Intervention de Michel Barnier

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 25 juin 2020 à 10h30
Politique de coopération — Relation future entre l'union européenne et le royaume-uni - Audition en commun avec la commission des affaires étrangères de la défense et des forces armées de M. Michel Barnier chef de la task force pour les relations avec le royaume-uni

Michel Barnier, négociateur en chef, directeur de la Task Force :

J'exprime le voeu que nous puissions rapidement échanger dans le cadre de réunions plus classiques. Le dernier round de négociation sur la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, soit environ une quarantaine de réunions, s'est déroulé par visioconférence avec près de 200 personnes pour chaque partie. Ce ne fut pas simple.

Je vous remercie de votre soutien et de votre confiance, que je partage avec l'équipe de 70 personnes qui m'accompagne et avec le personnel des directions générales de la Commission européenne. Chaque étape de la discussion est, en effet, co-négociée par la Task Force et par la direction générale concernée. Nous bénéficions également du soutien unanime des États membres. Pour bâtir cette unité, je me suis rendu pas moins de quatre fois dans chaque capitale et j'ai régulièrement rencontré les chefs d'État. Pour ce qui concerne la France, le soutien sans faille du Président de la République, du Premier ministre et du ministre des affaires étrangères est précieux pour l'avenir du projet européen.

M. Rapin évoquait la crise du Covid, d'une gravité sans précédent et dont les conséquences sanitaires, humaines, sociales et économiques seront aussi lourdes que durables. Je lisais récemment un article dans Le Monde qualifiant de « surréaliste » le fait de poursuivre, dans ce contexte, les négociations sur le Brexit. Je ne le crois pas : le Brexit est une réalité décidée par les Britanniques il y a quatre ans, tout comme est une réalité que nous devons traiter la date de leur sortie effective de l'Union européenne le 31 décembre 2020.

MM. Rapin et Gattolin, ainsi que Mme Jouve, m'ont interrogé sur la pêche. J'ai récemment réuni les ministres chargés du dossier dans les onze États membres concernés - sept ou huit, dont la France avec les régions Bretagne, Normandie et Hauts-de-France, le sont particulièrement - : tous ont apporté leur soutien à une ligne de négociation forte. Nous devons cependant évoluer, car il n'y aura nul accord de commerce sans règlement du sujet de la pêche. Il faut négocier un accès réciproque aux eaux et aux marchés. De fait, les pêcheurs européens travaillent fréquemment dans les eaux britanniques, y compris, près de Guernesey par exemple, dans la zone des 12 milles marins. La position européenne, maximaliste, défend le statu quo, tandis que les Britanniques réclament une souveraineté pleine sur leurs eaux et sur les poissons qui y vivent et estiment qu'un éventuel accès doit être rediscuté annuellement pour chaque espèce. Cela est évidemment impossible ! Nous devons, en conséquent, trouver un compromis. Nous sommes donc prêts à discuter avec les Britanniques sur le fondement d'une série de paramètres : le rattachement zonal des eaux et des poissons qu'ils réclament, les droits de pêche historiques dont la plupart sont antérieurs à l'adhésion du Royaume-Uni à l'Union européenne, les règles de protection de la biodiversité et les intérêts économiques des régions concernées notamment. J'attends une réponse à notre proposition. Nous pourrions appliquer des règles différentes selon les espèces, mais il convient d'éviter toute renégociation annuelle de l'accord, sauf sur les stocks qui relèvent de la protection de la biodiversité. Le Royaume-Uni ne peut être comparé, sur le sujet de la pêche, à la Norvège, dont les eaux n'accueillent que cinq espèces de poissons. Nous devons être prêts à un compromis pour obtenir un accord équilibré et durable. Les communautés de pêcheurs en ont conscience.

M. Vaugrenard, nous restons ouverts à une discussion sur le dossier de la défense et la coopération. N'oublions pas que le Royaume-Uni est une puissance nucléaire, qu'il dispose d'un siège au conseil de sécurité de l'Organisation des Nations unies (ONU) et jouit d'un réseau diplomatique mondial. Pourraient être envisagés une coopération entre l'Union européenne et le Royaume-Uni au sein de l'ONU, notamment en matière de politique des sanctions, une participation de ce dernier à des opérations militaires extérieures européennes - les Britanniques jouent un rôle majeur dans l'opération Atalante contre la piraterie dans la corne de l'Afrique -, un partenariat dans le domaine de la cybersécurité - je sens, sur ce point, un mouvement favorable des Britanniques - ou une collaboration en matière de renseignement. Cela n'est, hélas, pas à l'ordre du jour. Les Britanniques, très actifs en Afrique, notamment de l'Est, ne souhaitent pas non plus discuter d'une coopération dans le domaine du développement. Peut-être que, après avoir trouvé un accord sur le socle, les négociations pourront reprendre sur ces questions.

