Mesdames et Messieurs, chers collègues, je vous remercie d'avoir accepté l'invitation à cette table ronde numérique organisée en téléconférence. Vous représentez des associations connues et reconnues au contact des populations les plus fragiles. Toutes n'ont pas pu participer, et nous recevrons leurs contributions, si elles souhaitent faire connaître certains aspects originaux de leur action. Votre action commune est la médiation numérique, c'est-à-dire le fait de remettre de l'accompagnement humain dans l'aide à la maîtrise des outils numériques. Les publics fragiles, en effet, ne se dirigent pas spontanément vers les dispositifs d'aide. Déclarer sa fragilité numérique n'est pas évident et suppose un lien de confiance préalable, que vous incarnez. Pour lutter contre l'illectronisme qui frappe 13 millions de Français, quelles actions avez-vous développées ? Estimez-vous les pouvoirs publics suffisamment mobilisés ou considérez-vous que l'État se décharge sur vous des politiques d'inclusion numérique ?
Après une brève présentation liminaire, le rapporteur Raymond Vall et mes collègues sénateurs vous poseront des questions complémentaires.
Bonjour et merci de nous inviter à partager l'expérience des familles les plus pauvres de notre pays. ATD Quart Monde est engagé auprès de familles et personnes en grande précarité depuis plus de 60 ans à travers une trentaine de pays, en vivant avec les personnes et en menant des actions avec elles. Nous nous intéressons à l'aspect informatique et numérique depuis les années 1980, mais la période du confinement a mis en exergue, aux yeux de tous, la fracture numérique.
À titre d'exemple, nous menons des actions avec un atelier de codage à Lille, un atelier « Lire et écrire numérique » à Brest, des formations à Marseille, des bibliothèques de rue utilisant des outils numériques à différents endroits, un atelier contre les infox à Lyon, ou encore une entreprise TAE (travailler et apprendre ensemble) qui utilise l'informatique, avec un atelier de reconditionnement du matériel informatique à Noisy-le-Grand.
Pendant le confinement, nous avons soutenu les enfants et leurs parents dans le cadre de l'enseignement à distance, mais aussi face à la perte de contact des parents avec leurs enfants placés, un vécu douloureux et moins connu. Pour une aide matérielle, nous avons participé à différentes actions concernant des dons ou prêts de matériels et avons collaboré avec plusieurs partenaires, comme Emmaüs Connect, pour fournir des téléphones ou des cartes SIM. Nous avons ainsi contribué à contrer la déconnexion subie et donc à maintenir la possibilité de lien avec les autres.
Notre ambition va plus loin ; nous souhaitons que soit concrétisé le droit à la connexion. De plus en plus, dans notre société, l'accès au droit passe par l'accès à internet. Il s'agit donc d'une action politique, afin que chaque personne ou famille puisse accéder aux services publics et autres. Ceci passe par sept éléments : un accès à internet, quel que soit son logement (certains logements ou foyers ayant en effet interdit les moyens de connexions), aux moyens d'impression, une connexion à un coût abordable, une formation continue (au vu de l'insuffisance de la formation initiale, compte tenu de l'évolution du numérique), une interface repensée des sites internet, une identité numérique simple et sécurisée et enfin une formation et une reconnaissance des personnes susceptibles d'en aider d'autres. Nous participons ainsi aux ateliers d'écoute de la direction interministérielle du numérique (DINUM) en vue de retravailler l'interface des sites officiels. Par ailleurs, en tant que partenaires de la métropole de Lyon, nous travaillons à la mise en place des postes numériques.
Notre expérience dans de nombreux pays du Nord comme du Sud, ainsi que nos recherches et travaux au sein des instances de l'ONU, nous ont appris qu'il existait une condition obligatoire à la réussite de ces projets : partir des plus pauvres. Nous demandons donc à toutes les collectivités de mesurer les impacts de toutes les politiques publiques sur les 10 % des personnes les plus pauvres. Nous demandons en outre que toutes les politiques publiques puissent être élaborées, mises en oeuvre et évaluées avec les personnes les plus pauvres. C'est la raison pour laquelle plusieurs de nos universités populaires Quart Monde ont travaillé sur le sujet du numérique. Les militants Quart Monde réfléchissent individuellement et collectivement à ces sujets avec ceux qui n'ont pas connu cette situation et avec des invités professionnels spécialistes des sujets abordés. Ils participent en outre à des rencontres.
Il importe en outre de maintenir un contact humain au sein des services publics, seule façon d'assurer le droit pour tous. Nous le constatons avec le confinement et la fermeture de la quasi-totalité des lieux d'accompagnement, empêchant les plus pauvres d'accéder à leurs droits.
Merci beaucoup pour cette invitation. La Cimade accompagne des personnes migrantes depuis 80 ans. J'aborderai le sujet de l'illectronisme à travers deux angles : celui de l'accès au droit et celui de l'apprentissage du français.
Je commencerai par vous exposer une situation qui est apparue pendant la période de confinement et démontre à quel point il importe de penser la question du numérique de façon globale, pour toutes et tous, dans l'objectif de favoriser le vivre ensemble. Au début de la période de crise sanitaire, nous avons constaté la difficulté des personnes loin du numérique et dites « alpha », c'est-à-dire ayant des difficultés avec la lecture et l'écriture du français, par rapport à l'acquisition d'attestations de déplacement dérogatoires. Sans imprimante ni téléphone, ne sachant pas écrire le français, beaucoup se sont retrouvées dans des situations peu confortables, ajoutant du stress dans une période déjà anxiogène. Cette situation, pendant laquelle les personnes pouvaient être verbalisées, n'a pas touché que des allophones, c'est-à-dire des personnes ne parlant pas français, mais aussi les personnes en situation d'illettrisme. Celui-ci concerne en France 12,5 millions de personnes. Par la suite, des attestations simplifiées avec pictogrammes ou des attestations en ligne ont pris le relais. Ces nouvelles attestations ont solutionné certains cas, mais pas tous. L'univers du numérique propose de nouvelles solutions, mais pose aussi d'autres problématiques, qui ne doivent pas être négligées, en ce qu'elles peuvent être facteurs d'encore davantage d'exclusion et de précarité.
