M. Canévet, sur les difficultés de recrutement, vous êtes revenu sur l'importance de mieux valoriser les compétences, je partage votre point de vue. Dans les études préparatoires au pacte productif, il est ressorti un « mismatch » de compétences entre les salariés et leurs postes. Cela concerne à peu près 60 % des salariés ce qui est considérable. Il y a donc un vrai besoin de montée en compétences des salariés et d'accompagnement pour continuer à progresser.
Cela a des conséquences sur le terrain pour les entreprises en difficulté. Il y a des opérateurs industriels qui ont des compétences extraordinairement spécifiques, fines. Dans le dossier Luxfer, qui a un peu défrayé la chronique, j'ai beaucoup échangé avec le responsable CGT de l'entreprise qui me disait : « Mes gars sont capables de faire des alliages avec une technologie unique au monde. » Il s'agit d'alliages qui permettent de comprimer encore plus le gaz que vous mettez dans les bouteilles, et donc d'avoir une efficacité décuplée et des propriétés industrielles très utiles. Mais certains d'entre eux, parce qu'ils n'ont pas de parcours académique, sont dans une grande difficulté pour se reconvertir dans des compétences qui correspondent à leur savoir-faire. Beaucoup sont partis dans le domaine du transport routier, mais cela ne correspond pas à leur savoir-faire ce qui est extrêmement dommage. C'est un vrai sujet que d'accompagner ces décalages. Il existe des questions de mobilité, mais également la question de comment faire venir les réimplantations industrielles vers les compétences. En effet, on ne peut faire de mobilité avec tout le monde. Si vous prenez le site de Bessé-sur-Braye, la fermeture concerne 500-600 salariés, et tout le monde ne peut pas partir, tout le monde ne peut pas vendre sa maison. Il n'y a pas 600 candidats pour racheter une maison à Bessé-sur-Braye ou dans ses environs. Nous avons donc mis spécifiquement en place une expérimentation avec Action logement pour permettre à la personne qui souhaite partir d'évacuer le problème de la vente de sa maison, et d'avoir une solution de portage.
Ensuite, la construction de solutions ne passe pas uniquement par la décentralisation car elle reste encore en hauteur par rapport aux territoires quand elle concerne la région. En revanche, les Territoires d'industries fonctionnent bien pour la plupart. Nous avons plus de 1 000 « fiches actions » qui sont remontées, dont une centaine concernant des projets très précis et spécifiques aux territoires et pouvant être délivrés à la fin de l'année. C'est pour moi une forme de décentralisation qui peut permettre d'asseoir tous les acteurs à une même table, c'est-à-dire les opérateurs de l'État, les collectivités locales dans leur vision stratégique d'attractivité, et les chefs d'entreprise. Cela permettrait d'avoir la construction d'une vision commune entre les entreprises, les élus locaux et l'État qui proposerait des solutions plutôt que de réguler ou de bloquer des projets. L'enjeu est d'accompagner ces projets en leur amenant de la souplesse dès lors qu'ils intègrent toutes les parties prenantes.
Concernant la simplification de la vie des entreprises, cette question est traitée à destination des PME dans le « Plan commerçants », notamment sur le point des OGA (organismes de gestion agréés) dont les demandes sont récurrentes. Les entreprises ne comprennent pas pourquoi elles font l'objet d'une taxation lorsqu'elles n'adhèrent pas à un OGA. C'est une des simplifications que nous portons, comme nous l'avons fait dans la loi ASAP qui en portait un certain nombre. Pour être tout à fait claire, nous sommes preneurs des éléments de simplification, sentez-vous libres de nous faire remonter des éléments.
