Je vous rappelle que la semaine prochaine, notre commission organise une table ronde sur les impacts sanitaires et environnementaux de la 5G.
La réunion est close à 10 heures 10.
- Présidence de M. Hervé Maurey, président -
La réunion est ouverte à 16 h 20.
La réunion est ouverte à 16 h 15.
Nous sommes très heureux d'accueillir M. Pascal Canfin, président de la commission de l'environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire au Parlement européen. L'environnement et les questions d'alimentation durable sont des sujets que nous suivons avec beaucoup d'attention au sein de notre commission. Votre audition s'inscrit dans un triple contexte.
En premier lieu, la crise sanitaire sans précédent qui touche actuellement notre pays a remis en cause des paradigmes profonds de notre modèle de développement, au premier rang desquels figure la durabilité de notre économie et de notre croissance. Il n'y a, en réalité, pas une crise, mais plusieurs crises auxquelles nous devons faire face : sanitaire, mais aussi économique, sociale, sociétale et bien sûr, à l'origine de toutes les autres, la crise environnementale et climatique.
C'est pourquoi nous avons organisé un cycle d'auditions prospectives au sein de notre commission, afin d'avoir une vision globale des implications de la crise et de réfléchir à la relance que nous souhaitons. De la relance verte que nous serons capables de mettre en oeuvre dépendra notre capacité à tenir nos engagements climatiques de l'Accord de Paris et à ne pas répéter un « monde d'avant » dont on sait qu'il n'est pas durable, aux deux sens du terme. Nous souhaiterions que vous puissiez évoquer avec nous les priorités que nous devons, selon vous, mettre en oeuvre en urgence dans le cadre de cette relance.
En deuxième lieu, l'actualité européenne, avec la stratégie de la Commission européenne du Green Deal, qui vise la neutralité carbone en 2050, constitue une opportunité unique d'aller plus avant dans la transition écologique engagée par les États-membres. Vous avez affirmé à plusieurs reprises que ce Pacte vert devrait être au coeur de notre relance. Nous avons auditionné la semaine dernière le vice-président de la Commission, M. Frans Timmermans, qui nous a rappelé que les ambitions du Green Deal restaient la boussole de la Commission. Toutefois, à l'heure de la relance et des négociations tendues, comme celles qui ont eu lieu au Conseil européen la semaine dernière, ces ambitions peuvent-elles vraiment tenir ? Pouvez-vous nous indiquer quels points du Pacte vert sont les plus importants pour le Parlement européen, et plus particulièrement pour votre commission ? Un accord semble se dessiner pour un objectif de 55 % de réduction des émissions de carbone en 2030. Certains souhaitent aller au-delà. Nous aimerions connaître votre sentiment.
Enfin, nous serons également heureux de vous entendre réagir aux 150 propositions de la Convention citoyenne pour le climat. Vous vous êtes déjà prononcé pour un référendum avant la fin de l'année car vous estimez que c'est la seule voie qui soit « à la hauteur de l'exigence climatique ». Pourquoi souhaitez-vous ce référendum ? Quelles sont, selon vous, les mesures les plus urgentes à mettre en oeuvre ?
Merci pour votre invitation. Il est très important que le Parlement européen et le Parlement français échangent régulièrement sur ces sujets. Concernant la relance verte, deux bonnes raisons me rendent optimiste sur le fait que nous n'allons pas reproduire les erreurs du dernier plan de relance de 2009, qui avait fait suite à la crise financière. Tout le monde s'accorde à dire que les plans de relance de l'époque n'ont pas permis d'accélérer la lutte contre le dérèglement climatique, voire ont contribué à refinancer l'économie du passé plutôt qu'à accélérer la transition vers l'économie de demain.
Il existe deux différences entre aujourd'hui et 2009. La première tient à la maturité culturelle dans l'attention qui est portée à ces sujets et aux premières conséquences du dérèglement climatique. La maturité sociétale est beaucoup plus présente en France, mais également dans de nombreux pays européens, même ceux, comme la Pologne, dont nous pourrions penser qu'ils sont moins avancés que nous sur ces sujets. Une grande partie de la jeunesse polonaise est exactement sur la même équation que les jeunesses française, belge ou britannique.
