Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Réunion du 25 juin 2020 à 10h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • britannique
  • intérêt
  • négociation
  • pêche
  • royaume-uni

La réunion

Source

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Monsieur le commissaire, merci beaucoup d'avoir accepté d'être entendu aujourd'hui par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées ainsi que par la commission des affaires européennes du Sénat. Il y a quasiment quatre ans jour pour jour, le Royaume-Uni décidait par référendum de quitter l'Union européenne ; le gouvernement britannique enclenchait ensuite, le 29 mars 2017, la demande officielle de retrait, au titre de l'article 50 du traité sur l'Union européenne. La date de retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne était initialement prévue au 29 mars 2019. Le Conseil européen a accepté de répondre favorablement à la demande britannique de prolonger les négociations jusqu'au 31 janvier 2020.

Parvenant à maintenir l'unité des Vingt-Sept, vous avez admirablement mené ces négociations, qui ont conduit à l'accord de retrait conclu en octobre 2019 et ratifié en janvier dernier. Une période de transition s'est ouverte le 1er février 2020, durant laquelle le Royaume-Uni n'est plus membre de l'Union, ne participe plus aux institutions et n'est plus associé aux processus décisionnels, alors que le droit de l'Union continue à s'y appliquer provisoirement : cette période doit permettre de s'entendre sur la relation future entre les deux entités. C'est encore vous qui menez cette nouvelle négociation, mais les interlocuteurs britanniques ont changé. Ces derniers confirment vouloir mettre un terme à la période de transition au 31 décembre 2020, ce qui implique de conclure le processus fin octobre pour permettre ensuite la ratification de l'accord. Or la négociation semble très laborieuse. Elle a souffert du coronavirus, qui a atteint les deux parties et les a obligées à négocier par visioconférence.

Il apparaît à ce jour qu'aucune des questions essentielles, à savoir l'accès aux eaux territoriales britanniques, les règles de concurrence loyale, la gouvernance de la nouvelle relation commerciale et le rôle de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), n'a pu être réglée. Diriez-vous que ce blocage pourrait être dû à la trop grande précision du mandat impératif reçu par chaque négociateur et que, en conséquence, la perspective d'un compromis restera limitée tant que ces mandats ne seront pas assouplis de part et d'autre ? Existe-t-il une marge pour ce faire ?

Se dirige-t-on, au contraire, vers l'adoption d'une kyrielle de petits accords sectoriels, ce cherry picking que nous avions toujours refusé, plutôt que d'un accord global, au risque de mettre à mal l'équilibre final de la négociation ?

Pensez-vous, par ailleurs, que l'Allemagne, dont on sait que les intérêts dans la négociation ne sont pas tout à fait identiques aux nôtres et qui s'apprête à prendre la présidence du Conseil, pourrait mettre à son crédit une inflexion des positions de négociation afin de trouver un accord avant la fin de l'année ?

Enfin, le président Macron a rencontré M. Boris Johnson à Londres le 18 juin dernier : cet entretien a-t-il, selon vous, contribué à faire avancer la négociation ? Dans quelle mesure ces rencontres bilatérales peuvent-elles compliquer ou faciliter votre tâche ?

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Monsieur le négociateur en chef, cher Michel Barnier, merci de consacrer quelques précieux instants pour éclairer nos deux commissions. Je me concentrerai sur deux sujets.

S'agissant de l'association éventuelle de la Grande-Bretagne à la politique étrangère et de défense de l'Union, plusieurs déclarations sont intervenues depuis celle de Mme May à Florence et M. Boris Johnson a apporté des éléments sensiblement différents. Est-il possible d'intégrer à l'accord que vous allez négocier une dimension relative à la défense ? Comment, en effet, envisager une quelconque autonomie stratégique de l'Union, souhaitée par nombre de responsables européens, sans faire un travail étroit avec les Britanniques sur les questions de politique étrangère, de sécurité et de défense ? Le Sénat tente de mener un travail utile à ce sujet en préparant les dix ans des accords de Lancaster House. Quel est l'état des négociations dans ce domaine ?

J'ajoute que nous sommes sensibles à la question irlandaise. Les blessures restent vives, mais le marché unique doit être protégé. Toutes les procédures nécessaires pourront-elles effectivement être mises en oeuvre au 1er janvier 2021 ?

Nous gardons, enfin, un oeil très attentif sur les droits des citoyens européens vivant au Royaume-Uni.

