Ma formation de base est scientifique. Je suis ensuite entré dans le corps de contrôle des assurances au ministère de l'économie et des finances. Ce choix emportait une double signification : pour le service de l'État et le secteur d'activité de l'assurance. À l'époque, la formation des commissaires contrôleurs des assurances comprenait l'obtention du diplôme de l'Institut d'études politiques de Paris en parallèle d'une formation en actuariat et en droit des assurances. J'ai enfin passé le concours de l'École nationale d'administration (ENA), à l'issue de laquelle j'ai choisi le Conseil d'État.
Mon parcours professionnel est fait d'expériences variées : d'abord, un itinéraire classique de membre du Conseil d'État avec un passage par les fonctions de commissaire du Gouvernement, puis des postes à l'extérieur du corps, notamment au Commissariat à l'énergie atomique (CEA) en qualité de directeur financier et au ministère de l'Intérieur comme directeur des libertés publiques et des affaires juridiques, puis logiquement comme préfet. Enfin, après une période assez longue en cabinet ministériel, je suis revenu dans l'assurance, il y a huit ans, comme président du conseil d'administration de CNP Assurances. Par ailleurs, j'ai eu l'honneur de présider les jurys de concours d'entrée à l'ENA en 2015 et je donne des cours sur la gouvernance des entreprises d'assurance et la directive Solvabilité II dans le cadre du master assurance de l'université Paris 2 Panthéon-Assas.
Avec ma candidature à la vice-présidence de l'ACPR, j'espère pouvoir rendre service. Je crois que mon expérience du droit et de la finance et ma double culture des affaires publiques et des entreprises d'assurance me donnent une capacité à traiter des sujets qui incombent à l'ACPR. La supervision des assurances nécessite, en effet, une expertise financière et juridique, d'autant que le droit des assurances apparaît aussi quantitatif que qualitatif.
Mon mandat au conseil d'administration de CNP Assurances me prépare tout particulièrement aux fonctions que je sollicite : j'ai vécu pendant huit ans au sein d'une entreprise forte d'une longue tradition, pleinement investie dans la compétition de marché, qui a développé un actuariat qui fait référence, met en pratique ses valeurs d'entreprise publique en servant toutes les clientèles et bénéficie d'une expérience diversifiée. Elle a conquis une dimension internationale depuis une vingtaine d'années, en particulier au Brésil.
Ma familiarité avec les enjeux de l'assurance vus du côté des entreprises me paraît utile pour exercer les missions de supervision. Pour autant, je sais la nécessité d'éviter toute ambiguïté et il va de soi que je démissionnerai de la présidence du conseil d'administration de CNP Assurances si j'étais nommé et que je m'abstiendrai de toute implication dans les décisions concernant l'entreprise.
Dans mes fonctions actuelles, j'ai été assujetti aux contrôles de l'ACPR sur des sujets aussi différents que la gouvernance, l'intégration des taux négatifs dans les modèles ou les décisions de gestion sur l'évaluation du besoin prospectif de capital - le fameux besoin global de solvabilité. Toujours, j'ai vu reconnaître par les équipes de la CNP la qualité et l'intérêt d'un dialogue technique approfondi avec l'ACPR. Bien entendu, le contrôlé éprouve souvent le sentiment que la critique est aisée et que l'art est difficile, alors que la vie d'entreprise amène nécessairement à chercher l'efficacité opérationnelle. J'ajoute que la pureté doctrinale est parfois obscurcie par la complexité des règles, mais je mesure combien les contrôles de l'ACPR ont fait progresser la CNP. Ils ont catalysé des changements de méthode, favorisé l'augmentation du budget informatique, conduit à l'amélioration de la qualité des données - essentielle pour une compagnie comptant près de 15 millions de clients - et provoqué le lancement d'audits utiles. Il y a toujours une dynamique constructive du contrôle ; cela tient évidemment aux compétences des personnes, mais aussi à l'absence de confusion dans les rôles de chacun.
S'agissant des enjeux que je crois pouvoir identifier pour le prochain mandat du vice-président, je ne saurais mieux dire que le président de l'ACPR, lorsqu'il a présenté en même temps que le rapport annuel pour 2019 les orientations pour 2020. Je me risquerai cependant à évoquer quelques sujets de fond.
Le premier enjeu concerne la crise sanitaire, dont il apparaît de plus en plus évident qu'elle aura un impact lourd sur l'économie et le secteur de l'assurance, même si une évaluation ne sera possible qu'au début de l'année 2021 au vu des comptes de 2020. L'ACPR a souligné à plusieurs reprises sa confiance dans la solidité du secteur en France, mais le suivi des conséquences de la crise sur les entreprises n'en demeure pas moins nécessaire. La vocation première de l'ACPR est de garantir la stabilité du système financier.
Le deuxième sujet, plus structurel, porte sur la persistance des taux bas, voire très bas, dans le contexte de crise. La politique suivie par les banques centrales continue d'accentuer la pesanteur sur les taux. Il s'agit d'un défi considérable pour les assureurs, car la baisse des taux conduit à l'augmentation du niveau des provisions, au recul des fonds propres et de la solvabilité, à la réduction des rendements des placements des assureurs et in fine des bénéfices attribués aux assurés. Elle pèse sur les marges de rentabilité en dommages comme en assurance des personnes. Le modèle de l'assurance-vie est plus directement en cause, ce qui rend nécessaire une réflexion sur l'évolution de l'offre de produits au profit des unités de compte. Sont dès lors posés aux assureurs un défi de conception de ces produits et un défi commercial. Dans ce cadre, l'ACPR a pour mission de garantir la qualité de l'information donnée aux clients et de s'assurer de la pertinence des démarches commerciales, en particulier au bénéfice des clients vulnérables. La protection de la clientèle relève, selon moi, d'un impératif catégorique.
Troisième sujet, l'évolution des technologies dans le secteur de l'assurance a donné naissance à un foisonnement de fintech. La digitalisation est d'autant plus rapide qu'elle s'est révélée indispensable pendant la crise sanitaire, tant pour la gestion que dans le domaine de la relation avec les clients. Le rôle de l'intelligence artificielle n'est plus anecdotique : elle se développe même dans des champs inattendus comme la conformité ou la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. L'omniprésence de l'informatique et ses potentialités quasi infinies ont trois conséquences : la confrontation des entreprises d'assurance à des enjeux éthiques comme l'assurabilité des personnes vulnérables, la transparence des algorithmes, la gouvernance des données et leur caractère non discriminatoire ; la mutation rapide des métiers de l'assurance ; enfin, la vulnérabilité accrue au risque cyber contre lequel les assureurs doivent se protéger tout en répondant à la demande d'assurance des entreprises à son endroit.
Enfin, un quatrième enjeu concerne la révision de la directive dite Solvabilité II et des normes réglementaires. L'ACPR participe à la réflexion en amont, en particulier au niveau européen en appui de l'autorité européenne de supervision. Le débat est éminemment technique, mais les décisions prises auront des conséquences majeures sur le secteur de l'assurance et, par voie de conséquence, sur l'économie.