La Cimade dresse ce constat depuis plusieurs années au regard de la dématérialisation des prises de rendez-vous en préfecture et en sous-préfecture. Ces demandes de rendez-vous via internet sont soit proposées soit obligatoires, pour déposer une demande de première délivrance de titre de séjour ou pour son renouvellement. Depuis 2020, certaines préfectures, comme la Loire-Atlantique, la Seine-Maritime ou l'Hérault ont commencé à rendre obligatoire le dépôt dématérialisé de ces demandes. Pour obtenir une convocation à leur préfecture, la personne doit remplir un formulaire en ligne et charger toutes les pièces nécessaires, préalablement scannées. Lorsque ces prises de rendez-vous se font exclusivement par internet, sans alternative en présentiel, elles deviennent un facteur d'exclusion et donnent lieu à la cessation de prise de rendez-vous, et donc à une certaine rupture de l'accès au service public. Les longues files d'attente devant les préfectures que nous avons connues pendant si longtemps disparaissent parfois, et le numérique rend alors invisibles des drames. Nous espérons fortement que la France ne s'embourbera pas dans ces pratiques et proposera de nouveau, partout en France, des alternatives au numérique. Le Conseil d'État a rappelé le 27 novembre dernier que la réglementation applicable reconnaît l'absence d'obligation pour les usagers de l'administration d'utiliser internet pour accomplir leurs démarches. L'État ne saurait donc rendre obligatoire l'usage d'internet pour les démarches administratives, notamment en matière de droit des étrangers. Il est donc nécessaire de penser non seulement l'inclusion numérique mais aussi le maintien d'alternatives effectives. Le tout-numérique dans l'accès au droit peut être facteur d'exclusion, et ainsi accentuer la précarité.
Pour l'apprentissage du français, pendant la période de confinement, malgré la difficulté d'échanger dans une langue étrangère sans être physiquement présent, des rencontres et une chaîne de solidarité ont pu se mettre en place grâce au numérique. Nous avons néanmoins constaté que ce changement de méthode n'était pas possible ou évident pour toutes les personnes que nous accompagnions et les bénévoles. Bien que nous ayons pu garder le lien avec certains et réinventer nos pratiques, nous n'avons pas pu le faire avec tous. Cette problématique est liée à celle de l'apprentissage de la langue française et de l'alphabétisation. Aujourd'hui, le numérique est omniprésent dans le quotidien de tous. Nous l'intégrons ainsi à travers des supports tels que le téléphone, les emails, l'utilisation des bornes de retrait d'argent, de tickets de bus, de métro et de train dans nos ateliers sociolinguistiques. Depuis le confinement, l'utilisation des applications et sites d'apprentissage du français en ligne est bien plus fréquente. Forts de ces expérimentations, nous réfléchissons à la mise en place de classes numériques, en parallèle et en complément de nos ateliers. L'inclusion numérique pose trois questions : la formation de nos bénévoles (majoritairement retraités) aux outils numériques, l'utilisation de matériel et donc de moyens pour intégrer pleinement le numérique à nos pratiques, et enfin l'accès au numérique pour les personnes précaires (matériel, connexion wifi ou 4G). Nous posons aujourd'hui la question de savoir si cet accès devrait, en 2020, être considéré comme étant un besoin de première nécessité.
Je terminerai en citant une belle initiative favorisant l'accès au numérique : Bibliothèques sans frontières met gratuitement à disposition, dans les laveries, des livres, des ordinateurs équipés d'un accès internet ainsi que des bibliothécaires pour accompagner les utilisateurs.
Le numérique offre la possibilité d'aller plus loin dans nos pratiques et de continuer à exporter nos actions hors de nos locaux, en étant au plus proche des personnes que nous accompagnons. Néanmoins, toutes celles-ci n'y ont pas accès. C'est la raison pour laquelle La Cimade envisage le numérique comme un complément de ses actions en présentiel, et demande, pour les démarches administratives, sociales et sanitaires, l'apprentissage du français et le vivre-ensemble, de favoriser l'accès au numérique, mais non le tout-numérique.
Bonjour. Merci pour cette invitation à une table ronde portant sur un sujet très important pour nous. La Croix-Rouge représente aujourd'hui 57 000 bénévoles et 18 000 salariés sur l'ensemble du territoire métropolitain et sur les territoires ultramarins. Elle est articulée autour de trois grands métiers : les questions d'urgence et de secourisme, de la formation et de l'action internationale, les établissements sanitaires, sociaux et médicosociaux, et l'action sociale, conduite par les bénévoles.
Nous partageons les constats évoqués : l'absence de maîtrise du langage numérique exclut les individus, qui peuvent y voir un obstacle à l'exercice d'un certain nombre de fonctions sociales (accéder à l'information, développer et entretenir des relations sociales, accéder à des services et droits de l'administration, rechercher et trouver un emploi ou une formation). Le baromètre sur l'inclusion numérique, tout comme d'autres études, font état de cinq facteurs déterminants de l'exclusion numérique : l'âge, les revenus et ressources, le niveau d'études, la taille de l'agglomération et l'isolement social. Il existe de fortes disparités en matière d'accès et d'usage du digital au sein des populations, et les disparités territoriales en matière d'accès à internet sont un frein supplémentaire. L'accès à une connexion internet de qualité sur l'ensemble des territoires constitue aujourd'hui un enjeu majeur de politique publique, au-delà de l'accompagnement des usagers. Un certain nombre de catégories sont aujourd'hui exclues du numérique, mais la singularité des situations individuelles, qu'il s'agisse de personnes en grande précarité, en situation d'exil ou de handicap, implique de les prendre en compte. Au-delà de la politique publique susceptible de répondre aux besoins, des réponses adaptées doivent être apportées sur les territoires des personnes concernées.