Debut de section - Permalien
Michel Barnier, négociateur en chef, directeur de la Task Force

Merci de la fidélité de vos invitations, je n'oublie pas nos nombreux dialogues et je reste disponible pour le Parlement de mon pays, comme je le suis pour tous les parlements de l'Union européenne.

Nous sommes aujourd'hui à un moment névralgique de la négociation, après quatre rounds et avant le début du cinquième, qui sera intense et concentré, la semaine prochaine, pour essayer de donner une impulsion politique. Je rappelle que je conduis la négociation dans le cadre d'un mandat fixé par les vingt-sept gouvernements à l'unanimité et qui demeurera inchangé jusqu'au bout ; je travaille également sous le contrôle du Parlement européen, qui s'exprime par des résolutions, dont je tiens compte. Le processus de Brexit s'est engagé il y a quatre ans ; nous respectons cette décision souveraine et démocratique même si nous la regrettons et nous la mettons en oeuvre étape par étape.

La première étape était institutionnelle et politique : elle consistait à quitter l'Union européenne en bon ordre. Comme tout divorce, c'est un processus coûteux qui crée beaucoup d'incertitudes sous-estimées et, selon moi, mal expliquées au Royaume-Uni. Cela a occupé les trois premières années de mon travail, qui a débouché sur un accord signé en octobre dernier puis ratifié par le Parlement européen et par les chambres des Communes et des Lords.

L'étape suivante est le Brexit économique et commercial. Nous avons, pour faciliter les choses, établi une période de transition assez courte, qui s'achève le 31 décembre de cette année. Il est possible, jusqu'au 30 juin, de la prolonger d'un commun accord d'un an ou deux ans, mais M. Johnson nous a dit qu'il n'était pas question qu'il le demande, alors que nous y étions ouverts. La négociation s'achèvera donc au 31 décembre, plus tôt, en réalité, car deux mois seront consacrés aux ratifications. Elle est donc limitée au 31 octobre.

Le 31 décembre, en toute hypothèse, le Royaume-Uni quittera l'union douanière et le marché unique, ce qui emporte beaucoup de conséquences. Accord ou non, des changements interviendront au 1er janvier prochain auxquels nous devrons être prêts. En effet, tous les produits entrant dans le marché unique sont rigoureusement contrôlés aux frontières extérieures, pour trois raisons : la protection des consommateurs, celle des budgets, avec les taxes et les tarifs imposés selon les provenances, et la protection des entreprises, avec la vérification de la régularité des produits au regard de nos normes et la lutte contre la contrefaçon. Nous allons donc effectuer ces contrôles, en toute hypothèse, quel que soit le sort des négociations. Nous y sommes obligés. Cela explique que la France ait créé 1 000 emplois nouveaux de douaniers ou de vétérinaires, comme les Pays-Bas, la Belgique ou l'Irlande. En plus des contrôles et des tarifs, devrons-nous imposer des contingentements ? C'est ce que dira la négociation. Si elle échoue et que nos relations retournent dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), nous appliquerons quotas et tarifs, et les Britanniques le feront également, créant ainsi une friction supplémentaire. Tel est l'enjeu de cette négociation. La déclaration politique, annexée à l'accord de retrait et approuvée par la ratification, décrit son cadre. Ce document a été agréé par M. Johnson, qui l'a négocié à la virgule et au mot près et engage ceux qui l'ont signé. Je rappelle régulièrement aux Britanniques que plus ils s'en écartent, plus la discussion sera difficile et plus le risque d'échec grandira. L'ensemble des nombreux sujets qui constitueront notre futur partenariat y est décrit. Si nous parvenons à réaliser ce projet, notre partenariat avec le Royaume-Uni sera sans précédent.

Plusieurs paragraphes de ce document sont consacrés à la politique étrangère, à la coopération entre l'Union européenne et le Royaume-Uni et à la défense, ainsi qu'au développement, à la coopération avec l'Afrique, à la cybersécurité ou à l'espace. Les Britanniques m'ont toutefois indiqué, dès le début de cette nouvelle négociation, qu'ils ne souhaitaient pas discuter de politique étrangère et de défense. Peut-être est-ce à des fins tactiques pour nous placer en position de demandeur ? En tout état de cause, nous n'adopterons pas cette position. Une autre raison est peut-être plus idéologique : les Britanniques n'ont jamais nourri de passion pour la dimension politique de l'Union européenne, peut-être ont-ils voulu signifier qu'ils entendaient se concentrer sur leurs intérêts économiques ? Nous n'en parlons donc pas du tout pour le moment.

