Intervention de Yves Daudigny

Réunion du 1er juillet 2020 à 15h00
Dette sociale et autonomie — Discussion générale commune

Photo de Yves DaudignyYves Daudigny :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens d’abord à exprimer mon sentiment de perplexité devant une séquence législative qui, au hasard d’un amendement sur une proposition de remise d’un rapport et la mise en place en 2024 d’une dérivation de tuyauterie de CSG, nous conduira à approuver ou refuser en même temps la création d’une nouvelle branche de la sécurité sociale – rien que cela ! – et le traitement de 136 milliards d’euros de dette.

Ma collègue Michelle Meunier abordera le sujet de l’autonomie. « L’occasion fait le larron », nous a dit M. le ministre des solidarités et de la santé lors d’une audition, mais ce sont un financement pérenne, une gouvernance bien établie et la définition des prestations qui transformeront – peut-être – la secousse médiatique en événement historique dans l’histoire de la sécurité sociale.

J’affirmerai pour ma part notre opposition au transfert de 136 milliards d’euros à la Cades, correspondant à une reprise de dettes passées, de dettes en cours de constitution et même futures, auxquelles s’ajoutent, hors de tout lien avec les missions de la Cades, 13 milliards d’euros de dette hospitalière.

Je tiens également à exprimer mon désaccord avec des décisions financières qui relèvent de choix politiques fondamentaux quant à la philosophie de la sécurité sociale. L’autonomie est un pilier fondateur de celle-ci, conforté par la loi Veil de juillet 1994.

Certes, la création de la CSG et l’évolution vers le caractère universel ont bousculé les principes de 1945, mais, surtout, monsieur le secrétaire d’État, vous avez, ces dernières années, par la suppression de cotisations et par la non-compensation d’exonérations, accentué la confusion entre les périmètres de la protection sociale et du budget de l’État.

Au moment où un événement mondial sans précédent affecte la santé publique, multiplie situations précaires et pauvreté, augmente le chômage, met en danger des pans entiers de notre économie, vous réaffirmez la stricte autonomie de la dette sociale et vous portez à la charge des assurés sociaux des milliards de dettes non liées à leurs comportements ou à une mauvaise gestion des caisses – c’est un deuxième point d’incompréhension. La sécurité sociale ne peut pas être autonome quand elle est en déficit et ne plus l’être quand des excédents sont espérés.

Relativisons à ce stade l’argument du report de la dette sur nos enfants. De 1996 au 31 décembre 2019, la Cades a amorti 271 milliards d’euros. La dette de la France, elle, dépasse 2 400 milliards d’euros, plus de 120 % du PIB, alors qu’elle s’élevait à 700 milliards d’euros à la fin de 1996. C’est bien l’État, qui finance les charges courantes et rembourse le capital de ses emprunts en contractant de nouveaux emprunts, qui l’a majoritairement aggravée.

Comment donc ne pas voir dans votre choix la persistance d’une dramatisation des seules finances sociales, qui fait peser sur l’avenir la charge morale de chiffres vertigineux ? Vous allez me répondre que c’est faux, qu’il y a le Ségur et que vous créez une cinquième branche. Mais, justement, monsieur le secrétaire d’État, il y avait une autre solution : mutualiser la « dette covid » et la dette publique. Cette option est défendue par des économistes, des organisations syndicales, ainsi que par le Haut Conseil du financement de la protection sociale. Elle n’est pas magique – encore que… –, mais elle a le mérite de la cohérence, permet d’affirmer une forte solidarité nationale et, en même temps, de préparer l’avenir.

Dans une « crise comme aucune autre » – je cite le FMI –, l’État a toute légitimité pour jouer son rôle d’assureur de dernier recours. Comme certains l’ont déjà dit, il emprunte plutôt moins cher, car il peut le faire sur de longues durées. Les décisions de la BCE garantissent certainement des taux très bas pour les dix ans à venir.

Surtout, on libérerait ainsi, et sans conséquence pour le budget de l’État, une source de recettes de l’ordre d’une dizaine de milliards d’euros chaque année, qui permettrait de construire enfin un nouvel équilibre réel de la sécurité sociale, prenant en compte les besoins des hôpitaux, les nouvelles thérapies et la création tellement attendue d’une cinquième branche.

Au contraire, le dispositif que vous proposez recréera inévitablement, comme depuis trente ans, les conditions de nouveaux déficits et de nouveaux allongements de la durée de vie de la Cades, qui avait été fixée en 1996, rappelons-le, à treize ans.

En refusant toute nouvelle fiscalité spécifique à caractère progressif, en privilégiant l’impôt proportionnel, ce qui traduit une forme d’obsession conduisant à mettre à contribution les comptes sociaux, vous conjuguez moindre efficacité, inégalité et perte de chance pour l’avenir, alors que la crise a montré à quel point notre système de protection sociale était précieux.

Vous l’avez compris, le groupe socialiste et républicain ne vous suivra pas.

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