La Croix-Rouge a travaillé sur trois profils de personnes susceptibles d'être accompagnées. Le premier, celui des exclus du numérique, concerne le plus souvent des personnes qui ont des difficultés ancrées avec l'écrit ou la langue française, ou bien des difficultés cognitives. Ces personnes doivent être accompagnées humainement. Le deuxième profil, débutant à intermédiaire, concerne les personnes qui ne maîtrisent pas les usages numériques mais disposent des compétences nécessaires à l'apprentissage de ces usages élémentaires. Grâce à de la formation, elles peuvent devenir autonomes avec l'outil numérique. Le troisième profil est celui des personnes avancées, qui disposent des compétences numériques élémentaires mais manquent de motivation ou craignent de se tromper. Cette peur de l'erreur apparaît en effet parmi les freins développés par le Défenseur des Droits. Ces personnes ont besoin d'une aide humaine pour prendre en main l'outil et son usage.
En termes d'actions, au regard des profils que nous avons identifiés et des publics que nous accompagnons, nos objectifs sont les suivants : montée en compétence des personnes pour leur permettre de devenir autonomes dans l'usage des outils numériques, insertion sociale et professionnelle, accès aux droits sociaux et création ou maintien de lien social et familial. Nous intervenons sur le principe du volontariat, grâce à une société civile fortement engagée via des bénévoles et jeunes volontaires en service civique. Les personnes majoritairement cibles sont les plus exclues de l'ensemble des dispositifs : personnes à la rue, personnes âgées, personnes bénéficiant des aides de la Croix-Rouge et publics accueillis dans ses établissements. Les trois grands types d'activités mises en place pour répondre à ces besoins sont les suivants : points d'accès numériques mis à disposition de ceux qui le souhaitent, quel que soit l'usage désiré (soit dans des lieux dédiés, soit au sein d'une « vestiboutique »), permanences numériques (tenues par des bénévoles et permettant à des personnes d'être aidées dans un certain nombre de démarches, souvent administratives) et ateliers numériques (permettant d'initier, sensibiliser et former les personnes accompagnées à l'utilisation et à l'autonomie complète sur du matériel informatique). Ces trois activités sont d'ores et déjà mises en place dans un certain nombre d'unités locales. Elles ont été pour certaines suspendues dans le cadre de la crise, du fait du confinement et par souci de protection de certains de nos bénévoles âgés. La fracture numérique a pu avoir un certain nombre d'impacts pendant cette période. En effet, au-delà de ces actions dédiées, l'utilisation de l'outil numérique peut être nécessaire pour l'apprentissage de la langue française, du soutien scolaire, etc.
Pendant la crise, la fracture numérique a ainsi été un puissant générateur d'inégalités, en termes de limitation de la continuité pédagogique pour les foyers non équipés, de limitation de l'accès au droit pour les personnes non autonomes, en dépit de la prorogation automatique d'un certain nombre de droits, et de limitation de l'accès à l'information, y compris sur les horaires d'ouverture, souvent aménagés, des services publics et lieux d'information, d'orientation et d'accompagnement.
À titre d'illustration de la mobilisation du réseau de la Croix-Rouge, nous avons mis en place des activités utilisant les outils numériques au sein des établissements pour lutter contre l'isolement des personnes âgées, notamment via le maintien du lien familial. Nous avons également mis en place des actions d'apprentissage des savoirs de base (cours de français langue étrangère, soutien scolaire) à distance, afin d'assurer la continuité pédagogique et maintenir le lien social et les acquis. Les personnes formées et les bénévoles devaient cependant, pour ceci, avoir accès à du matériel adéquat. Un certain nombre de magasins locaux ont en outre été mobilisés pour équiper des élèves afin qu'ils puissent suivre des cours en ligne. Les bénévoles ont également été accompagnés dans l'appropriation des outils numériques par des modules en ligne de découverte et de sensibilisation. Enfin, un certain nombre de formations à destination des bénévoles ont été développées en e-learning, au sujet de l'accès au droit, de la formation aux premiers secours psychologiques, etc. Enfin, l'outil Soliguide a été mis en place par la structure Solinum, accompagnée par l'accélérateur 21 de la Croix-Rouge. Cet outil recense les dispositifs et les services de première nécessité sur quelques départements. Un travail est en cours pour l'élargir à l'ensemble du territoire. Il recense également le maintien de ces dispositifs et leurs créneaux d'ouverture. Il a été très utile dans le cadre des outils d'orientation mis à la disposition des bénévoles.