M. Cadic s'est préoccupé de l'application de l'accord concernant les citoyens européens vivant au Royaume-Uni. Durant la période de transition, les prestations sociales leur sont versées en application du droit européen. Si vous disposez de preuves impliquant des discriminations à l'endroit de citoyens européens, je vous prie de me les faire connaître afin que je puisse les évoquer dans le cadre du joint committee. Nous avons déjà traité les dossiers de citoyens britanniques vivant en Belgique et en France. Nous devons tous, dans ce domaine, nous montrer intraitables.

M. Cadic a également évoqué les négociations en cours entre le Royaume-Uni et le Japon. De fait, en quittant l'Union européenne, le Royaume-Uni se trouve dans l'obligation de négocier près de 600 accords commerciaux bilatéraux. La charge de travail est telle que nous les avons autorisés à débuter les discussions avant leur sortie effective de l'Union européenne. Pour autant, ces accords ne pourront s'appliquer avant le 1er janvier 2021. S'agissant du Japon, l'accord britannique constituera le miroir de celui qui lie l'archipel à l'Union européenne. Nous n'avons aucune raison de participer aux négociations, mais nous les suivons avec intérêt. J'ai ainsi constaté avec étonnement que les Britanniques demandaient aux Japonais des avantages qu'ils refusent aux Européens, comme le level playing field. De même, dans le cadre de la négociation de leur accord commercial, les États-Unis ont demandé aux Britanniques d'assouplir leurs standards sur certains produits alimentaires. L'idée que du poulet chloré pourrait être importé au Royaume-Uni a ému l'opinion britannique et inquiété les industriels de l'agro-alimentaire comme les agriculteurs. Il est important de suivre ces négociations, afin de prévenir toute conséquence collatérale sur la qualité des produits alimentaires importés en Europe. Nous sommes à cet égard comptables du fait que les produits entrant en Irlande respectent les normes européennes en matière sanitaire, phytosanitaire, mais aussi de TVA, et que les règles relatives à la pêche s'y appliquent. Je rappelle que le contrôle des aides d'État sera aussi effectif un certain temps en Irlande du Nord.

M. Gattolin, notre objectif est d'aboutir à la signature d'un accord cadre, qui ne traitera ni de défense ni de politique étrangère. À défaut, le Brexit s'appliquera sans accord et le Royaume-Uni, désormais pays tiers comme un autre, relèvera du cadre de l'OMC : des deux côtés seront fixés des tarifs et des quotas pour les différents produits. Une telle situation ne saurait être que temporaire pour les Britanniques. De fait, alors que nous exportons 8 % de produits vers le Royaume-Uni, soit 300 milliards d'euros pour l'ensemble des États membres, ce dernier exporte 47 % de sa production vers l'Union européenne, pour un montant de 200 milliards d'euros. L'application ne taxes ne serait pas durablement supportable : la conclusion d'un accord apparaît dans l'intérêt de tous. Quoi qu'il en soit, Mme Jouve, le Brexit est un jeu lose lose, mais plus encore pour les Britanniques.

Nous avons effectivement intérêt, monsieur Gattolin, à coopérer en matière de recherche. Les laboratoires et les universités britanniques sont particulièrement dynamiques et émargent aux programmes européens de recherche. Les programmes européens, à l'instar d'Erasmus ou d'Horizon Europe, sont ouverts aux pays tiers. Il conviendra cependant que le Royaume-Uni se plie aux règles applicables à ces pays. Déjà, les Britanniques ont fait état de leur intérêt pour leur maintien au sein d'Horizon Europe.

Mme Jouve, les Britanniques ont récemment publié les tarifs qu'ils appliqueraient en cas de no deal sur nos 8 % d'exportations. Ils concerneront majoritairement des produits agricoles en provenance de France, d'Espagne, d'Italie et du Portugal. L'application de tels tarifs conduirait inévitablement à une augmentation du prix de ces produits sur le marché domestique. En l'absence d'accord, nous appliquerions également des tarifs douaniers et des quotas sur les produits britanniques. Le sujet de l'extension du délai étant clos, nous sommes contraints de trouver un accord d'ici au 31 décembre 2020.

Enfin, les territoires ultramarins britanniques à statut spécifique au sens des traités européens ne sont pas compétents pour négocier des accords commerciaux avec des pays tiers. Ils ne seront pas couverts par un accord avec l'Union européenne, même si les Britanniques le souhaiteraient, y compris pour Gibraltar. Concernant le Fonds européen de développement (FED), dont bénéficient notamment la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie, le montant des aides ne sera pas modifié pour les territoires qui demeurent dans l'Union européenne.

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