Commission d'enquête Concessions autoroutières

Réunion du 1er juillet 2020 à 16h35

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Eric Jeansannetas

Nous poursuivons nos auditions sur les concessions autoroutières en entendant aujourd'hui M. Philippe NOURRY, président des concessions autoroutières d'Eiffage en France depuis 2017 et Président-directeur général du groupe Autoroutes Paris-Rhin-Rhône qui gère deux concessions « historiques » (APRR et AREA). M. Nourry est également président d'Adelac (Autoroute Annecy-Genève) et d'A'Liénor, deux concessions plus récentes. Enfin, il est vice-président de l'Association des sociétés françaises d'autoroutes (ASFA).

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié.

Monsieur le président, je vous remercie de vous être rendu à notre convocation. Après vous avoir rappelé qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Nourry prête serment.

Debut de section - Permalien
Philippe Nourry

Le groupe APRR constitue le deuxième groupe autoroutier français avec près de 2 400 kilomètres de réseau. Je précise que je n'ai pas participé au processus de privatisation, n'étant dirigeant de société concessionnaire d'autoroute que depuis une quinzaine d'années.

Pendant cette période, je me suis efforcé de respecter à la lettre les contrats signés avec l'État et d'améliorer la situation économique des sociétés tout en réalisant une leur transformation progressive, grâce à un management plus impliqué et plus présent sur le terrain, une mobilisation du personnel, un dialogue social de qualité, une optimisation de l'organisation et du fonctionnement de l'entreprise, le développement d'une culture de l'économie, le passage d'une culture de l'usager à une culture du client, enfin le développement de l'innovation.

Plusieurs sujets, sur lesquels je voudrais revenir, ont été évoqués dans l'exposé des motifs de la résolution créant la commission d'enquête ainsi qu'au cours des dernières auditions. Comme bien d'autres secteurs de l'économie, nous avons été durement touchés par la crise liée au COVID-19, du fait de l'effondrement du trafic pendant plusieurs mois. Depuis le début du mois de mars, nous nous sommes pleinement mobilisés pour assurer notre mission de service public et pour accompagner cette crise dans les meilleures conditions, au profit de nos usagers et clients, tout en préservant la sécurité et la santé de notre personnel.

Le trafic a diminué dès le début du mois de mars pour atteindre près de 80 % en moins pendant toute la période de confinement, et remonte très lentement depuis le 11 mai, date du début du déconfinement. Il est aujourd'hui encore loin d'avoir retrouvé son niveau normal. Le mois de juin devrait être proche de -25 %. Il faudra sans doute encore du temps pour retrouver les niveaux de trafic de 2019. Cette contraction sans précédent rappelle la forte baisse que nous avions connue en 2008-2009 au moment de la crise économique, deux ans après la privatisation. Le trafic des poids lourds avait alors chuté de 20 % sur deux ans et il a fallu 10 ans pour retrouver le trafic de 2007, loin des perspectives anticipées lors de l'appel d'offres précédant la privatisation. Je pense d'ailleurs que nous n'atteindrons jamais les prévisions qui ont permis de valoriser les concessions en 2005, puisqu'elles ont été établies sur la base des données précédant 2005. Je pourrai également évoquer la crise des gilets jaunes qui a sévèrement impacté notre trafic au dernier trimestre 2018 et au premier trimestre 2019.

La concession autoroutière n'est pas une activité de rente : elle est bien par nature une activité à risque puisque le trafic est notre seule ressource ou presque. Il représente en effet 97 % de nos revenus. Cette activité est d'autant moins une rente que d'autres risques pèsent sur nous, en particulier ceux liés au financement, à la construction et à l'entretien du réseau.

De nombreuses contrevérités circulent sur notre secteur, en partie par manque de pédagogie de notre part et des gouvernements successifs, mais surtout en raison d'un modèle économique complexe et difficile à comprendre. Même l'Autorité de la concurrence s'est égarée en 2014 en analysant exclusivement la rentabilité instantanée des sociétés concessionnaires d'autoroutes comme si nous étions une société industrielle ou commerciale classique. Elle a fait fi du coût d'acquisition des concessions - soit 22,5 milliards d'euros -, des dettes existantes à l'époque dans les sociétés - 20 milliards d'euros -, des engagements d'investissement qui figuraient dans les contrats - 5 milliards d'euros-, et du fait que l'actif sera rendu gratuitement, en bon état d'entretien et complètement désendetté à la fin de la concession.

Il n'est pas toujours facile de vivre dans un tel climat de suspicions et de critiques, lesquelles sont presque toujours injustifiées. Le modèle économique des concessions est complexe. J'espère que votre mission permettra d'en clarifier le mécanisme et de rétablir certaines vérités.

L'État est le premier bénéficiaire des revenus des péages : au travers de la fiscalité générale et de celle plus spécifique liée à nos concessions autoroutières (taxe d'aménagement du territoire et redevance domaniale), près de 42 % des revenus des péages reviennent directement à l'État. Nous finançons les autres modes de transport au travers de la taxe d'aménagement du territoire et la redevance domaniale, qui sont allouées au budget de l'agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF). Celle-ci finance des projets routiers, mais aussi ferroviaires et fluviaux ou maritimes.

Nos contrats étaient à l'origine quasiment les mêmes que ceux qui existaient quand l'État était à la fois concédant et actionnaire : ces contrats ont été valorisés en 2005 par nos actionnaires. Ils ont été singulièrement durcis par les avenants successifs, du fait de la suppression du foisonnement, de l'introduction des objectifs de qualité d'exploitation avec des seuils pénalisables, du durcissement des pénalités, de la mise en place de clauses de restitution des avantages indus, de l'apparition d'une clause de limitation des péages en cas de surrentabilité et enfin d'une clause prévoyant une fin anticipée de la concession en cas de surrentabilité. L'État a profité de chaque négociation d'avenant pour durcir les contrats, ce qui constitue une forme de recalage périodique tous les cinq ans environ.