La seconde différence tient à la maturité technologique. Nous avons quasiment toutes les technologies et toutes les solutions dont nous avons besoin pour gagner la bataille du climat. C'est le résultat de 10 à 20 ans d'investissements, de recherche et de politiques publiques. Nous savons faire des énergies renouvelables très peu chères. Nous savons isoler des maisons pour les rendre positives en énergie. Nous savons faire de la mobilité électrique sous toutes ses formes (voitures, trottinettes, bus, tramways, vélos, et même camions). Le défi n'est plus tellement dans la recherche fondamentale, même si nous avons encore des obstacles. Ainsi, l'hydrogène vert n'est pas encore à un stade industrialisable et nous avons des sujets de stockage de l'énergie. Néanmoins, toutes les grandes entreprises européennes, dont des leaders français, investissent, travaillent et cherchent sur ces sujets. Elles me disent toutes, dans le cadre de l'alliance pour une relance verte que j'ai créée avec plus de 120 grands patrons européens, que les technologies sont là.
Le sujet numéro un est le changement d'échelle, et le nerf de la guerre est le financement. Nous sommes à un moment de l'histoire où nous n'avons pas le droit à l'erreur. Nous ne remettrons pas autant d'argent sur la table de sitôt. Il est tout de même question de 750 milliards d'euros pour le plan de relance européen et de 2 000 milliards d'euros pour l'addition des aides d'État. Il s'agit de montants astronomiques, qui génèreront une dette supplémentaire. Certes, la Banque centrale européenne en rachètera une partie significative, mais une autre partie devra être remboursée. Nous ne pouvons donc pas faire n'importe quoi avec cet argent public.
Nous avons toutes les cartes en main pour concevoir le premier plan de relance aligné avec l'Accord de Paris. C'est l'objectif que nous devons nous fixer collectivement. Quand je dis cela, j'exclus tous les secteurs pour lesquels il n'y a pas d'impact climatique majeur. Si nous voulons relancer l'hôpital, les écoles ou la culture, nous n'allons pas embêter les entreprises ou les associations de ces secteurs avec les enjeux climatiques. Les secteurs les plus émetteurs sont toujours les mêmes : bâtiment, transport, énergie et système alimentaire. Il ne sert à rien de soumettre le reste de l'économie à des contraintes inutiles. C'est sur les quatre secteurs que je viens d'évoquer qu'il ne faut pas se rater car ils représentent 90 % des émissions de CO2. C'est pour cela que nous travaillons, au niveau européen, sur un alignement du plan de relance avec le Green Deal.
Cela ne signifie pas que 100 % des investissements seront destinés au Green Deal. Ce serait absurde d'un point de vue politique car il faut également financer les systèmes de soins, le chômage partiel, la formation ou le retour à une trésorerie normale pour les PME. En revanche, lorsque nous intervenons dans les secteurs émetteurs, il faut que le plan de relance soit aligné avec le Green Deal et l'Accord de Paris. C'est exactement ce qui est écrit dans les textes européens qui ont été proposés par la Commission il y a trois semaines et qui doivent encore faire l'objet d'un accord juridique, d'abord au Conseil entre les États et ensuite au Parlement européen.
Vous avez évoqué la loi climat. C'est un élément très important. Sachez que nous avons déposé les amendements à la loi climat côté Parlement européen le 3 juin. Nous voterons en commission Environnement le 10 septembre, puis en plénière du Parlement la première semaine d'octobre. La future présidence allemande a pour objectif d'avoir la position du Conseil mi-octobre. Ensuite, la négociation se déroulera dans le cadre d'un trilogue entre les deux institutions et la Commission européenne, et je présiderai la négociation côté Parlement européen.
L'objectif final consiste à passer de la cible actuelle, soit - 40 % d'émissions de CO2 en 2030 par rapport à 1990, à - 55 %. C'est la position soutenue par la France et le Parlement européen. De plus en plus d'États sont sur cette ligne : pays nordiques, Espagne, Italie, Benelux, Autriche, Slovaquie... Nous ne sommes pas très loin d'une majorité qualifiée, mais nous n'y sommes pas encore. La bascule dépend de l'Allemagne. Il est très important que nous obtenions le soutien formel de l'Allemagne le plus rapidement possible. La chancelière Merkel y est prête, mais l'écosystème politique de la coalition allemande est compliqué. J'ai tout de même bon espoir que nous parvenions à obtenir un engagement de l'Allemagne sur ces - 55 %. Alors, le terrain sera assez déblayé pour que nous puissions aller vite.
