Le groupe APRR constitue le deuxième groupe autoroutier français avec près de 2 400 kilomètres de réseau. Je précise que je n'ai pas participé au processus de privatisation, n'étant dirigeant de société concessionnaire d'autoroute que depuis une quinzaine d'années.
Pendant cette période, je me suis efforcé de respecter à la lettre les contrats signés avec l'État et d'améliorer la situation économique des sociétés tout en réalisant une leur transformation progressive, grâce à un management plus impliqué et plus présent sur le terrain, une mobilisation du personnel, un dialogue social de qualité, une optimisation de l'organisation et du fonctionnement de l'entreprise, le développement d'une culture de l'économie, le passage d'une culture de l'usager à une culture du client, enfin le développement de l'innovation.
Plusieurs sujets, sur lesquels je voudrais revenir, ont été évoqués dans l'exposé des motifs de la résolution créant la commission d'enquête ainsi qu'au cours des dernières auditions. Comme bien d'autres secteurs de l'économie, nous avons été durement touchés par la crise liée au COVID-19, du fait de l'effondrement du trafic pendant plusieurs mois. Depuis le début du mois de mars, nous nous sommes pleinement mobilisés pour assurer notre mission de service public et pour accompagner cette crise dans les meilleures conditions, au profit de nos usagers et clients, tout en préservant la sécurité et la santé de notre personnel.
Le trafic a diminué dès le début du mois de mars pour atteindre près de 80 % en moins pendant toute la période de confinement, et remonte très lentement depuis le 11 mai, date du début du déconfinement. Il est aujourd'hui encore loin d'avoir retrouvé son niveau normal. Le mois de juin devrait être proche de -25 %. Il faudra sans doute encore du temps pour retrouver les niveaux de trafic de 2019. Cette contraction sans précédent rappelle la forte baisse que nous avions connue en 2008-2009 au moment de la crise économique, deux ans après la privatisation. Le trafic des poids lourds avait alors chuté de 20 % sur deux ans et il a fallu 10 ans pour retrouver le trafic de 2007, loin des perspectives anticipées lors de l'appel d'offres précédant la privatisation. Je pense d'ailleurs que nous n'atteindrons jamais les prévisions qui ont permis de valoriser les concessions en 2005, puisqu'elles ont été établies sur la base des données précédant 2005. Je pourrai également évoquer la crise des gilets jaunes qui a sévèrement impacté notre trafic au dernier trimestre 2018 et au premier trimestre 2019.
La concession autoroutière n'est pas une activité de rente : elle est bien par nature une activité à risque puisque le trafic est notre seule ressource ou presque. Il représente en effet 97 % de nos revenus. Cette activité est d'autant moins une rente que d'autres risques pèsent sur nous, en particulier ceux liés au financement, à la construction et à l'entretien du réseau.
De nombreuses contrevérités circulent sur notre secteur, en partie par manque de pédagogie de notre part et des gouvernements successifs, mais surtout en raison d'un modèle économique complexe et difficile à comprendre. Même l'Autorité de la concurrence s'est égarée en 2014 en analysant exclusivement la rentabilité instantanée des sociétés concessionnaires d'autoroutes comme si nous étions une société industrielle ou commerciale classique. Elle a fait fi du coût d'acquisition des concessions - soit 22,5 milliards d'euros -, des dettes existantes à l'époque dans les sociétés - 20 milliards d'euros -, des engagements d'investissement qui figuraient dans les contrats - 5 milliards d'euros-, et du fait que l'actif sera rendu gratuitement, en bon état d'entretien et complètement désendetté à la fin de la concession.
Il n'est pas toujours facile de vivre dans un tel climat de suspicions et de critiques, lesquelles sont presque toujours injustifiées. Le modèle économique des concessions est complexe. J'espère que votre mission permettra d'en clarifier le mécanisme et de rétablir certaines vérités.