Nous sommes sans aucun doute un des secteurs les plus contrôlés en France, d'abord par l'État concédant par l'intermédiaire de la Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), par le Conseil d'État, la Commission européenne, depuis 2016 par l'autorité de régulation des transports (ART, anciennement Arafer), sans oublier la Cour des comptes et l'Autorité de la concurrence. Le supposé laxisme de l'État à notre encontre constitue une contrevérité. J'ai personnellement pu constater, depuis mon arrivée dans le secteur en février 2006, un rapide durcissement du contrôle du concédant au travers d'une gestion de plus en plus rigoureuse de la DGITM, sans commune mesure avec la forme de complicité qui existait avant 2006 lorsque l'État était à la fois concédant et actionnaire. Je peux affirmer devant vous que les contrôles ont été renforcés, que les négociations sont devenues plus âpres et difficiles, y compris sur le plan financier. À titre d'exemple, la DGITM prend régulièrement conseil auprès de l'Inspection générale des finances ou d'experts privés indépendants. Les paramètres clés des calculs financiers pour les plans d'investissement nous ont été quasiment imposés depuis 2013, tant pour le contrat de plan 2014-2018 que pour le plan de relance autoroutier (PRA) et le récent plan d'investissement autoroutier (PIA). Ces paramètres clés concernent l'évolution du trafic jusqu'à la fin de la concession, l'inflation, le coût des travaux et le taux de rentabilité interne (TRI).

Lorsque j'entends que le rapport de forces serait déséquilibré entre l'État et les sociétés concessionnaires d'autoroute, en faveur de ces dernières, je crois qu'on se trompe d'époque. La réalité est bien différente depuis plus de dix ans. Les contrôles sont très fréquents et diversifiés et les négociations des plans d'investissement sont très dures.

Ni la Cour des comptes ni l'Autorité de la concurrence n'ont mis en évidence le moindre manquement d'APRR et d'AREA dans l'exécution de leurs contrats. Nous les respectons scrupuleusement depuis 2006.

Enfin, la création de l'Arafer, devenue ART, a introduit un niveau de contrôle supplémentaire. La multiplication des acteurs dans les contrôles et les négociations n'est pas toujours facile à intégrer dans notre fonctionnement. Nous fournissons en effet à l'ART des volumes d'informations considérables et les demandes de transmissions de données sont incessantes, alourdissant considérablement notre travail administratif. Nous entretenons toutefois de très bonnes relations avec l'ART. Je considère, à titre personnel, que l'ART est un acteur utile à notre secteur, voire indispensable. Elle apporte une vision indépendante et transparente de notre secteur et de nos négociations avec le concédant. Je compte aussi sur elle pour faire de la pédagogie sur notre modèle de concession et pour que le travail que nous avons accompli depuis bientôt 15 ans soit reconnu.

Debut de section - PermalienPhoto de Eric Jeansannetas

Comme notre rapporteur l'a déjà indiqué, la commission d'enquête n'ouvre pas le procès des concessionnaires et des concessions autoroutières : nous souhaitons également faire oeuvre de pédagogie, soulever des questions et apporter des réponses.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Je salue votre carrière au sein du groupe Eiffage, dans lequel vous êtes arrivé juste après la privatisation des concessions autoroutières. Vous évoquez la crise économique de 2008, en soulignant que le trafic poids lourds a baissé de 20 % et qu'il a fallu dix ans pour retrouver le trafic antérieur à la crise, mais ne parlez pas du trafic des véhicules particuliers. Je ne suis pourtant pas certain qu'il ait autant baissé. Or, les chiffres d'affaires n'ont pas cessé de progresser en 2008, 2009 et 2010. Pourquoi la baisse du trafic ne s'est-elle pas ressentie au niveau du chiffre d'affaires ? Vous avez parlé du foisonnement : il a été utilisé par les sociétés jusque 2011. Si vous ne l'avez pas pratiqué, comment expliquez-vous que l'augmentation du chiffre d'affaires soit supérieure à celle des tarifs annuels ? Que pensez-vous du processus de fixation des tarifs ? Sans foisonnement, un taux unique, facilement contrôlable par les services de l'État, est appliqué, pourtant ceux-ci demandent un délai de vérification important.

Je n'ai pas constaté de baisse du chiffre d'affaires en lien avec le mouvement des gilets jaunes. Je pense que cette baisse sera toutefois observée en 2020 avec la crise sanitaire. Nous vous avons demandé des prévisions, mais elles sont complexes dans cette période. Pensez-vous que vous enregistrerez des pertes sur l'exercice 2020 ou resterez-vous bénéficiaire durant cette année noire pour l'économie française ?

Vous indiquez que les avenants successifs ont permis de revoir les contrats historiques, qualifiés de « monstres » par Madame Borne. J'ai effectivement entendu que des améliorations avaient été apportées. Vous nous dites que l'État vous impose sa vision des contrats. En 2015, lors de la négociation du plan de relance autoroutière et du protocole, avec 3,2 milliards d'euros de travaux, le taux d'actualisation, fixé à 8 %, a-t-il été imposé par l'État ou par les sociétés d'autoroute ? J'ai cru comprendre que les services de l'État préconisaient un taux de 6,8 % à l'époque.

Que pensez-vous des contrôles de l'État, tant en matière technique qu'en matière financière ? Pensez-vous que certains contrôles devraient être allégés ? Vous semblent-ils insuffisamment bien menés ? Comment modifieriez-vous le système actuel de suivi et de contrôle des concessions d'autoroute, si vous vous trouviez à la place de l'ART ou de la DGITM ? Nous avons collectivement intérêt à renforcer l'efficacité et l'efficience des contrôles : quels seraient les points d'amélioration que vous pourriez proposer à cet égard ?

Debut de section - Permalien
Philippe Nourry

Le foisonnement était pratiqué de manière systématique par l'État avant 2006, lorsqu'il était actionnaire et concédant. Le mécanisme consistait à augmenter un peu plus les péages sur des sections très circulées et un peu moins sur les sections moins circulées, ce qui entraînait mécaniquement une suraugmentation des recettes de péage de quelques dizaines de points. Ce système du foisonnement avait été intégré par les actionnaires lorsqu'ils ont valorisé les concessions autoroutières. Nous avons arrêté cette pratique en 2008 : à la suite du rapport de la Cour des comptes, la direction des infrastructures de transports (DIT) nous a imposé l'arrêt du foisonnement. Il nous a même été demandé de rembourser, sur l'augmentation tarifaire de l'année suivante, le foisonnement pratiqué la première année dans la continuité des pratiques antérieures. Nous avons donc procédé à une réduction tarifaire à due concurrence pour récupérer l'impact du foisonnement de la première année. Le foisonnement n'existe plus depuis lors. Lorsque nous préparons les grilles tarifaires transmises à la DGITM en fin d'année, en vue de l'augmentation qui intervient au 1er février de l'année suivante, nous vérifions systématiquement l'absence de foisonnement sur les grilles. Les tarifs sont relativement complexes puisque nous ne pouvons pas augmenter les sections de manière homogène. En effet, nous ne pouvons pas augmenter au centime près, mais seulement par tranche de 10 centimes.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Pourquoi ne pouvez-vous pas augmenter au centime près ?