Il existe d'autres éléments très importants dans la loi climat, par exemple les accords commerciaux, les aides d'État ou les sanctions en cas de non-atteinte des objectifs. Je pourrai y revenir.
Enfin, vous m'avez interrogé sur la Convention citoyenne pour le climat, qui visait à trouver une forme de renouvellement de la démocratie participative en complément de la démocratie représentative. Cent-cinquante citoyens, choisis à l'image de la société française, ont formulé un certain nombre de propositions. Certaines sont très facilement intégrables. Je pense notamment au leasing sur les véhicules électriques. Aujourd'hui, une voiture électrique coûte plus cher au début et moins cher à l'entretien : il y a moins de maintenance et le plein d'une batterie électrique coûte 3 euros. Ce qui rend le marché plus étroit et l'accès inégalitaire, c'est qu'il faut sortir plus d'argent au début. Si nous développions un système très simple de leasing des voitures électriques pour 200 euros par mois, nous aurions neutralisé l'enjeu financier de l'investissement initial et nous pourrions augmenter largement la part de marché de l'électrique.
D'autres propositions sont plus structurantes et clivantes. Nous ne savons pas si elles sont majoritaires dans la société. Je pense aux 110 km/h sur autoroute, à l'obligation de rénovation thermique des bâtiments ou encore au changement des règles d'urbanisme. Ces sujets sont plus lourds et plus compliqués. S'ils étaient simples, les différentes majorités politiques qui ont précédé le gouvernement actuel les auraient déjà mis en oeuvre. Pour autant, tout le monde sait que nous sommes très en retard dans l'isolation des bâtiments. Nous avons deux options : soit nous poursuivons comme avant, quelle que soit la majorité politique, soit nous changeons les règles du jeu pour développer le marché en mettant en oeuvre une obligation de rénovation. Nous voulons nous assurer que la majorité de la société nous suit. Je pense que ce type de mesure, qui est nécessaire, doit être soumis à l'approbation d'une majorité des Français. La manière de faire ne peut pas être un référendum unique avec une seule question car nous savons tous que les Français répondront à la question « êtes-vous pour ou contre Emmanuel Macron ? ». En revanche, avec trois à cinq questions, les Français répondront à chacune d'entre elles. Nous ne serions pas du tout dans l'instrumentalisation politicienne ou partisane du référendum, mais dans l'opportunité d'avoir un vrai débat de société sur des questions structurantes aussi bien pour le quotidien des Français que pour l'ensemble de la société.
La conclusion de la Convention citoyenne pour le climat me semble devoir être celle-ci. Aucun scénario n'est exempt de risque, mais celui-ci me paraît être, d'un point de vue démocratique, la meilleure option possible.
Voilà les éléments que je souhaitais partager avec vous en introduction. Je suis à l'écoute de vos questions.
Avec 31 % de rejets de gaz à effet de serre en 2019, le secteur des transports demeure le mauvais élève de la lutte contre le réchauffement climatique. La mobilité urbaine durable est un élément clé du Pacte vert européen. Or ce secteur est fortement impacté par la crise du Covid-19 en raison de l'effondrement de la fréquentation des différents réseaux. Quels sont les outils financiers qui pourraient être actionnés pour soutenir les acteurs du transport public urbain, comme les opérateurs de transport ou les autorités organisatrices, et les aider à poursuivre le combat contre la pollution ?
Le collectif dont vous êtes à l'origine affirme que le monde d'après sera résolument écologique. C'est un constat que nous partageons. Vous déterminez trois axes.
Le premier axe vous satisfait puisque la Convention citoyenne pour le climat répond au consensus démocratique que vous souhaitez.
Le deuxième axe pose le principe d'un plan de relance aligné avec l'Accord de Paris qui oblige à inscrire comme prioritaires les engagements écologiques majeurs des secteurs aéronautique et automobile. Vous revendiquez la construction en France des voitures électriques et de leurs batteries. La production d'électricité en France est décarbonée car elle repose sur les centrales nucléaires. Il reste les questions du devenir des déchets issus de cette production et des métaux rares qui la composent. Ces déchets sont extraits dans des pays qui font peu de cas des considérations environnementales.
Vous avez très rapidement évoqué l'hydrogène, qui est un levier clé du mix énergétique. Or il semble que la France, à la différence de l'Allemagne, ne s'engage pas dans la mise en place d'un véritable plan ciblé sur l'hydrogène. N'y aurait-il pas un intérêt à organiser la recherche au niveau européen ?
