Intervention de Elsa Hajman

Mission d'information Illectronisme et inclusion numérique — Réunion du 17 juin 2020 : 1ère réunion
Table ronde des associations en téléconférence

Elsa Hajman, responsable du pôle Inclusion sociale à la Croix-Rouge :

Bonjour. Merci pour cette invitation à une table ronde portant sur un sujet très important pour nous. La Croix-Rouge représente aujourd'hui 57 000 bénévoles et 18 000 salariés sur l'ensemble du territoire métropolitain et sur les territoires ultramarins. Elle est articulée autour de trois grands métiers : les questions d'urgence et de secourisme, de la formation et de l'action internationale, les établissements sanitaires, sociaux et médicosociaux, et l'action sociale, conduite par les bénévoles.

Nous partageons les constats évoqués : l'absence de maîtrise du langage numérique exclut les individus, qui peuvent y voir un obstacle à l'exercice d'un certain nombre de fonctions sociales (accéder à l'information, développer et entretenir des relations sociales, accéder à des services et droits de l'administration, rechercher et trouver un emploi ou une formation). Le baromètre sur l'inclusion numérique, tout comme d'autres études, font état de cinq facteurs déterminants de l'exclusion numérique : l'âge, les revenus et ressources, le niveau d'études, la taille de l'agglomération et l'isolement social. Il existe de fortes disparités en matière d'accès et d'usage du digital au sein des populations, et les disparités territoriales en matière d'accès à internet sont un frein supplémentaire. L'accès à une connexion internet de qualité sur l'ensemble des territoires constitue aujourd'hui un enjeu majeur de politique publique, au-delà de l'accompagnement des usagers. Un certain nombre de catégories sont aujourd'hui exclues du numérique, mais la singularité des situations individuelles, qu'il s'agisse de personnes en grande précarité, en situation d'exil ou de handicap, implique de les prendre en compte. Au-delà de la politique publique susceptible de répondre aux besoins, des réponses adaptées doivent être apportées sur les territoires des personnes concernées.

La Croix-Rouge a travaillé sur trois profils de personnes susceptibles d'être accompagnées. Le premier, celui des exclus du numérique, concerne le plus souvent des personnes qui ont des difficultés ancrées avec l'écrit ou la langue française, ou bien des difficultés cognitives. Ces personnes doivent être accompagnées humainement. Le deuxième profil, débutant à intermédiaire, concerne les personnes qui ne maîtrisent pas les usages numériques mais disposent des compétences nécessaires à l'apprentissage de ces usages élémentaires. Grâce à de la formation, elles peuvent devenir autonomes avec l'outil numérique. Le troisième profil est celui des personnes avancées, qui disposent des compétences numériques élémentaires mais manquent de motivation ou craignent de se tromper. Cette peur de l'erreur apparaît en effet parmi les freins développés par le Défenseur des Droits. Ces personnes ont besoin d'une aide humaine pour prendre en main l'outil et son usage.

En termes d'actions, au regard des profils que nous avons identifiés et des publics que nous accompagnons, nos objectifs sont les suivants : montée en compétence des personnes pour leur permettre de devenir autonomes dans l'usage des outils numériques, insertion sociale et professionnelle, accès aux droits sociaux et création ou maintien de lien social et familial. Nous intervenons sur le principe du volontariat, grâce à une société civile fortement engagée via des bénévoles et jeunes volontaires en service civique. Les personnes majoritairement cibles sont les plus exclues de l'ensemble des dispositifs : personnes à la rue, personnes âgées, personnes bénéficiant des aides de la Croix-Rouge et publics accueillis dans ses établissements. Les trois grands types d'activités mises en place pour répondre à ces besoins sont les suivants : points d'accès numériques mis à disposition de ceux qui le souhaitent, quel que soit l'usage désiré (soit dans des lieux dédiés, soit au sein d'une « vestiboutique »), permanences numériques (tenues par des bénévoles et permettant à des personnes d'être aidées dans un certain nombre de démarches, souvent administratives) et ateliers numériques (permettant d'initier, sensibiliser et former les personnes accompagnées à l'utilisation et à l'autonomie complète sur du matériel informatique). Ces trois activités sont d'ores et déjà mises en place dans un certain nombre d'unités locales. Elles ont été pour certaines suspendues dans le cadre de la crise, du fait du confinement et par souci de protection de certains de nos bénévoles âgés. La fracture numérique a pu avoir un certain nombre d'impacts pendant cette période. En effet, au-delà de ces actions dédiées, l'utilisation de l'outil numérique peut être nécessaire pour l'apprentissage de la langue française, du soutien scolaire, etc.