Debut de section - Permalien
Philippe Nourry

Je crois que cela vise à faciliter le paiement en espèces. Le jour où le paiement en espèces disparaîtra au profit exclusif du paiement en badge ou en carte bancaire, nous pourrons pratiquer des augmentations tarifaires homogènes sur l'ensemble des sections.

Nous vérifions donc systématiquement l'absence de foisonnement et la DGITM la vérifie également. Ceci vaut depuis 2008.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Comment expliquez-vous alors que le chiffre d'affaires augmente plus rapidement que l'augmentation moyenne du tarif et du trafic ?

Debut de section - Permalien
Philippe Nourry

Le chiffre d'affaires repose pour l'essentiel sur le trafic et sur les tarifs. Seuls 3 % de notre chiffre d'affaires provient des sous-concessions et des installations télécom.

Un autre élément tient à la différence entre l'augmentation du trafic des poids lourds et des véhicules légers. Comme les tarifs des poids lourds sont très supérieurs aux tarifs applicables aux véhicules légers, l'augmentation plus importante du trafic des poids lourds entraîne mécaniquement une croissance du chiffre d'affaires. Il convient de considérer le mix et de tenir compte des tarifs unitaires pour les véhicules légers et pour les poids lourds.

L'augmentation du chiffre d'affaires est mécanique, dans une concession à maturité, sauf événement particulier, par exemple lié à une crise économique. Il convient de regarder l'évolution du chiffre d'affaires par rapport aux hypothèses initiales. Le seul indicateur susceptible de mesurer la rentabilité de la concession est le TRI qui s'analyse en fin de concession. Je vous ai transmis les hypothèses initiales sur l'évolution du trafic et des recettes, les investissements et la gestion de la dette.

Le trafic est nettement inférieur aux hypothèses initiales, du fait des poids lourds et de la crise de 2008/2009. Le trafic des véhicules légers est également inférieur aux prévisions. L'inflation n'est pas non plus aux niveaux anticipés, après plusieurs années d'inflation basse. Par conséquent, il manque fin 2019 une petite année de chiffre d'affaires par rapport aux hypothèses de 2005. Nous avons été de bons gestionnaires sur les charges de fonctionnement et nous respectons les hypothèses initiales. Nous avons investi lourdement, bien plus que prévu, avec les contrats de plan 2009-2013 et 2014-2018 : pour les deux contrats, nous avons investi à chaque fois 500 millions d'euros, puis 720 millions d'euros avec le plan de relance autoroutier et 200 millions d'euros avec le plan d'investissement autoroutier. Nous avons donc globalement investi près de 2,5 milliards d'euros de plus que prévu. Sur la gestion de la dette, le début de concession a été particulièrement difficile, jusqu'en 2013-2014, avec des taux particulièrement élevés. Nous avons même été en difficulté après la crise financière de 2008, à tel point que nous n'avons pas été en mesure de signer, comme nos collègues de SANEF et Vinci Autoroute, le plan d'investissement vert de 2009. La situation s'est ensuite améliorée après 2012 grâce à la baisse des taux. Nos emprunts étaient toutefois contractés à taux fixes, sur plusieurs années, et l'effet de la baisse sur nos frais financiers n'a pas été sensible avant quelques années.

Mesurer un TRI à date n'a pas vraiment de sens puisque les paramètres évoluent rapidement. Il conviendra de le mesurer à la fin de la concession. Les marchés financiers ne regardent pas l'évolution du TRI, mais se focalisent plutôt sur l'évolution de l'activité et sur les résultats annuels. Je pense que nous devrions globalement nous situer en dessous des hypothèses initiales à cause du poids que représentent le trafic et le chiffre d'affaires dans l'ensemble. Nous étions déjà en dessous de ces hypothèses avant la crise du COVID-19 qui aura des conséquences sur 2020 et les années suivantes, puisque nous observons un vrai décrochage.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Les dividendes versés sont pourtant supérieurs aux prévisions. En 2006, la valorisation des sociétés se basait sur des estimations de cash-flows de trésorerie et de flux de dividendes. J'ai l'impression que les dividendes sont plutôt supérieurs.

Debut de section - Permalien
Philippe Nourry

Je ne pense pas qu'il existe un décalage en termes de dividendes. Nous lisons souvent que le versement des dividendes à date dépasserait le coût d'acquisition. On compare alors un euro à une date donnée avec un euro à une autre date, alors que cela n'a strictement rien à voir. Par ailleurs, une erreur d'analyse est fréquente sur le coût d'acquisition des concessions. Tout le monde parle de 15 milliards d'euros, alors que le coût d'achat est de 24,5 milliards d'euros. Les 15 milliards d'euros correspondent à la somme récupérée par l'État qui détenait 66 % du capital en moyenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Je vous avais posé une question sur les 8 %, puisque vous indiquez que l'État a imposé ses conditions.

Debut de section - Permalien
Philippe Nourry

Le TRI doit être relié aux autres hypothèses. L'État nous a quasiment imposé les hypothèses d'évolution de l'inflation, du trafic et du coût des travaux et ces hypothèses ne correspondaient pas à notre prévision. Il ne restait alors que le TRI comme variable d'ajustement. Des discussions sont intervenues sur le TRI qui était alors proche de 7,5 % : nous l'avons accepté puisque nous n'aurions dans le cas contraire pas signé le plan de relance autoroutier. Si les autres paramètres financiers ne nous avaient pas été imposés, le TRI aurait pu être plus bas.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Quels sont les points qui pourraient être améliorés sur le plan juridique, financier et technique ? J'ai compris que vous considériez que les contrôles actuels étaient un peu lourds. Où peuvent-ils être allégés ? Quels contrôles sont superflus ?

Debut de section - Permalien
Philippe Nourry

Les contrôles sont fréquents et rigoureux et nous nous y sommes adaptés. Nos équipes ont pris des dispositions pour répondre aux questions et aux différents audits. Je ne modifierai pas grand-chose en ce qui concerne les contrôles de la DGITM. Nous rencontrons cependant une difficulté avec la dualité des contrôles, depuis l'arrivée de l'ART. Il n'est pas toujours simple de concilier les deux acteurs quand nous négocions un contrat.

Debut de section - Permalien
Philippe Nourry

Non, mais nous pourrions négocier directement et plus vite avec les deux acteurs. Actuellement, nous négocions avec la DGITM dans un premier temps et le dossier est ensuite transmis à l'ART qui rend son avis. Si l'avis n'est pas favorable, les négociations recommencent avec la DGITM. Nous gagnerions donc du temps en associant l'ART aux négociations dès le départ.