L'État est le premier bénéficiaire des revenus des péages : au travers de la fiscalité générale et de celle plus spécifique liée à nos concessions autoroutières (taxe d'aménagement du territoire et redevance domaniale), près de 42 % des revenus des péages reviennent directement à l'État. Nous finançons les autres modes de transport au travers de la taxe d'aménagement du territoire et la redevance domaniale, qui sont allouées au budget de l'agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF). Celle-ci finance des projets routiers, mais aussi ferroviaires et fluviaux ou maritimes.
Nos contrats étaient à l'origine quasiment les mêmes que ceux qui existaient quand l'État était à la fois concédant et actionnaire : ces contrats ont été valorisés en 2005 par nos actionnaires. Ils ont été singulièrement durcis par les avenants successifs, du fait de la suppression du foisonnement, de l'introduction des objectifs de qualité d'exploitation avec des seuils pénalisables, du durcissement des pénalités, de la mise en place de clauses de restitution des avantages indus, de l'apparition d'une clause de limitation des péages en cas de surrentabilité et enfin d'une clause prévoyant une fin anticipée de la concession en cas de surrentabilité. L'État a profité de chaque négociation d'avenant pour durcir les contrats, ce qui constitue une forme de recalage périodique tous les cinq ans environ.
Nous sommes sans aucun doute un des secteurs les plus contrôlés en France, d'abord par l'État concédant par l'intermédiaire de la Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), par le Conseil d'État, la Commission européenne, depuis 2016 par l'autorité de régulation des transports (ART, anciennement Arafer), sans oublier la Cour des comptes et l'Autorité de la concurrence. Le supposé laxisme de l'État à notre encontre constitue une contrevérité. J'ai personnellement pu constater, depuis mon arrivée dans le secteur en février 2006, un rapide durcissement du contrôle du concédant au travers d'une gestion de plus en plus rigoureuse de la DGITM, sans commune mesure avec la forme de complicité qui existait avant 2006 lorsque l'État était à la fois concédant et actionnaire. Je peux affirmer devant vous que les contrôles ont été renforcés, que les négociations sont devenues plus âpres et difficiles, y compris sur le plan financier. À titre d'exemple, la DGITM prend régulièrement conseil auprès de l'Inspection générale des finances ou d'experts privés indépendants. Les paramètres clés des calculs financiers pour les plans d'investissement nous ont été quasiment imposés depuis 2013, tant pour le contrat de plan 2014-2018 que pour le plan de relance autoroutier (PRA) et le récent plan d'investissement autoroutier (PIA). Ces paramètres clés concernent l'évolution du trafic jusqu'à la fin de la concession, l'inflation, le coût des travaux et le taux de rentabilité interne (TRI).
Lorsque j'entends que le rapport de forces serait déséquilibré entre l'État et les sociétés concessionnaires d'autoroute, en faveur de ces dernières, je crois qu'on se trompe d'époque. La réalité est bien différente depuis plus de dix ans. Les contrôles sont très fréquents et diversifiés et les négociations des plans d'investissement sont très dures.
Ni la Cour des comptes ni l'Autorité de la concurrence n'ont mis en évidence le moindre manquement d'APRR et d'AREA dans l'exécution de leurs contrats. Nous les respectons scrupuleusement depuis 2006.
Enfin, la création de l'Arafer, devenue ART, a introduit un niveau de contrôle supplémentaire. La multiplication des acteurs dans les contrôles et les négociations n'est pas toujours facile à intégrer dans notre fonctionnement. Nous fournissons en effet à l'ART des volumes d'informations considérables et les demandes de transmissions de données sont incessantes, alourdissant considérablement notre travail administratif. Nous entretenons toutefois de très bonnes relations avec l'ART. Je considère, à titre personnel, que l'ART est un acteur utile à notre secteur, voire indispensable. Elle apporte une vision indépendante et transparente de notre secteur et de nos négociations avec le concédant. Je compte aussi sur elle pour faire de la pédagogie sur notre modèle de concession et pour que le travail que nous avons accompli depuis bientôt 15 ans soit reconnu.