Intervention de Alice Coutereel

Mission d'information Illectronisme et inclusion numérique — Réunion du 17 juin 2020 : 1ère réunion
Table ronde des associations en téléconférence

Alice Coutereel, chargée de mission Accès aux droits et au numérique de la Fédération des acteurs de la solidarité :

La Fédération des acteurs de la solidarité est un réseau généraliste de 870 associations nationales et locales de lutte contre les exclusions, pour lesquelles le numérique est un véritable enjeu. Ce réseau regroupe les acteurs de l'accueil et de l'hébergement des personnes en situation de précarité et en grande exclusion, des demandeurs d'asile, de l'insertion des réfugiés et de l'insertion par l'activité économique. Nous promouvons le travail social en ouvrant des espaces d'échange entre tous les acteurs du secteur social et défendons la participation des personnes en situation d'exclusion à la réflexion des politiques qui les concernent dans différentes instances de la Fédération.

La Fédération partage les constats soulevés, qui font écho aux dernières études sur le secteur et qui démontrent que les personnes, notamment à la rue, sont encore trop peu équipées (30 % des personnes ne sont pas équipées d'un smartphone). De même, les intervenants sociaux sont encore peu équipés de manière adéquate et peu formés à l'usage et la médiation numériques. Peu de lieux, y compris les espaces publics numériques, sont accessibles aux personnes de grande exclusion. L'enquête que nous avons menée en 2017 démontre que la dématérialisation est accueillie de façon mitigée de la part des intervenants sociaux qui ont répondu à cette enquête, considérant seulement à 11 % qu'elle réduit la complexité des démarches. Certains évoquent même une perte d'autonomie pour les personnes qu'ils accompagnent, puisque seuls 3 % estiment que ces dernières font leurs démarches en ligne seules. Enfin, la crise sanitaire a démontré que le numérique restait un enjeu à relever dans le secteur social et médicosocial.

Ces constats conduisent la Fédération à travailler à la mise en place d'actions permettant de recenser les besoins en numérique dans notre réseau et d'accompagner nos adhérents à travers du soutien, particulièrement aux petites structures, pour les projets numériques qu'elles souhaitent développer à destination des personnes qu'elles accompagnent. Un fonds d'initiative locale contre l'exclusion, en particulier, est financé par la Fondation Bruno, sous l'égide de la Fondation de France et permet de financer des projets de permanences et d'ateliers numériques. Nous mettons également en place des formations sur l'emploi à destination des professionnels, afin de permettre la montée de la médiation numérique dans ce secteur, en partenariat avec Emmaüs Connect et l'Association départementale pour l'emploi intermédiaire. Nous élaborons en outre un projet de maraude numérique à destination des personnes à la rue afin de leur permettre un accès au droit et le maintien du lien social. Nous sommes en demande de soutien et en recherche de financement pour ce projet. Notre accompagnement prend également la forme d'une intervention en urgence, en particulier pendant la période d'épidémie Covid, afin d'équiper les familles à l'hôtel.

La Fédération a constaté l'exacerbation des inégalités face au numérique au cours de la crise sanitaire. En effet, à travers son programme Respiration, qui permet l'accès à la culture, nous avons oeuvré à trouver des solutions matérielles pour l'accès au numérique des enfants durant le confinement. Le contexte actuel démontre combien le manque d'équipement informatique et téléphonique des familles creuse les inégalités, le numérique étant un outil pédagogique indispensable. Afin de recenser les besoins de ces familles, nous avons diffusé un questionnaire auquel 111 structures ont répondu, représentant 3 305 familles hébergées, parmi lesquelles vivent 6 327 enfants. 78 % d'entre eux sont en âge d'être scolarisés, 70 % des familles ne disposaient d'aucun équipement et 50 % d'aucune connexion. Les smartphones sont généralement les seuls outils utilisés, parfois à raison d'un par famille.

Pour répondre à ces besoins, une opération partenariale a été développée avec Emmaüs Connect afin de faire parvenir du matériel informatique aux familles concernées et faciliter leur accès à la connexion. Cette opération a bénéficié du soutien de la Direction générale de la cohésion sociale, de la délégation interministérielle en charge de la lutte contre la pauvreté, de l'Unicef et de partenaires privés. Cette opération s'inscrit dans la mobilisation plus large de Connexion d'urgence et a bénéficié aux familles suivies par Emmaüs Solidarité, Aurore et le Samu social de Paris. Ainsi, un équipement et une connexion ont pu être fournis à plus de 6 000 enfants, partout en France.

La Fédération se trouve néanmoins en difficulté pour mener des actions au national et dans les régions, faute de soutien au niveau étatique. Nous sommes ainsi en demande de soutiens de l'État et de partenaires privés. Depuis le début de l'année, nous participons aux travaux de la DINUM, qui permet de porter la parole des personnes usagères des services publics en ligne. Nous sommes également en lien avec la délégation interministérielle à l'accueil et à l'intégration des réfugiés. Nous saluons ces initiatives, mais soulignons la nécessité d'aller de l'avant sur l'équipement et le soutien à la médiation numérique, en mettant en place un véritable plan d'inclusion numérique pour les personnes en situation de précarité, que la Fédération demande depuis 2017, afin de travailler, au niveau local, avec des mises en réseau, des espaces publics numériques (EPN), et proposer des offres d'équipement et de connexion à bas coût. Nous sommes également en demande de soutien au financement en coordination territoriale et en accompagnement des personnes en situation de précarité vers le droit commun. Nous demandons également de garantir l'accès à l'équipement numérique et à la connexion pour les enfants scolarisés afin d'éviter des ruptures d'accès à la scolarité. Nous souhaitons en outre que les délégués qui représentent ces personnes accueillies et/ou accompagnées soient équipés, au vu du développement futur d'applications pour l'accomplissement de leurs missions. Nous demandons par ailleurs que les enjeux de la protection des données personnelles pour les personnes en précarité soient bien intégrés dans les outils développés et dans la formation à la médiation numérique. Il s'agit enfin de faire du numérique un véritable sujet de transversalité entre les ministères de l'Éducation, de l'Intérieur, la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO), la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), le secrétariat à l'Égalité et la DINUM.

Enfin, les démarches administratives 100 % en ligne doivent permettre une véritable simplification administrative. Les travaux en ce sens sont encore peu engagés par les pouvoirs publics et les organismes payeurs. Alors que le numérique prend une place de plus en plus importante, il ne doit pas devenir synonyme d'une plus grande exclusion pour les personnes en situation de précarité.

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