Au sujet de la validation des accords d'intéressement par les DIRECCTE, je ne vais pas répondre à la place de ma collègue ministre du Travail, mais je peux affirmer que les DIRECCTE sont très réactives dans leur validation de ces accords. Cette validation est rarement le facteur bloquant de ces accords mais j'entends votre point qui pose la question du dilemme entre la décision ex-ante et le contrôle a posteriori. On pourrait éventuellement faire confiance aux acteurs du territoire et procéder à des vérifications ex-post, surtout lorsque l'application des accords ne se passe pas comme prévu, mais il existe toujours un risque juridique. D'ailleurs, nous avons un comité de pilotage qui simplifie les CERFA et qui réécrit les lettres d'avertissement aux entrepreneurs afin qu'elles soient plus compréhensibles et moins « juridiques », avec la présence d'un contact pouvant les accompagner dans la mise en conformité. Cela nous permet d'adopter une posture d'accompagnement plutôt qu'une posture de contrôle. Les entreprises ont besoin d'être accompagnées, on ne peut pas demander aux chefs d'entreprise de maitriser la complexité administrative qu'il faut reconnaître. C'était l'enjeu des lois ESSOC, du droit à l'erreur et du dispositif « dites-le nous une fois » sur lesquels nous continuons de travailler.
Concernant le site cybermalveillance.gouv, nous en faisons la publicité et je note ce point afin de voir si nous pouvons le faire de manière plus systématique. Les CCI, les CMA et les fédérations peuvent nous y aider. France Num et l'Autorité nationale en matière de sécurité et de défense des systèmes d'information (ANSSI) font un bon travail de conseil notamment sur les réseaux sociaux et avec des formats vidéo courts. Nous travaillons avec le Comité stratégique de filière « Industries de sécurité » sur ces questions-là, car il y a un tissu d'ETI, de PME et de start-ups particulièrement brillantes sur le sujet de la cybersécurité.
Au sujet du contrôle des investissements étrangers en France (IEF), nous avons plus de 100 dossiers qui passent chaque année à Bercy. Chacun des dossiers ne donne pas lieu à des décisions - auquel cas le projet est rejeté - mais c'est la discussion qui est importante.
Concernant le dossier industriel que vous évoquiez, nous avons fait passer un certain nombre de messages à l'actuel propriétaire afin que la transmission de cette entreprise se fasse dans des conditions qui nous conviennent, mais il n'y pas de décision imminente pour le moment.
Au sujet du commerce extérieur, je ferai le lien avec le financement des CCI et les mesures d'accompagnement. Je préciserai d'abord que nous avons bien travaillé avec les CCI et les CMA pendant le démarrage de la crise : les DIRECCTE ont d'abord pris la majorité des appels. J'en profite pour vous préciser que les DIRECCTE ont vu leurs effectifs divisés par trois et que vous ne verrez pas d'augmentation d'effectifs dans les prochains budgets. Les DIRECCTE se sont articulées avec les CCI afin de traiter des appels et des messages entrants : 800 000 pour les CCI et 1,5 million pour les CMA. Mais surtout, ils ont traités des appels sortants, notamment avec la mise en place d'un accompagnement psychologique des chefs d'entreprise par la redirection vers des professionnels, au vu des situations individuelles délicates dont les interlocuteurs ont pu être témoins. Cela a très bien fonctionné au prix d'une réallocation des missions, certaines n'ayant pas été effectuées, ce qui n'était pas illégitime.
À ce stade, nous restons sur la trajectoire financière que nous avons donnée aux CCI et sur laquelle elles ont travaillé. Le sujet, c'est la transformation : il est important que les CCI puissent fournir ce service aux entreprises de la manière la plus appropriée possible. Nous avons des remontées de satisfactions diverses à ce sujet. Nous sommes aux côtés de Pierre Goguet et du nouveau président de la CMA, mais nous opérerons cette transformation car nous pensons qu'elle sera bénéfique pour les entreprises. Le plan de soutien aux entreprises est une opportunité pour les CCI et les CMA. Il pourrait être accompagné de moyens supplémentaires mais avec l'idée qu'une augmentation du budget sera compensée par une diminution par ailleurs.
