Intervention de Jacky Deromedi

Réunion du 2 juillet 2020 à 10h30
Sortie de l'état d'urgence sanitaire — Rejet en nouvelle lecture d'un projet de loi

Photo de Jacky DeromediJacky Deromedi :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous nous retrouvons pour la nouvelle lecture du projet de loi organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire, sur lequel il n’a pas été possible de trouver un accord avec nos collègues députés en commission mixte paritaire jeudi dernier. Cela est malheureux. L’entrée dans l’état d’exception représente un moment délicat de la vie institutionnelle et parlementaire, dans lequel l’unité la plus large est souhaitable ; la sortie de cet état aurait dû se faire dans des circonstances comparables.

Il est vrai qu’une réelle recherche de compromis a pu avoir lieu avant et pendant la commission mixte paritaire, grâce aux efforts de notre président-rapporteur, Philippe Bas, qui, depuis le début de la crise sanitaire, incarne la démarche sénatoriale de pragmatisme sur les moyens et de fermeté sur les principes. Après ces discussions, il aurait même été possible d’atteindre un accord sur certains points.

Cependant, des désaccords de fond demeuraient. Ils étaient liés à la question centrale des pouvoirs qu’il sera nécessaire de maintenir entre les mains du Gouvernement, aussi bien durant qu’après la période qui s’annonce de sortie de l’état d’urgence sanitaire.

La position de notre assemblée était qu’un retour à la normale, pour être plus qu’un slogan, devait s’accompagner d’une diminution des pouvoirs spéciaux de nature coercitive accordés à l’exécutif. Cela ne nous désarme pas face au virus : nous avons toujours souligné qu’il demeurait possible de déclarer de nouveau l’état d’urgence sanitaire sur tout ou partie du territoire, si nécessaire.

Rétablir l’état d’urgence sanitaire n’est pas une perspective réjouissante, évidemment, mais nous pensons que, comme les Allemands ou les Portugais, les Français sont suffisamment responsables pour accepter que soient prises les mesures qui s’imposent, et ce sans qu’il soit nécessaire de se livrer à des contorsions sémantiques et juridiques.

Il faut appeler les choses par leur nom, car ne pas le faire ne contribuerait qu’à semer le doute dans l’esprit de nos concitoyens, ce qui n’est certainement pas un gage d’adhésion aux mesures sanitaires.

Telle était notre position lundi dernier, indépendamment des ajustements et adaptations qui demeuraient comme toujours envisageables en vue de la commission mixte paritaire. Cette position n’a pas changé après l’échec de cette dernière.

Or le texte qui nous revient aujourd’hui de l’Assemblée nationale porte la marque d’une certaine divergence dans la compréhension de la fin de l’état d’urgence sanitaire, même s’il est vrai que quelques apports sénatoriaux y subsistent. C’est un pas dans la bonne direction, mais ce n’est pas suffisant.

D’abord, l’article 1er du texte voté par les députés comprend un certain nombre de retours en arrière que nous ne pouvons accepter, en particulier le rétablissement de la possibilité d’interdire la circulation dans certaines parties du territoire. Il me semble difficile d’approuver des restrictions générales et absolues qui limiteraient la liberté d’aller et de venir, tout en proclamant le retour à la normale. Recommencer à interdire des déplacements, ce n’est pas sortir de l’état d’urgence sanitaire.

Le rétablissement de l’extension à l’outre-mer des dispositifs de quarantaine, à ce même article 1er, pose également question. Ils semblent superfétatoires au regard du maintien jusqu’au 30 octobre prochain de l’état d’urgence sanitaire à Mayotte et en Guyane, prévu à l’article 1er bis, qui n’a, quant à lui, plus été modifié. Une telle différence de traitement entre Français métropolitains et Français ultramarins me paraît difficilement justifiable, eu égard aux autres outils dont disposent les pouvoirs publics. Telle était déjà, par le passé, la position de notre assemblée.

Enfin, les députés ont supprimé l’article 1er bis A, qui contenait les mesures proposées par le Sénat pour rénover l’article L. 3131-1 du code de la santé publique. Les faiblesses de la rédaction actuelle de cet article ont déjà été amplement soulignées et sont par ailleurs reconnues par le rapporteur de l’Assemblée nationale. Malgré tout, il a fait supprimer cet ajout du Sénat, en renvoyant à une date ultérieure la modernisation du régime de droit commun de gestion des crises sanitaires, alors même que nous discutons d’un texte dont l’objet est de préparer le retour au droit commun.

Je suis pourtant certaine qu’un accord aurait été possible, ne serait-ce que sur un commencement d’amélioration de cet article juridiquement trop flou. Quelqu’un de plus facétieux que moi pourrait aller jusqu’à soupçonner la majorité gouvernementale de vouloir faire sien ce mot du cardinal de Retz : « On ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens. »

Dès lors, j’estime que c’est à raison que notre commission des lois a choisi de nous proposer de rejeter le texte via l’adoption d’une motion tendant à opposer la question préalable. Les positions respectives du Sénat et de l’Assemblée nationale sont claires ; la conciliation ayant échoué, il me paraît difficilement possible de transiger et de revenir ainsi sur notre vote initial. Le président de notre groupe, Bruno Retailleau, l’a bien exprimé la semaine dernière : « Nous sommes parvenus à la limite de nos capacités de souplesse et nous ne pourrons accepter des dispositifs plus contraignants. »

Pour ces raisons, le groupe Les Républicains ne peut être favorable à l’adoption du texte des députés : la majorité de l’Assemblée nationale devra assumer de le voter seule. Nous soutiendrons la motion déposée par le rapporteur.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion