Intervention de Jean-Noël Cardoux

Réunion du 1er juillet 2020 à 15h00
Dette sociale et autonomie — Discussion générale commune

Photo de Jean-Noël CardouxJean-Noël Cardoux :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, si l’on fait un petit retour en arrière, on s’aperçoit que la commission des affaires sociales et la Mecss mettent en garde de manière récurrente depuis plusieurs années leurs interlocuteurs – sécurité sociale, Acoss, Cour des comptes, gouvernement… – sur le risque de maintenir un stock de dette à l’Acoss, eu égard au délai d’expiration de la Cades, et sur les transferts permanents d’exonérations de cotisations et de charges décidées unilatéralement par l’État en matière sociale qu’il fait supporter aux caisses de sécurité sociale. Nous l’avons dit des dizaines de fois.

Ainsi, le 26 juin 2019, lors de son audition, Gérald Darmanin nous annonçait qu’il n’était pas certain que l’État rembourse à la sécurité sociale les 2, 5 milliards d’euros de « cadeaux sociaux » consentis à l’occasion de la crise des « gilets jaunes ». L’usage a montré qu’ils n’ont pas été remboursés.

Le 15 octobre 2019, j’appelais de nouveau l’attention de Mme Buzyn et de M. Dussopt sur les risques que nous encourrions. S’ils ne m’opposèrent pas une fin de non-recevoir, ils m’objectèrent que la croissance des années à venir permettrait d’absorber les 40 milliards d’euros de stock de l’Acoss et qu’il serait même possible, comme l’avait dit M. Véran, alors rapporteur général du projet de loi de financement de la sécurité sociale, d’anticiper les choses et de financer l’autonomie avec la CRDS.

Des 136 milliards d’euros que l’État nous demande de transférer à la Cades, on évalue à 31 milliards d’euros, a minima – je pense que le chiffre est beaucoup plus important en réalité –, les « errements » antérieurs. Si l’on nous avait écoutés, on nous demanderait donc aujourd’hui de ne transférer « que » 100 milliards d’euros et non 136. C’est ma première remarque.

Bien évidemment, face à ce constat, il n’était pas question de faire autrement : il fallait accepter ce transfert et la prorogation de la Cades. Cependant, à l’avenir, il faudra faire en sorte d’éviter ce transfert aujourd’hui incontournable. C’est tout le sens de la règle d’or proposée par le rapporteur.

Tout cela aurait pu se résumer en une simple opération d’orthodoxie financière visant à remettre la Cades sur les rails après la crise du covid si le Gouvernement n’avait décidé de faire de la Cades une sorte d’auberge espagnole où l’on trouve tout et n’importe quoi.

Je ne reviendrai pas sur les 13 milliards d’euros de l’hôpital dont on a déjà beaucoup parlé. Peut-être contredirez-vous cette information, monsieur le secrétaire d’État, mais un journal économique national annonce que le Gouvernement envisagerait de transférer 150 milliards d’euros de la « dette covid » à la Cades en repoussant encore le délai – ce n’est plus une auberge espagnole, c’est une grande surface ! Cela paraît inconcevable.

Par ailleurs, on affiche à la sauvette, au détour d’un texte dont ce n’est pas l’objet, la création d’une cinquième branche, consacrée à l’autonomie, en accordant 0, 15 point de transfert de CSG en 2024 alors que les projections les plus optimistes flèchent un besoin annuel de financement de 10 milliards d’euros. Un peu de saupoudrage encore : le ministre des solidarités et de la santé nous annonce un petit milliard dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale – une aumône par rapport aux besoins réels.

Notre groupe considère qu’il y a urgence. Cela fait des années que nous parlons de ce cinquième risque – je ne l’appelle pas encore cinquième branche. Il faut y parvenir, mais pas de cette façon, pas au détour d’un texte dont l’objectif initial était l’articulation financière du remboursement de la dette sociale. On ne fait pas passer à la sauvette quelque chose que l’on attend depuis des années.

Quid du financement ? Malheureusement, l’amendement que j’avais proposé n’a pas été retenu au titre de l’article 40 de la Constitution – un amendement identique a pourtant été accepté à l’Assemblée nationale… Il s’agissait d’anticiper dès le 1er janvier 2021 le transfert de 0, 15 point de la CRDS : en supprimant 13 milliards de dette des hôpitaux, on reprenait 6 milliards sur trois ans à la Cades, ce qui lui permettait d’être encore « bénéficiaire ». Ce dispositif n’a pas été retenu. Il faut absolument que nous avancions sur cette question du financement. Le Sénat y travaille.

Dans le même temps, force est de constater que la création de cette cinquième branche de la sécurité sociale, de ce cinquième risque, est très compliquée. Un certain nombre d’entre nous pense qu’il est nécessaire d’aller au bout de la réflexion pour savoir si les autres branches de la sécurité sociale – maladie et vieillesse –, dont c’est la vocation première, ne peuvent tenir ce rôle. Je pense aussi à la branche famille, qui concerne certes la petite enfance, mais aussi les personnes hébergées en Ehpad.

Il s’agit d’un problème important. Loin de notre groupe l’idée de ne pas vouloir créer cette cinquième branche. Laissons-nous le temps de la réflexion. Nous savons qu’un rapport sera présenté dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Par ailleurs, au sein de notre commission, un duo composé de Bernard Bonne et de Michelle Meunier, qui fonctionne parfaitement, a déjà des propositions à formuler. Attendons un peu !

Nous devons aussi nous assurer que la CNSA soit le bon outil au service du financement de la perte d’autonomie. Elle a d’abord été créée pour le fameux lundi de Pentecôte, dont la suppression a rapporté, pendant des années, environ 2 milliards par an. Aujourd’hui, La CNSA participe à la distribution des fonds mis à disposition dans le cadre de l’Ondam. Elle a beaucoup évolué. Est-ce le bon outil pour financer la perte d’autonomie ? Peut-être – je n’en sais rien –, mais ce n’est pas aujourd’hui que l’on peut formellement décider de la création d’une cinquième branche de la sécurité sociale.

Nous proposons de prendre le temps nécessaire. Si mon amendement allant dans ce sens était adopté, cela prouvera que le Sénat n’est pas dans l’affichage, mais dans le travail et la proposition.

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