Intervention de Philippe Mouiller

Réunion du 1er juillet 2020 à 15h00
Dette sociale et autonomie — Discussion générale commune

Photo de Philippe MouillerPhilippe Mouiller :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ces textes nous arrivent de l’Assemblée nationale avec rien de moins qu’une nouvelle branche de sécurité sociale, consacrée à l’autonomie. Il faut saluer une telle ambition dans le domaine médico-social, si souvent affichée depuis quinze ans et si rarement concrétisée. Elle porte la promesse d’une couverture du risque de perte d’autonomie plus large, plus cohérente, plus juste, financée de manière plus pérenne.

Cette promesse peut-elle être tenue ? Il faut d’abord s’interroger sur la capacité à faire de ceux qui la portent. À cet égard, la méthode qui nous est proposée n’est pas rassurante.

Le texte initial contenait un ensemble de dispositions déjà peu faites pour conjurer le scepticisme : un rapport à la rentrée sur la faisabilité du chantier du cinquième risque, une nouvelle annexe aux lois de financement de la sécurité sociale et un financement devant être pris, dans quatre ans, dans les comptes déjà négatifs de la Cades. Tel était le projet du Gouvernement sur l’autonomie, dans un texte consacré d’abord au remboursement de la dette sociale…

La nouvelle annexe aux lois de financement de la sécurité sociale s’impose : nous ne votons pour l’heure en loi de financement de la sécurité sociale que sur une vingtaine de milliards d’euros de crédits, alors que la dispersion des financeurs porte le montant global des dispositifs existants à près de 66 milliards d’euros. Nous avons donc incontestablement besoin d’une vision des choses un peu plus large.

À l’Assemblée nationale, nos collègues députés ont créé, sans concertation préalable, un cinquième risque et une cinquième branche de la sécurité sociale, et ils ont confié immédiatement sa gestion à la CNSA. C’est à l’évidence prématuré, puisque le rapport censé éclairer la décision ne sera rendu qu’en septembre. Les députés ont d’ailleurs avancé sa date de publication. Comment rédiger un rapport complet sur ce sujet, en si peu de temps, durant l’été, sans oublier la concertation nécessaire avec tous les acteurs de ce secteur ? Je crains que le rapport ne soit incomplet, notamment sur la question des financements.

Mais admettons que l’on encadre le tableau avant de l’avoir peint. Admettons que l’on crée le cadre de gestion avant de savoir ce que l’on financera et comment on le financera. Le plus dur reste à faire : rendre plus efficace notre système d’intervention et lui donner les moyens de fonctionner. Il faudra pour cela répondre à un certain nombre d’interrogations.

La nouvelle branche, intitulée « autonomie », a donc vocation à regrouper les prestations et services destinés aux personnes âgées et aux personnes handicapées. D’après APF France handicap, 35 millions de personnes pourraient à terme être concernées : 12 millions de personnes en situation de handicap, 15 millions de personnes âgées et 8 millions de proches aidants. C’est un défi considérable qu’il nous faut collectivement relever.

Sur la prise en charge du grand âge, tout a été dit ces dernières années. Las, l’épidémie de covid-19 a donné un écho fantastique au silence avec lequel ont été accueillies – pour l’instant – les propositions des rapports Libault, El Khomri ou celles de nos collègues Bonne et Meunier au nom de notre commission des affaires sociales.

Les chantiers sont nombreux : il faudra augmenter le taux d’encadrement des personnes accueillies en établissement, hisser les professionnels du secteur au moins au niveau du SMIC, investir massivement, améliorer la coordination des acteurs, construire une politique de prévention plus efficace… J’en oublie probablement.

Le monde du handicap s’interroge également sur les opportunités qu’ouvrirait une telle innovation. Au premier abord, harmoniser les dispositifs d’aide à l’autonomie permettrait d’exaucer enfin le vœu émis par le législateur en 2005, qui prévoyait la suppression de toutes les barrières d’âge dans un délai de cinq ans. Plus de quinze années ont passé, et il est, par exemple, toujours impossible de faire une demande de PCH si le handicap est survenu après 60 ans, puisque l’on est alors réputé éligible aux prestations destinées aux personnes âgées.

L’extension annoncée de la prestation suscite par ailleurs de grands espoirs qu’il pourra être opportun de concrétiser dans ce nouveau domaine de la sécurité sociale.

Sur le périmètre et le calcul des prestations, mais aussi sur le reste à charge zéro, sur l’accès aux droits et aux aides techniques, sur la simplification des aides à l’aménagement du logement ou au transport, et pour ne rien dire de la gouvernance du secteur du handicap, les marges de progression sont encore nombreuses. Sur tous ces points, notre commission a fait des propositions.

L’inclusion de cette politique dans le périmètre de la sécurité sociale offre d’intéressantes perspectives. Reste à les concrétiser.

De plus, en décloisonnant les dispositifs destinés aux personnes âgées et handicapées, une politique unifiée de l’aide à l’autonomie permettrait d’améliorer la couverture des besoins, de compenser plus adéquatement les pertes d’autonomie, bref de rendre plus universel le soutien de la Nation aux plus vulnérables.

Toutefois, sur tout cela, il nous faudrait des garanties. D’abord, sur le partage des tâches : le rôle des départements dans la politique médico-sociale est quasiment séculaire et n’est contesté par personne. Le dialogue qu’ils entretiennent avec l’État, notamment les ARS, devra être clarifié.

Le rôle des aidants, qui accomplissent un travail informel d’une valeur presque égale aux crédits médico-sociaux votés en PLFSS, devra également être pris en compte. Notre commission a d’ailleurs précisé que le rapport attendu pour septembre devra être précédé d’une consultation de tous les acteurs du médico-social, dont les collectivités locales et les aidants.

Il faudra enfin des garanties sur le financement de cette nouvelle branche, qui nécessitera des ressources cinq fois plus importantes que celles prévues à l’article 2. Là encore, notre commission a fait des propositions qui méritent l’intérêt. Nous serons au rendez-vous des prochaines discussions budgétaires.

À défaut de telles clarifications, les frustrations seront immenses, et cette création apparaîtra pour ce qu’elle est : une promesse de plus. Nous serons vigilants sur l’issue de ces travaux. Le Sénat est prêt à être un acteur bienveillant de cette réforme, dès lors que nous aurons les garanties d’avoir les moyens pour la porter.

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