Nous accueillons aujourd'hui Monsieur Philippe Wahl, président-directeur général du groupe La Poste.
La Poste, service public de proximité par excellence, a lancé en mai 2019 un dispositif national en faveur de l'inclusion sociale numérique et bancaire de ses clients. Ce dispositif détecte les clients en précarité numérique puis les oriente vers des associations partenaires. Pour ce faire, 15 000 questionnaires ont été adressés ; mais combien de personnes en situation d'illectronisme ont-elles été détectées ? Vous nous direz, Monsieur Wahl, si La Poste a déployé des efforts particuliers durant le confinement pour renforcer l'inclusion numérique.
Lors de votre dernier entretien avec le journal Le Monde, le 29 mai dernier, vous n'avez pas évoqué ce sujet. Or n'est-il pas devenu prioritaire avec l'accélération de la numérisation ?
La Poste a signé un partenariat avec une association financée par le chèque #Aptic : un pass numérique qui donne droit à une somme de formation. Combien de formations effectives ont-elles été effectuées et de quelle durée par bénéficiaire ?
La Poste propose par ailleurs une tablette numérique simplifiée, « Ardoiz », dont le coût, avec l'offre promotionnelle pour la fête des pères, est 309 euros la première année. Ce coût inclut la tablette, la station d'accueil et le forfait de prise en main. Il faut ensuite ajouter 120 euros annuels pour accéder à la 4G avec un forfait de 4Go de données mobiles. Il s'agit donc d'un coût élevé pour des personnes aux retraites modestes.
Après votre intervention, notre collègue Raymond Vall, rapporteur de la mission d'information, reprendra certains points du questionnaire qui vous a été adressé et les sénateurs pourront vous poser des questions.
Merci pour votre invitation. Je suis venu le 8 avril dernier devant les commissions des affaires économiques et de l'aménagement du territoire au Sénat, et cette fois encore, il me paraît essentiel d'échanger avec vous à ce sujet.
La crise a révélé deux enjeux majeurs :
- d'une part, nous avons constaté un recours massif à l'internet et au numérique, dans tous les secteurs,
- d'autre part, la crise a conforté l'importance de la proximité physique. Durant ces derniers mois, notre groupe a fait face à un plus fort absentéisme du personnel. La proximité que nous offrons d'habitude a été réduite et c'est pour cette raison que nous avons été critiqués.
La proximité humaine est indispensable, car la conversion numérique fait ressortir les sujets d'exclusion numérique. De ce point de vue, il nous a toujours paru essentiel d'importer le numérique dans nos usages. Nous avons d'ailleurs participé à l'élaboration de la stratégie nationale pour un numérique inclusif lancé par Cédric O, secrétaire d'État en charge du numérique.
Il nous paraît essentiel de numériser les procédures mais aussi de favoriser l'appropriation des usages numériques par le plus grand nombre. Il existe une vraie rupture numérique à laquelle nous devons répondre, car nous sommes une entreprise de proximité humaine.
Dans cette crise, nous avons utilisé en permanence l'outil numérique, notamment avec le dispositif « Devoirs à la maison ». Il s'agit d'un ensemble de services que nous avons bâti à la demande du ministère de l'éducation nationale, à partir du constat suivant : durant la crise, une partie des enfants n'avait aucun appareil numérique à domicile. Le lien avec les professeurs et l'enseignement était rompu. Nous avons alors créé dans un premier temps une plateforme d'échanges numériques. Nous avons ensuite rematérialisé les supports des devoirs et nous nous sommes servis des facteurs pour les distribuer et les reprendre. 25 000 jeunes ont eu recours à notre solution. Cette situation souligne donc l'exclusion numérique, y compris des plus jeunes, mais elle souligne également la possibilité pour La Poste d'apporter des solutions.
Par ailleurs, nous avons été alertés par les élus sur l'importance de l'activité numérique pour les territoires. Dans notre travail en 2019 pour préparer la signature de la convention triennale avec l'Association des maires de France et présidents d'intercommunalité (AMF) et l'État, le numérique est ressorti comme le premier point d'intérêt. Dès lors, comment aider l'ensemble des Français à se servir du numérique ? Le fait que la Caisse des dépôts et des consignations soit devenue notre premier actionnaire, alors même que sa finalité est de lutter contre les fractures sociales et territoriales, montre bien que nous avons construit des solutions pour lutter contre cette fracture numérique.