Debut de section - PermalienPhoto de Eric Jeansannetas

Externalisez-vous tous les marchés de travaux ? Comment procédez-vous ? Lancez-vous un appel d'offres ou recourrez-vous aux sociétés internes ?

Comment expliquez-vous la suspicion qui perdure, malgré les contrôles mis en place par le législateur ?

Debut de section - Permalien
Philippe Nourry

La question des marchés de travaux revient régulièrement dans les critiques, de manière totalement injustifiée. Contrairement aux idées reçues, le groupe Eiffage n'a jamais bénéficié d'avantages ou de privilèges par rapport aux autres acteurs du BTP. Dès 2006, nous avons décidé de mettre en concurrence tous les marchés de travaux, et ce alors que nous n'y étions pas contraints. En 2006, nous fonctionnions avec une commission des marchés, pilotée par la commission nationale des marchés, qui comptait plusieurs membres issus de Macquarie, dont le président, pour assurer la neutralité de la dévolution des marchés. La commission des marchés intervenait à l'époque pour tous les marchés supérieurs à 2 millions d'euros. En 2015, la création de l'ARAFER a eu pour conséquence d'abaisser le seuil des marchés éligibles à la commission des marchés de 2 millions à 500 000 euros et de rendre majoritaires les membres indépendants à la commission des marchés. Les membres issus de Macquarie ont alors été classés comme membres dépendants.

Entre 2010 et 2019, 25 % des marchés de travaux en volume ont été attribués à des entreprises liées à Eiffage. Depuis la privatisation en 2006, pour les marchés passés en commission de marché, 26 % des marchés de travaux ont été confiés à Eiffage. Ces pourcentages sont inférieurs à la part de marché que détenait Eiffage avant la privatisation des autoroutes puisque celle-ci s'élevait à 30 %. Au cours des premières années, les concessionnaires comme Vinci Autoroutes ou APRR avaient pris l'engagement de ne pas confier aux groupes de BTP une part de marché supérieure à ce qu'elle était avant la privatisation.

Je préside la commission des marchés depuis l'origine et Eiffage ne bénéficie d'aucun avantage par rapport aux sociétés du Groupe Bouygues, de Vinci ou aux petites et moyennes entreprises. Ces dernières sont d'ailleurs très présentes sur nos marchés.

Notre modèle économique n'est pas compris, ce qui explique la suspicion : notre rentabilité est comparée avec celle des sociétés classiques, sans mentionner que nous avons repris des dettes considérables et que nous rendrons gratuitement, en fin de concession, un actif désendetté. Le péché originel est que la privatisation des autoroutes est peut-être intervenue un peu rapidement, avec un manque de pédagogie et de discussions. Nous souffrons de la manière dont la privatisation a été opérée.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Je souhaite évoquer la question financière, centrale dans nos débats. J'ai consulté les états financiers historiques d'APRR depuis la privatisation, entre 2006 et 2017 : le chiffre d'affaires croît régulièrement, puisqu'il est passé de 1,670 millions d'euros en 2006 à 2,425 millions d'euros en 2017, sans diminution pendant la crise financière de 2008-2009. Le bénéfice avant intérêts et avant impôts a continué de croître et la marge s'est confirmée chaque année, de 64 % à 73 %.

Nous disposons maintenant d'un certain recul, puisque nous sommes à mi-parcours de la concession qui court jusque 2032. Le chiffre d'affaires a enregistré une hausse de 45,2 % entre 2006 et 2017, tandis que les charges de personnel passaient de 12,5 % à 8,4 % du chiffre d'affaires. Les charges d'intérêt diminuent, passant de 5,3 % à 2 %. La dette est soutenable puisque vous disposez d'un flux de liquidités important. Vous avez en outre obtenu des dispositions fiscales qui vous permettent de déduire les charges d'intérêt du bilan de la société. Les dividendes s'élèvent, en cumul, à 7,5 milliards d'euros sur la période. Vous avez initialement dû décaisser 6,7 milliards d'euros et les dividendes dépassent ce montant : dès 2016, vous avez donc récupéré votre mise.

En 2005, avant la privatisation, les dividendes des trois sociétés APRR, ASF et SANEF s'élevaient à 482 millions d'euros. Dès l'année suivante, ce chiffre a été multiplié par quatre pour atteindre 1,9 milliard d'euros. Les interrogations sont donc légitimes.

Vous avez indiqué que vous contribuiez au budget de l'État, ce qui semble normal puisque l'État reste propriétaire de ces infrastructures, financées par l'argent public et par les contribuables. À terme, ce capital reviendra dans l'escarcelle de l'État.

Sur la répartition des chantiers de travaux publics sur les autoroutes, vous avez répondu sur la proportion de ces chantiers confiés aux filiales de votre groupe, pour un quart des chantiers.

Nous avons auditionné la semaine dernière Élisabeth Borne qui a travaillé chez vous pendant une année, entre juin 2007 et juin 2008. Elle était alors en charge des concessions, avant que vous n'en ayez la charge. Savez-vous quelles étaient ses missions dans le cadre de la direction des concessions autoroutières chez Eiffage ?

Debut de section - Permalien
Philippe Nourry

Élisabeth Borne était directrice des concessions d'Eiffage, mais n'intervenait pas dans les concessions autoroutières. La direction des concessions concerne chez Eiffage toutes les concessions à l'exception des concessions autoroutières. Élisabeth Borne travaillait plutôt sur le développement des concessions (appel d'offres de nouvelles concessions de bâtiment, d'infrastructures, de stades...). Nous travaillions donc sur deux sujets différents.

Vous mentionnez la croissance du chiffre d'affaires et des résultats : cette croissance est normale et constitue le modèle même de la concession. Vous nous comparez avec une société classique, industrielle ou commerciale, alors que nous relevons d'un modèle totalement différent. Le point important concerne le rythme d'augmentation de notre chiffre d'affaires et de notre résultat : le seul moyen de mesurer la rentabilité d'une concession consiste à regarder le TRI, en comparant le flux des dividendes reçus pendant la durée de la concession avec l'investissement total effectué par les actionnaires au moment de la réponse à l'appel d'offres. Si notre chiffre d'affaires n'augmentait pas, nous serions en grande difficulté. À la fin de la concession, notre actif ne vaudra plus rien : il sera rendu à l'État gratuitement, en étant désendetté et en bon état d'entretien. Vous ne pouvez donc pas comparer l'évolution de nos paramètres financiers avec ceux d'une société classique.