Pendant la crise, la fracture numérique a ainsi été un puissant générateur d'inégalités, en termes de limitation de la continuité pédagogique pour les foyers non équipés, de limitation de l'accès au droit pour les personnes non autonomes, en dépit de la prorogation automatique d'un certain nombre de droits, et de limitation de l'accès à l'information, y compris sur les horaires d'ouverture, souvent aménagés, des services publics et lieux d'information, d'orientation et d'accompagnement.

À titre d'illustration de la mobilisation du réseau de la Croix-Rouge, nous avons mis en place des activités utilisant les outils numériques au sein des établissements pour lutter contre l'isolement des personnes âgées, notamment via le maintien du lien familial. Nous avons également mis en place des actions d'apprentissage des savoirs de base (cours de français langue étrangère, soutien scolaire) à distance, afin d'assurer la continuité pédagogique et maintenir le lien social et les acquis. Les personnes formées et les bénévoles devaient cependant, pour ceci, avoir accès à du matériel adéquat. Un certain nombre de magasins locaux ont en outre été mobilisés pour équiper des élèves afin qu'ils puissent suivre des cours en ligne. Les bénévoles ont également été accompagnés dans l'appropriation des outils numériques par des modules en ligne de découverte et de sensibilisation. Enfin, un certain nombre de formations à destination des bénévoles ont été développées en e-learning, au sujet de l'accès au droit, de la formation aux premiers secours psychologiques, etc. Enfin, l'outil Soliguide a été mis en place par la structure Solinum, accompagnée par l'accélérateur 21 de la Croix-Rouge. Cet outil recense les dispositifs et les services de première nécessité sur quelques départements. Un travail est en cours pour l'élargir à l'ensemble du territoire. Il recense également le maintien de ces dispositifs et leurs créneaux d'ouverture. Il a été très utile dans le cadre des outils d'orientation mis à la disposition des bénévoles.

Sur le sujet de l'impact de la dématérialisation des démarches sur l'accès au droit, nous ne disposons pas de données quantitatives fiables à ce jour. Une étude de l'Observatoire des non-recours aux droits et services (Odenore) réalisée en 2016 démontre que les personnes les plus en difficulté avec l'administration numérique sont les personnes illettrées, qui maîtrisent peu ou mal le français, qui ont des difficultés avec le langage administratif et celles qui n'ont pas d'ordinateur ou de connexion ou ne savent pas utiliser les supports numériques. Ce constat s'oppose à la volonté des pouvoirs publics d'une dématérialisation à 100 % des démarches administratives. Un certain nombre d'études, notamment menées par le centre communal d'action sociale (CCAS) de Nanterre en 2017, font montre d'une hausse de 30 % de la fréquentation quotidienne de cette structure du fait de la dématérialisation ou de l'incompréhension de la démarche administrative. Je vous confirme que les structures de la Croix-Rouge sont sollicitées de façon plus importante depuis la dématérialisation pour l'accomplissement d'un certain nombre de démarches administratives en ligne. La question de l'accompagnement de l'accès au droit dans le cadre de la dématérialisation dépasse la seule question de l'accès au droit et demande un accompagnement humain très important.

Nous portons quelques préconisations, qui rejoignent en partie celles qui ont déjà été évoquées : la mise en place d'un dialogue renforcé entre les usagers des services publics, notamment ceux qui vivent en situation de pauvreté ou d'exclusion numérique, et les administrations, en les associant directement à la réflexion sur la dématérialisation ; mieux coordonner et mutualiser sur les territoires les réponses pour l'accès au numérique et l'accompagnement aux démarches en ligne ; développer la formation des aidants et des médiateurs numériques pour l'accueil et l'accompagnement des personnes en situation de handicap ou de grande exclusion ; travailler sur l'âge des bénévoles. J'abonde dans le sens d'un maintien de la possibilité d'accomplir les démarches administratives sur formulaire papier, avec un accompagnement humain, pour toutes les personnes qui n'ont pas accès à du matériel et une connexion.

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