Lors de ce travail participatif pour une convention triennale, les élus ont identifié plusieurs priorités.
Premièrement, il s'agit de voir comment La Poste, par le biais de ses facteurs, peut aider à identifier les publics en difficulté. Il s'agit ensuite pour La Poste et ses partenaires d'engager une action d'inclusion numérique. Notre but est de construire des partenariats avec les opérateurs de service sur le territoire, le monde associatif, les collectivités locales et les entreprises.
La deuxième priorité porte sur l'accès aux outils : comment diffuser plus largement les usages numériques et l'appropriation de ces usages ? Prenons l'exemple de l'appel d'offres de la région Île-de-France pour les tablettes des lycées, que La Poste a gagné avec ses partenaires. Nous avons distribué 160 000 tablettes numériques dans l'ensemble des lycées d'Île-de-France, et nous avons organisé tout le flux logistique pour la maintenance. L'accès aux outils est donc un élément clé. C'est aussi le cas pour Ardoiz : l'outil peut être cher à l'achat, mais il est idéal pour une meilleure appropriation des usages numériques. Il est spécialement configuré pour les seniors. Il présente moins de fonctionnalités et de complexité, et le taux d'utilisation des fonctions est bien plus élevé que sur d'autres tablettes classiques. Nous avons déployé plus de 60 000 exemplaires d'Ardoiz. Le conseil départemental du Nord en a même commandé plusieurs centaines pour des EHPAD : cela conforte l'idée que la solution est particulièrement utile pour diffuser le numérique auprès du public senior.
Enfin, la dernière priorité porte sur l'accompagnement - en présentiel ou à distance - des personnes en situation d'exclusion numérique. La Poste a engagé depuis avril 2019 un programme d'inclusion numérique et sociale dans plus de 300 bureaux de poste. Nous avons doté ces bureaux de médiateurs avec des tablettes et nous avons fait des tests pour identifier qui avait ou n'avait pas la capacité de se servir de l'outil numérique. 42 000 clients ont accepté de faire le test, ce qui représenterait plusieurs centaines de milliers si nous étendions ce dispositif à la totalité des 4 500 bureaux de poste les plus importants. 20 % d'entre eux se sont révélés très éloignés du numérique. Dans la mesure où les personnes qui ont accepté cet acte de volontariat n'étaient certainement pas les plus éloignées du numérique, cela signifie que la proportion réelle de personnes éloignées du numérique est plutôt de 25 %. 37 % des volontaires identifiés comme éloignés du numérique nous ont dit être intéressés par une formation. Nous pouvons donc bâtir tout un écosystème qui pourrait trouver son plein exercice en apportant des solutions à ces constats.
La Poste a déjà mis en place beaucoup de solutions autour du numérique, et l'inclusion numérique est un sujet prioritaire dans nos missions à venir. Doit-elle prendre la forme d'une nouvelle mission de service public ? Des arguments existent dans les deux sens. Quelle que soit la qualification de cette action, nous devons aller plus loin. Repérage et identification des personnes éloignées du numérique ; solutions d'inclusion, par nous-mêmes ou par nos partenaires ; fourniture d'outils pour permettre de franchir l'étape supérieure : il s'agit selon nous de la stratégie à déployer. Notons que le fonds de péréquation a fourni plus de 9 millions d'euros pour financer l'ensemble de cette démarche coûteuse d'accompagnement des usages.
Nous sommes très fortement engagés dans ce dispositif et nous sommes convaincus que La Poste, grâce à son rayonnement, peut être au service de millions de personnes. Durant la crise, nous avons démontré à deux reprises - en avril et en mai - que nous étions capables d'accueillir plus d'un million et demi de personnes pour réussir la distribution des prestations sociales, même dans un contexte extrêmement délicat. L'inclusion numérique est donc clairement l'un des objectifs de notre plan La Poste 2030. Nous avons pris l'engagement d'associer à notre réflexion sur ce plan, l'Association des Maires de France mais aussi le Parlement, compte tenu de l'urgence et du degré de priorité que vous avez donné à ce travail sur l'inclusion. Nous sommes candidats à jouer ce rôle de partenaire essentiel pour cette mission partout sur le réseau. Ce test sur les savoir-faire numériques pourrait être généralisé en appui avec le monde associatif.