Le contribuable n'est jamais intervenu dans le financement de l'infrastructure autoroutière. Le système de la concession repose sur le système de l'utilisateur payeur ; l'utilisateur a payé l'infrastructure et l'a financée, et non l'État et le contribuable. Ce système est plus équitable, d'autant qu'un trafic important provient de l'étranger et que ces usagers participent aussi au financement de l'infrastructure. L'argent public n'intervient pas notre concession autoroutière. Bien au contraire, 40 % du péage revient à l'État. Nous contribuons donc largement à l'impôt, par la fiscalité générale (impôts sur les sociétés et TVA) et par la fiscalité spécifique (taxe d'aménagement du territoire et redevance domaniale).

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Comment avez-vous appris la décision relative au gel des péages en 2015 ? Quelle a été votre réaction ?

Concernant les travaux demandés dans les différents avenants, le plan de relance, le plan d'investissement et le plan vert, le coût de ces travaux a-t-il été supérieur aux estimations ou inférieur ?

Debut de section - Permalien
Philippe Nourry

De quels travaux parlez-vous ?

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Vous évoquez 2,5 milliards d'euros de travaux. Avez-vous terminé les travaux du plan de relance autoroutier ?

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Quand devait s'achever le plan de relance autoroutier ?

Debut de section - Permalien
Philippe Nourry

Tout dépend des opérations. Nous n'avons pas pris de retard, mais il existe des travaux très complexes, comme l'A480 à Grenoble ou l'A75 à Clermont-Ferrand, pour lesquels la date de mise en service est prévue fin 2022 ou début 2023. Certaines opérations sont déjà terminées, comme le noeud autoroutier à Mâcon, à Montmarault et à Sévenans près de Belfort.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Sur les travaux réalisés depuis 2006, avez-vous constaté que les estimations étaient correctes, surestimées ou sous-estimées ?

Debut de section - Permalien
Philippe Nourry

La définition des coûts des travaux fait l'objet d'un débat contradictoire avec la DGITM. Nous nous efforçons de converger sur un coût de travaux forfaitaire, à nos risques et périls, puisque nous ne pouvons pas demander un complément de en cas de dépassement. A contrario, si le prix est inférieur, c'est intéressant pour le concessionnaire. Des débats intenses ont eu lieu pendant la période de négociation, tant sur le contenu des opérations que sur leur chiffrage. La DGITM sollicite de plus en plus des conseils extérieurs pour valider les coûts et conforter son analyse.

La réalisation est variable selon les opérations. Depuis le plan de relance autoroutier, nous sommes confrontés à de mauvaises surprises pour les opérations urbaines, en coeur de ville, en particulier à Grenoble et Clermont-Ferrand où nous avons collectivement sous-estimé les difficultés, les aléas, les contraintes et les demandes des collectivités locales qui nous imposent plus de choses que prévu. Nous ne disposons pas encore du bilan final du plan de relance autoroutier, mais je pense que nous pourrions dépasser légèrement l'évaluation initiale.

Pour les contrats de plan précédent, les évaluations ont globalement été respectées.

Le gel des tarifs de 2015 est survenu en pleine crise des autoroutes, crise liée à la décision d'abandonner l'écotaxe, qui a généré un besoin de financement pour l'État, et à la publication du rapport de l'Autorité de la concurrence.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Pensez-vous que ce rapport a créé une crise des autoroutes ?

Debut de section - Permalien
Philippe Nourry

Il y a contribué. L'analyse était faussée puisque l'Autorité de la concurrence avait analysé notre rentabilité de manière instantanée, nous comparant à des sociétés classiques. Le sujet a été réglé, à l'initiative du gouvernement, par une commission mixte avec des parlementaires pour analyser le sujet dans le détail. Il avait ensuite été considéré que l'Autorité de la concurrence avait réalisé une analyse trop limitée et que nous n'étions pas en surrentabilité.

La décision a alors été prise par Ségolène Royal de geler les tarifs en 2015, ce qui était contraire à nos contrats.

Debut de section - Permalien
Philippe Nourry

Non, nous l'avons appris par les services de l'État.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Était-ce par le cabinet du ministre ? Avez-vous appris la décision avant qu'elle ne soit publique ?

Debut de section - Permalien
Philippe Nourry

Je ne me souviens plus précisément.

Debut de section - Permalien
Philippe Nourry

Je pense que la suppression de l'écotaxe générait un manque à gagner d'un milliard d'euros. L'objectif était peut-être que les sociétés d'autoroute compensent ce manque.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Ce n'est pas en retirant une augmentation de tarifs aux sociétés d'autoroute que l'État peut récupérer de l'argent.

Debut de section - Permalien
Philippe Nourry

Je vous explique le contexte de la crise. Je n'établis pas de lien. La décision était peut-être liée au pouvoir d'achat.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Avez-vous le sentiment que les décisions prises en 2015 dans ce contexte, sur le gel et sur la transformation de l'Arafer en ART, avec une extension des compétences, constituaient un progrès pour l'État ?

Debut de section - Permalien
Philippe Nourry

Je pense qu'un nouvel équilibre a été trouvé. Pour notre secteur, je considère que la création de l'ART est une bonne chose, pour assurer plus de transparence et réaliser de la pédagogie sur notre modèle.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Pouvez-vous nous apporter des précisions écrites aux questions complémentaires qui vous ont été posées sur les prévisions 2020 ainsi que sur les facturations internes entre le groupe et les sociétés concessionnaires ?

Debut de section - Permalien
Philippe Nourry

L'année 2020 est très difficile. J'ai déjà évoqué l'effondrement du trafic et la lenteur surprenante de sa remontée. Ce n'est pas le seul impact financier, puisque nous anticipons également un surcoût potentiel des travaux lié à la crise sanitaire. Les entreprises nous réclament des compléments de prix, en raison des difficultés qu'elles rencontrent en termes de productivité et de moyens à mettre en place pour assurer la sécurité et la santé de leurs collaborateurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Avez-vous eu recours au chômage partiel pendant la période ?

Debut de section - Permalien
Philippe Nourry

Oui, pour les activités supports. Nous avons en revanche dû assurer notre mission de service public en totalité, pour l'exploitation du réseau, malgré une réduction du trafic de 80 %.

Nous sommes de plus dans une période de pic d'investissements liés aux grands travaux du plan de relance autoroutier.

