Intervention de Pascal Canfin

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 24 juin 2020 à 16h20
Audition de M. Pascal Canfin président de la commission de l'environnement de la santé publique et de la sécurité alimentaire du parlement européen

Pascal Canfin, président de la commission de l'environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire du Parlement européen :

Merci pour votre invitation. Il est très important que le Parlement européen et le Parlement français échangent régulièrement sur ces sujets. Concernant la relance verte, deux bonnes raisons me rendent optimiste sur le fait que nous n'allons pas reproduire les erreurs du dernier plan de relance de 2009, qui avait fait suite à la crise financière. Tout le monde s'accorde à dire que les plans de relance de l'époque n'ont pas permis d'accélérer la lutte contre le dérèglement climatique, voire ont contribué à refinancer l'économie du passé plutôt qu'à accélérer la transition vers l'économie de demain.

Il existe deux différences entre aujourd'hui et 2009. La première tient à la maturité culturelle dans l'attention qui est portée à ces sujets et aux premières conséquences du dérèglement climatique. La maturité sociétale est beaucoup plus présente en France, mais également dans de nombreux pays européens, même ceux, comme la Pologne, dont nous pourrions penser qu'ils sont moins avancés que nous sur ces sujets. Une grande partie de la jeunesse polonaise est exactement sur la même équation que les jeunesses française, belge ou britannique.

La seconde différence tient à la maturité technologique. Nous avons quasiment toutes les technologies et toutes les solutions dont nous avons besoin pour gagner la bataille du climat. C'est le résultat de 10 à 20 ans d'investissements, de recherche et de politiques publiques. Nous savons faire des énergies renouvelables très peu chères. Nous savons isoler des maisons pour les rendre positives en énergie. Nous savons faire de la mobilité électrique sous toutes ses formes (voitures, trottinettes, bus, tramways, vélos, et même camions). Le défi n'est plus tellement dans la recherche fondamentale, même si nous avons encore des obstacles. Ainsi, l'hydrogène vert n'est pas encore à un stade industrialisable et nous avons des sujets de stockage de l'énergie. Néanmoins, toutes les grandes entreprises européennes, dont des leaders français, investissent, travaillent et cherchent sur ces sujets. Elles me disent toutes, dans le cadre de l'alliance pour une relance verte que j'ai créée avec plus de 120 grands patrons européens, que les technologies sont là.

Le sujet numéro un est le changement d'échelle, et le nerf de la guerre est le financement. Nous sommes à un moment de l'histoire où nous n'avons pas le droit à l'erreur. Nous ne remettrons pas autant d'argent sur la table de sitôt. Il est tout de même question de 750 milliards d'euros pour le plan de relance européen et de 2 000 milliards d'euros pour l'addition des aides d'État. Il s'agit de montants astronomiques, qui génèreront une dette supplémentaire. Certes, la Banque centrale européenne en rachètera une partie significative, mais une autre partie devra être remboursée. Nous ne pouvons donc pas faire n'importe quoi avec cet argent public.

Nous avons toutes les cartes en main pour concevoir le premier plan de relance aligné avec l'Accord de Paris. C'est l'objectif que nous devons nous fixer collectivement. Quand je dis cela, j'exclus tous les secteurs pour lesquels il n'y a pas d'impact climatique majeur. Si nous voulons relancer l'hôpital, les écoles ou la culture, nous n'allons pas embêter les entreprises ou les associations de ces secteurs avec les enjeux climatiques. Les secteurs les plus émetteurs sont toujours les mêmes : bâtiment, transport, énergie et système alimentaire. Il ne sert à rien de soumettre le reste de l'économie à des contraintes inutiles. C'est sur les quatre secteurs que je viens d'évoquer qu'il ne faut pas se rater car ils représentent 90 % des émissions de CO2. C'est pour cela que nous travaillons, au niveau européen, sur un alignement du plan de relance avec le Green Deal.

Cela ne signifie pas que 100 % des investissements seront destinés au Green Deal. Ce serait absurde d'un point de vue politique car il faut également financer les systèmes de soins, le chômage partiel, la formation ou le retour à une trésorerie normale pour les PME. En revanche, lorsque nous intervenons dans les secteurs émetteurs, il faut que le plan de relance soit aligné avec le Green Deal et l'Accord de Paris. C'est exactement ce qui est écrit dans les textes européens qui ont été proposés par la Commission il y a trois semaines et qui doivent encore faire l'objet d'un accord juridique, d'abord au Conseil entre les États et ensuite au Parlement européen.

