Intervention de Margrethe Vestager

Commission des affaires européennes — Réunion du 16 juin 2020 à 13:5
Marché intérieur économie — Audition de Mme Margrethe Vestager vice-présidente de la commission européenne en charge du numérique

Margrethe Vestager, vice-présidente de la Commission européenne en charge du numérique :

S'agissant de la 5G, nous cherchons un déploiement le plus efficace possible, car nos entreprises et nos industries ont besoin de bénéficier de cette technologie.

Nous avons travaillé à une bonne compréhension des risques de sécurité tout au long de la chaîne de valeur de la 5G et avons décidé, en accord avec les États membres, de constituer une boîte à outils qui nous permette de couvrir l'ensemble de cette chaîne de valeur. Nous sommes en train d'élaborer un rapport sur son utilisation concrète en lien avec les Etats membres.

Nous examinons aussi de très près les questions relatives aux conséquences de la 5G sur la santé des utilisateurs, qui préoccupent nombre de nos concitoyens. À ce jour, les éléments à notre disposition montrent que l'impact sanitaire de la 5G n'est pas plus important que celui de la 4G, mais il faut être aussi attentif à ces risques qu'à ceux qui sont liés à la cybersécurité.

Le plan de relance et l'outil Next Generation EU prévoient un total de 560 milliards d'euros distribués au sein de différentes enveloppes, en supplément des plans de relance élaborés par les États membres. Si ceux-ci le décident, le développement de la 5G peut évidemment entrer dans ce cadre.

En revanche, la question de la 6G est encore un peu prématurée. Il faut continuer à faire l'effort d'innovation nécessaire pour non pas prendre le train en marche, mais participer pleinement au développement de cette technologie.

Sur la question du traçage électronique du virus, les États membres font preuve d'une appétence pour le développement de leurs propres applications, en dépit de nos incitations à ce que l'effort soit fait au niveau européen. Néanmoins, les applications créées sont autant de tests pour toutes les problématiques concernant la protection des données personnelles et l'efficacité dans la lutte contre le virus. La plupart des États membres sont tombés d'accord sur des spécifications techniques et sur un principe de décentralisation des données recueillies. Cela met la France dans une situation particulière, car il se posera une question d'interopérabilité et de décentralisation des données par rapport au système mis en place.

J'en viens à la Big Tech. D'après mon expérience, il ne suffit pas de se demander ce que nous pouvons faire face aux géants du numérique. Certes, il faut imposer des réglementations, qu'elles soient a posteriori ou ex ante. Mais, ne pouvant prédire comment l'économie numérique va évoluer, il nous faut aussi faire de la prévention, en évitant que d'autres gardiens n'apparaissent avec, à la clé, un risque d'entrave au fonctionnement de nos démocraties. C'est une question économique, mais elle est aussi en lien avec nos valeurs.

La notion de plateformes systémiques, qui figure dans la consultation que nous avons lancée dans le cadre du Digital Services Act, rejoint celle de gardiens ou gatekeepers. Nous désignons ainsi des intermédiaires entre l'infrastructure essentielle et les entreprises. Nous attendons beaucoup de la consultation publique en cours.

La question de l'identification sur les canaux numériques est très importante. Je ne crois pas que nous puissions nous contenter de l'identification privée à laquelle procèdent déjà les citoyens sur les réseaux sociaux tels que Facebook. Nous avons besoin d'autres outils. Mais les données biométriques soulèvent des problématiques très différentes : que je les conserve sur moi ou via mon passeport est une chose, qu'elles soient utilisées pour m'observer dans l'espace public, par le biais de caméras de surveillance, en est une autre. Nous avons essayé d'encourager les discussions sur ce sujet, car il nous renvoie à une question fondamentale, celle de savoir dans quelle société nous voulons vivre.