Bonjour à tous. Nous sommes comme toujours sous le charme de Monsieur Wahl lorsqu'il parle de La Poste avec autant de passion. Je vous félicite pour avoir engagé La Poste dans de nombreuses actions et de nombreux services, particulièrement appréciés dans le monde rural dont je fais partie.
Dans le rapport que nous devrons remettre assez rapidement, comment pourrions-nous matérialiser ce que vous avez évoqué ? Comment La Poste pourrait-elle accompagner ces populations qui sont aujourd'hui dans l'impossibilité d'utiliser le numérique - entre 13 et 14 millions de Français - pour avoir accès aux services de l'État ? Monsieur Jacques Toubon, lors de son audition, a confirmé qu'il est indispensable de se préoccuper de l'accès au numérique pour ces populations qui n'ont, pour certaines, aucun autre accès physique aux différents services publics.
Par ailleurs, comment inclure les collectivités territoriales et les opérateurs dans un partenariat ? La Poste étant le premier partenaire des territoires, elle dispose d'une position privilégiée pour réfléchir à une convention permettant de créer cette accessibilité au numérique.
Nous pouvons envisager deux actions du groupe La Poste : l'identification des besoins et la création de solutions pour répondre à ces besoins. C'est ainsi que notre groupe peut agir ; dans un cadre fixé par l'autorité publique bien sûr, et dans un cadre partenarial. Nous sommes une grande maison, souvent le premier employeur dans les territoires. Certains pourraient penser que notre démarche n'est pas assez ouverte, mais au contraire, nous sommes entièrement dans une logique partenariale. Nous avons cette année signé un cinquième contrat tripartite de présence postale ; cette logique du contrat est au coeur de notre fonctionnement.
Pour l'étape de l'identification, la vigilance passe d'abord par la visite régulière du facteur. Nous pourrions en plus demander aux facteurs de diffuser un test d'aptitude numérique. Cette mission permettrait d'utiliser le savoir-faire essentiel pour mener ces actions dans une atmosphère de confiance : tout le monde a confiance en son facteur.
Cette même question de vigilance se pose aussi dans le cadre du Ségur de la santé. En Occitanie, nous avons lancé avec le Professeur Bruno Vellas, gérontologue à Toulouse, un système de visites auprès des personnes âgées afin de vérifier régulièrement leur situation et signaler les cas difficiles. Cela pourrait également s'appliquer dans le cadre de l'inclusion numérique, ou même à d'autres domaines tels que la rénovation thermique pour adapter les logements au grand âge. Si nous allons vers un « cinquième risque », le domicile jouera un rôle clé dans le déroulement des dernières étapes de la vie. Si nous choisissons de mettre en place une mission de vigilance, elle pourrait être généralisée et être ainsi moins coûteuse.
Une fois les besoins identifiés, nous pouvons ensuite apporter des solutions à cet illectronisme. Pour les personnes qui sont le moins loin, nous pourrions les doter d'un outil, comme nous l'avons fait avec le conseil départemental des Landes à travers le projet « XLandes et Village d'Alzheimer », qui dote les personnes âgées d'un outil numérique.
Nous pourrions dans un deuxième temps être un acteur de l'intermédiation entre ces personnes à domicile et les services de l'État. Considérons la situation des banques. La Banque Centrale Européenne et la Banque de France exigent une connaissance précise de leurs clients pour lutter contre le blanchiment d'argent et le terrorisme. Or les banques peinent à récupérer des informations sur leur client (pièces d'identité, certificats, etc.) sous forme numérique, soit parce que les gens ne savent pas transmettre ces documents sous forme numérique, soit parce qu'ils oublient. Les facteurs peuvent jouer le rôle d'intermédiaire en allant voir les gens, en leur indiquant les documents dont leur banque a besoin, et en proposant de récupérer ces documents lors de leur passage la semaine suivante. Avec une telle démarche, les taux de réponse sont considérables. Les facteurs peuvent vraiment aider les gens à domicile à accéder aux services publics de l'État. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle notre Président de la République a beaucoup plaidé la cause des « France Services mobiles ». Ces services supposent que les facteurs aient l'outil nécessaire pour offrir aux gens une interface numérique par proximité humaine, pour les aider dans les démarches administratives. Ce qui vaut pour les services de l'État vaut pour tous les services des autres opérateurs de service public, d'intérêt général ou les services essentiels.