Sur le sujet de l'impact de la dématérialisation des démarches sur l'accès au droit, nous ne disposons pas de données quantitatives fiables à ce jour. Une étude de l'Observatoire des non-recours aux droits et services (Odenore) réalisée en 2016 démontre que les personnes les plus en difficulté avec l'administration numérique sont les personnes illettrées, qui maîtrisent peu ou mal le français, qui ont des difficultés avec le langage administratif et celles qui n'ont pas d'ordinateur ou de connexion ou ne savent pas utiliser les supports numériques. Ce constat s'oppose à la volonté des pouvoirs publics d'une dématérialisation à 100 % des démarches administratives. Un certain nombre d'études, notamment menées par le centre communal d'action sociale (CCAS) de Nanterre en 2017, font montre d'une hausse de 30 % de la fréquentation quotidienne de cette structure du fait de la dématérialisation ou de l'incompréhension de la démarche administrative. Je vous confirme que les structures de la Croix-Rouge sont sollicitées de façon plus importante depuis la dématérialisation pour l'accomplissement d'un certain nombre de démarches administratives en ligne. La question de l'accompagnement de l'accès au droit dans le cadre de la dématérialisation dépasse la seule question de l'accès au droit et demande un accompagnement humain très important.
Nous portons quelques préconisations, qui rejoignent en partie celles qui ont déjà été évoquées : la mise en place d'un dialogue renforcé entre les usagers des services publics, notamment ceux qui vivent en situation de pauvreté ou d'exclusion numérique, et les administrations, en les associant directement à la réflexion sur la dématérialisation ; mieux coordonner et mutualiser sur les territoires les réponses pour l'accès au numérique et l'accompagnement aux démarches en ligne ; développer la formation des aidants et des médiateurs numériques pour l'accueil et l'accompagnement des personnes en situation de handicap ou de grande exclusion ; travailler sur l'âge des bénévoles. J'abonde dans le sens d'un maintien de la possibilité d'accomplir les démarches administratives sur formulaire papier, avec un accompagnement humain, pour toutes les personnes qui n'ont pas accès à du matériel et une connexion.
La Fédération des acteurs de la solidarité est un réseau généraliste de 870 associations nationales et locales de lutte contre les exclusions, pour lesquelles le numérique est un véritable enjeu. Ce réseau regroupe les acteurs de l'accueil et de l'hébergement des personnes en situation de précarité et en grande exclusion, des demandeurs d'asile, de l'insertion des réfugiés et de l'insertion par l'activité économique. Nous promouvons le travail social en ouvrant des espaces d'échange entre tous les acteurs du secteur social et défendons la participation des personnes en situation d'exclusion à la réflexion des politiques qui les concernent dans différentes instances de la Fédération.
La Fédération partage les constats soulevés, qui font écho aux dernières études sur le secteur et qui démontrent que les personnes, notamment à la rue, sont encore trop peu équipées (30 % des personnes ne sont pas équipées d'un smartphone). De même, les intervenants sociaux sont encore peu équipés de manière adéquate et peu formés à l'usage et la médiation numériques. Peu de lieux, y compris les espaces publics numériques, sont accessibles aux personnes de grande exclusion. L'enquête que nous avons menée en 2017 démontre que la dématérialisation est accueillie de façon mitigée de la part des intervenants sociaux qui ont répondu à cette enquête, considérant seulement à 11 % qu'elle réduit la complexité des démarches. Certains évoquent même une perte d'autonomie pour les personnes qu'ils accompagnent, puisque seuls 3 % estiment que ces dernières font leurs démarches en ligne seules. Enfin, la crise sanitaire a démontré que le numérique restait un enjeu à relever dans le secteur social et médicosocial.
Ces constats conduisent la Fédération à travailler à la mise en place d'actions permettant de recenser les besoins en numérique dans notre réseau et d'accompagner nos adhérents à travers du soutien, particulièrement aux petites structures, pour les projets numériques qu'elles souhaitent développer à destination des personnes qu'elles accompagnent. Un fonds d'initiative locale contre l'exclusion, en particulier, est financé par la Fondation Bruno, sous l'égide de la Fondation de France et permet de financer des projets de permanences et d'ateliers numériques. Nous mettons également en place des formations sur l'emploi à destination des professionnels, afin de permettre la montée de la médiation numérique dans ce secteur, en partenariat avec Emmaüs Connect et l'Association départementale pour l'emploi intermédiaire. Nous élaborons en outre un projet de maraude numérique à destination des personnes à la rue afin de leur permettre un accès au droit et le maintien du lien social. Nous sommes en demande de soutien et en recherche de financement pour ce projet. Notre accompagnement prend également la forme d'une intervention en urgence, en particulier pendant la période d'épidémie Covid, afin d'équiper les familles à l'hôtel.
La Fédération a constaté l'exacerbation des inégalités face au numérique au cours de la crise sanitaire. En effet, à travers son programme Respiration, qui permet l'accès à la culture, nous avons oeuvré à trouver des solutions matérielles pour l'accès au numérique des enfants durant le confinement. Le contexte actuel démontre combien le manque d'équipement informatique et téléphonique des familles creuse les inégalités, le numérique étant un outil pédagogique indispensable. Afin de recenser les besoins de ces familles, nous avons diffusé un questionnaire auquel 111 structures ont répondu, représentant 3 305 familles hébergées, parmi lesquelles vivent 6 327 enfants. 78 % d'entre eux sont en âge d'être scolarisés, 70 % des familles ne disposaient d'aucun équipement et 50 % d'aucune connexion. Les smartphones sont généralement les seuls outils utilisés, parfois à raison d'un par famille.
Pour répondre à ces besoins, une opération partenariale a été développée avec Emmaüs Connect afin de faire parvenir du matériel informatique aux familles concernées et faciliter leur accès à la connexion. Cette opération a bénéficié du soutien de la Direction générale de la cohésion sociale, de la délégation interministérielle en charge de la lutte contre la pauvreté, de l'Unicef et de partenaires privés. Cette opération s'inscrit dans la mobilisation plus large de Connexion d'urgence et a bénéficié aux familles suivies par Emmaüs Solidarité, Aurore et le Samu social de Paris. Ainsi, un équipement et une connexion ont pu être fournis à plus de 6 000 enfants, partout en France.