L'engagement sur le numérique est un véritable défi. Il est très difficile d'attraper toutes les TPE et PME pour les engager dans cette transformation. Cela suppose d'avoir une cartographie claire des acteurs pouvant les aider rapidement mais sans forcément les diriger vers des outils internationaux comme des plateformes, sur lesquels on peut avoir des réticences en matière de souveraineté. On peut alors aller vite avec certains acteurs ou plus lentement avec notre écosystème qui n'est pas encore structuré. Nous avons besoin de médiateurs qui accompagnent ces PME et TPE, malheureusement pas toujours disponibles. Nous essayons de travailler sur une approche par des tiers-lieux mais ils n'ont de sens que s'ils sont dirigés à la fois vers les particuliers et les professionnels. Il y a un vrai enjeu d'exécution qui doit être discuté avec BPI, CCI, CMA, les régions et les agences de développement sur les territoires : nous choisirons la solution la plus adéquate en fonction des territoires en nous appuyant sur France Num. Les prêts de ce dernier seront prêts début juillet. Les conditions seront moins attractives que les PGE, les banques ne réalisant pas de marge sur le PGE, mais ils seront disponibles avec une enveloppe de 750 millions d'euros, ce qui est plutôt conséquent.
Au sujet des règles d'affichage de la DGCCRF, tous les délais figurent sur leur site internet, je vous invite à le consulter.
Concernant les crédits interentreprises, nous avons eu des problèmes au démarrage mais le nombre de dossiers est en diminution, nous faisons donc l'hypothèse que les démarches ont été simplifiées. Je vous invite à nous faire remonter les situations de façon groupée afin de faciliter nos discussions avec les interlocuteurs.
Nous avons défini de façon très claire des priorités dans le plan de relance, telles que la rénovation thermique ou le fret ferroviaire. Nous continuons à travailler sur la mobilisation de l'épargne en tenant compte des effets d'aubaine, de l'efficacité et de l'appréhension des Français sur le déblocage ou l'accumulation de leur épargne. Vous avez pu voir que nous avons proposé dans le projet de loi de finances rectificative la possibilité de déblocage de sommes des contrats dits « Madelin ». Au sujet du fléchage de l'épargne vers les entreprises, je m'exprimerai à titre personnel : nous pourrions construire un instrument de solidarité entre tous les Français par le biais du livret A, en leur proposant d'investir sur des projets concrets comme la rénovation thermique, voire dans des entreprises. Nous avons également lancé une mission avec l'Inspection générale des finances sur la distribution de chèques à la consommation, système basé sur les titres restauration et qui stimulerait la consommation de proximité. Certaines municipalités travaillent sur ce système, fléchant la consommation sur des secteurs géographiques bien définis. La question serait de savoir quel traitement fiscal serait appliqué à ce dispositif, la mission devrait rendre ses conclusions en septembre.
La facturation électronique arrivera bien au 1er janvier 2023, nous sommes sur la bonne voie et travaillons avec les experts-comptables pour mettre en place les instruments nécessaires.
Je délie cette question de la 5G étant donné que l'usage de cette dernière est industriel, notamment dans des environnements d'objets connectés comme par exemple dans les ports. Il existe des usages pour les particuliers, en augmentant la bande passante dans des endroits déjà saturés, mais il n'y a pas d'intérêt à la déployer sur tout le territoire. Les usages sont industriels, ils peuvent être liés à la santé pour les CHU, ou les établissements médicaux en milieu rural, mais ils restent à inventer. Nous sommes le dernier pays à déployer la 5G parmi les grandes économies industrielles. Je fais confiance à ces pays qui déploient de façon réfléchie et responsable cette technologie. Les questions sont justes, nous avons une trajectoire sur les réseaux numériques pour limiter notre impact environnemental d'ici 2025. Cela passe en effet par l'utilisation de la 5G, moins énergivore que la 4G, la 3G ou le cuivre, il faut donc trouver un équilibre entre cette économie et l'augmentation de la masse de données traitées. Il faut néanmoins créer une économie d'usages responsables et permettant de rendre le consommateur actif et acteur de sa consommation. L'IGAS, l'IGF, le Conseil général de l'économie (CGE) et le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGED) lanceront une enquête sur les bonnes pratiques sanitaires en matière de fréquence, je veux également associer la représentation nationale à ce sujet important.
Nous avons travaillé sur l'amortissement de la formation, le problème est que la formation est une dépense d'exploitation directement déductible de l'impôt sur les sociétés. Il n'y a pas forcément d'utilité à le matérialiser, sauf s'il y a d'autres objectifs.