Enfin, nous pourrions également intervenir dans le domaine de la formation, si nous nous appuyons sur le constat que je vous ai présenté un peu plus tôt : sur les 42 000 clients qui ont fait nos tests dans 300 bureaux de poste, 20 % ont été identifiés comme éloignés du numérique, et 37 % de ces 20 % sont intéressés pour bénéficier d'une formation. Les postiers pourraient ensuite délivrer nos propres services à cette occasion-là : des services d'autonomie, d'alerte, etc.
La Poste pourrait donc intervenir sur les deux volets d'identification et d'intermédiation pour apporter des solutions directes.
Nous avons été impressionnés par ce que nous avons constaté, à notre échelle, pendant la pandémie. Le site laposte.fr est passé de 15 millions à 35 millions de visiteurs uniques sur un mois. À titre de comparaison, Google est à 55 millions et chacun va sur Google plusieurs fois par jour. L'explosion du numérique a donc procuré beaucoup d'utilité aux gens, et votre préoccupation de l'exclusion du numérique prend d'autant plus de sens compte tenu de cette puissance du numérique.
Je salue votre volontarisme sur cette question, Monsieur Wahl. Je reviens sur les 14 millions de Français concernés par l'exclusion numérique. Vous avez détaillé certaines initiatives, que je considère comme des prémices à ce que nous pourrions mettre en oeuvre. Elles sont certes vertueuses, mais leur portée est limitée. Je ne voudrais pas que nous laissions penser que nous avons choisi de résoudre le problème de la fracture numérique de cette façon. Nous avons besoin d'une mission de service public plus ambitieuse. Peut-être faudrait-il obtenir des subventions de l'État ? Il s'agit d'un problème d'égalité de tous les citoyens face à la dématérialisation des démarches administratives. Vos actions sont louables mais ne résolvent le problème que très localement. S'il y avait une commande massive de tablettes Ardoiz, par exemple, peut-être les prix seraient-ils plus bas ? Comment faire en sorte que sur tout le territoire, il y ait une égalité d'accès à ces services administratifs indispensables ?
La crise a montré une accélération de la dématérialisation. Nous en souffrons au niveau du courrier : chaque année, nous perdons 600 millions d'euros de chiffre d'affaires. La perte s'évalue à plus d'un milliard d'euros de chiffre d'affaires pour cette année. Qui dit accélération dit aggravation potentielle de l'exclusion numérique, mais dit aussi diffusion plus importante du numérique. Je constate de vrais signes d'espoir. Reprenons le cas des 42 000 tests que nous avons diffusés dans 300 bureaux de poste. Si nous étendions la démarche à 600 bureaux de poste, nous pourrions toucher près d'un million de participants. La puissance de notre proximité, notamment la circulation régulière de nos facteurs, nous permet d'accéder à une multitude de personnes.
Le fond du problème vient de l'identification des personnes éloignées du numérique. Nous pouvons soit mettre en place une identification a priori, plus coûteuse mais plus efficace ; soit attendre que le problème se présente pour l'identifier. Il en est de même pour le domaine de la santé : il est possible soit de procéder à des enquêtes préalables sur l'état de santé des personnes, soit d'attendre que le SAMU soit appelé pour identifier le problème. Il pourrait y avoir une mission d'identification, de vigilance et de visite, et pas simplement dans le domaine de l'exclusion numérique. Nous avons lancé le dispositif « Veillez sur mes parents », qui pourrait devenir un service public et dont la lutte contre l'exclusion numérique serait l'une des finalités, mais pas la seule. Cela diminuerait le coût de l'objet qui est le vôtre, dans la mesure où la visite systématique du facteur serait partagée avec d'autres missions.
Concernant nos tablettes Ardoiz, nous sommes prêts à les diffuser à moindre coût, mais il faudrait que d'autres collectivités publiques fassent appel à nous. Notre volonté est bien d'être au service des politiques publiques. Nous avons montré ce que nous étions capables de faire, notamment en accueillant chaque mois 1,5 million de personnes dans nos bureaux pour la distribution des prestations sociales ; il s'agit d'une partie fragile de la société. C'est le coeur de notre mission, celle que nous avons maintenue et défendue comme notre priorité au cours de la crise précédente. Je note aujourd'hui une accélération de la dématérialisation par l'État et par les opérateurs ; nous sommes prêts, de notre côté, à travailler avec vous pour trouver une solution à la fracture numérique que cela engendre.
Est-ce qu'au moment où ces personnes viennent chercher leurs prestations sociales en argent liquide, il serait possible de leur indiquer qu'ils peuvent s'adresser à vous pour ce problème d'exclusion numérique ?