Nous savons quel chiffre d'affaires nous avons perdu à date, mais il s'avère très difficile d'établir des prévisions pour le second semestre, compte tenu de la lenteur de la remontée du trafic et des incertitudes qui pèsent sur la situation sanitaire. Nous faisons partie d'un groupe coté en bourse et je ne peux pas vous donner de chiffres précis sur la situation dans la mesure où l'audition est publique. Nous communiquerons fin juillet notre chiffre d'affaires et notre trafic à fin juin. Je pense que nous aurons, pour le premier semestre, un décrochage du chiffre d'affaires compris entre 300 et 350 millions d'euros par rapport à 2019.

Les refacturations de la Holding à APRR comprennent ma rémunération, les frais d'audit, la politique d'achats et les sujets liés à l'environnement et au développement durable, dès lors qu'APRR est intégré dans le plan RSE du groupe Eiffage.

Debut de section - PermalienPhoto de Eric Jeansannetas

Je vous remercie.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Debut de section - PermalienPhoto de Eric Jeansannetas

Nous poursuivons nos auditions sur les concessions autoroutières en entendant aujourd'hui M. Christian ECKERT, qui fut élu régional en Lorraine et député avant d'être nommé secrétaire d'État chargé du budget en avril 2014 puis secrétaire d'État chargé du budget et des comptes publics jusqu'en mai 2017, au moment de l'élaboration du Plan de relance autoroutier et de la négociation du protocole d'accord avec les sociétés concessionnaires d'autoroutes.

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié.

Monsieur le Ministre, je vous remercie de vous être rendu à notre convocation. Après vous avoir rappelé qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal, je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « je le jure ».

Debut de section - Permalien
Christian Eckert, secrétaire d'État chargé du budget de 2014 à 2017

Je le jure.

Debut de section - PermalienPhoto de Eric Jeansannetas

Je vous remercie. Je vous cède la parole pour un propos liminaire.

Debut de section - Permalien
Christian Eckert, secrétaire d'État chargé du budget de 2014 à 2017

Je vous remercie de votre invitation. Je n'ai pas été en 2015 l'un des acteurs de cette négociation, et je le regrette, mais je connaissais le sujet. Vous avez omis, dans votre présentation, de dire que j'étais rapporteur général du Budget à l'Assemblée nationale en 2012 : dans ce cadre, j'avais eu à traiter un certain nombre de questions relatives aux concessionnaires, lors d'un épisode relatif au plafonnement de la déductibilité des frais financiers dans le calcul de l'assiette de l'impôt sur les sociétés. Ce sujet, très important, avait conduit à certains contacts entre les concessionnaires et le rapporteur général que j'étais. Il était loin d'être anodin sur le plan financier puisque le portage des investissements était souvent effectué par les concessionnaires.

Nous reviendrons sur 2015 et je suis tout à fait disposé à répondre à vos questions.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Vous êtes auditionné à plusieurs titres, en tant que rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale en 2012-2013, avec la demande d'un avis sur les sociétés et concessionnaires d'autoroutes à l'Autorité de la concurrence. La commission s'intéresse au passé, mais aussi à la prospective.

Pour revenir sur le passé, je souhaite évoquer deux étapes. La première concerne la commission des finances de l'Assemblée nationale avec l'avis de l'Autorité de la concurrence. Pourquoi avoir demandé ce rapport ? Quelles en étaient les motivations ? Qu'en avez-vous pensé ? La seconde concerne la décision de gel des tarifs autoroutiers à l'automne 2014, pour l'année 2015, gel en contradiction avec les contrats dont bénéficient les concessionnaires de sociétés d'autoroute. Comment analysez-vous les discussions qui ont abouti au protocole d'accord de 2015 sur le plan de relance autoroutier (PRA), avec les contreparties et les modifications législatives qui sont alors intervenues, avec la transformation de l'ARAFER en ART et les modifications des contrats de concession ? Il semble que le Premier ministre n'a pas été un des acteurs principaux de cette décision, plutôt portée par le ministre de l'Économie et la ministre de l'Écologie qui ont mené les discussions par l'intermédiaire de leurs directeurs de cabinet.

Je vous propose d'aborder en premier lieu le rapport de l'Autorité de la concurrence.

Debut de section - Permalien
Christian Eckert, secrétaire d'État chargé du budget de 2014 à 2017

Ces affaires datent de cinq ans. Je suis retiré des affaires depuis trois ans et je n'ai pas d'archives sur ce dossier. Mes souvenirs ne sont donc pas toujours très précis concernant les chiffres qui pourraient être commentés, et je vous prie de m'en excuser. Je traitais beaucoup de dossiers et ne me souviens plus de l'ensemble des chiffres sur le TRI ou des contributions des uns ou des autres. Vous pourrez donc penser que je suis un peu imprécis.

En 2012-2013, lorsque la commission des finances de l'Assemblée nationale a demandé ce rapport, le sujet était prégnant. Le contexte était celui d'un déficit extrêmement important et nous cherchions de l'argent partout. Nous avons donc pensé que nous pouvions trouver un complément de financements et de recettes du côté des sociétés concessionnaires d'autoroutes. Nous nous sommes rapidement heurtés au bétonnage des conventions de concession qui stipulaient - je caricature - que toute modification dans le régime fiscal des concessions ou que toute modification de la contribution due par les sociétés donnerait lieu à des compensations sur les tarifs des péages. Mes services m'avaient indiqué que changer quelques points sur la fiscalité et la contribution des sociétés concessionnaires pouvait entraîner des demandes de compensation, avec un risque juridique assez fort. Nous l'avions observé lors de l'épisode sur le plafonnement de la déductibilité des frais financiers dans le calcul de l'assiette de l'impôt sur les sociétés. Nous avions fini par adopter une solution intermédiaire en décidant que le stock de contrats existants ne subirait pas de plafonnement, lorsqu'il y avait des concessions - pour l'ensemble des services concédés -, tandis que les nouvelles concessions subiraient ce plafonnement des frais financiers. Nous avions été confrontés à la même difficulté lorsque certains députés, notamment Jean-Pierre Chanteguet, avaient imaginé la possibilité d'augmenter une contribution. Je ne m'y étais pas rallié puisque nous craignions une répercussion sur les tarifs, compte tenu des clauses figurant dans les contrats. Ces contrats étaient verrouillés. Même si nous avions le sentiment qu'ils étaient assez favorables aux concessionnaires, - et c'est un euphémisme-, nous rencontrions des difficultés pour en changer l'équilibre. Telle était notre analyse en 2012-2013.