Dans les autres domaines, nos interlocuteurs s'écartent aussi beaucoup de la déclaration politique, ce qui est préoccupant pour nous. Ils sont concentrés sur les questions économiques et mettent en oeuvre une double stratégie contraire à nos intérêts : ils cherchent à obtenir un statut très proche de celui d'un État membre, sans en avoir les contraintes, c'est le fameux cherry picking. Les négociations mobilisent 200 personnes de notre côté - comme du côté britannique - avec des experts de toutes les directions générales de la Commission. L'addition des demandes britanniques, claires ou subreptices, exprimées sur les onze tables de négociations parallèles, leur conférerait un quasi-statut de membre du marché unique, de l'union douanière et de Schengen, sans aucune des contraintes qui s'imposent aux États membres ni même aux États seulement membres du marché unique, comme la Norvège. Je leur ai répondu qu'il n'en était pas question ! Sur les règles d'origine, sur les reconnaissances mutuelles, sur les services financiers, sur la question des qualifications professionnelles, sur les flux de données, ou sur les échanges d'électricité, par exemple, les Britanniques veulent bénéficier des avantages propres aux membres sans contraintes ni engagements liés au droit et aux règles et à la Cour de justice de l'Union européenne. Ce n'est pas acceptable pour nous.

La deuxième partie de leur stratégie est de conserver un maximum de liberté. Ils ont choisi le Brexit pour pouvoir diverger, pour ne plus être soumis au marché unique, cet écosystème complet avec ses règles, ses supervisions et sa juridiction communes. Ils veulent retrouver leur pleine souveraineté pour pouvoir mener une compétition réglementaire. On peut le comprendre, à condition que cela ne se transforme pas en dumping systématique contre nous en matière sociale, environnementale, fiscale ou au titre des aides d'État. Ils entendent donc refuser toute forme de convergence réglementaire et j'observe que, sur les données, les services financiers, les aides d'État, nous ne connaissons même pas le nouveau cadre national britannique. Il en va de même s'agissant des normes alimentaires et même des indications géographiques. L'accord de retrait garantit pourtant la protection définitive, dans tous nos futurs accords commerciaux, du stock de 3 000 indications géographiques, mais, sous la pression des États-Unis, les Britanniques veulent maintenant rouvrir ce dossier. Il n'en est pas question. Nous n'avons aucune raison de sacrifier les intérêts à moyen ou long terme des consommateurs ou des entreprises européennes pour le seul profit de l'industrie britannique. Nous sommes disposés à trouver un accord, mais nous ne nous engagerons pas dans cette voie.

L'enjeu est donc grave. Au-delà de la future relation entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, cette question est symbolique : un pays qui quitterait l'Union européenne en en conservant tous les avantages sans aucune des contraintes et en gagnant la possibilité de faire de la compétition réglementaire à nos portes, cela emporterait, dans chacun de nos pays, les conséquences que vous imaginez sur le débat au sujet de l'Europe.

Le Royaume-Uni se trouve dans une situation unique par rapport à l'Union européenne par l'ampleur de nos échanges et notre proximité géographique ; c'est pourquoi nous imposons des conditions aux négociations que nous n'imposons pas à des pays plus lointains et moins importants pour nous. Nous ne pouvons pas lui permettre de devenir le hub d'assemblage du monde entier et de nous vendre sans quotas ni tarifs les produits qu'il aura assemblés, avec le label made in England. Soit nous ne concluons pas d'accord « zéro tarif, zéro quota », soit nous en concluons un, mais alors celui-ci ne pourra conduire à faire entrer dans notre marché des produits bénéficiant d'une dérégulation et composés de matières premières importées à bas coût et assemblées en vue d'une exportation chez nous. Derrière cette question, il y a des centaines de milliers d'emplois, c'est pourquoi nous serons déterminés jusqu'au bout : notre ouverture aux produits, aux services, aux données, aux personnes et aux entreprises britanniques sera proportionnée à ce cadre de level playing field.