Nous pourrions en effet distribuer un feuillet explicatif, pour présenter les solutions ou propositions possibles. Nous pourrions également laisser un feuillet sur lequel les gens pourraient s'inscrire pour venir passer un test. En revanche, nous ne pouvons pas tester chaque client de La Poste. Nous recevons des milliers de personnes, chaque moment compte ; les files d'attentes augmenteraient drastiquement, nous ne pourrions plus recevoir convenablement chaque personne.
Notons que, durant la crise, nous avons réussi à maintenir un lien avec chacun des 400 quartiers prioritaires dans lesquels nous sommes implantés. Cela a été plus difficile avec les milieux ruraux, car il y en a beaucoup plus.
Les maisons de services au public, notamment celles portées par La Poste, sont des lieux de repérage de carences numériques des usagers, mais aussi des lieux de solutions numériques pour les plus éloignés. Pour mieux évaluer la pérennité de ces maisons, pouvez-vous nous préciser quelle est la fréquentation de ces structures, la fragilité des usagers, quelles sont les missions et la formation des agents en termes de médiation ? Quel rôle leur donnez-vous - un rôle « d'aider à faire » ou de « faire à la place de » ? Pourrions-nous envisager un partenariat avec les collectivités ou les EPCI pour des médiateurs numériques de La Poste au plus près des usagers ?
Les MSAP sont dans une situation transitoire : certaines vont être transformées en Maisons France Services. Nous participons à cette transition pour nos propres MSAP. Cependant, nous ne savons pas encore ce que deviendront ces MSAP quand l'ensemble du mouvement des France Services sera terminé. Celles qui n'auront pas été transformées en France Services persisteront-elles d'une autre manière ou bien commandera-t-on leur disparition ? En tout état de cause, nous garderons notre bureau de poste.
J'insiste sur le fait que notre stratégie se base sur la création de partenariats. Récemment, de nombreuses MSAP et collectivités locales ont été transformées en France Services, y compris des MSAP postales dans une moindre mesure. Un problème se posera dans les milieux ruraux, où il n'y aura pas de localisation autonome possible. Si par exemple coexistent une structure France Services dans une petite commune et un bureau de poste, les deux risquent de disparaître par baisse de fréquentation. Faisons un parallèle avec le e-commerce. Nous sommes le leader de la logistique du e-commerce en France et le numéro deux en Europe. Nous avons aujourd'hui de grands clients, notamment dans l'industrie du textile, qui ont décidé de fermer des milliers de magasins physiques en Europe. La fréquentation physique des magasins classiques, quels qu'ils soient, va baisser. Revenons maintenant à l'exemple de la structure France Services et du bureau de poste en milieu rural. Si les deux souhaitent exister indépendamment, ils courront le risque de disparaître, alors que s'ils sont mutualisés, ils perdureront. Dès lors, je suis entièrement engagé pour travailler en partenariat. Si, dans une petite ville, le choix du maire a été de conforter une MSAP en la transformant en structure France Services, je souhaite mettre le bureau de poste dans cette maison France Services pour m'engager à ne pas fermer le bureau de poste. Ensemble, nous tiendrons mieux dans la durée.
Comme je le dis souvent, connaissez-vous le bureau de poste qui sera encore ouvert dans un siècle en France ? C'est celui situé dans les locaux de l'office du tourisme du Mont Saint-Michel. Le maire du Mont Saint-Michel et le directeur de La Poste se sont rapprochés et ont mutualisé leurs structures. Le bureau de poste fonctionne toute la semaine et il est tenu le dimanche par les employés de l'office du tourisme pour les responsabilités postales. Nous sommes candidats de tous les partenariats possibles.
Au sujet de la formation de nos employés, notons que la fréquentation des MSAP a connu une forte croissance en début d'année - croissance que le confinement a entravée. Il nous a été reproché de ne pas former assez nos équipes qui interviennent dans ces structures. Entre 2015 et 2017, nous avons ouvert 500 structures très rapidement ; nous avons donc accumulé un retard de formation. Cependant, nous le comblons actuellement. La formation est commune aux agents de toutes les MSAP. Elle est assurée par un centre national de formation territoriale.