Pour répondre à Mme Le Grip sur les marchés pertinents, j'avouerais ma déception quand, en tant que commissaire européenne à la concurrence, je me suis rendue compte que c'était les consommateurs, et non moi, qui définissaient le marché. S'ils ne sont pas satisfaits, ils peuvent aller voir ailleurs, y compris en dehors de l'Europe ! À l'heure actuelle, 60 % des marchés sont à l'échelle de l'espace économique européen (EEE), voire au-delà. Cela nous oblige forcément à repenser la notion de marché, mais nous devons travailler en nous fondant sur la réalité de ce que veulent les consommateurs, tout en ayant l'obligation de préparer l'avenir. Selon les types de marchés et de services, la notion de marché pertinent peut s'apprécier à l'horizon de 2 à 3 ans ou de 5 à 6 ans. Dans beaucoup de cas, les acteurs économiques veulent se développer au-delà de leur marché national mais parfois, pour des raisons règlementaires ou autres, ils en sont prisonniers.

En matière de filtrage des investissements étrangers, notamment en provenance de Chine, nous travaillons sur des outils qui seront en place dans quelques mois. Mon collègue commissaire européen au commerce, chef de file sur le sujet, estime qu'il faut renforcer ce filtrage, afin de nous assurer de l'équité et de la protection de la sécurité de nos concitoyens.

Nous devons avoir une stratégie, et nous en avons une : notre objectif est d'être le premier continent neutre en carbone et un continent d'innovation. Il est important que nous ayons un débat ouvert, au sein des institutions européennes et avec les États membres, sur les investissements que nous voulons voir advenir. D'autres critères que la seule disponibilité des financements doivent entrer en jeu.

Je poursuis avec la question, essentielle, des délais de traitement. Je suis très satisfaite que nous ayons pu utiliser des mesures conservatoires, pour la première fois en dix-huit ans, sur le marché des jeux de puces pour télévisions et modems. Il fallait agir ! Si nous le faisons de manière précoce, nous pouvons modifier le cours des choses, comme ce fut le cas, par exemple, avec les ebook et Amazon : le groupe imposait des clauses très engageantes pour ses fournisseurs lesquelles entravaient l'innovation ; depuis que nous sommes intervenus, la concurrence est réapparue sur le marché du livre numérique.

Sur la question des abus de position dominante, je me réjouis que les réglementations a priori soient accueillies positivement, mais il faut aller plus loin, et c'est tout le sens du Digital Services Act.

Par ailleurs, même s'ils ne sont pas aussi nombreux qu'aux États-Unis, nous voyons des mouvements de concentration à l'oeuvre au sein de l'industrie européenne. Nous essayons de les contrôler, autant que faire se peut.

Dans le secteur sidérurgique, vingt-cinq mesures spécifiques ont été prises qui viennent s'ajouter à d'autres mesures. Cette activité a vocation à s'inscrire dans le cadre d'une ambition européenne, car les besoins en investissement et en innovation sont importants.

Il ne fait pas de doute que l'hydrogène sera une source d'énergie pour ce type de production. Mais nous devons nous organiser en termes de volume, de stockage et d'acheminement jusqu'aux zones où sont implantées les industries de l'acier. Il faut aussi, pour que tout cela ait un sens, que nous développions un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières de l'Union européenne, afin de protéger les entreprises pionnières dans cette aventure.

Sur les aides d'État, il a été dit que l'Allemagne en avait accordé beaucoup plus que d'autres États membres. Le point positif est que cela permet de maintenir l'approvisionnement par les entreprises concernées, mais, sur le plan de la recapitalisation, cela peut mettre en péril l'avenir de l'Europe.

La proposition des Allemands concernant Gaia-X est très intéressante. Le volume de stockage et les coûts engagés seraient considérables si nous devions stocker toutes nos données en Europe. Il nous faut donc identifier ce qui mérite d'être stocké sur notre continent, de sorte que nous mettions bien l'accent là où réside la vraie valeur ajoutée - pour l'Europe - dans les technologies BtoB, et à condition que nous soyons en mesure de donner un accès aux données de santé suffisant pour permettre l'innovation.

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