Je ne doute pas que le président de la commission Environnement du Parlement européen fait tout son possible pour que les objectifs soient les plus ambitieux possibles. Néanmoins, qu'en pensent les autres présidents de commissions, alors qu'il existe une vraie volonté de changer les rapports avec la Chine ? Le discours des dirigeants européens est extrêmement ambigu sur ce sujet. Comment les autres forces du Parlement européen voient-elles cette volonté affichée par la Commission de revoir les rapports avec la Chine, notamment sur la question climatique, avec le risque d'une véritable guerre commerciale ?
Par ailleurs, comment réagissent les représentants du monde agricole, qui sont également très présents au Parlement européen ? L'agriculture européenne connaît une mutation très forte pour tenir les objectifs en matière de climat et de biodiversité. Or il n'est pas certain que le deuxième pilier de la PAC soit la priorité du ministre français de l'agriculture.
Comment s'articulent les propositions de la Convention citoyenne avec le Green Deal ? Sont-elles plus ou moins ambitieuses ? Comment articuler les politiques nationales et la politique européenne ?
Les financements sont essentiels pour mettre en place une relance verte et le Green Deal européen. Or, dans le cas de la PAC, l'argent n'a pas forcément été dépensé dans l'objectif de préserver la biodiversité et de lutter contre le réchauffement climatique. Un référentiel qui mentionnerait les objectifs de développement durable (ODD) ne serait-il pas une grille de lecture intéressante pour lier l'écologie et le social ? Les propositions de loi ne devraient-elles pas être appréciées au regard de leur respect des ODD ?
Tout le monde a conscience que nous sommes potentiellement face à un choc de désinvestissement majeur dans le secteur des transports, notamment collectifs et urbains. Les collectivités locales pourraient ne plus être en mesure de faire face aux engagements déjà pris ou aux plans d'investissements envisagés en raison de leurs difficultés financières. C'est bien pour cela qu'il faudrait qu'une partie à définir du plan de relance européen aille directement vers le financement de l'investissement public local, mais cela ne signifie pas qu'il ne faut pas passer par l'État membre, bien au contraire.
Si un accord politique est trouvé au Conseil en juillet sur les 750 milliards d'euros, les règlements d'application seront votés au plus tard en octobre et l'argent commencera à être décaissé au 1er janvier 2021. Cela peut paraître lointain, mais au regard des montants en jeu, il me semble difficile d'aller plus vite. Chaque État membre présentera ensuite à Bruxelles son plan de relance.
Pour la France, la somme en jeu est d'environ 40 milliards d'euros. Il faudra que les collectivités locales fassent remonter les secteurs d'investissement public sur lesquels elles sont le plus en tension afin que nous puissions aller chercher directement de l'argent européen, soit en dons, soit en prêts. Les prêts auront une maturité très longue et les remboursements ne débuteront qu'en 2028. Cela apportera de l'oxygène aux collectivités locales, et la machine pourra repartir. Les outils financiers seront soit ceux-ci, soit les outils de la Banque européenne d'investissement. N'hésitez pas à remonter des points précis, si vous en avez, sur les outils financiers. Nous sommes en pleine discussion avec la Commission européenne.
Un autre outil est l'engagement des acheteurs à acheter, par exemple, des bus à hydrogène ou des bus électriques, offrant aux fabricants un carnet de commandes qui leur permettra de lancer des investissements et de créer des emplois. Nous pourrions tout à fait imaginer que la Commission s'engage, dans les trois prochaines années, à décaisser de l'argent pour aider les collectivités à acheter ces véhicules. Ce serait un appel d'air pour les fabricants européens, et ce serait assez simple à gérer pour la Commission car il appartiendrait aux États membres de remonter les commandes potentielles des trois prochaines années. N'hésitez surtout pas à faire remonter des propositions. Il est très important, dans le contexte, que nous ayons une bonne articulation entre l'échelon local, l'échelon national et l'échelon européen.
Le développement massif de l'électrique est digérable par le système électrique tel qu'il existe aujourd'hui. De nombreuses études le démontrent. Il n'est donc pas nécessaire de construire de manière massive des productions électriques supplémentaires.
