Intervention de Pascal Canfin

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 24 juin 2020 à 16h20
Audition de M. Pascal Canfin président de la commission de l'environnement de la santé publique et de la sécurité alimentaire du parlement européen

Pascal Canfin, président de la commission de l'environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire du Parlement européen :

Tout le monde a conscience que nous sommes potentiellement face à un choc de désinvestissement majeur dans le secteur des transports, notamment collectifs et urbains. Les collectivités locales pourraient ne plus être en mesure de faire face aux engagements déjà pris ou aux plans d'investissements envisagés en raison de leurs difficultés financières. C'est bien pour cela qu'il faudrait qu'une partie à définir du plan de relance européen aille directement vers le financement de l'investissement public local, mais cela ne signifie pas qu'il ne faut pas passer par l'État membre, bien au contraire.

Si un accord politique est trouvé au Conseil en juillet sur les 750 milliards d'euros, les règlements d'application seront votés au plus tard en octobre et l'argent commencera à être décaissé au 1er janvier 2021. Cela peut paraître lointain, mais au regard des montants en jeu, il me semble difficile d'aller plus vite. Chaque État membre présentera ensuite à Bruxelles son plan de relance.

Pour la France, la somme en jeu est d'environ 40 milliards d'euros. Il faudra que les collectivités locales fassent remonter les secteurs d'investissement public sur lesquels elles sont le plus en tension afin que nous puissions aller chercher directement de l'argent européen, soit en dons, soit en prêts. Les prêts auront une maturité très longue et les remboursements ne débuteront qu'en 2028. Cela apportera de l'oxygène aux collectivités locales, et la machine pourra repartir. Les outils financiers seront soit ceux-ci, soit les outils de la Banque européenne d'investissement. N'hésitez pas à remonter des points précis, si vous en avez, sur les outils financiers. Nous sommes en pleine discussion avec la Commission européenne.

Un autre outil est l'engagement des acheteurs à acheter, par exemple, des bus à hydrogène ou des bus électriques, offrant aux fabricants un carnet de commandes qui leur permettra de lancer des investissements et de créer des emplois. Nous pourrions tout à fait imaginer que la Commission s'engage, dans les trois prochaines années, à décaisser de l'argent pour aider les collectivités à acheter ces véhicules. Ce serait un appel d'air pour les fabricants européens, et ce serait assez simple à gérer pour la Commission car il appartiendrait aux États membres de remonter les commandes potentielles des trois prochaines années. N'hésitez surtout pas à faire remonter des propositions. Il est très important, dans le contexte, que nous ayons une bonne articulation entre l'échelon local, l'échelon national et l'échelon européen.

Le développement massif de l'électrique est digérable par le système électrique tel qu'il existe aujourd'hui. De nombreuses études le démontrent. Il n'est donc pas nécessaire de construire de manière massive des productions électriques supplémentaires.

En soi, l'hydrogène n'est pas spécialement une énergie de transition écologique, surtout s'il est fait à base de gaz. En revanche, dès lors que l'on pourra faire de l'hydrogène à partir de ressources renouvelables ou de gaz décarboné, et où il sera possible de le stocker pour certaines utilisations, il pourra devenir tout à fait intéressant. La France doit se doter d'une telle stratégie. Nous serons plus efficaces si nous agissons au niveau européen, et ce sera moins coûteux. L'Allemagne a beaucoup de champions potentiels. Nous en avons également. Joignons nos forces. C'est un élément de la stratégie hydrogène sur laquelle la Commission travaille.

Concernant les relations avec la Chine, même les Allemands sont passés d'une logique consistant à ne surtout pas se fâcher avec les Chinois au nom de leurs intérêts commerciaux à une logique beaucoup plus géopolitique et stratégique, donc beaucoup plus concurrentielle. Lorsque Thierry Breton dit que le temps de la naïveté est derrière nous, je pense qu'il a raison. Nous avons un vrai changement de paradigme, et cela concerne aussi les pays comme l'Allemagne et les Pays-Bas, qui sont très avenants avec la Chine. Le curseur a changé. Il faut maintenant le matérialiser. Cela concerne notamment le changement des règles du jeu sur le rachat des entreprises européennes par des entreprises chinoises. Il faut être capable de dire non dès lors qu'il est question d'une entreprise stratégique. La Commission y a travaille. Il doit être possible de bloquer le rachat d'une entreprise européenne par une entreprise qui est largement subventionnée. Cela devrait nous permettre d'arrêter le rachat par la Chine d'entreprises européennes stratégiques.

Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières est sur la table. La France défend cette idée depuis au moins Jacques Chirac. Pendant des années, personne n'y prêtait vraiment attention, mais la situation a totalement changé : cette idée est devenue la doctrine officielle de la Commission européenne. Il s'agit d'une vraie victoire pour la France. L'objectif est maintenant que la Commission européenne formule une proposition de mécanisme d'ajustement carbone aux frontières à l'été 2021 dans le cadre d'un grand paquet de textes qui suivront la loi climat. N'hésitez pas à travailler sur le sujet, car ça va venir. Le consensus européen est que ce mécanisme doit être compatible avec les règles de l'OMC. Ce sujet de la compatibilité avec l'OMC est fondamental, sinon il n'y aura pas de majorité en Europe. Le principe est acquis. La discussion porte vraiment sur les modalités.

Concernant le monde agricole, une évolution assez significative s'est produite. Il y a quelques semaines, la Commission a présenté sa stratégie « de la fourche à la fourchette ». Elle se dote d'objectifs et de moyens nouveaux. Je pense notamment à la réduction des pesticides. La France a déjà un objectif de réduction des pesticides. L'Europe n'en avait pas.

Par ailleurs, la réforme de la PAC se structurera de plus en plus autour des éco-régimes, que j'aurai tendance à appeler « contrats de transition agricole ». Il ne s'agit pas seulement de se fixer des objectifs ; il s'agit également de se donner les moyens d'y arriver en les connectant à la PAC. Aujourd'hui, il y a la PAC d'un côté et les objectifs d'un autre. Ça n'a pas fonctionné. Il faut changer les règles du jeu, non pas pour faire n'importe quoi vis-à-vis des agriculteurs, mais pour encourager financièrement ceux qui jouent le jeu des bonnes pratiques agricoles, notamment de la réduction des pesticides. Il n'y a pas le premier pilier d'un côté et le deuxième pilier de l'autre. Il faut intégrer les éco-régimes dans le premier pilier. Certes, la commission Agriculture a le leadership, mais la commission Environnement du Parlement européen est très largement associée aux négociations de la PAC.

Les mesures de la Convention citoyenne pour le climat vont bien au-delà du Green Deal, y compris lorsqu'elles se réfèrent à des compétences européennes. Ces propositions sont considérées par beaucoup comme étant assez radicales. Néanmoins, il existe des choses qui se mettent ensemble de manière assez naturelle. Prenons l'exemple des accords commerciaux. Là aussi, il y a eu un changement de paradigme. Je suis persuadé qu'il n'y a pas de majorité au Parlement européen aujourd'hui pour voter le Mercosur. L'idée selon laquelle les enjeux climatiques et environnementaux doivent être déconnectés du commerce est devenue minoritaire. C'est en partie le résultat de l'action de la France et de la société civile. La France est le seul pays qui s'est opposé à l'ouverture de négociations avec les États-Unis. Nous étions seuls et isolés. À présent, ne pas ouvrir de négociations commerciales avec un pays qui ne respecte pas l'accord de Paris est devenu la position officielle de la Commission européenne. Il s'agit d'un changement de paradigme significatif dont il faut prendre toute la dimension.

Enfin, je suis entièrement d'accord avec ce qui a été dit au sujet des ODD. D'ailleurs, le changement est en cours dans le cadre du « semestre européen ». Les critères suivis seront élargis aux ODD afin que la gouvernance économique et sociale de l'Union européenne s'aligne progressivement sur ces objectifs, qui sont plus pertinents que des indicateurs financiers purs.

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