Concernant, le crédit d'impôt recherche (CIR) pour les PME, je suis d'accord, il faut simplifier le dispositif.
Pour l'ouverture des 40 millions d'euros de crédit pour la numérisation des PME et des TPE, c'est un début et je suis favorable à ce qu'on aille plus loin.
Les contrats de professionnalisation seront discutés avec les contrats d'apprentissage dans le projet de loi de finances rectificative.
Au sujet du dispositif de prêts garantis par l'État. On ne peut pas aller au-delà d'un an plus cinq ans sur le délai de remboursement, compte tenu des critères européens. Nous avons un droit des entreprises en difficulté de très grande qualité, en particulier avant le redressement judiciaire, et il faut utiliser toutes les procédures qui permettent d'accompagner les entreprises. Notre droit permet de rééchelonner les créances jusqu'à 10 ans ; les entreprises utilisent malheureusement ces dispositifs beaucoup trop tard et il faut les inciter à en faire usage.
Concernant les charges patronales, le Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants (CPSTI) a pris en charge jusqu'à 1 500 €, ce qui équivaut à un effort total d'un milliard d'euros à destination des indépendants.
Je partage l'avis de Joël Labbé sur la publicité. À l'instar des entreprises Veja, le Slip français et 1083, lors de la relocalisation, il faut repenser le modèle de distribution, de publicité et de promotion. Afin de proposer un prix correct pour le consommateur, il faut trouver une autre expression du partage de la valeur. Nous avons lancé une réflexion avec la mission sur la relocalisation de produits textiles en France.
Sur le marché pluriannuel et les stocks de masques, je me suis occupée de faire de l'appui sur les masques « grand public » et je vous renvoie donc à Santé Publique France pour les masques médicaux. L'objectif est effectivement d'avoir un stock stratégique et il sera bien constitué en septembre.
Au sujet des accords d'intéressement, je partage le souhait d'aller plus loin. Je rappelle qu'il est possible de procéder unilatéralement à la mise en place d'un contrat d'intéressement dans les entreprises de moins de 11 salariés, mais que la durée des contrats peut être d'un an renouvelable afin d'inviter les entreprises à se familiariser avec ce dispositif, dans le but qu'il devienne pérenne.
Le fret ferroviaire est un des sujets sur lesquels nous souhaitons travailler dans le plan de relance.
Sur la performance des ports français, la mission menée par Patrick Daher et Éric Hémar concluait qu'il y avait un écart de compétitivité de 15 % avec nos concurrents. Nous avons mis en place France Logistique. Il reste un grand travail à faire pour réaménager des routes résistantes et redonner de la compétitivité aux ports. Cela suppose qu'il y ait de l'inter-modalité et qu'on organise de plus grands centres logistiques regroupés, ce qui est plus écologique dès lors qu'ils sont efficaces et bien positionnés sur le territoire. Anne-Marie-Idrac, présidente de France Logistique, s'est saisie de ce sujet attendu par les industriels, je compte sur elle pour formuler des propositions.
Concernant la présence d'entreprises chinoises dans notre économie, je ne m'inquiète pas, notamment en ce qui concerne l'entreprise CMA CGM, qui a une très grande résilience.
Nous tiendrons notre engagement sur la 4G et sur le newdeal. Nous allons rattraper le retard pris pendant le confinement, Julien Denormandie a fait un point à ce sujet vendredi dernier. Sur le déploiement du très haut débit, nous devons regrouper tous les acteurs autour de la table, y compris les collectivités territoriales, afin de procéder à l'instruction des dossiers. Nous allons examiner les offres commerciales existantes qui parfois n'arrivent pas jusqu'aux entreprises. C'est une des priorités, peut-être plus que le sujet traité par la proposition de loi. Sébastien Soriano, président de l'ARCEP, y travaille, notamment avec Orange.
Sur la transition écologique et énergétique des PME, cela pourrait être un des objets du plan de relance et passer par la subvention d'une partie des investissements. Cela est aussi envisagé pour l'investissement vers le numérique, qui entraine un retour rapide sur investissement, contrairement aux investissements dans la transition écologique dont le retour est plus lent.
Je vous remercie.
La réunion est close à 18 heures.