En soi, l'hydrogène n'est pas spécialement une énergie de transition écologique, surtout s'il est fait à base de gaz. En revanche, dès lors que l'on pourra faire de l'hydrogène à partir de ressources renouvelables ou de gaz décarboné, et où il sera possible de le stocker pour certaines utilisations, il pourra devenir tout à fait intéressant. La France doit se doter d'une telle stratégie. Nous serons plus efficaces si nous agissons au niveau européen, et ce sera moins coûteux. L'Allemagne a beaucoup de champions potentiels. Nous en avons également. Joignons nos forces. C'est un élément de la stratégie hydrogène sur laquelle la Commission travaille.
Concernant les relations avec la Chine, même les Allemands sont passés d'une logique consistant à ne surtout pas se fâcher avec les Chinois au nom de leurs intérêts commerciaux à une logique beaucoup plus géopolitique et stratégique, donc beaucoup plus concurrentielle. Lorsque Thierry Breton dit que le temps de la naïveté est derrière nous, je pense qu'il a raison. Nous avons un vrai changement de paradigme, et cela concerne aussi les pays comme l'Allemagne et les Pays-Bas, qui sont très avenants avec la Chine. Le curseur a changé. Il faut maintenant le matérialiser. Cela concerne notamment le changement des règles du jeu sur le rachat des entreprises européennes par des entreprises chinoises. Il faut être capable de dire non dès lors qu'il est question d'une entreprise stratégique. La Commission y a travaille. Il doit être possible de bloquer le rachat d'une entreprise européenne par une entreprise qui est largement subventionnée. Cela devrait nous permettre d'arrêter le rachat par la Chine d'entreprises européennes stratégiques.
Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières est sur la table. La France défend cette idée depuis au moins Jacques Chirac. Pendant des années, personne n'y prêtait vraiment attention, mais la situation a totalement changé : cette idée est devenue la doctrine officielle de la Commission européenne. Il s'agit d'une vraie victoire pour la France. L'objectif est maintenant que la Commission européenne formule une proposition de mécanisme d'ajustement carbone aux frontières à l'été 2021 dans le cadre d'un grand paquet de textes qui suivront la loi climat. N'hésitez pas à travailler sur le sujet, car ça va venir. Le consensus européen est que ce mécanisme doit être compatible avec les règles de l'OMC. Ce sujet de la compatibilité avec l'OMC est fondamental, sinon il n'y aura pas de majorité en Europe. Le principe est acquis. La discussion porte vraiment sur les modalités.
Concernant le monde agricole, une évolution assez significative s'est produite. Il y a quelques semaines, la Commission a présenté sa stratégie « de la fourche à la fourchette ». Elle se dote d'objectifs et de moyens nouveaux. Je pense notamment à la réduction des pesticides. La France a déjà un objectif de réduction des pesticides. L'Europe n'en avait pas.
Par ailleurs, la réforme de la PAC se structurera de plus en plus autour des éco-régimes, que j'aurai tendance à appeler « contrats de transition agricole ». Il ne s'agit pas seulement de se fixer des objectifs ; il s'agit également de se donner les moyens d'y arriver en les connectant à la PAC. Aujourd'hui, il y a la PAC d'un côté et les objectifs d'un autre. Ça n'a pas fonctionné. Il faut changer les règles du jeu, non pas pour faire n'importe quoi vis-à-vis des agriculteurs, mais pour encourager financièrement ceux qui jouent le jeu des bonnes pratiques agricoles, notamment de la réduction des pesticides. Il n'y a pas le premier pilier d'un côté et le deuxième pilier de l'autre. Il faut intégrer les éco-régimes dans le premier pilier. Certes, la commission Agriculture a le leadership, mais la commission Environnement du Parlement européen est très largement associée aux négociations de la PAC.
Les mesures de la Convention citoyenne pour le climat vont bien au-delà du Green Deal, y compris lorsqu'elles se réfèrent à des compétences européennes. Ces propositions sont considérées par beaucoup comme étant assez radicales. Néanmoins, il existe des choses qui se mettent ensemble de manière assez naturelle. Prenons l'exemple des accords commerciaux. Là aussi, il y a eu un changement de paradigme. Je suis persuadé qu'il n'y a pas de majorité au Parlement européen aujourd'hui pour voter le Mercosur. L'idée selon laquelle les enjeux climatiques et environnementaux doivent être déconnectés du commerce est devenue minoritaire. C'est en partie le résultat de l'action de la France et de la société civile. La France est le seul pays qui s'est opposé à l'ouverture de négociations avec les États-Unis. Nous étions seuls et isolés. À présent, ne pas ouvrir de négociations commerciales avec un pays qui ne respecte pas l'accord de Paris est devenu la position officielle de la Commission européenne. Il s'agit d'un changement de paradigme significatif dont il faut prendre toute la dimension.