La Fédération se trouve néanmoins en difficulté pour mener des actions au national et dans les régions, faute de soutien au niveau étatique. Nous sommes ainsi en demande de soutiens de l'État et de partenaires privés. Depuis le début de l'année, nous participons aux travaux de la DINUM, qui permet de porter la parole des personnes usagères des services publics en ligne. Nous sommes également en lien avec la délégation interministérielle à l'accueil et à l'intégration des réfugiés. Nous saluons ces initiatives, mais soulignons la nécessité d'aller de l'avant sur l'équipement et le soutien à la médiation numérique, en mettant en place un véritable plan d'inclusion numérique pour les personnes en situation de précarité, que la Fédération demande depuis 2017, afin de travailler, au niveau local, avec des mises en réseau, des espaces publics numériques (EPN), et proposer des offres d'équipement et de connexion à bas coût. Nous sommes également en demande de soutien au financement en coordination territoriale et en accompagnement des personnes en situation de précarité vers le droit commun. Nous demandons également de garantir l'accès à l'équipement numérique et à la connexion pour les enfants scolarisés afin d'éviter des ruptures d'accès à la scolarité. Nous souhaitons en outre que les délégués qui représentent ces personnes accueillies et/ou accompagnées soient équipés, au vu du développement futur d'applications pour l'accomplissement de leurs missions. Nous demandons par ailleurs que les enjeux de la protection des données personnelles pour les personnes en précarité soient bien intégrés dans les outils développés et dans la formation à la médiation numérique. Il s'agit enfin de faire du numérique un véritable sujet de transversalité entre les ministères de l'Éducation, de l'Intérieur, la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO), la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), le secrétariat à l'Égalité et la DINUM.
Enfin, les démarches administratives 100 % en ligne doivent permettre une véritable simplification administrative. Les travaux en ce sens sont encore peu engagés par les pouvoirs publics et les organismes payeurs. Alors que le numérique prend une place de plus en plus importante, il ne doit pas devenir synonyme d'une plus grande exclusion pour les personnes en situation de précarité.
Depuis deux ans, nous encourageons la création d'une telle mission d'information auprès de l'Assemblée nationale. Nous sommes ravis que le Sénat s'en saisisse.
Hypra est née du constat de deux étudiants lors de leurs études de sciences politiques, qui ont observé que le numérique créait une fracture dans l'accès aux études puis à l'emploi. Ce constat s'universalise, puisque nombreux sont ceux qui sont touchés dans le cadre familial. Nous avons ainsi décidé de constituer une jeune entreprise innovante et de réunir, au sein d'un conseil médical et scientifique, un certain nombre d'experts de l'e-inclusion, dès 2015, en vue de réfléchir en profondeur aux déterminants, dans l'usage numérique, de cette fracture secondaire. Les Français, en l'occurrence, ne sont pas réfractaires au numérique, mais incompris, d'une part des administrations dans la façon dont la dématérialisation s'opère, et d'autre part des accompagnants numériques. En effet, la pédagogie, la patience, l'approche culturelle et l'encouragement nécessaire à l'embarquement dans cette transformation sociétale et cette nouvelle langue continuent de faire défaut.
Forts de ce constat scientifique, nous avons bâti une approche reposant non pas sur la médiation numérique, mais sur l'émancipation et l'acculturation numérique. Le numérique constitue une culture et une langue, qui impliquent un certain nombre de pratiques, méthodes exploratoires, réflexes cognitifs, qui permettent à la personne de développer une autonomie sur l'ensemble des outils. Nous privilégions également une approche par l'émancipation, car l'autonomisation sur l'outil numérique passe par une approche évaluant l'autonomie de la personne.
Nous avons ainsi décidé de nous spécialiser dans l'inclusion numérique en construisant un certain nombre de programmes d'accompagnement. Ceux-ci débutent avant la phase d'équipement, afin de permettre aux personnes d'être avant tout comprises dans leurs réticences, leurs angoisses, etc., et de leur permettre de partager ce vécu en amont. Cette démarche se traduit par des échanges téléphoniques et des ateliers d'inclusion numérique, permettant d'échanger sur leur vécu et de discuter avec un professionnel de l'inclusion numérique. Nous assurons aujourd'hui des ateliers en présentiel sur une dizaine de territoires et une quinzaine de départements. Ce programme était doublé, avant même la crise et le confinement, de programmes d'accompagnement distanciels, en visioconférence et par téléphone, permettant de couvrir un territoire plus large et de réduire la taille des groupes. Ils ont été renforcés pendant le confinement, pour répondre à la demande croissante d'établissements et de structures sociales et assurer la continuité de l'accompagnement. Enfin, notre programme « Le numérique pour tous » consiste en un prêt de longue durée d'un équipement associé à un accompagnement personnalisé à distance par un médiateur numérique. Tous ces programmes s'articulent pour assurer une continuité sur l'ensemble de la démarche d'émancipation.
Dans l'écosystème de l'inclusion numérique, nous disposons de la capacité d'équiper les primo-accédants à grande échelle avec du matériel accessible universellement (personnes âgées, personnes en situation du handicap, enfants, ensemble de la population). Ce matériel a été conçu avec le soutien de la Banque publique d'investissement pour être non stigmatisant, c'est-à-dire à accès universel, reposant sur un système d'exploitation souverain. Enfin, le service d'accompagnement aux usages numériques est au coeur de notre modèle économique. Il est assuré par des professionnels qualifiés en sciences humaines et sociales. En matière de politique publique de lutte contre l'illectronisme, nous préparons une note qui résume l'ensemble de nos propositions et constats. Nous considérons que celle-ci est, en France, largement insuffisante. Je citerai trois axes d'amélioration : la qualification de l'offre de médiation numérique, qui fait aujourd'hui l'objet d'un déficit, l'absence de référentiel universel d'évaluation de l'autonomie numérique, et enfin le pilotage maladroit et illisible de l'offre de médiation numérique (axé sur un financement orienté vers des lieux plutôt que des services et une multiplicité d'acteurs non spécialisés et de petite taille). Ce pilotage empêche la construction de champions nationaux et européens sur cette thématique ainsi que la mutualisation d'expertises d'un territoire à l'autre. Face à ces constats, nous portons également un service d'accompagnement au design inclusif, pour que les administrations puissent dématérialiser de façon inclusive de tous les publics précaires et en situation de handicap.