Concernant la médiation au sein de ces MSAP, elle dépend de l'utilisateur final. Dans certains cas, il est plus judicieux de les aider à faire eux-mêmes, dans d'autres cas il est plus pertinent de faire à leur place. C'est un peu comme sur les automates de La Poste. Aujourd'hui, sauf exception, nous ne distribuons plus d'argent directement aux usagers, nous leur indiquons comment faire. Mais s'il s'agit d'une vieille personne qui peine réellement à utiliser l'automate, nos équipes lui servent l'argent directement. Je fais confiance aux postiers pour évaluer ces situations.
Enfin, concernant la médiation numérique, j'aimerais vous donner un exemple. Il y a trois semaines, je me suis rendu dans l'Oise, dans l'agence postale communale portée par le centre social du Coudray Saint-Germer. Ce centre social regroupe un centre de santé, un centre d'informations, un centre administratif et une Agence Postale Communale (APC). Grâce à cette présence de l'APC, nous pouvons faire de la formation numérique pour tout le secteur. Nous sommes donc prêts soit à prendre en charge l'aspect formation, soit à jouer les médiateurs pour ces formations. C'est déjà le cas pour déjà des centaines d'endroits. Si dans 3 ans, nous recensons 2 000 maisons France Services avec un bureau de poste dans chacune, j'en serai très satisfait. L'inverse est également possible : nous pouvons accueillir de tels services sociaux dans le bureau de poste. Quoi qu'il en soit, si les deux structures sont maintenues, elles seront menacées sur le long terme. Je vous parle à la lumière de mes sept ans d'expérience dans le groupe et de mes nombreuses visites sur le territoire. Je crois donc plus que tout à la mutualisation et aux partenariats compte tenu de l'évolution des comportements des Français.
Vous avez évoqué les priorités numériques retenues en partenariat avec l'AMF, notamment le besoin d'identification des personnes touchées par l'illectronisme et les actions à mettre en oeuvre pour contrer ce problème. Certaines de ces actions sont mises en place par La Poste elle-même. Pouvez-vous nous détailler ces actions : quelle est leur durée moyenne, qui est le personnel qui se charge de former les personnes repérées ?
La Poste se charge de l'identification des personnes en difficulté avec le numérique, à travers l'administration de tests, l'esprit d'observation, la discussion avec le client à domicile ou au bureau de poste. Le facteur se charge également de distribuer les Ardoiz : il livre le produit, l'ouvre, en explique le fonctionnement. Au niveau de la formation, nous sommes des amorceurs et nous organisons des rendez-vous, mais nous ne faisons pas la formation nous-mêmes.
Nous sommes donc en mesure soit de tout faire si l'ensemble de la démarche est relativement simple, soit, s'il s'agit de former plusieurs personnes sur un sujet donné, de donner accès à cette formation par notre intermédiaire.
Nous ne pouvons pas continuer à accepter qu'il y ait sur les territoires fragiles à la fois des désertifications médicales, des fractures numériques, des problèmes de mobilité, de travail... Ce cumul est dangereux. Il faut en effet trouver des partenariats qui permettraient de sauver des postes existantes dans les territoires. De plus, nous devons nous concentrer sur l'accessibilité des services publics numériques. Nous pourrions imaginer que dans les bureaux de poste, des outils mutualisés soient installés pour faciliter l'accès au numérique. Nous avons par le passé connu un fonctionnement similaire pour les cabines téléphoniques : au début, nous recevions un appel formulé par un agent. Ensuite, les cabines ont été dotées d'appareils automatisées, où nous pouvions nous-mêmes composer le numéro. Aujourd'hui, il en est de même pour les services numériques : pour résorber la fracture numérique, nous devrons simplifier l'accès aux services. Le bureau de poste a la double qualité de fournir à la fois une présence physique qui peut accompagner, et de pouvoir mettre à disposition des appareils qui permettent au public de devenir plus autonomes sur l'accès aux services numériques.
Cette mission de lutte contre l'illectronisme est en effet une nouvelle déclinaison de la mission d'aménagement du territoire et j'insiste sur le fait que nous avons bien l'intention de rester sur les territoires. Il nous faudra bien sûr des moyens financiers complémentaires. Il existe une bonne structure pour obtenir ces moyens : la dépense fiscale liée à la cotisation de valeur ajoutée sur les entreprises.
