Intervention de Philippe Wahl

Mission d'information Illectronisme et inclusion numérique — Réunion du 23 juin 2020 à 15h00
Audition de M. Philippe Wahl président-directeur général du groupe la poste en téléconférence

Philippe Wahl, président-directeur général du groupe La Poste :

Merci pour votre invitation. Je suis venu le 8 avril dernier devant les commissions des affaires économiques et de l'aménagement du territoire au Sénat, et cette fois encore, il me paraît essentiel d'échanger avec vous à ce sujet.

La crise a révélé deux enjeux majeurs :

- d'une part, nous avons constaté un recours massif à l'internet et au numérique, dans tous les secteurs,

- d'autre part, la crise a conforté l'importance de la proximité physique. Durant ces derniers mois, notre groupe a fait face à un plus fort absentéisme du personnel. La proximité que nous offrons d'habitude a été réduite et c'est pour cette raison que nous avons été critiqués.

La proximité humaine est indispensable, car la conversion numérique fait ressortir les sujets d'exclusion numérique. De ce point de vue, il nous a toujours paru essentiel d'importer le numérique dans nos usages. Nous avons d'ailleurs participé à l'élaboration de la stratégie nationale pour un numérique inclusif lancé par Cédric O, secrétaire d'État en charge du numérique.

Il nous paraît essentiel de numériser les procédures mais aussi de favoriser l'appropriation des usages numériques par le plus grand nombre. Il existe une vraie rupture numérique à laquelle nous devons répondre, car nous sommes une entreprise de proximité humaine.

Dans cette crise, nous avons utilisé en permanence l'outil numérique, notamment avec le dispositif « Devoirs à la maison ». Il s'agit d'un ensemble de services que nous avons bâti à la demande du ministère de l'éducation nationale, à partir du constat suivant : durant la crise, une partie des enfants n'avait aucun appareil numérique à domicile. Le lien avec les professeurs et l'enseignement était rompu. Nous avons alors créé dans un premier temps une plateforme d'échanges numériques. Nous avons ensuite rematérialisé les supports des devoirs et nous nous sommes servis des facteurs pour les distribuer et les reprendre. 25 000 jeunes ont eu recours à notre solution. Cette situation souligne donc l'exclusion numérique, y compris des plus jeunes, mais elle souligne également la possibilité pour La Poste d'apporter des solutions.

Par ailleurs, nous avons été alertés par les élus sur l'importance de l'activité numérique pour les territoires. Dans notre travail en 2019 pour préparer la signature de la convention triennale avec l'Association des maires de France et présidents d'intercommunalité (AMF) et l'État, le numérique est ressorti comme le premier point d'intérêt. Dès lors, comment aider l'ensemble des Français à se servir du numérique ? Le fait que la Caisse des dépôts et des consignations soit devenue notre premier actionnaire, alors même que sa finalité est de lutter contre les fractures sociales et territoriales, montre bien que nous avons construit des solutions pour lutter contre cette fracture numérique.

Lors de ce travail participatif pour une convention triennale, les élus ont identifié plusieurs priorités.

Premièrement, il s'agit de voir comment La Poste, par le biais de ses facteurs, peut aider à identifier les publics en difficulté. Il s'agit ensuite pour La Poste et ses partenaires d'engager une action d'inclusion numérique. Notre but est de construire des partenariats avec les opérateurs de service sur le territoire, le monde associatif, les collectivités locales et les entreprises.

La deuxième priorité porte sur l'accès aux outils : comment diffuser plus largement les usages numériques et l'appropriation de ces usages ? Prenons l'exemple de l'appel d'offres de la région Île-de-France pour les tablettes des lycées, que La Poste a gagné avec ses partenaires. Nous avons distribué 160 000 tablettes numériques dans l'ensemble des lycées d'Île-de-France, et nous avons organisé tout le flux logistique pour la maintenance. L'accès aux outils est donc un élément clé. C'est aussi le cas pour Ardoiz : l'outil peut être cher à l'achat, mais il est idéal pour une meilleure appropriation des usages numériques. Il est spécialement configuré pour les seniors. Il présente moins de fonctionnalités et de complexité, et le taux d'utilisation des fonctions est bien plus élevé que sur d'autres tablettes classiques. Nous avons déployé plus de 60 000 exemplaires d'Ardoiz. Le conseil départemental du Nord en a même commandé plusieurs centaines pour des EHPAD : cela conforte l'idée que la solution est particulièrement utile pour diffuser le numérique auprès du public senior.

Enfin, la dernière priorité porte sur l'accompagnement - en présentiel ou à distance - des personnes en situation d'exclusion numérique. La Poste a engagé depuis avril 2019 un programme d'inclusion numérique et sociale dans plus de 300 bureaux de poste. Nous avons doté ces bureaux de médiateurs avec des tablettes et nous avons fait des tests pour identifier qui avait ou n'avait pas la capacité de se servir de l'outil numérique. 42 000 clients ont accepté de faire le test, ce qui représenterait plusieurs centaines de milliers si nous étendions ce dispositif à la totalité des 4 500 bureaux de poste les plus importants. 20 % d'entre eux se sont révélés très éloignés du numérique. Dans la mesure où les personnes qui ont accepté cet acte de volontariat n'étaient certainement pas les plus éloignées du numérique, cela signifie que la proportion réelle de personnes éloignées du numérique est plutôt de 25 %. 37 % des volontaires identifiés comme éloignés du numérique nous ont dit être intéressés par une formation. Nous pouvons donc bâtir tout un écosystème qui pourrait trouver son plein exercice en apportant des solutions à ces constats.

La Poste a déjà mis en place beaucoup de solutions autour du numérique, et l'inclusion numérique est un sujet prioritaire dans nos missions à venir. Doit-elle prendre la forme d'une nouvelle mission de service public ? Des arguments existent dans les deux sens. Quelle que soit la qualification de cette action, nous devons aller plus loin. Repérage et identification des personnes éloignées du numérique ; solutions d'inclusion, par nous-mêmes ou par nos partenaires ; fourniture d'outils pour permettre de franchir l'étape supérieure : il s'agit selon nous de la stratégie à déployer. Notons que le fonds de péréquation a fourni plus de 9 millions d'euros pour financer l'ensemble de cette démarche coûteuse d'accompagnement des usages.

Nous sommes très fortement engagés dans ce dispositif et nous sommes convaincus que La Poste, grâce à son rayonnement, peut être au service de millions de personnes. Durant la crise, nous avons démontré à deux reprises - en avril et en mai - que nous étions capables d'accueillir plus d'un million et demi de personnes pour réussir la distribution des prestations sociales, même dans un contexte extrêmement délicat. L'inclusion numérique est donc clairement l'un des objectifs de notre plan La Poste 2030. Nous avons pris l'engagement d'associer à notre réflexion sur ce plan, l'Association des Maires de France mais aussi le Parlement, compte tenu de l'urgence et du degré de priorité que vous avez donné à ce travail sur l'inclusion. Nous sommes candidats à jouer ce rôle de partenaire essentiel pour cette mission partout sur le réseau. Ce test sur les savoir-faire numériques pourrait être généralisé en appui avec le monde associatif.

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