Intervention de André Gattolin

Réunion du 23 juin 2020 à 21h30
Débat à la suite de la réunion du conseil européen des 18 et 19 juin 2020

Photo de André GattolinAndré Gattolin :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la vie en « distanciel » n’est pas la vie en « présentiel ». Et en politique, comme ailleurs, nous en faisons tous quotidiennement la délicate expérience.

Difficile, en effet, de faire une campagne de proximité en distanciel à l’occasion du second tour des élections municipales, qui aura lieu ce dimanche. Difficile également de mener une réunion de commission en visioconférence un tant soit peu dynamique, de garder toute son attention lors de marathons virtuels, qui nous conduisent parfois à participer à quatre ou cinq téléconférences dans la même journée.

En dehors des interférences dues à certains micros que l’on oublie de couper, finis la spontanéité des échanges, les petites pauses et les apartés informels, deux à deux, qui permettent souvent d’esquisser un début de compromis ou de rapprochement.

Dans le mot « distanciel » – cela ne vous aura pas échappé –, il y a le terme « distance ». Et s’il est vrai que la communication en distanciel permet bel et bien aux différents points de vue de s’exprimer, ce « cadre particulier de l’expérience », pour reprendre une expression chère au sociologue Erving Goffman, ne permet guère en revanche de construire une relation véritablement interactionnelle et authentiquement dialogique.

Que signifie, en effet, un silence dans un échange distanciel et médiatisé par les nouvelles technologies de l’information ? Approbation, désapprobation, réflexion, inattention ou, tout simplement, problème de transmission ou de réception ?

Cette délicate expérience du distanciel est celle que les vingt-sept chefs d’État et de gouvernement, ainsi que les principaux dirigeants de l’Union ont pu vivre à l’occasion du sommet virtuel qui s’est tenu vendredi dernier. Mais cessons de geindre et de laisser croire que les maigres résultats qui ont résulté de cette réunion seraient le seul fait de la technologie employée.

Certes, la délicate question du prochain cadre financier pluriannuel et du plan de relance européen aurait peut-être pu connaître quelques avancées supplémentaires si ce Conseil avait eu lieu en présentiel. Mais rappelons quand même que les discussions autour du cadre budgétaire 2021-2027 durent depuis plus de deux ans et que, pour l’essentiel, elles se sont déroulées en présentiel, sans que le résultat final soit aujourd’hui clair, et ce à six mois à peine de la mise en œuvre effective de ce cadre.

Tout le monde le dit depuis deux semaines : ce Conseil européen ne pouvait être qu’un tour de chauffe, un round d’observation durant lequel les dirigeants des vingt-sept États membres ne feraient qu’exprimer leur avis sur cet audacieux projet de paquet budgétaire qui n’a – il faut le souligner – qu’un tout petit mois d’existence.

En dépit de cet étrange sommet « pour voir », il faut dire aussi que nos diplomaties respectives n’ont, en amont et en aval de celui-ci, pas chômé pour faire avancer les positions des uns et des autres. Parties à deux le 18 mai dernier, la France et l’Allemagne ont vite été appuyées par la Commission et suivies par une large majorité des États membres. Dans ces délais inaccoutumés à l’échelon de l’Europe, c’est déjà en soi un petit miracle…

Par ailleurs, et même s’ils formulent certaines réserves, c’est sans doute la première fois depuis plusieurs années que les pays du groupe dit de Visegrád ne sont pas au cœur de l’opposition à un procès d’approfondissement et de renforcement de l’Union européenne. Bel exploit !

Autre point positif, c’est l’Allemagne – elle prendra la présidence du Conseil le 1er juillet prochain – qui sera à la manœuvre lors des négociations finales sur ce grand paquet budgétaire. En outre, Mme la secrétaire d’État confirmera ou infirmera le fait que la présidence allemande devrait annoncer la tenue d’une seule grande réunion du Conseil en présentiel dans le courant du mois de juillet plutôt que de deux ou trois, comme on l’avait envisagé un temps : cela limitera probablement les risques d’une procrastination délétère de la part de certains États membres.

Ceux qui connaissent bien l’histoire de la construction européenne savent que les accords européens les plus importants ont toujours été conclus, par le passé, sous les auspices de la présidence d’un des grands pays membres de l’Union.

Au-delà des belles raisons d’espérer que je viens d’énoncer, on ne peut cependant pas occulter les actuels points de tension qui se font jour entre États membres, au premier rang desquels figurent les fortes réticences exprimées par les fameux pays dits « frugaux ». Peu ou prou, ces derniers contestent le recours à l’emprunt européen pour financer ce plan ou, tout au moins, la répartition entre subventions et prêts, qui penche actuellement nettement en faveur des premières.

Bénéficiaires de rabais sur leurs contributions nationales, ils refusent leur suppression en dépit du départ du Royaume-Uni. Ils insistent sur l’instauration de conditions contraignantes pour les pays qui devraient principalement bénéficier de ce plan de relance : un semestre européen plus exigeant et l’engagement d’importantes réformes structurelles par les pays bénéficiaires.

La question des ressources propres est centrale et même la clé de voûte d’un accord. Sans nouvelles ressources propres, le remboursement de la dette européenne risque, à terme, d’échoir principalement aux pays contributeurs nets au budget de l’Union. Et comme les décisions concernant les ressources sont adoptées tous les sept ans, à la fin de chaque cadre financier pluriannuel, un changement en profondeur dans ce domaine doit, selon les règles européennes, passer par la procédure législative spéciale, qui requiert l’unanimité du Conseil, la ratification du Parlement européen et celle des parlements nationaux.

Au sein du club des quatre « frugaux », les positions ne sont heureusement pas toutes aussi fermes qu’il y paraît à première vue.

La Suède et le Danemark pourraient être plus conciliants que l’Autriche et, surtout, les Pays-Bas.

Concernant l’Autriche, l’histoire des vingt-cinq dernières années, depuis son adhésion en 1995 à l’Union, montre qu’elle a souvent tendance à rallier au dernier moment son puissant voisin, l’Allemagne. De plus, cette dernière présidera l’Union à ce moment-là : elle pourrait trouver les mots justes pour la convaincre.

Le cas des Pays-Bas est plus délicat, car l’euroscepticisme est puissant dans l’opinion. Le Premier ministre, Mark Rutte, est actuellement à la tête d’une coalition assez hétérogène, qui ne dispose que d’un siège de majorité à la seconde chambre des États généraux.

Pour autant, les nouvelles du jour semblent laisser quelques espérances, si j’en crois un article paru cet après-midi dans un grand quotidien du soir. Le déplacement du Président de la République ce soir à La Haye pour rencontrer Mark Rutte n’est sans doute pas étranger à cette soudaine évolution. Bien sûr, et comme toujours dans une négociation européenne, il y aura certainement des concessions réciproques pour parvenir à un accord.

Madame la secrétaire d’État, vous êtes indubitablement combative, mais êtes-vous indubitablement optimiste quant à l’obtention d’un accord au sein du Conseil européen avant la fin du mois prochain ? Plus précisément, quelles sont les concessions acceptables qui vous semblent pouvoir être faites pour y arriver ?

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