Le plan de relance autoroutier partait du constat que le secteur du BTP connaissait des difficultés. Je vous le raconte comme je l'ai vécu, et je l'ai mal vécu. En tant que secrétaire d'État, je suis invité avec d'autres de mes collègues ministres à Matignon pour une réunion où le marasme est constaté sur le secteur de l'aménagement, de la construction, du bâtiment et des travaux publics et où il est indiqué qu'un certain nombre de dossiers ne sont pas financés puisque l'Etat et les collectivités locales sont impécunieux. Avec Michel Sapin, nous nous rendons à l'invitation du Premier ministre, Manuel Valls, et ce constat est dressé. Le ministre de l'Économie Emmanuel Macron était présent, ainsi que le ministère des Transports. Nous nous retrouvons face aux sociétés concessionnaires, représentées par une délégation conduite par le président de Vinci Autoroutes, Monsieur Coppey. La réunion n'est pas très longue et une liste d'opérations de contournements et d'échangeurs est présentée, dans l'objectif de trouver un accord pour mener ces opérations avec un financement conjoint. La réunion n'est pas conclusive et s'achève avec un engagement à travailler sur le sujet et à faire le point trois semaines après. À ma surprise, je n'ai ensuite plus été invité aux réunions et j'ai appris, comme tout le monde, la conclusion d'un protocole qui aurait été élaboré par les deux ministres principalement concernés, à savoir Monsieur Macron pour le ministère de l'Économie et Madame Royal pour le ministère des Transports et de l'Environnement. Nous n'avons pas franchement appréciés d'être mis à l'écart, d'autant que l'allongement des durées de concessions et les évolutions des péages n'avaient pas été examinés par le ministère du Budget. Ce protocole prévoyait également le paiement d'une somme de 100 ou 200 millions d'euros, je crois, par les sociétés concessionnaires, au titre de la taxe d'aménagement. Nous approchions de la fin de l'année et la somme n'était pas négligeable pour le calcul du solde et du déficit budgétaire. Nous avons évoqué ce versement des sociétés concessionnaires pour savoir s'il interviendrait avant la fin de l'année ou l'année suivante. La directrice de cabinet de Michel Sapin a rencontré d'importantes difficultés pour connaitre la date de ce versement. Ce n'est qu'au bout de quelques jours que Claire Waysand a obtenu la réponse puisque nous n'avions pas le protocole : le versement était intervenu et pouvait être comptabilisé sur l'exercice en cours.

Mes positions vis-à-vis des concessionnaires sont relativement connues : je les ai souvent exprimées sur des services publics comme l'eau potable ou l'assainissement. J'ai la même position sur les concessions d'autoroute. Mon ministère a été très largement tenu à l'écart de ces discussions et je le regrette beaucoup.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Pensez-vous avoir été tenu à l'écart parce que vous aviez pris des positions hostiles lors de la première réunion ? Pour quelles raisons avez-vous été écartés ?

Debut de section - Permalien
Christian Eckert, secrétaire d'État chargé du budget de 2014 à 2017

Je répondais aux sollicitations que je recevais, en tant que secrétaire d'État. Ces négociations ont eu lieu et je ne les ai pas suivies, puisque personne ne nous y a associés. Je n'avais pas pris de positions particulièrement raides sur le sujet. Les interlocuteurs connaissaient mes positions, mais j'ai laissé le Premier ministre s'exprimer lors des discussions initiales qui amorçaient le processus. Nous avons été très surpris de ne pas être sollicités ensuite, ne serait-ce que par l'intermédiaire de nos collaborateurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Cette réunion précédait-elle l'annonce d'un gel des tarifs par Ségolène Royal ou était-elle postérieure ? J'ai cru comprendre que les discussions autour du plan de relance autoroutier étaient lancées avant l'annonce d'une décision de gel et que le gel n'a fait que les accélérer.

Debut de section - Permalien
Christian Eckert, secrétaire d'État chargé du budget de 2014 à 2017

J'ai plutôt ce souvenir, sans être affirmatif. Je ne dispose pas d'archives sur le sujet, mais les archives des ministères sont classées. J'ai plutôt le sentiment que l'annonce du gel par la ministre a été postérieure à l'enclenchement de cette discussion.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Votre dernier livre comprend un passage consacré aux privatisations. Vous écrivez : « ne cédons pas les bijoux de l'État », selon un langage clair et salutaire selon moi, puisqu'il est assez rare qu'un ancien ministre explique la situation de l'intérieur. S'agissant des concessionnaires autoroutiers, j'ai relu avec intérêt l'anecdote sur la déductibilité des frais financiers des grandes entreprises de leur assiette de l'impôt sur les bénéfices, avec le lobbying exercé. On parle d'interventions au plus haut niveau de l'État et vous citez une personne que nous avons auditionnée, de l'entreprise Vinci, qui est allée, d'après votre livre, jusqu'à la menace d'un contentieux juridique qui aurait été fatal au gouvernement. Faut-il en conclure que le contrat était mal ficelé, ou du moins déséquilibré en défaveur de l'État ? Faut-il en conclure que tout était bétonné ?

Je vois que vous citez le futur candidat, devenu aujourd'hui Président de la République, qui aurait eu un rôle déterminant dans l'introduction de ces dispositions fiscales dans la loi de Finances, avec Jérôme Cahuzac, pour aménager le texte dans le sens de l'intérêt des concessionnaires autoroutiers.

Avez-vous subi des reproches pour ce que vous avez écrit dans ce livre où vous citez des dossiers sensibles ?

Debut de section - Permalien
Christian Eckert, secrétaire d'État chargé du budget de 2014 à 2017

Globalement non. La justice a demandé le manuscrit et mon éditeur était étonné de cette réquisition. Il n'y a toutefois pas eu de suites. Dans La revue dessinée, Isabelle Jarjaille publie ce mois-ci Les rentiers de l'asphalte qui évoque ces sujets.

Sur la question des frais financiers - qui n'est pas le centre de votre enquête - la position adoptée était plus dure qu'envisagé. Jérôme Cahuzac partageait plutôt ma position et la décision prise ne vise pas à exonérer les contrats du plafonnement des frais financiers, mais de n'exonérer que les anciens contrats.

La fiscalité recouvre des sujets complexes et divers. Ce plafonnement des frais financiers constitue une disposition assez fréquente en Europe. Il nous permettait d'instaurer une contribution supplémentaire des entreprises recourant au crédit, avec une franchise d'un million d'euros, ce qui permettait de ne pas toucher les PME. Lorsque j'ai été approché par la personne que vous citez, je ne connaissais pas le sujet : il m'avait complètement échappé que les concessionnaires, du fait qu'ils portaient les emprunts liés aux investissements dans le cadre de leur concession, pouvaient déduire d'importants frais financiers, frais financiers payés par le propriétaire, et non par eux, puisque les intérêts étaient facturés dans les contrats.