Enfin, je suis entièrement d'accord avec ce qui a été dit au sujet des ODD. D'ailleurs, le changement est en cours dans le cadre du « semestre européen ». Les critères suivis seront élargis aux ODD afin que la gouvernance économique et sociale de l'Union européenne s'aligne progressivement sur ces objectifs, qui sont plus pertinents que des indicateurs financiers purs.
J'ai beaucoup d'interrogations sur l'articulation du plan de relance et du Green Deal. J'en veux pour preuve le débat qui s'est déroulé hier au Sénat. La ministre Amélie de Montchalin a clairement indiqué que le plan de relance serait mis en oeuvre en fonction des priorités économiques de chaque pays. Comment pouvez-vous nous rassurer ? Y aura-t-il véritablement une forme de conditionnalité Green Deal dans le cadre du plan de relance ?
Au travers de notre dépendance addictive aux modèles économiques actuels et dans le cadre de la crise du Covid-19, nous ne sommes plus dans la même temporalité d'adaptation à des changements de système. La soif de croissance se retrouve directement confrontée aux objectifs du Green Deal. Cet élément est-il réellement pris en compte à l'échelle européenne ? Comment comptez-vous développer des agilités, notamment financières, qui permettront de répondre au plus vite à la demande ?
L'alimentation est un secteur clé pour préserver l'environnement et la biodiversité. Ce que nous mangeons a un impact sur l'environnement. Il faut avoir des législations coordonnées, notamment s'agissant des produits d'importation hors Union européenne. L'affichage environnemental des produits alimentaires est un sujet. Le low-cost alimentaire fragilise la santé de nos concitoyens et appauvrit nos agriculteurs. L'investissement sur le secteur agricole dans le cadre de la relance verte est une question stratégique. Tous les pays qui réussissent et qui sont résilients ont une agriculture forte. L'enjeu est de concilier agriculture et environnement. Or, les agriculteurs considèrent qu'ils n'ont pas été suffisamment associés aux orientations de la Commission.
Comment faire en sorte que l'agriculture européenne se muscle dans le cadre de la relance verte à venir ? La souveraineté alimentaire doit-elle être appréciée au niveau national ou européen ?
La France est résolument engagée dans son déconfinement et aspire à un retour à la normale. Il nous importe de nous protéger et d'envisager toute relance comme indissociable de l'impératif de transition écologique. Alors que cette transition nécessite d'accroître l'investissement public et privé, nous faisons face à un double problème : structurellement, les investissements publics nets sont négatifs en Europe, tandis que l'épargne privée s'accumule faute de catalyseur. En France, les investissements nécessaires sont estimés entre 2,5 et 4 % du PIB (soit 55 à 85 milliards d'euros). Par ailleurs, la baisse de 11 % des investissements dans les technologies propres suite au confinement remet en cause le respect des objectifs de l'Accord de Paris.
Alors que le Green Deal comme plan de relance n'a jamais été aussi pertinent, comment la Commission européenne prévoit-elle de répondre à ce déficit d'investissement ? Le Green Deal sera-t-il accompagné d'une modification du « semestre européen » permettant la prise en compte des investissements verts réalisés au niveau national, jusqu'à exclure tous les investissements publics verts du calcul des déficits ?
Je me réjouis que les questions liées à l'environnement soient récurrentes dans quasiment toutes nos discussions. Les premières alertes sur le sujet remontent à 1974 et à la candidature de René Dumont à l'élection présidentielle. Depuis, des étapes importantes ont été franchies, notamment la COP de Paris.
Quels constats la Convention citoyenne pour le climat fait-elle qui n'auraient pas déjà été faits, que ce soit par les parlementaires, les élus locaux ou les ONG ? Quelles propositions fait-elle qui n'ont pas déjà été faites au Parlement, particulièrement au Sénat ? Le Parlement s'est saisi de ces questions depuis des décennies. Il a formulé un certain nombre de propositions.
