Madame la vice-présidente de la Commission européenne, la commission des affaires économiques du Sénat se réjouit de pouvoir vous entendre aujourd'hui. Au fil de nos travaux, nous mesurons à quel point les enjeux de concurrence pénètrent tous les secteurs de nos économies. C'est le cas des industries traditionnelles, comme nous l'avions vu lors de l'échec de la fusion entre Alstom et Siemens, ou, actuellement, avec le rachat des Chantiers de l'Atlantique par Fincantieri. De surcroît, la politique de concurrence européenne doit aussi appréhender de nouveaux marchés, au premier rang desquels le monde numérique.
L'adaptation de la politique européenne de concurrence compte désormais parmi les sujets de premier plan. Plusieurs États membres en ont fait une demande forte - c'est le cas de la France. Notre assemblée publiera sous peu un rapport explorant les pistes de réforme, confié à nos collègues Alain Chatillon et Olivier Henno. Vous avez d'ailleurs vous-même estimé qu'il était « temps d'actualiser » les règles, et la Commission vient de mettre à l'étude des propositions concernant les plateformes numériques ainsi que les distorsions provenant de marchés tiers, que vous nous présenterez probablement.
Nous saluons ces premières ouvertures, mais, au-delà de tels outils complémentaires et de réformes paramétriques, la Commission s'est-elle engagée dans une réflexion de fond sur la façon dont la politique de concurrence peut contribuer à d'autres objectifs que la simple protection du consommateur ? Comme ma collègue de l'Assemblée nationale, je dirai qu'il faut aussi parler des producteurs.
Alors que la crise actuelle révèle un besoin croissant de souveraineté économique européenne, de stratégie industrielle, un rééquilibrage ne serait-il pas souhaitable ? Comment votre action en matière de concurrence pourrait-elle être perçue comme un levier de développement économique, plutôt que comme une régulation de l'offre ?
Par exemple, les « écosystèmes » industriels prioritaires, récemment annoncés par le commissaire Breton, pourront-ils bénéficier de nouveaux assouplissements en matière d'aides d'État, afin de prolonger les efforts de financement déployés dans le cadre des PIIEC ? À défaut, le droit de la concurrence ne risque-t-il pas de faire obstacle aux volontés de relocalisation ?
Enfin, à l'heure où l'Europe a besoin de davantage de démocratie et de transparence, la politique de concurrence ne devrait-elle pas faire l'objet d'un suivi et d'une évaluation spécifiques ? Il nous apparaît important de mesurer l'impact économique des décisions de politique publique, comme nous le faisons à l'échelle nationale, dans un objectif de plus grande efficacité, mais aussi de meilleure lisibilité pour les acteurs économiques et les citoyens.
S'agissant de la régulation du numérique, la commission des affaires économiques du Sénat est très attentive à ce que ce sujet avance vite, car la domination exacerbée de certains géants du numérique capables de verrouiller les marchés porte atteinte aux capacités d'innovation de nos entreprises. Nous avons adopté, au Sénat, une proposition de loi visant à renforcer la régulation des « Big Tech » via la neutralité des terminaux, l'interopérabilité des plateformes, la révision des seuils et du renversement de la charge de la preuve dans le contrôle des concentrations. Après la consultation lancée début juin, pouvez-vous nous préciser à quelle échéance un texte européen en la matière pourra entrer en vigueur ?
Je ne peux achever mon propos sans évoquer le sujet de la transition énergétique, dont l'accélération est souhaitée par tous dans le cadre du Plan de relance et du Pacte vert européens. La nécessité d'atteindre la « neutralité carbone » à l'horizon de 2050 ne doit-elle pas conduire à une évolution dans l'application des règles de concurrence dans le secteur de l'énergie ? En particulier, quelle est votre analyse sur deux sujets majeurs pour la politique énergétique de la France : le renouvellement des concessions hydroélectriques et la réforme de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) ? Je voudrais enfin avoir votre avis sur le « mécanisme d'ajustement carbone » aux frontières de l'Union européenne.