J'ai créé La Mêlée, une association qui travaille sur le développement des usages du numérique et de l'innovation numérique au sens large. Nous sommes une des plus anciennes associations françaises sur ces thématiques. Nos adhérents sont des entreprises, des collectivités ainsi que des personnes individuelles. Ils travaillent au sein de 18 commissions thématiques, tournées vers des sujets d'innovation, de transition ou d'inclusion numérique. Nous sommes implantés à Toulouse et Montpellier, et comptons une vingtaine de collaborateurs. Nos grands axes de travail sont la transformation numérique des organisations, le développement numérique des territoires, l'accompagnement à l'innovation, avec des programmes personnalisés, les talents (éducation, formation, recrutement), l'entreprenariat et l'inclusion numérique. Nous travaillons sur ce sujet depuis plusieurs années, bien qu'il se soit révélé aux autres acteurs très récemment. Nous animons donc des commissions thématiques sur le handicap, la santé, la diversité dans le numérique, l'apprentissage du code, et organisons un certain nombre de rencontres, dont une journée autour de l'inclusion numérique, « Numérique pour tous », parrainée en 2019 par la mission Société numérique.
Depuis l'an dernier, nous nous associons à des acteurs du terrain (médiation numérique, insertion). Nous avons répondu à l'appel à projets « Hub France connectée » et sommes devenus un des 11 hubs connectés en France, dans le cadre du plan national pour un numérique inclusif, soutenu par l'ANCT et la Banque des territoires.
Le hub « Réseau et hub pour un numérique inclusif en Occitanie » est un projet que nous portons avec le collectif pour l'inclusion numérique, en collaboration avec Envoi, une entreprise d'insertion ainsi qu'une entreprise adaptée. Notre objectif est de constituer une structure territoriale d'appui aux acteurs de l'inclusion numérique en Occitanie. Nous associons ainsi les différents types d'acteurs, les aidons à se structurer sur différentes thématiques et soutenons leurs activités, leur développement et leur complémentarité. L'écosystème autour du numérique est aujourd'hui peu structuré et ne permet pas de se repérer. De nouveaux acteurs d'envergure nationale sont très engagés, et parallèlement, des structures locales qui accomplissent un travail très important ne sont pas très visibles. Nous nous chargeons de leur permettre de se rencontrer sur des axes stratégiques. La Banque des territoires et l'État réinvestissent ce sujet depuis 2018. Notre particularité est d'avoir cherché à associer les entreprises, qui ont aujourd'hui un intérêt à investir dans l'inclusion numérique. Nous avons aujourd'hui une quarantaine de grands partenaires clés, avec lesquels nous travaillons dans un principe de co-construction, sans nous substituer aux acteurs. Durant la crise du Covid-19, nous nous sommes mobilisés au travers de l'initiative « Solidaritenumérique.fr », qui constitue une base de ressources offrant l'accès à de la documentation de première nécessité ainsi qu'à un numéro vert, qui a compté plus de 10 000 appels.
De nombreuses actions ont été mises en place pendant le confinement (webinaires, valorisation de nombreuses initiatives autour de l'inclusion numérique). Il est apparu que ces fractures étaient très problématiques. Nous avons ainsi saisi différentes collectivités locales afin de les inciter à aller plus loin sur ces sujets. En effet, les actions sont encore très faibles voire inexistantes à ce jour.
Le Secours catholique représente 1,5 million de personnes aidées ou accompagnées et 65 000 bénévoles. Le revenu moyen des personnes que nous accueillons est de 500 euros. Nous avons à coeur d'échanger avec les personnes en précarité pour identifier les difficultés qu'elles rencontrent et construire avec elles des solutions. Entre l'an dernier et cette année, la question du numérique a été omniprésente et revient fortement dans les difficultés exprimées et la volonté des personnes concernées d'être associées pour améliorer la situation notamment au regard de la question de l'équipement, de son coût et de la formation. Au-delà du scolaire et de la distribution de matériel, il est en effet nécessaire d'apprendre à s'en servir, avec ses enfants. Avec Emmaüs Connect, nous avons ainsi permis l'équipement d'un certain nombre de scolaires pendant le confinement. Je souhaite souligner la difficulté de nombreuses familles de choisir face à la multiplicité des offres matérielles, notamment les forfaits.
La question de l'accès à des espaces publics numériques est, elle aussi, fréquente, notamment dans le monde rural, où nous sommes fortement implantés. Il est nécessaire de faciliter l'accès à la connexion. Il nous a notamment été demandé d'augmenter l'accès au wifi gratuit dans les mairies, CCAS, centres sociaux et hôtels sociaux. Une expérimentation a été lancée il y a deux ans sur la question du droit au maintien à la connexion dans trois départements. Quels en sont les résultats ? Nous souhaiterions que ce droit soit étendu à tous les départements.