Monsieur Canfin, votre parcours et vos publications plaident pour vous. Le Président de la République vous a donné des assurances afin que ces sujets soient traités de manière transversale et prioritairement. Il avait fait la même promesse à Nicolas Hulot. Considérez-vous qu'après un an, les engagements ont été tenus ? Si ce n'était pas le cas, auriez-vous la même attitude et la même force que Nicolas Hulot ? Pourriez-vous démissionner, considérant que les engagements pris n'ont pas été respectés ?
Vous avez beaucoup parlé de technologie. Vous avez dit que nous sommes arrivés à la maturité technologique, que les solutions existent et qu'il s'agit d'un problème d'argent. C'est en partie vrai, mais nous ne pouvons pas agir que sur la technologie. Nous devons aussi changer nos habitudes. Comment les fonds prévus s'orientent-ils vers ces changements d'habitudes et de pratiques, qui passent notamment par les territoires ? Nous savons que le lien entre l'Europe, les territoires et les collectivités est souvent complexe.
L'Europe a besoin d'une renaissance du rail. Quels sont les objectifs en la matière ?
Enfin, vous avez parlé d'un référendum à cases multiples autour de la Convention citoyenne. Ce n'est pas ce qui a été demandé. Les citoyens ont clairement laissé la responsabilité aux parlementaires de s'emparer des différentes questions qu'ils ont soulevées.
La façon dont les règles du jeu européennes vont lire les plans de relance pour, ensuite, décaisser l'argent, et donc la manière dont les plans de relance doivent être construits pour que l'argent soit décaissé, met au coeur de la sélection des investissements le plan national énergie-climat. Ce plan décrit les besoins d'investissement de la France et les projets qui doivent être financés pour nous permettre d'atteindre nos objectifs climatiques. Il est explicitement écrit dans le texte européen que c'est ça qui doit être la colonne vertébrale du plan de relance. C'est l'un des outils qui assurent la cohérence avec le Green Deal. Les États feront très probablement refinancer par le plan européen des dépenses d'investissement public ou de soutien aux entreprises. Ainsi, on peut tout à fait imaginer que le super bonus pour les voitures électriques, qui figure dans le plan français de soutien au secteur automobile, soit refinancé par le plan européen, ce qui libèrera des capacités budgétaires françaises pour faire autre chose.
Il n'existe pas d'incompatibilité à dire cela et à dire que ça se fera en lien avec les priorités économiques. En revanche, il ne pourra pas s'agir de priorités économiques incompatibles avec le Green Deal. Nous travaillons avec la Commission pour continuer à préciser tout cela. De mon point de vue, deux éléments sont insuffisants.
Ainsi, il n'existe pas de part minimum obligatoire d'investissements verts. Dès lors, les États qui ont envie de s'aligner fortement sur les questions climatiques le feront à travers l'argent européen, et ceux qui n'en ont pas envie ne le feront pas. Le risque est une augmentation des inégalités au sein du marché unique sur ce sujet. Il ne faudrait pas qu'au lieu d'assurer de la solidarité climatique, le plan de relance aboutisse à creuser les inégalités entre États membres. Cette problématique est face à nous. Nous devrons la régler dans le respect de la souveraineté nationale et de la cohérence européenne. Nous n'y sommes pas encore complètement, mais le point de départ est assez bon.
On ne peut pas être une grande puissance si on n'est pas une puissance agricole. Toutefois, de quelle agriculture parlons-nous ? À quelles conditions peut-on rester une puissance agricole ? Le segment de l'agriculture française est de plus en plus concurrencé par le blé ukrainien, par les fruits turcs ou par le porc allemand. Ce segment ne va pas bien parce que l'élément de valeur ajoutée disparaît progressivement au profit du prix. À ce jeu, nous perdrons, notamment parce que l'agriculture française est parmi celles qui ont le plus de règles ou de contraintes environnementales. Sur un marché concurrentiel où le prix est l'étalon, toute règle environnementale nationale est considérée comme une contrainte supplémentaire qui vient diminuer la compétitivité. C'est exactement de cela dont il faut sortir, surtout lorsqu'arrivent sur le marché européen des produits qui ne respectent pas les mêmes règles.