Lors du premier contact avec le président de Vinci autoroutes, j'ai découvert le sujet. J'ai donc ensuite demandé à mes collaborateurs de regarder le problème avec les concessions, sur ce point. Ils ont rédigé une note indiquant que les contrats étaient conçus de manière à ce que toute modification de la fiscalité soit in fine répercutée dans le prix payé au concessionnaire. Cette note mentionnait par ailleurs le risque juridique et indiquait qu'une telle clause permettrait aux concessionnaires de faire payer le surplus de fiscalité demandé. Nous n'avons donc pas souhaité prendre ce risque et avons trouvé cette solution intermédiaire pour les futurs contrats. Je ne sais pas si les nouveaux contrats ont fait l'objet depuis d'une attention particulière des services avant leur conclusion sur ce type de clauses.

En 2015, quand le plan de relance a été élaboré, il a suscité certains mouvements au sein de l'Assemblée nationale. Je crois avoir lu dans vos travaux les allusions à l'épisode Chanteguet, avec son départ de la commission parlementaire mise en place. Mes anciens collègues se sont aperçus qu'ils avaient les mains liées parce que toute modification entraînait une modification des tarifs et que l'usager paierait in fine, et non le concessionnaire. Cette difficulté était majeure.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Pour revenir sur le protocole de 2015, vous avez été peu associé. L'avez-vous tout de même suivi d'assez près ? Que pensez-vous de cet accord ? Aurions-nous pu obtenir davantage dans cette discussion ?

Debut de section - Permalien
Christian Eckert, secrétaire d'État chargé du budget de 2014 à 2017

Je n'ai pas été associé du tout. La difficulté de ce type de contrat consiste dans le fait que les contrats fixent un certain nombre de paramètres sur des durées longues alors que l'évolution des paramètres est toujours difficile à prendre en compte. Qui peut prévoit 10 ou 20 ans à l'avance les évolutions ? Par principe, je suis plutôt défavorable à la concession parce que j'estime qu'un homme ou une femme politique doit assumer ses fonctions et ses compétences. La facilité consiste souvent à reporter la responsabilité de la gestion d'un service sur un tiers. Je pense que nous gagnerions en termes de responsabilisation à exercer directement nos compétences, même si se pose ensuite le problème du financement et de faire du profit sur un service public.

Si de telles opérations sont nécessaires, il convient de prévoir que les contrats puissent être revus régulièrement. Les contrats doivent être suivis, ce qui n'est souvent pas le cas puisque le délégataire se désintéresse du point ou que le concessionnaire ne lui communique pas les informations. Les expériences sur les PPP ou les services d'eau montrent que les maîtres d'ouvrage ne suivent pas bien l'exécution des contrats, d'autant qu'ils ne disposent plus des ressources humaines pour le faire. Les contrats doivent en outre pouvoir évoluer et être aménagés en fonction des évolutions constatées. Ils ne devraient pas être trop longs, même s'ils le sont forcément pour les autoroutes puisque les investissements sont très lourds. Pour les autres contrats de concession, les premières lois Sapin ont limité la durée des contrats d'eau, par exemple. Des clauses de revoyure périodiques devraient être insérées dans les contrats longs, pour tenir compte des évolutions constatées du trafic ou des prix. Les rapports de la Cour des comptes ou de l'ART reconnaissent que les contrats présentent un rendement très intéressant, avec tous les biais connus sur la conduite des travaux et leur coût. Si un contrat est conclu, il convient d'en assurer le suivi et de conserver l'information pour évaluer son exécution, avec des clauses permettant son adaptation pour éviter les excès. Des clauses prévoient bien une majoration des prix si les rendements ne sont pas satisfaisants ; le contraire pourrait donc être imaginé, si le rendement est supérieur aux prévisions.

Debut de section - PermalienPhoto de Eric Jeansannetas

La capacité d'évaluation et de contrôle des avenants s'est nettement améliorée depuis 2015. Les concessionnaires affirment ne pas atteindre les objectifs envisagés avant la privatisation. Nous avons l'impression que le contrôle s'est renforcé depuis 2015 avec la création de l'ART : partagez-vous ce sentiment ?

Debut de section - Permalien
Christian Eckert, secrétaire d'État chargé du budget de 2014 à 2017

Je pense que la pression populaire a compté : l'action politique des uns et des autres a probablement attiré l'attention de nos concitoyens et a abouti à une plus grande modération de certains dans la pratique de ces contrats. Je suis mal placé pour me prononcer sur l'ART puisque Bernard Roman est un ami de longue date. Lorsqu'il venait discuter des moyens financiers et humains mis à disposition de son Agence, il m'avait indiqué la première fois qu'il n'avait pas besoin d'argent, mais de quelques postes supplémentaires, qu'il a obtenus. Je crois que l'ART dispose des moyens pour apporter une contribution régulière. Le suivi des contrats et leur évaluation régulière constituent déjà de grands progrès pour appeler ceux qui exécutent le contrat à la modération.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Nous avons effectivement le sentiment d'une prise de conscience que le contexte de 2013-2014 a entraînée. Si tout n'est pas parfaitement organisé entre la DGITM, l'ART et les services de Bercy, notamment la DGCCRF et la DAJ, il semble que l'État a globalement les moyens. Sans oublier le Conseil d'État et la Cour des comptes.

Comment jugeriez-vous le rapport de force entre les sociétés concessionnaires d'autoroutes et l'État ? Les sociétés concessionnaires d'autoroutes considèrent que le rapport est déséquilibré en faveur de l'État qui dispose de moyens de contrôle importants. Partagez-vous ce sentiment ?

Debut de section - Permalien
Christian Eckert, secrétaire d'État chargé du budget de 2014 à 2017

J'ai le sentiment que le retour en arrière est difficile, voire impossible, comme souvent pour les services concédés. Des retours en régie sont intervenus, pour l'eau potable, dans des collectivités qui avaient concédé leur service d'eau, mais ce retour est difficile puisque les collectivités n'ont plus l'organisation, le personnel, la connaissance et l'information. Il faut alors restaurer une organisation pour gérer un service. Les sociétés concessionnaires sont effectivement contrôlées, mais il me semble compliqué de leur reprendre le service à l'avenir. Elles détiennent globalement un monopole dans l'exercice de cette mission, même si elles sont plusieurs à l'exercer. L'État n'est plus structuré pour reprendre cette mission, ce qui procure un avantage important à ces entreprises.

Debut de section - PermalienPhoto de Eric Jeansannetas

Je vous remercie pour vos réponses.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18h50.