Monsieur le président, mes chers collègues, dès le début de la crise du coronavirus, ses conséquences sur la situation sanitaire en Afrique ont suscité les plus grandes inquiétudes en raison de la faiblesse des systèmes de santé des pays du continent. La Commission des Nations unies pour l'Afrique a estimé que la pandémie pourrait y tuer jusqu'à 300 000 personnes.
Nous avons donc souhaité, avec Marie-Françoise Pérol-Dumont, entendre quelques-uns des grands acteurs de l'humanitaire et de l'aide publique au développement afin de faire le point sur la situation. Premier constat, la crise sanitaire n'a pas démarré aussi sévèrement que nous le craignons, même s'il est encore bien trop tôt pour faire un bilan définitif. Au 20 Juin 2020, L'Afrique comptait 287 385 cas confirmés de coronavirus et 7 708 morts. C'est seulement une petite partie des cas dans le monde. Toutefois, l'épidémie semble toujours en phase de croissance.
Plusieurs facteurs ont joué pour retarder la flambée : la jeunesse de la population africaine certes, mais aussi l'expérience d'autres épidémies comme celle du virus Ebola. Par ailleurs, il convient de mettre au crédit de nombreux pays africains une réaction rapide et énergique, là où certains analystes, rappelez-vous, évoquaient plutôt un probable effondrement des États.
Le Centre africain de contrôle et de prévention des maladies (CDC Africa), dont nous avons entendu le directeur, le Dr John Nkengasong, a notamment lancé une stratégie de coordination continentale dès la fin février. Grâce à ces efforts, le nombre de pays capables de réaliser des tests est passé en quelques semaines de 2 à 43. La France est aussi partie prenante du projet de production de tests rapides par l'institut Pasteur de Dakar dans le cadre de l'initiative Diatropix soutenue depuis 2018 par Mérieux. Le CDC Africa a aussi déployé début juin son partenariat pour accélérer les tests (PACT), que le docteur Nkengasong nous avait annoncé.
Marie-Françoise Pérol-Dumont évoquera davantage les conséquences économiques de la crise mais je voudrais souligner un point à ce sujet : la baisse alarmante des transferts privés. La banque mondiale a signalé que la baisse risquait d'être de 23 % en 2020. Toute l'économie africaine sera affectée directement ou indirectement par cette chute des transferts, estimés en temps normal à 70 milliards de dollars, plus que l'aide publique au développement.
Je souhaiterais souligner que les ONG sont en première ligne face à cette crise. C'est notamment le cas de la Croix-Rouge française, qui joue un rôle de prévention, d'isolement et de triage des cas suspects, de surveillance épidémique à base communautaire, voire de renforcement des systèmes de santé. En outre, comme nous l'a indiqué le directeur général délégué de l'ONG humanitaire française Acted, les ONG sont également les acteurs les mieux placés pour instaurer des mesures de compensation aux restrictions de déplacements. En effet, pour les populations qui vivent de l'économie informelle, ces restrictions représentent un danger supérieur à celui du coronavirus. Or les ONG maîtrisent déjà bien les transferts monétaires ou de nourriture aux familles.
Les acteurs de terrain que nous avons entendus ont également tous souligné leur crainte de voir l'urgence sanitaire actuelle porter atteinte à l'ensemble des autres actions déjà en cours sur le continent. Ainsi, 75 % des programmes en cours d'Acted ont été affectés par des mesures de réorientation de fonds des bailleurs, subissant des décalages ou des annulations.
Or, en Afrique, le COVID n'est qu'une urgence parmi d'autres. Sur le plan sanitaire, le SIDA, la tuberculose et le paludisme font toujours des centaines de milliers de morts chaque année. L'ONU a indiqué le 11 mai que le nombre de décès causés par le VIH pourrait doubler en Afrique subsaharienne (soit 500 000 morts annuels de plus) si l'accès des malades aux traitements était perturbé par la pandémie liée au coronavirus.
Il y a selon moi plusieurs leçons à tirer de cette crise. Tout d'abord, les contaminations sont toujours en hausse malgré un démarrage lent. Il faut donc s'inscrire dans la durée : la lutte a plus ressemblé à un sprint en Europe, c'est davantage un marathon en Afrique.
Il faut encore davantage travailler avec les acteurs de terrain, les laboratoires africains, les Instituts Pasteurs - et arrêter l'hémorragie des experts techniques qui sont essentiels - mais aussi les ONG. L'AFD doit d'ailleurs mieux travailler avec celles-ci. Certains acteurs de terrain estiment que l'agence, en devenant une banque de développement très puissante, s'est un peu éloignée d'eux. Or, ce sont bien les grandes ONG françaises qui sont le visage de la France dans les zones de crise.
Il faut cependant mettre au crédit de l'AFD l'annonce que nous a faite Rémy Rioux, lors de son audition, d'une nouvelle initiative sur le thème du soutien au secteur privé africain. Le tissu des PME africaine est en effet l'un des grands espoirs de développement pour l'Afrique et la crise le met en péril directement. Nous devrons suivre cette initiative de près pour en évaluer les résultats.
Je laisse maintenant la parole à ma co-rapporteure, Marie-Françoise Pérol-Dumont.