Intervention de Pascal Canfin

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 24 juin 2020 à 16h20
Audition de M. Pascal Canfin président de la commission de l'environnement de la santé publique et de la sécurité alimentaire du parlement européen

Pascal Canfin, président de la commission de l'environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire du Parlement européen :

La façon dont les règles du jeu européennes vont lire les plans de relance pour, ensuite, décaisser l'argent, et donc la manière dont les plans de relance doivent être construits pour que l'argent soit décaissé, met au coeur de la sélection des investissements le plan national énergie-climat. Ce plan décrit les besoins d'investissement de la France et les projets qui doivent être financés pour nous permettre d'atteindre nos objectifs climatiques. Il est explicitement écrit dans le texte européen que c'est ça qui doit être la colonne vertébrale du plan de relance. C'est l'un des outils qui assurent la cohérence avec le Green Deal. Les États feront très probablement refinancer par le plan européen des dépenses d'investissement public ou de soutien aux entreprises. Ainsi, on peut tout à fait imaginer que le super bonus pour les voitures électriques, qui figure dans le plan français de soutien au secteur automobile, soit refinancé par le plan européen, ce qui libèrera des capacités budgétaires françaises pour faire autre chose.

Il n'existe pas d'incompatibilité à dire cela et à dire que ça se fera en lien avec les priorités économiques. En revanche, il ne pourra pas s'agir de priorités économiques incompatibles avec le Green Deal. Nous travaillons avec la Commission pour continuer à préciser tout cela. De mon point de vue, deux éléments sont insuffisants.

Ainsi, il n'existe pas de part minimum obligatoire d'investissements verts. Dès lors, les États qui ont envie de s'aligner fortement sur les questions climatiques le feront à travers l'argent européen, et ceux qui n'en ont pas envie ne le feront pas. Le risque est une augmentation des inégalités au sein du marché unique sur ce sujet. Il ne faudrait pas qu'au lieu d'assurer de la solidarité climatique, le plan de relance aboutisse à creuser les inégalités entre États membres. Cette problématique est face à nous. Nous devrons la régler dans le respect de la souveraineté nationale et de la cohérence européenne. Nous n'y sommes pas encore complètement, mais le point de départ est assez bon.

On ne peut pas être une grande puissance si on n'est pas une puissance agricole. Toutefois, de quelle agriculture parlons-nous ? À quelles conditions peut-on rester une puissance agricole ? Le segment de l'agriculture française est de plus en plus concurrencé par le blé ukrainien, par les fruits turcs ou par le porc allemand. Ce segment ne va pas bien parce que l'élément de valeur ajoutée disparaît progressivement au profit du prix. À ce jeu, nous perdrons, notamment parce que l'agriculture française est parmi celles qui ont le plus de règles ou de contraintes environnementales. Sur un marché concurrentiel où le prix est l'étalon, toute règle environnementale nationale est considérée comme une contrainte supplémentaire qui vient diminuer la compétitivité. C'est exactement de cela dont il faut sortir, surtout lorsqu'arrivent sur le marché européen des produits qui ne respectent pas les mêmes règles.

Pour sortir de cette situation, il vaut mieux se protéger contre les importations qui ne respectent pas les règles du jeu. Il ne faut donc pas faire le Mercosur. Il faut également « européaniser » un certain nombre de règles environnementales. C'est précisément pour cela qu'il faut des éco-régimes et un objectif européen de réduction des pesticides, avec des plans obligatoires par pays. Aujourd'hui, certains pays se sont dotés d'un plan, et d'autres n'en ont pas. Par exemple, il est intéressant de noter que le contrat de gouvernement espagnol ne dit rien sur la réduction des pesticides dans le modèle agricole espagnol, dont on sait qu'il est très gourmand en pesticides. Sans action européenne, la concurrence sera faussée.

C'est exactement pour cela que je pense qu'il n'existe aucune contradiction entre la poursuite d'une réforme verte de la PAC et le soutien de notre propre modèle agricole. Au contraire, c'est exactement la même philosophie, avec plus de revenus pour les agriculteurs, plus de protection et plus de transition agro-écologique. C'est la base du contrat social qu'il faut repasser avec les agriculteurs. Je pense que l'on peut trouver un consensus politique assez large pour aller dans cette direction.

C'est précisément parce que l'épargne et l'investissement ne sont pas équilibrés que nous avons besoin d'un plan de relance. Nous avons une sur-épargne et un sous-investissement. Soit nous attendons que le libre marché fasse office, et je pense que nous aurons à attendre longtemps avant que les mécanismes de marché ne repartent, soit nous ajoutons un plan de relance à cette mécanique afin de réinjecter de l'argent public. C'est assez basiquement keynésien. Pour que ce ne soit pas une sorte de keynésianisme mécanique qui fonctionne sans regarder ce qu'il finance, il faut mettre de la qualité et de la vision stratégique. Avec tout cela, nous arriverons à aligner le plan de relance sur l'Accord de Paris. Je précise que c'est aussi l'ambition allemande : le plan de relance annoncé la semaine dernière par la chancelière est explicitement aligné avec l'Accord de Paris. Si l'Allemagne le fait, il n'y a aucune raison que nous ne le fassions pas.

Il ne faut surtout pas opposer les technologies et les comportements. La transition écologique, c'est d'abord une dose de technologies différentes. N'ayons pas peur de cela. Ne laissons pas la technologie aux Chinois, aux Indiens, aux Japonais, aux Coréens ou aux Américains. Nous devons avoir un agenda technologique. Nous devons également avoir un agenda comportemental. Nous ne sauverons pas la planète en remplaçant tous les véhicules diesel par des véhicules électriques. C'est là où nous avons besoin de messages clairs et de politiques publiques qui permettent ces changements de comportements. Il faut également tenir compte des libertés individuelles. Par exemple, je mange peu de viande, mais il ne me viendrait jamais à l'idée d'imposer par la loi aux Français de manger moins de 100 grammes de viande par semaine. Les technologies sont une chose, les comportements en sont une autre : ils doivent évoluer progressivement. Pour cela, il est possible de diffuser des messages. D'ailleurs, ce serait l'intérêt de l'agriculture française. Nous avons un élevage, notamment bovin, de bien meilleure qualité que ce que nous importons.

Aujourd'hui, mon engagement est européen. De ce point de vue, nous pouvons vraiment être fiers de ce que nous avons fait depuis un an. La BEI transformée en banque du climat ? C'était une proposition française ; c'est fait. Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières ? Ce sera fait en juin 2021. Les accords commerciaux qui ne sont plus signés avec des pays qui refusent l'Accord de Paris ? C'est devenu la doctrine de la Commission. La neutralité climat ? Au départ, seuls trois pays européens, dont la France, y étaient favorables. Aujourd'hui, c'est un objectif européen. Je pourrais vous donner beaucoup d'autres exemples. La France est l'un des acteurs clés de cette transition écologique au niveau européen. J'en fais partie. Je m'y retrouve tout à fait. Je ne suis donc absolument pas dans la logique de Nicolas Hulot il y a deux ans.

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