La mise en oeuvre de l'accord de retrait ratifié l'année dernière, dans lequel toutes les questions du divorce ont été intelligemment traitées, est liée à la négociation. S'agissant, en particulier, des citoyens, ce traité garantit la sécurité des droits de 4,5 millions de personnes, Européens vivant au Royaume-Uni ou Britanniques vivant dans l'Union européenne. Nous nous y attachons à garantir la conformité des procédures. Quatorze pays européens ont prévu une simple déclaration, treize autres des documents, les Britanniques ont, quant à eux, conçu une procédure écrite un peu lourde. Nous avons créé un comité conjoint sur ces questions, dont M. Michael Gove est en charge côté britannique et qui reviennent, en ce qui nous concerne, au vice-président de la Commission européenne, M. Maro efèoviè.

Le deuxième grand sujet qui pose plus de difficultés est l'Irlande, qui a fait l'objet de discussions jour et nuit avec Mme May puis avec M. Johnson, pour résoudre la quadrature du cercle. Le Royaume-Uni et la République d'Irlande se partagent la même île, dans laquelle, quand le Royaume-Uni quittera l'Union, il ne sera pas possible de construire une frontière. La paix est en effet trop fragile, elle n'a que vingt ans, et le Good Friday Agreement est très clair à ce sujet. Or nous avons une obligation de contrôle des marchandises : toute vache, tout animal vivant, tout produit arrivant de Grande-Bretagne à Belfast entre en Normandie ou en Allemagne, dans le marché unique. Nous sommes donc obligés de contrôler, mais nous ne pouvons pas le faire à la limite entre les deux pays. L'accord de retrait prévoit donc que le contrôle sera mené par les autorités britanniques au port et à l'aéroport de Belfast ainsi qu'à Dublin. C'est un accord pragmatique et technique, je sais que c'est un point sensible, mais il s'agit de contrôler des produits qui arrivent de Grande-Bretagne en Irlande du Nord, deux parties du Royaume-Uni. C'était la seule possibilité de garantir l'intégrité du marché unique : pas de frontière, all island economy, contrôles réguliers et application en Irlande du Nord du code douanier et de la politique d'aides d'État européenne. Il nous reste à nous assurer que les Britanniques font ce qu'ils doivent faire pour que cet accord soit opérationnel le 31 décembre, quelle que soit l'issue de la négociation commerciale. Nous sommes prêts à coopérer pour les y aider.

Nous pouvons trouver un accord ; notre intérêt commun est de disposer d'un socle intégrant le commerce, la pêche, le level playing field dans un même paquet, les transports routiers, ferroviaires et aériens, et, enfin, la sécurité intérieure. Tels sont les trois grands domaines dont nous discutons maintenant. Nous voulons mettre en place, entre ces accords sectoriels, une gouvernance horizontale, de manière à éviter le salami des négociations et à tirer les leçons de notre expérience avec la Suisse. Nous souhaitons donc que soit prévue une gouvernance à ces accords intégrant des procédures de dispute settlement communes.

Il reste quatre points de difficulté : le refus britannique d'avancer sur le level playing field, la pêche, qui est un sujet majeur car il conditionne l'accord de commerce, le rôle de la Cour de justice de l'Union européenne pour les questions de sécurité intérieure et la gouvernance horizontale. Les Britanniques doivent comprendre que, s'ils veulent un accord, ils doivent bouger ; nous sommes prêts à le faire, mais jamais au détriment des consommateurs ou des entreprises du marché unique.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Merci de votre fermeté, car sur chaque sujet, si nous lâchions quelque chose, les conséquences seraient nuisibles à l'Union européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Je ressens, au fil de nos rencontres, cette fermeté. Le discours se tend alors que l'échéance approche. La reprise des négociations après la pause due à la pandémie semble difficile. Un point précis : je suis sénateur du Pas-de-Calais et je sais que vous échangez avec le président de la région Hauts-de-France sur la pêche en Manche. Le port de Boulogne-sur-Mer est le premier port de traitement du poisson en Europe, il s'agit donc pour nous d'un sujet épineux. J'ai échangé aujourd'hui au téléphone avec le président du comité régional des pêches maritimes et des élevages marins des Hauts-de-France, qui m'a fait part de sa très grande inquiétude, parce que la piste d'atterrissage est dans le brouillard et que nous ne percevons pas de souplesse du côté britannique. Est-il possible d'obtenir des éléments complémentaires sur l'avancée des négociations dans ce domaine ?

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Vaugrenard

Ce travail est colossal et je vous remercie de votre vigilance ; vous avez été nommé à l'unanimité, c'est un honneur pour la France. Sur la pêche, pensez-vous qu'un accord similaire à celui que l'Union européenne a conclu avec la Norvège pourrait être trouvé avec la Grande-Bretagne ? Serait-ce satisfaisant pour nos pêcheurs ? La solidarité des Vingt-Sept est-elle acquise, alors que seulement huit États sont concernés ?