Vous avez évoqué la loi climat. C'est un élément très important. Sachez que nous avons déposé les amendements à la loi climat côté Parlement européen le 3 juin. Nous voterons en commission Environnement le 10 septembre, puis en plénière du Parlement la première semaine d'octobre. La future présidence allemande a pour objectif d'avoir la position du Conseil mi-octobre. Ensuite, la négociation se déroulera dans le cadre d'un trilogue entre les deux institutions et la Commission européenne, et je présiderai la négociation côté Parlement européen.

L'objectif final consiste à passer de la cible actuelle, soit - 40 % d'émissions de CO2 en 2030 par rapport à 1990, à - 55 %. C'est la position soutenue par la France et le Parlement européen. De plus en plus d'États sont sur cette ligne : pays nordiques, Espagne, Italie, Benelux, Autriche, Slovaquie... Nous ne sommes pas très loin d'une majorité qualifiée, mais nous n'y sommes pas encore. La bascule dépend de l'Allemagne. Il est très important que nous obtenions le soutien formel de l'Allemagne le plus rapidement possible. La chancelière Merkel y est prête, mais l'écosystème politique de la coalition allemande est compliqué. J'ai tout de même bon espoir que nous parvenions à obtenir un engagement de l'Allemagne sur ces - 55 %. Alors, le terrain sera assez déblayé pour que nous puissions aller vite.

Il existe d'autres éléments très importants dans la loi climat, par exemple les accords commerciaux, les aides d'État ou les sanctions en cas de non-atteinte des objectifs. Je pourrai y revenir.

Enfin, vous m'avez interrogé sur la Convention citoyenne pour le climat, qui visait à trouver une forme de renouvellement de la démocratie participative en complément de la démocratie représentative. Cent-cinquante citoyens, choisis à l'image de la société française, ont formulé un certain nombre de propositions. Certaines sont très facilement intégrables. Je pense notamment au leasing sur les véhicules électriques. Aujourd'hui, une voiture électrique coûte plus cher au début et moins cher à l'entretien : il y a moins de maintenance et le plein d'une batterie électrique coûte 3 euros. Ce qui rend le marché plus étroit et l'accès inégalitaire, c'est qu'il faut sortir plus d'argent au début. Si nous développions un système très simple de leasing des voitures électriques pour 200 euros par mois, nous aurions neutralisé l'enjeu financier de l'investissement initial et nous pourrions augmenter largement la part de marché de l'électrique.

D'autres propositions sont plus structurantes et clivantes. Nous ne savons pas si elles sont majoritaires dans la société. Je pense aux 110 km/h sur autoroute, à l'obligation de rénovation thermique des bâtiments ou encore au changement des règles d'urbanisme. Ces sujets sont plus lourds et plus compliqués. S'ils étaient simples, les différentes majorités politiques qui ont précédé le gouvernement actuel les auraient déjà mis en oeuvre. Pour autant, tout le monde sait que nous sommes très en retard dans l'isolation des bâtiments. Nous avons deux options : soit nous poursuivons comme avant, quelle que soit la majorité politique, soit nous changeons les règles du jeu pour développer le marché en mettant en oeuvre une obligation de rénovation. Nous voulons nous assurer que la majorité de la société nous suit. Je pense que ce type de mesure, qui est nécessaire, doit être soumis à l'approbation d'une majorité des Français. La manière de faire ne peut pas être un référendum unique avec une seule question car nous savons tous que les Français répondront à la question « êtes-vous pour ou contre Emmanuel Macron ? ». En revanche, avec trois à cinq questions, les Français répondront à chacune d'entre elles. Nous ne serions pas du tout dans l'instrumentalisation politicienne ou partisane du référendum, mais dans l'opportunité d'avoir un vrai débat de société sur des questions structurantes aussi bien pour le quotidien des Français que pour l'ensemble de la société.

La conclusion de la Convention citoyenne pour le climat me semble devoir être celle-ci. Aucun scénario n'est exempt de risque, mais celui-ci me paraît être, d'un point de vue démocratique, la meilleure option possible.

Voilà les éléments que je souhaitais partager avec vous en introduction. Je suis à l'écoute de vos questions.

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