Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la création d’un fonds d’indemnisation au titre d’une contamination par un agent pathogène à transmission respiratoire peut surprendre. Ce serait en effet une première.
J’entends, bien entendu, les interrogations légitimes de plusieurs de mes collègues sur l’opportunité de créer un précédent, qui risquerait de fragiliser notre système assurantiel de réparation des risques professionnels. Ce système repose sur la responsabilisation des employeurs dans la protection de leurs salariés, protection qui s’est avérée difficile à garantir face à une maladie infectieuse ayant largement circulé dans la population générale, bien au-delà des seules situations professionnelles.
Je voudrais néanmoins rappeler l’esprit de cette proposition de loi, déposée par notre collègue Victoire Jasmin, que je salue. Ce texte a pour objectif essentiel de répondre à une situation parfaitement inédite. Il vient reconnaître l’engagement professionnel et bénévole de nombreux de nos concitoyens pendant la phase aiguë de l’épidémie de Covid-19 pour assurer la continuité de services indispensables à la vie de la Nation.
Dès le début de l’épidémie, les soignants et personnels d’établissements de santé et médico-sociaux se sont mobilisés pour prendre en charge les malades. À cette occasion, ils ont été exposés à un risque accru de contamination par le SARS-CoV-2, d’autant que les équipements de protection individuelle faisaient défaut. C’est la raison pour laquelle le ministre des solidarités et de la santé a annoncé la mise en place, en faveur des soignants, d’un dispositif de reconnaissance automatique comme maladie professionnelle de leur contamination. Toutefois, les contours de ce dispositif n’ont pas été précisés : nous ne savons pas s’il intégrera les personnels administratifs et d’entretien de ces établissements, et il devrait vraisemblablement se limiter à une réparation forfaitaire.
Par ailleurs, pendant le confinement, au-delà du soin, d’autres secteurs d’activité ont continué de fonctionner afin de répondre aux besoins essentiels de la Nation. Je pense aux premiers secours, aux ambulanciers, aux forces de sécurité, aux personnels de l’éducation nationale et des crèches qui ont accueilli les enfants de soignants, aux services d’aide à domicile, aux services de propreté et de salubrité publique, aux salariés des pompes funèbres, aux salariés de la grande distribution, des transports, de la logistique et de la livraison, du secteur postal ou encore aux salariés des abattoirs…
La réalité est la suivante : ces nombreux travailleurs et bénévoles, qui ont dû poursuivre leur activité en dehors de leur domicile pendant le confinement, ont été exposés à un risque accru d’infection par le coronavirus. Certaines de ces personnes ont développé des formes graves de la Covid-19, qui ont pu donner lieu, notamment à l’issue d’une hospitalisation dans un service de réanimation, à des séquelles invalidantes ou incapacitantes, telles que des atteintes respiratoires, neurologiques, cardiaques ou dermatologiques, ou ont pu conduire à des décès.
Or quels sont les recours s’ouvrant à elles pour obtenir une réparation juste de leurs préjudices, en reconnaissance du service rendu à la Nation ? À tout le mieux, elles devront s’engager dans une procédure longue de demande de reconnaissance de maladie professionnelle auprès des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles, avec un risque d’inégalités de traitement et, donc, de contentieux. Il est effectivement exigé dans ce cadre un taux d’incapacité permanente d’au moins 25 %, le dispositif n’étant, du reste, pas ouvert aux bénévoles.
Face à cette situation, la proposition de loi vise à instituer un processus d’indemnisation intégrale simplifié et équitable de l’ensemble des personnes qui auraient été exposées à un risque accru de contamination pendant le confinement, au-delà des seuls personnels soignants. Comme c’est déjà le cas pour les victimes de l’amiante, cette réparation intégrale pourrait, le cas échéant, venir compléter la réparation forfaitaire obtenue par les travailleurs par la voie des tableaux de maladies professionnelles nouvellement créés ou des CRRMP.
Afin d’acter le lien entre l’indemnisation et le service rendu à la Nation par des personnes qui n’ont pu rester confinées, j’ai présenté en commission plusieurs amendements destinés à circonscrire tant le champ des bénéficiaires du fonds que son horizon temporel.
J’ai notamment proposé de définir les éléments qui permettront d’établir une présomption irréfragable de contamination en milieu professionnel ou bénévole, dans le souci d’alléger la charge de la preuve pesant sur les victimes. Ces éléments auraient pu reposer, d’une part, sur une liste d’activités professionnelles ou bénévoles ayant été exposées à un risque accru de contamination et, d’autre part, sur des critères objectivables permettant de présumer, avec une assurance raisonnable, une contamination en milieu professionnel ou bénévole.
Ensuite, afin de consacrer le caractère exceptionnel du dispositif, j’ai proposé à la commission de fixer une borne temporelle au risque d’exposition professionnelle ou bénévole à la contamination justifiant une indemnisation intégrale. Il s’agissait de prendre acte du fait que, pendant la phase aiguë de l’épidémie, pour assurer la continuité de certains services, des personnes ont été plus exposées à un risque d’infection que toutes celles qui pouvaient rester à leur domicile. Cette période aurait débuté le 16 mars 2020, date de mise en place du confinement, et aurait pris fin à la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, soit le 10 juillet 2020.
Enfin, s’agissant du financement du fonds, j’ai eu le souci de ne pas le faire reposer uniquement sur une contribution de la branche AT-MP, dont la logique assurantielle est régulièrement mise à mal. L’exposition au virus d’agents de l’État et l’indemnisation des ayants droit de personnes décédées plaident en effet pour une mobilisation de la solidarité nationale par un engagement financier de l’État. C’est pourquoi j’ai proposé à la commission que le financement du fonds s’appuie également sur une contribution de l’État.
La commission des affaires sociales n’a pas adopté ces propositions de modification, qui, à mon sens, auraient garanti la crédibilité et le caractère opérationnel d’un dispositif qui entend répondre à une situation, je le répète, exceptionnelle. La commission a en effet estimé que, en l’état des connaissances scientifiques parcellaires sur les effets à long terme sur la santé du virus, les conditions n’étaient pas réunies pour instituer un fonds d’indemnisation. Pour autant, la majorité de la commission des affaires sociales a clairement affirmé que son abstention sur le texte en commission ne vaudrait pas adhésion en séance publique. Le texte qui vous est donc soumis en séance est essentiellement celui de la proposition de loi initiale, dont les articles n’ont pas été modifiés, seul l’intitulé du texte ayant fait l’objet d’une rectification rédactionnelle.
Bien que mes propositions de modification n’aient pas été retenues en commission, je vous invite, à titre personnel, à adopter ce texte.