence. Nous avons une obligation de résultat pour les travailleurs, pour les entreprises. Ce plan de relance doit être opérationnel au 1er janvier 2021. S’il n’est pas prêt pour la relance, autant vous dire qu’il ne servira à rien.

Le deuxième vise la crédibilité. Le plan de relance doit inclure une part significative de dotations budgétaires, car c’est ainsi que nous avons créé l’Europe : chacun contribue en fonction de ses moyens et reçoit selon ses besoins. Nous estimons que ces dotations budgétaires doivent s’élever à 500 milliards d’euros, pas moins – tel est le compromis que nous avons trouvé avec l’Allemagne. Ce chiffre ne sort pas de nulle part : il correspond aux besoins en investissements tels que calculés par la Commission européenne secteur par secteur pour réussir à protéger l’emploi, mais également pour atteindre les objectifs que nous nous étions fixés avant la crise en matière de transition écologique et numérique.

Le troisième message a trait à la solidarité. Si nous réduisons la relance à un système de prêts, nous ne ferions qu’alourdir la charge pesant sur les pays les plus touchés et nous aggraverions davantage encore les distorsions au sein du marché intérieur. Je tiens à le dire très fortement : il est question non pas de mutualiser les dettes du passé, mais d’investir ensemble dans les régions, dans les filières économiques les plus touchées, et cela au bénéfice de tous les États membres.

Le quatrième message vise l’efficacité. Pour être efficace, ce fonds de relance doit être cohérent avec les politiques économiques nationales, qu’il s’agisse de réformes ou de plans de relance nationaux. Je parle bien non pas de conditionnalité, mais de cohérence, afin d’articuler pleinement ce plan de relance et le semestre européen avec les recommandations spécifiques par pays et les recommandations pour la zone euro : c’est un critère essentiel pour créer de la convergence économique et de la synchronisation dans nos réformes plutôt que de la compétition.

Nous devons à tout prix éviter de tomber dans un fonctionnement de type « troïka » qui ne serait pas adapté à la situation actuelle. L’efficacité de notre action collective et notre confiance mutuelle dépendront du respect de la souveraineté des États qui seront ensuite amenés à présenter leur stratégie.

Si nous voulons être efficaces, il faut aussi que nous soyons capables de dépenser rapidement les fonds qui vont être mis à disposition, en particulier quand ils passent par les programmes existants, comme en matière de cohésion. Mesdames, messieurs les sénateurs, je sais votre intérêt – et vous le mien – pour la simplification de l’accès aux fonds européens. Ce point sera essentiel. Nous souhaitons que ce plan de relance soit un plan condensé et non pas dilué. C’est pourquoi Bruno Le Maire a rappelé hier à Berlin que nous voulions que les fonds soient consommés en deux ans, en 2021 et en 2022.

Si nous voulons être efficaces, il faudra aussi nous assurer de la bonne articulation du fonds avec le plan de relance national, afin d’identifier les secteurs et les projets qui pourront en bénéficier et de ne pas nous disperser.

Tous les acteurs devront se mobiliser, y compris les collectivités locales. Je sais votre connaissance fine des besoins de chacun de vos territoires. Il faudra nous pencher ensemble très rapidement sur la meilleure manière de nous assurer d’une consommation rapide des fonds mis à disposition. L’intérêt stratégique de la mission de simplification que nous menons avec les régions à la demande du Premier ministre n’en sera que plus fort.

Le dernier message que je porte est celui de la cohérence. Ce plan de relance et le budget européen 2021-2027 doivent être des leviers d’investissement pour une Europe plus forte, plus solidaire et plus souveraine.

La transition écologique et numérique, mais également la protection de la santé, l’autonomie en matière sanitaire, industrielle et agricole, doivent être au cœur de ce que nous aurons à financer. Pendant cette crise, la souveraineté agricole a été une chance pour chacun de nos pays.

C’est donc ainsi qu’il faut envisager ce paquet global. Nous ne devons pas opposer reconstruire et investir. Le budget européen et le cadre financier pluriannuel, ou CFP, doivent être à la hauteur des ambitions de long terme. Je pense en particulier à des enveloppes qui contribuent à notre souveraineté, telles que celle de la politique agricole commune dont le premier pilier permet de soutenir le revenu des agriculteurs et de les aider à réussir la transition écologique et environnementale. Je pense aussi au Fonds européen de la défense et aux programmes spatiaux, dont les montants doivent être rehaussés.

Cette cohérence doit aussi s’appliquer au financement de l’Union. Nous devons réformer notre système de ressources propres pour le rendre plus lisible, réduire dans le temps le coût du remboursement de l’emprunt commun et mettre notre financement en cohérence avec nos objectifs, notamment environnementaux.

C’est pourquoi nous demandons la fin du système des rabais, et la création, dès 2021, d’une contribution sur la ressource dite ETS, sur les permis d’émissions de CO2, et sur le plastique. Nous souhaitons également travailler dès les prochaines semaines et les prochains mois à la mise en place d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières au cours de la période 2021-2027. Pour avoir participé au débat sur votre proposition de résolution européenne dans cet hémicycle, je sais combien ce sujet vous est cher, mesdames, messieurs les sénateurs.

Nous voulons également continuer d’explorer d’autres ressources, comme la taxe sur le numérique, mais également la taxe sur les transactions financières. Ces ressources propres sont au cœur de l’accord final, car elles nous permettront d’investir ensemble sans augmenter le coût des contributions nationales.

Pour conclure, je tiens à vous rassurer sur un point. Ce plan n’est pas fait en catimini. Il n’est pas antidémocratique, au contraire. Il vous reviendra, d’ici à la fin de l’année, de ratifier le système de ressources propres. Le Parlement européen aura aussi un rôle crucial à jouer dans l’élaboration du plan de relance national pour nos entreprises, nos territoires et nos citoyens. Vous pouvez compter sur mon engagement et sur celui de l’ensemble des membres du Gouvernement pour conduire avec vous cette mission.

Il me faut rapidement ajouter que la réunion de vendredi dernier a également permis aux chefs d’État et de gouvernement d’aborder la poursuite des négociations avec le Royaume-Uni dans le cadre du Brexit, ainsi que le renouvellement des sanctions de l’Union européenne imposées à la Russie.

Vous le constatez, l’Europe avance, non pas pour elle-même, mais pour les Français. Je sais qu’en la matière je peux compter sur votre soutien.

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