J'ai compris que les Britanniques vous agaçaient parfois, mais ils restent pourtant nos amis, notamment en matière de défense. Il y a dix ans, nous avons signé les accords de Lancaster House, qui constituent un engagement fort. Aujourd'hui, nos amis sont très présents sur le plan militaire au côté de la France au Sahel, plus que n'importe quel autre pays européen. Les négociations risquent-elles de porter une ombre sur cette coopération indispensable ?

Le Royaume-Uni est membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU et est, avec la France, une puissance nucléaire de l'espace européen. La France se retrouve donc seule détentrice de l'arme nucléaire dans l'Union européenne, au risque d'amoindrir sa force diplomatique et de dissuasion. Quel est votre sentiment sur la coopération politique et militaire qui devra toujours rester importante ?

Enfin, s'agissant de la cybersécurité, ciment des relations futures avec le Royaume-Uni, selon l'Europe, il est essentiel que nous conservions la capacité de réagir conjointement à des cyberattaques ; selon vous, un accord sur ce point est-il possible ?

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Cadic

Merci de votre action en faveur de l'Union européenne. Je vis au Royaume-Uni depuis vingt-deux ans, et je suis mobilisé pour la protection des droits des Européens résidents permanents en Grande-Bretagne. Les Britanniques se refusent à fournir un document attestant de la possession de ce statut, ce que demandent les associations de défense des intérêts des citoyens européens établis au Royaume-Uni et une partie de la classe politique britannique. C'est un sujet majeur : la crise sanitaire a conduit de nombreux Européens à demander des aides sociales. Ils doivent pour cela fournir de nombreux documents justificatifs, même lorsqu'ils ont déjà été enregistrés et qu'ils ont obtenu la confirmation de leur settled status. L'Union européenne pourrait-elle établir une carte opposable à l'administration britannique ? Comment garantir les droits prévus par le traité que vous avez négocié ?

Par ailleurs, quel est votre point de vue sur le contraste entre les négociations commerciales entre l'Union européenne et le Royaume-Uni et celles qui ont lieu entre le Royaume-Uni et le Japon ? Cette semaine, le Japon a donné six semaines au Royaume-Uni pour conclure un accord post-Brexit, mettant le gouvernement britannique sous pression pour mener les négociations commerciales les plus rapides de l'histoire. Comment peut-il y parvenir sans que l'Union européenne y soit associée, alors que le Japon a signé un accord de libre-échange avec celle-ci ?

S'agissant de la frontière irlandaise, les entreprises françaises en Irlande sont très inquiètes quant à l'évolution de la situation. Comment pourra-t-on garantir que les produits assemblés à bas coûts au Royaume-Uni ne passeront pas sur le sol irlandais en l'absence de frontière ? Aucun élément technique ne nous permet de le comprendre, nous sommes donc toujours dans le flou.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Si M. Johnson poussait les négociations à la rupture et que nous n'arrivions pas à un accord-cadre, pensez-vous que des accords sectoriels au cas par cas seraient négociables au regard du droit de l'Union européenne ? Serait-il possible de coexister avec le Royaume-Uni sur la base de tels accords ? M. Johnson veut jouir de la liberté de diverger, de faire du dumping, mais, dans certains secteurs, cette autonomie posera des problèmes plus ou moins importants. En matière environnementale ou sociale, le Royaume-Uni est encadré par des accords ; je suis moins pessimiste que certains sur la pêche, car il me semble que nos voisins n'ont pas la flotte nécessaire à l'exploitation de cette ressource, nous trouverons donc une forme d'accord. En revanche, sur la recherche appliquée et fondamentale ou sur la politique de l'innovation, le Royaume-Uni est un des pays les plus performants et pose donc un risque sérieux de concurrence déloyale par une moindre régulation sur le numérique, l'intelligence artificielle, la bioéthique et les nanotechnologies. Ce sont les industries du futur qui sont en jeu. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Debut de section - PermalienPhoto de Mireille Jouve

En décidant de se retirer de l'Union européenne, le Royaume-Uni a fait un choix clair. Cette décision n'altère pas une amitié longue et ancienne, mais nous impose quelques exigences. Tout d'abord, un accord sur la relation future ne saurait se résumer à « un pied dehors, un pied dedans ». La publication du nouveau tarif douanier britannique, en particulier, semble indiquer que le Royaume-Uni est résolu à abandonner un traitement privilégié pour l'Union européenne. Cependant, le gouvernement a décidé d'étaler les contrôles douaniers. Qu'en est-il de la négociation sur cette question, pour laquelle les principes de réciprocité et d'équité doivent être intangibles ? Qui a le plus à perdre à un retour aux règles de l'OMC ?

