Intervention de Pascal Allizard

Réunion du 23 juin 2020 à 21h30
Débat à la suite de la réunion du conseil européen des 18 et 19 juin 2020

Photo de Pascal AllizardPascal Allizard :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise sanitaire a pris l’Europe de court. Sur un continent déjà en proie au doute, après l’effondrement de la Grèce, la crise migratoire, la vague de terrorisme, le Brexit, les tensions au voisinage immédiat – Ukraine, Syrie, Libye et Méditerranée orientale –, il faut probablement retenir de cette pandémie un certain nombre de leçons, faute de quoi ce plan de relance espéré ne ferait que prolonger artificiellement la vie du « malade européen » au prix d’un endettement lourd.

Cette pandémie, c’est d’abord, je crois, la fin d’une illusion. L’Union européenne n’est pas une bulle prospère, protégée du monde par la seule vertu du droit et des valeurs. On peut le regretter, mais c’est ainsi. Elle est interdépendante, au contact d’un monde en crise et en compétition. Ce n’est pas un monde de « Bisounours », pour reprendre le terme récent d’Hubert Védrine.

La question de la sécurité des frontières reste primordiale. Les Européens ne devront plus tergiverser pour les fermer en cas de besoin. À ce titre, la reprise de l’épidémie en Chine appelle à la prudence. Soyons réalistes et mesurons l’accroissement des risques sanitaires, environnementaux ou géopolitiques !

La probabilité de récurrence d’événements graves devrait s’accroître et aujourd’hui, à tort ou à raison, là aussi, aucun citoyen ne répond spontanément que l’Europe protège. Or, dans le monde de demain, il faudra peser.

Même si on peut le déplorer, il nous faut intégrer le durcissement des relations internationales, qu’elles soient politiques ou économiques, y compris dans nos rapports avec certains de nos alliés extracommunautaires et, en retour, très probablement, durcir notre posture.

La relance massive de l’économie européenne ne servira à rien si elle ne s’accompagne pas d’un changement d’état d’esprit. Partout ailleurs, lorsque les intérêts sont menacés, les États n’hésitent pas à préserver leurs filières et leurs entreprises : préférences, mesures douanières, extraterritorialité du droit, etc.

Dans ce contexte, l’Union européenne continue à présenter l’ouverture de son marché sous un seul jour bénéfique. Pourtant, le partenariat transatlantique, le Mercosur, les accords avec le Canada, la Nouvelle-Zélande ou l’Australie ont fini par susciter de vives inquiétudes, notamment en France, tant des consommateurs que des filières agricoles. L’Union européenne poursuit néanmoins sur cette voie, avec un accord commercial avec le Mexique, au moment où chacun aurait pu penser que la crise sanitaire amènerait à envisager la mondialisation autrement.

Dans les domaines sanitaire ou militaire, notamment, l’approbation par la France de l’axe franco-allemand ne doit pas emporter pour seule conséquence le renforcement des groupes industriels allemands. Il faut créer les conditions en France d’une réindustrialisation et mieux protéger les entreprises des prédations étrangères, en particulier extraeuropéennes, afin que le concept d’autonomie stratégique ne reste pas un vain mot.

Sur le plan environnemental, l’engagement de l’Union européenne en faveur du climat et des énergies renouvelables ne doit pas conduire à s’enfermer dans un choix entre les éoliennes chinoises ou allemandes.

Les actions en vue d’améliorer la résilience des systèmes de santé, d’accroître la promotion de l’innovation dans le secteur de la santé en Europe sont bienvenues, mais pourront-elles faire pièce aux moyens considérables des routes de la soie de la santé chinoises et limiter notre dépendance à la Chine pour certaines molécules ou certains équipements sanitaires ?

La somme des événements récents doit aussi amener un tournant pour l’Europe de la défense. Aux États-Unis, l’industrie de défense ne s’est pas arrêtée pendant l’épidémie et elle bénéficie d’un plan colossal de soutien, quand le budget du Fonds européen de la défense donne lieu, lui, à d’inquiétants atermoiements. En réalité, il sert de variable d’ajustement !

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