Nous sommes déjà allés loin dans l'équipement de nos structures en outils numériques. Nous pouvons aller plus loin encore si votre mission le préconise. Aujourd'hui, sur nos 7 000 agences postales, 4 500 sont équipées de tablettes. 650 bureaux sont équipés d'îlots numériques où les gens peuvent accéder à différents services. Par ailleurs, les facteurs n'ont plus qu'un seul outil de travail : le smartphone Facteo. Enfin, pour vous donner un dernier exemple, nous avons, avec le Puy-de-Dôme, un co-financement pour l'accès au wifi dans nos points de contacts. Notre accord permet de faire du bureau de poste un lieu de wifi de grande qualité dans une zone géographique où la connexion n'est pas optimale. Nous pourrions envisager de le faire ailleurs.
Nous avons des moyens budgétaires avec le fonds de péréquation, qui a financé 42 000 tests pour 9 millions d'euros ; nous pourrions aller encore plus loin. Cependant, il ne suffit pas d'équiper les 17 000 points de contacts physiques postaux. Il faut relancer l'idée de projet de France Services mobiles avec des tablettes pour les facteurs, sur lesquelles il y aurait à la fois les procédures administratives publiques mais aussi plusieurs opérateurs. Ce projet est aujourd'hui en panne et il serait nécessaire de le relancer pour compléter les services que nous proposons.
Nous devrons certes accompagner financièrement la lutte contre la fracture numérique. Autant faire bénéficier de ce financement un acteur essentiel d'aménagement du territoire comme La Poste en le confortant dans cette nouvelle mission. Nous devrons aussi travailler sur les questions de formation, mais la priorité actuelle est de répondre à l'urgence de l'accès aux services pour des personnes qui utilisent ponctuellement ces services et qui n'ont pas nécessairement besoin, pour le moment, qu'on les dote de matériel personnel.
L'Observatoire national de la présence postale territoriale ainsi que la Commission supérieure du numérique et des postes se sont interrogées sur une cinquième mission de service public pour La Poste : cette mission de visite, de vigilance. Nous y sommes favorables. Cependant, pour faire adopter une mission de service public par Bruxelles, il faut compter trois ou quatre ans, le temps de démontrer l'utilité de la mission, de prouver qu'il existe une carence de marché, que nous sommes le seul opérateur à pouvoir le faire, etc. Nous pouvons le faire, mais si vous voulez aller plus vite, il faut en parallèle élargir une mission de service public déjà existante. Nous pouvons élargir la mission d'aménagement du territoire en créant un compartiment de lutte contre l'exclusion du numérique et le doter de moyens financiers supplémentaires. En tout état de cause, notre service universel du courrier est désormais très fortement déficitaire, il faudra le réorganiser quoi qu'il en soit. La mission d'aménagement du territoire, en prévoyant un volet numérique, pourrait être un bon soutien pour les idées que vous avez. Elle permettrait à la fois une lutte contre la fracture territoriale et une lutte contre la fracture numérique, qui contribue à la fracture territoriale. C'est la meilleure solution, à condition que nous disposions de moyens importants pour nous accompagner dans cette démarche coûteuse. En effet, si nous choisissons de passer du temps avec les gens, ce temps humain est plus cher qu'une simple distribution sur automate.
Nous devrons rendre un rapport autour du 15 juillet avec des propositions concrètes. Cette solution semble être la plus efficace pour répondre à la fracture numérique. Notons que, selon l'INSEE, 42 % de la population est touchée par cette fracture numérique à des degrés différents. Encore une fois, la crise a révélé l'urgence de trouver des solutions dans les territoires pour l'usage du numérique.
Nous ne pourrons élargir notre mission de service public liée à l'aménagement du territoire que si l'AMF est à nos côtés, car il faut que cette mission soit vécue comme nécessaire aussi par les maires.
C'est une excellente idée de passer par le biais de la mission d'aménagement du territoire, cela nous permettra d'agir plus rapidement.
Nous sommes d'accord sur l'importance du partenariat avec l'AMF. Nous devrons aussi nous demander comment faire participer les opérateurs dans cette démarche.
Je suis prêt à regarder toutes les solutions. Nous avons deux réseaux particulièrement puissants : un réseau inégalé de 17 100 points de contact, et un réseau de 1 000 « carrés pro » dans les implantations courriers et colis de notre groupe. Nous avons également nos facteurs, qui constituent notre grande puissance pour le contact humain et pour avoir un rôle d'intermédiaire pour les services publics.
Merci à vous. Nous tenons de vraies solutions pour résoudre ce problème.
La séance est levée à 16 heures 15.