Intervention de Christine Lavarde

Réunion du 1er juillet 2020 à 15h00
Dette sociale et autonomie — Discussion générale commune

Photo de Christine LavardeChristine Lavarde :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avant tout, je rends à César ce qui lui appartient : les éléments que je vais présenter résultent du travail de notre collègue Alain Joyandet.

Les deux textes dont nous sommes appelés à débattre cet après-midi sont destinés à répondre à une urgence : la crise sanitaire, qui est venue grever les comptes des régimes sociaux. Finalement, les trois séries de remarques que je vais développer ci-après viennent illustrer l’adage : « Vite et bien ne s’accordent guère. »

Premièrement, comme l’a dit M. le rapporteur, la reprise d’une partie de la dette de l’Acoss par la Cades relève du mélange des genres. On constate une confusion entre les mesures devant être prises, d’une part, par l’État et, d’autre part, par la sécurité sociale. En effet, sur les 136 milliards d’euros de dette transférés, 50 milliards d’euros relèvent de la pandémie de covid, mais certains coûts inclus dans cette enveloppe ne sont pas des dépenses d’assurance maladie stricto sensu. Je citerai, par exemple, la fourniture de dispositifs médicaux pour le personnel soignant ou encore la revalorisation des traitements. Quant à la dette des hôpitaux, elle relève avant tout d’une logique d’investissement immobilier.

Nous sommes donc face à une conception très large de la dette sociale : la commission des finances avait déjà formulé cette critique lors de l’examen du dernier PLFSS, en dénonçant le transfert injustifié des crédits de Santé publique France et de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé vers la sécurité sociale.

Deuxièmement, ce transfert massif met en cause la durée d’amortissement. Depuis que la Cades a été créée, 260 milliards d’euros de dette ont été transférés vers elle. Il en restait 89, 1 milliards d’euros à amortir à la fin de l’année 2019. Avec le transfert opéré par ces textes, l’encours progresse de 65 milliards d’euros, ce qui représente une hausse de 90 % pour la seule année 2020. En découle une prorogation logique du mandat de la Cades au-delà de 2025.

Le Gouvernement table sur une extinction en 2033 ; toutefois, certaines hypothèses sous-tendant ce résultat nous semblent optimistes. En particulier, la dégradation du contexte économique est plus sévère qu’escompté dans l’étude d’impact : les ressources de la Cades s’en trouveront nécessairement réduites.

On peut aussi supposer une dégradation des conditions d’emprunt de la Cades sur les marchés financiers. Depuis 2016, on observe un renchérissement des taux consentis à cette institution, et les taux proposés à la Cades sont très loin de ceux accordés à l’État, alors même que leurs dettes sont toutes deux gérées par l’Agence France Trésor.

De surcroît, la durée de vie de la Cades serait prolongée de huit ans, voire plus : cette prolongation remet en cause l’engagement pris envers les générations futures – M. le rapporteur l’a également rappelé. On ne leur demanderait pas de rembourser des investissements dont ils profiteraient, mais bien des dépenses courantes bénéficiant à ceux qui les ont précédés.

L’allongement de la durée de vie met également en cause la diminution des prélèvements obligatoires, attendue à partir de 2024 avec la disparition de la CRDS.

Troisièmement, si la création de la cinquième branche, « autonomie », est une première pierre, il me semble que nous sommes encore assez loin du mur… En effet, les modalités de financement des prises en charge ne sont pas modifiées dans l’immédiat ; il n’y a pas non plus de création de prestations nouvelles, et le financement prévu à compter de 2024, via l’affectation d’une fraction de la CSG initialement dédiée à la Cades, paraît insuffisant face à la montée en charge du risque. Les recettes nouvelles seraient environ de 2, 3 milliards d’euros, alors même que le risque « dépendance » a été estimé entre 6 milliards et 9 milliards d’euros par an.

Enfin – je le dis pour l’information de tous –, la commission des finances ne pouvait manquer de souligner que l’affectation à une dépense nouvelle d’une ressource initialement dédiée à l’apurement d’une dette va dégrader, au sens de la comptabilité nationale et des critères de Maastricht, le solde public.

Sous toutes ces réserves, et dans l’attente de réponses de la part du Gouvernement au cours des débats, la commission des finances a émis un avis, certes favorable, mais que je qualifierai de timide sur les deux textes. Elle espère surtout que cette nouvelle reprise de dette sociale, entendue dans un sens très large, ne va pas conduire au gel de toute réforme quant au financement des régimes sociaux. En 2018, c’est uniquement un retournement de conjoncture qui a laissé entrevoir un rapide retour à l’équilibre.

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