La problématique de l'accès au droit a également été abordée par mes collègues. Le « tout-numérique » est en effet fortement dénoncé par les personnes en situation de précarité, en ce qu'il génère beaucoup de souffrances et de stress et se traduit par des ruptures de droits et du renoncement. Pour y faire face, nous essayons de développer de l'entraide, via la formation et l'accompagnement, mais celle-ci ne suffit pas. Il est notamment nécessaire de prévoir des médiateurs numériques dans toutes les maisons France Services, afin que ceux-ci puissent accompagner les personnes dans leurs démarches. Plus largement, il serait utile de repenser l'ergonomie des plateformes avec les utilisateurs eux-mêmes. Davantage de plateformes dans d'autres langues que le français pourraient également être mises en place, et la gratuité des appels devrait être permise.
Pendant cette période de crise, les administrations nous ont démontré qu'elles étaient capables d'utiliser le numérique pour maintenir les droits. Elles s'en servent également pour traquer les fraudes et les erreurs, souvent aux dépens des personnes en difficulté. Ces organismes doivent pouvoir utiliser le numérique pour être davantage facilitateurs, limiter voire réduire les ruptures de droits et le non-recours. Il est anormal que le transfert de son dossier CAF d'un département à l'autre prenne encore plusieurs semaines.
Je souhaite avant tout vous remercier et vous féliciter. Cette audition est l'une des plus denses et riches que nous ayons eu l'occasion d'entendre depuis l'initiation de cette démarche. Je mesure le travail que vous accomplissez dans vos actions intelligentes, innovantes, solidaires, qui ne sont pas suffisamment connues, et surtout soutenues. Vos témoignages nous permettront de construire une partie de notre rapport.
Je souhaiterais que Corentin Voiseux revienne sur l'équipement, en le mettant à la portée de l'enjeu de la lutte contre l'illectronisme. Le Sénat est l'instance qui représente les collectivités. Pourriez-vous nous faire part de vos attentes vis-à-vis de l'État, des collectivités locales, des opérateurs et des entreprises numériques ?
Je souhaite remercier les participants pour le travail qu'ils réalisent au quotidien. Au-delà des possibilités immenses offertes par la technique, le numérique est aujourd'hui un vecteur ou un marqueur de citoyenneté qui doit placer l'usager au centre des préoccupations. Avez-vous des expériences partenariales entre vos associations et des collectivités (avec des dispositifs comme les bus numériques) qui favorisent l'accès des plus éloignés au numérique ? Avez-vous des retours sur les accompagnements réussis au sein des maisons de service au public ou des maisons France Services ? Enfin, compte tenu des services publics et des élus que vous côtoyez, considérez-vous que les élus ont conscience que l'illectronisme ne se limite pas à la mise à disposition de matériel ?
J'ai été impressionné par la qualité et le nombre d'actions que vous conduisez. Qui, cependant, les connaît ? Ces actions souffrent-elles d'un manque de communication et de promotion auprès du grand public ? Je n'ai en effet pas le sentiment qu'elles soient suffisamment connues du public concerné.
Nous avons cité l'opération Emmaüs Connect de donation et de prêt de matériel. De nombreuses personnes ne l'ont pas comprise, estimant qu'elle était inutile, voire scandaleuse, en raison d'une préconception selon laquelle la pauvreté serait uniquement économique. Or la pauvreté, l'exclusion, la grande précarité, sont caractérisées par un cumul des difficultés dans différents domaines de la vie. La vision de la société de l'extrême pauvreté doit ainsi être réformée, sur le numérique comme sur les autres aspects.
Nous sommes favorables à l'accès au numérique pour tous, mais pas au « tout-numérique ». Il est ainsi essentiel de proposer des alternatives pour les prises de rendez-vous en préfecture sur l'ensemble du territoire. L'intégration du numérique, par ailleurs, repose sur trois aspects : les formations de nos bénévoles, qui sont une population en majorité retraitée, les besoins matériel et connectiques et, enfin, l'accès à la connexion pour les plus précaires. Certaines bibliothèques sont très ouvertes aux publics précaires et leur proposent d'utiliser librement le wifi. Au-delà, l'accès à des ordinateurs et des espaces dédiés devrait être envisagé. J'ai également cité l'exemple de Bibliothèques Sans Frontières, qui ouvre des lieux de culture dans les laveries, qui sont plus accessibles. Enfin, La Cimade ne dispose pas de financements spécifiques liés au numérique mais en a besoin.
En ce qui concerne nos attentes, la coordination des actions relatives au numérique entre les ministères représente un véritable enjeu.
Nous n'avons pas évoqué l'accès au numérique des personnes détenues, qui ont très peu accès à des ordinateurs et pas du tout à internet, ce qui représente un frein au maintien des liens familiaux et sociaux. La fermeture des établissements pénitentiaires pour des questions de sécurité sanitaire à l'accès des personnes extérieures doit nous conduire à reposer cette question de l'accès au numérique et à internet, dans des conditions sécurisées, pour les personnes détenues.
Concernant le manque de communication des actions, le sujet du numérique pour les personnes en situation de précarité n'est pas assez porté aujourd'hui. Les innovations technologiques redescendent rarement vers ces personnes. Le numérique est aujourd'hui un lien de première nécessité. Ne pas y avoir accès participe au non-recours et à l'exclusion. Au sein de la Fédération, nous estimons que la stratégie pour le numérique inclusif ne prend pas suffisamment en compte les plus précaires et leurs besoins particuliers, notamment les aspects linguistiques. Les travaux conduits avec la délégation de la pauvreté et de la stratégie numérique, notamment sur la formation des travailleurs sociaux, devraient être approfondis pour prendre en compte tous les publics. Nous demandons ainsi un plan pour les personnes les plus précaires ainsi qu'une volonté de travailler avec les acteurs du secteur privé pour réfléchir à des solutions d'équipement et de connexion à bas coût. Nous attendons dès lors de l'État qu'il assure cette mise en relation entre ces acteurs et les collectivités territoriales, pour repenser l'accessibilité des lieux dédiés à la médiation numérique à un niveau territorial.
S'agissant de nos attentes, nous avons identifié trois grandes priorités au niveau de l'action publique : l'association systématique et non négociable de la démarche de dématérialisation à une dimension de design inclusif, dès le cahier des charges ; l'établissement d'un référentiel national d'évaluation de l'autonomie numérique, porté au niveau de l'État ; la fixation par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie du critère d'opérateurs disposant d'une implantation locale et de statut associatif pour un certain nombre de départements, ces deux critères empêchant d'évaluer la qualité des projets sur la performance du service rendu en termes d'émancipation.
Au niveau des collectivités territoriales, nous demandons un pilotage de l'offre plus transparent et qualitatif. Nous demandons que les départements jouent le rôle d'impulsion d'une dynamique territoriale en ce qui concerne le lien entre les opérateurs et les différents échelons de l'action sociale, et qu'ils se comportent moins en guichets de financement mais en chef de file et constructeurs d'une politique publique en devenir.
Concernant le manque de promotion, les établissements publics numériques ont historiquement fait l'objet d'un déficit de fréquentation. Au sens d'Hypra, ce problème tient au fait que la promotion s'attache aux lieux plutôt qu'aux services rendus au public.
Enfin, sur la question de l'équipement numérique, notre ambition de construire l'ordinateur à accès universel vient du constat que les ordinateurs classiques du grand public disposent d'interfaces mouvantes, peuvent être infectés de virus, ne sont pas protecteurs des données personnelles et ne sont pas fournis avec un accompagnement humain et personnalisé. Enfin, ils ne sont pas en situation de pouvoir couvrir les besoins universels de la population, y compris celle en situation de handicap ou âgée. C'est pour répondre à ces objectifs que nous avons souhaité construire cet ordinateur protecteur de la vie privée, sans virus, dont l'interface reste stable, fourni avec cet accompagnement humain, distanciel et personnalisé. Toutes les personnes en situation de handicap pourraient s'en emparer, sans limitation liée à la conception de l'outil.
Notre mission consistant à fédérer tous les acteurs liés à l'inclusion numérique nous semble indispensable, du fait de nombreuses initiatives déconnectées les unes des autres. Il importe également de sensibiliser tous les acteurs. Lors du lancement du hub, nous avons rencontré les chefs de service en lien avec les publics de la grande métropole de notre territoire. C'est lors de cette réunion qu'ils ont réalisé qu'ils investissaient, sans le savoir, le domaine de l'inclusion numérique. Si les grands décideurs n'ont pas de vision de l'enjeu de cette thématique, ces initiatives pourront difficilement parvenir jusqu'au grand public.
La gouvernance de structures qui fédèrent ces acteurs doit en outre intégrer des acteurs de terrain. Nous sommes ainsi allés à la rencontre d'un conseil départemental qui avait structuré des actions de médiation et d'inclusion sur son territoire, de façon centralisée. Pour aborder les thématiques en question, nous devions attendre l'échéance de l'élection municipale, l'accord des dirigeants politiques, etc. Un an plus tard, nous n'avons pas pu initier le travail.
Nous avons six propositions d'améliorations pour répondre à cette urgence numérique, qui nécessite une mobilisation de tous les acteurs, partant de l'État : travailler sur un fonds interministériel rassemblant différentes sources existantes pour favoriser la mobilisation sur les sujets de l'inclusion numérique ainsi que sur des fonds incluant des acteurs privés, sous l'égide d'une instance multipartenariale ; affiner l'articulation des différentes briques de la stratégie avec les dispositifs existants ; affiner les modalités en impliquant les entreprises ; débloquer plus rapidement les fonds à l'usage des structures d'aménagement numérique des territoires ; développer de nouveaux dispositifs dans le cadre des stratégies numériques (rendre accessible les équipements numériques en termes de coûts pour les foyers précaires, via par exemple des centrales d'achat, locations en lien avec des associations, etc.) ; pérenniser le dispositif solidaritenumerique.fr et le développer pour une redirection plus forte vers les acteurs locaux ; imposer un niveau minimum d'accessibilité des services numériques.
S'agissant de nos attentes, nous observons une certaine inégalité territoriale en matière numérique, qui se traduit par des zones blanches ou des difficultés d'accès à des espaces publics, mais aussi par des différences d'équipement des scolaires. Nous avons par ailleurs besoin que les acteurs locaux se placent en facilitateurs. De nombreuses actions sont menées, dont nous nous félicitons. Il se pose d'abord la question du repérage des difficultés. Les CCAS sont invités, en début de mandat municipal, à réaliser une analyse des besoins sociaux. Les questions de fracture numérique pourraient par exemple faire l'objet de chapitres spécifiques. Les dispositifs des espaces numériques, quant à eux, ne sont pas assez connus. Par ailleurs, nos vies étant devenues fortement dépendantes de l'accès au numérique, celui-ci pourrait être reconnu comme un bien de première nécessité. Enfin, la mobilisation de nos imaginations à la création d'outils simples me semble très importante. Elle doit embarquer les personnes en situation de précarité, afin que ces outils ne se limitent pas au contrôle et à la vérification mais deviennent facilitants.
Je souhaite vous adresser tous nos remerciements et vous indiquer que nos échanges ne s'arrêtent pas à cette réunion. Si vous souhaitez partager votre vision et d'autres idées, afin qu'elles figurent dans un rapport de dimension nationale, je vous invite à nous faire part de contributions écrites.
La téléconférence est close à 18 h 25.