Pour sortir de cette situation, il vaut mieux se protéger contre les importations qui ne respectent pas les règles du jeu. Il ne faut donc pas faire le Mercosur. Il faut également « européaniser » un certain nombre de règles environnementales. C'est précisément pour cela qu'il faut des éco-régimes et un objectif européen de réduction des pesticides, avec des plans obligatoires par pays. Aujourd'hui, certains pays se sont dotés d'un plan, et d'autres n'en ont pas. Par exemple, il est intéressant de noter que le contrat de gouvernement espagnol ne dit rien sur la réduction des pesticides dans le modèle agricole espagnol, dont on sait qu'il est très gourmand en pesticides. Sans action européenne, la concurrence sera faussée.
C'est exactement pour cela que je pense qu'il n'existe aucune contradiction entre la poursuite d'une réforme verte de la PAC et le soutien de notre propre modèle agricole. Au contraire, c'est exactement la même philosophie, avec plus de revenus pour les agriculteurs, plus de protection et plus de transition agro-écologique. C'est la base du contrat social qu'il faut repasser avec les agriculteurs. Je pense que l'on peut trouver un consensus politique assez large pour aller dans cette direction.
C'est précisément parce que l'épargne et l'investissement ne sont pas équilibrés que nous avons besoin d'un plan de relance. Nous avons une sur-épargne et un sous-investissement. Soit nous attendons que le libre marché fasse office, et je pense que nous aurons à attendre longtemps avant que les mécanismes de marché ne repartent, soit nous ajoutons un plan de relance à cette mécanique afin de réinjecter de l'argent public. C'est assez basiquement keynésien. Pour que ce ne soit pas une sorte de keynésianisme mécanique qui fonctionne sans regarder ce qu'il finance, il faut mettre de la qualité et de la vision stratégique. Avec tout cela, nous arriverons à aligner le plan de relance sur l'Accord de Paris. Je précise que c'est aussi l'ambition allemande : le plan de relance annoncé la semaine dernière par la chancelière est explicitement aligné avec l'Accord de Paris. Si l'Allemagne le fait, il n'y a aucune raison que nous ne le fassions pas.
Il ne faut surtout pas opposer les technologies et les comportements. La transition écologique, c'est d'abord une dose de technologies différentes. N'ayons pas peur de cela. Ne laissons pas la technologie aux Chinois, aux Indiens, aux Japonais, aux Coréens ou aux Américains. Nous devons avoir un agenda technologique. Nous devons également avoir un agenda comportemental. Nous ne sauverons pas la planète en remplaçant tous les véhicules diesel par des véhicules électriques. C'est là où nous avons besoin de messages clairs et de politiques publiques qui permettent ces changements de comportements. Il faut également tenir compte des libertés individuelles. Par exemple, je mange peu de viande, mais il ne me viendrait jamais à l'idée d'imposer par la loi aux Français de manger moins de 100 grammes de viande par semaine. Les technologies sont une chose, les comportements en sont une autre : ils doivent évoluer progressivement. Pour cela, il est possible de diffuser des messages. D'ailleurs, ce serait l'intérêt de l'agriculture française. Nous avons un élevage, notamment bovin, de bien meilleure qualité que ce que nous importons.
Aujourd'hui, mon engagement est européen. De ce point de vue, nous pouvons vraiment être fiers de ce que nous avons fait depuis un an. La BEI transformée en banque du climat ? C'était une proposition française ; c'est fait. Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières ? Ce sera fait en juin 2021. Les accords commerciaux qui ne sont plus signés avec des pays qui refusent l'Accord de Paris ? C'est devenu la doctrine de la Commission. La neutralité climat ? Au départ, seuls trois pays européens, dont la France, y étaient favorables. Aujourd'hui, c'est un objectif européen. Je pourrais vous donner beaucoup d'autres exemples. La France est l'un des acteurs clés de cette transition écologique au niveau européen. J'en fais partie. Je m'y retrouve tout à fait. Je ne suis donc absolument pas dans la logique de Nicolas Hulot il y a deux ans.
Merci beaucoup pour vos réponses. Il est important que nous puissions échanger régulièrement entre Parlement européen et assemblées françaises.
Merci à vous. N'hésitez surtout pas à nous faire remonter les propositions et les remontées des collectivités locales et des territoires, sur lesquels vous êtes très actifs. Si nous sommes capables de relier le plan de relance européen et les besoins des territoires, nous aurons fait une oeuvre collectivement très utile. C'est maintenant que ça se passe. Additionnons nos énergies.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 h 40.