Intervention de Salomé Berlioux

Mission d'information Illectronisme et inclusion numérique — Réunion du 29 juin 2020 : 1ère réunion
Audition de Mme Salomé Berlioux présidente de l'association chemins d'avenirs auteure du rapport remis au ministre de l'éducation nationale « mission orientation et égalité des chances dans la france des zones rurales et des petites villes : restaurer la promesse républicaine »

Salomé Berlioux, présidente de l'association Chemins d'avenirs :

Je suis heureuse de participer à vos travaux en tant que porteur de projets sur le terrain - je suis, par exemple, intervenue ce matin dans un collège REP dans l'Allier. La question du numérique, qui est l'un des obstacles rencontrés par les jeunes des territoires ruraux, est revenue au premier plan pendant la crise sanitaire.

La fracture numérique n'est qu'un des obstacles que rencontrent ces jeunes. On constate, en effet, une accumulation d'obstacles pour les jeunes de la France périphérique, des zones rurales et des petites villes. Ces derniers sont nombreux : 23 % des moins de 20 ans grandissent en zone rurale, et 42 % dans les petites villes, soit plus de 10 millions de personnes selon l'Insee. Alors que leur potentiel est immense, ces jeunes sont confrontés, en plus de la fracture numérique, au manque d'informations concernant l'avenir, à des opportunités - académiques, culturelles, professionnelles - moindres à proximité immédiate de leur domicile, à une « assignation à résidence », à une autocensure, à un manque de confiance en soi, et à la fragilité économique et sociale de certains foyers - 80 % des ménages modestes vivent dans la France périphérique.

Un lieu commun veut que les jeunes puissent aujourd'hui accéder à tout grâce à internet : ils peuvent s'informer en un claquement de doigts et s'orienter sans difficulté puisque tout est en ligne.

Pourtant, la fracture digitale prend deux formes.

Elle est, d'abord, technique. Je ne suis pas une spécialiste en la matière, mais il y a des zones blanches, des territoires où la connexion internet est limitée. Certains jeunes ne disposent que d'un matériel informatique peu performant. Chemins d'avenirs fait partie du collectif Mentorat, lequel rassemble huit associations - comme Article 1, l'Association de la fondation étudiante pour la ville (AFEV), l'Institut Télémaque et « Nos quartiers ont du talent » - qui agissent en faveur de l'égalité des chances en utilisant le parrainage individuel comme effet de levier. Avec ce collectif, nous avons mené deux opérations pendant le confinement : « Mentorat d'urgence » et « Connexion d'urgence », pour faire livrer des ordinateurs et des cartes 4G aux jeunes des quartiers prioritaires et des zones rurales afin de leur permettre de suivre les cours. De la même façon, 70 % des 1 000 filleuls de Chemins d'avenirs nous faisaient part de ce type de difficultés.

La fracture numérique est, ensuite, celle des usages. Un jeune de 16-17 ans vivant dans une métropole va, au cours d'une journée, consulter les horaires de bus sur une application, les séances de cinéma sur une autre... Le jeune qui vit au fond de la Creuse, du Morvan ou des Vosges n'aura pas la même utilisation quotidienne du numérique. Ils se servent des réseaux sociaux - Instagram, Snapchat, TikTok, etc. Pour s'orienter, faire des choix académiques, chercher des opportunités d'emploi, il faut avoir une affinité quotidienne avec le numérique qu'ils n'ont pas, pour des raisons liées à la fracture technique, au capital socioculturel et à l'absence de maîtrise de ces outils par leur entourage familial.

La fracture va s'approfondissant, en termes de numérique, de mobilité, de maîtrise des langues vivantes, entre les jeunes des métropoles qui maîtrisent de plus en plus les « attendus » et les autres. Une enquête d'opinion, que la Fondation Jean-Jaurès et Chemins d'avenirs avaient commandée en novembre dernier, montrait 20 points d'écart entre les jeunes des zones rurales et ceux de l'agglomération parisienne à qui l'on demandait s'ils avaient pris des cours de langue supplémentaires financés par leurs parents ou s'ils allaient faire des études « ambitieuses », et 15 points d'écart quand on leur demande s'ils ont auprès d'eux des « modèles » auxquels ils peuvent s'identifier.

Le numérique s'inscrit dans cette série de décalages qui, pris individuellement, ne seraient peut-être pas gênants, mais qui, accumulés, commencent à porter fortement atteinte à l'égalité des chances entre les jeunes Français.

Dans « Les invisibles de la République », nous avions essayé, avec Erkki Maillard, de mettre en avant l'aspect corrosif, plus qu'explosif, de la fracture numérique. Ces jeunes nous disent : « ce n'est pas fait pour moi », « je n'ai pas confiance en moi », « je ne sais pas ce que je vais faire après », « tout ne m'est pas autorisé », « certaines voies me sont interdites ». Le numérique pourrait potentiellement représenter un véritable atout pour eux, mais tel n'est pas totalement le cas aujourd'hui malgré les efforts réalisés. Les campus connectés sont une des solutions vers lesquelles se tourner à l'avenir, car ce dispositif marche bien et suscite la sympathie, voire l'enthousiasme, des acteurs de terrain et des jeunes eux-mêmes.

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