Parmi les points de blocage, les Britanniques ne semblent pas prêts à jouer le jeu d'une concurrence loyale. À l'heure où la Commission européenne fait du Pacte vert le fil rouge des politiques communautaires, il faut maintenir la pression pour protéger nos entreprises déjà exposées au dumping venant d'autres régions du monde.

M. Johnson a fait de la pêche une arme de dissuasion massive, tant les pêcheurs européens ont besoin d'accéder aux eaux britanniques, mais les pêcheurs anglais ont également besoin d'accéder au marché européen pour vendre leurs produits. Seuls huit pays sur vingt-sept sont concernés, n'est-ce pas une faiblesse ?

Sur le calendrier, enfin, le Conseil de l'Union a pris acte de la décision de Londres de ne pas allonger les négociations et d'aboutir dans les temps, au risque d'un no deal. Mon groupe souhaite un accord sur la relation future, mais nous ne sommes pas favorables à des discussions infinies. Le Royaume-Uni a choisi le grand large, qu'il en assume les conséquences ! En attendant, nous vous encourageons à continuer à défendre avec ténacité et justesse les intérêts de l'Union européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Lagourgue

Je salue votre action essentielle dans ce dossier délicat. S'agissant de l'impact du Brexit dans les territoires d'outre-mer. Douze territoires d'outre-mer européens sont liés constitutionnellement au Royaume-Uni et quitteront l'Union européenne dans les prochains mois. Dans ce contexte, doublé des négociations compliquées du cadre financier pluriannuel, quelles seront les conséquences du Brexit sur les fonds européens de développement ?

De plus, existe-t-il des risques sur la coopération régionale avec les îles britanniques dans le Pacifique et les Caraïbes ?

Debut de section - Permalien
Michel Barnier, négociateur en chef, directeur de la Task Force

J'exprime le voeu que nous puissions rapidement échanger dans le cadre de réunions plus classiques. Le dernier round de négociation sur la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, soit environ une quarantaine de réunions, s'est déroulé par visioconférence avec près de 200 personnes pour chaque partie. Ce ne fut pas simple.

Je vous remercie de votre soutien et de votre confiance, que je partage avec l'équipe de 70 personnes qui m'accompagne et avec le personnel des directions générales de la Commission européenne. Chaque étape de la discussion est, en effet, co-négociée par la Task Force et par la direction générale concernée. Nous bénéficions également du soutien unanime des États membres. Pour bâtir cette unité, je me suis rendu pas moins de quatre fois dans chaque capitale et j'ai régulièrement rencontré les chefs d'État. Pour ce qui concerne la France, le soutien sans faille du Président de la République, du Premier ministre et du ministre des affaires étrangères est précieux pour l'avenir du projet européen.

M. Rapin évoquait la crise du Covid, d'une gravité sans précédent et dont les conséquences sanitaires, humaines, sociales et économiques seront aussi lourdes que durables. Je lisais récemment un article dans Le Monde qualifiant de « surréaliste » le fait de poursuivre, dans ce contexte, les négociations sur le Brexit. Je ne le crois pas : le Brexit est une réalité décidée par les Britanniques il y a quatre ans, tout comme est une réalité que nous devons traiter la date de leur sortie effective de l'Union européenne le 31 décembre 2020.

MM. Rapin et Gattolin, ainsi que Mme Jouve, m'ont interrogé sur la pêche. J'ai récemment réuni les ministres chargés du dossier dans les onze États membres concernés - sept ou huit, dont la France avec les régions Bretagne, Normandie et Hauts-de-France, le sont particulièrement - : tous ont apporté leur soutien à une ligne de négociation forte. Nous devons cependant évoluer, car il n'y aura nul accord de commerce sans règlement du sujet de la pêche. Il faut négocier un accès réciproque aux eaux et aux marchés. De fait, les pêcheurs européens travaillent fréquemment dans les eaux britanniques, y compris, près de Guernesey par exemple, dans la zone des 12 milles marins. La position européenne, maximaliste, défend le statu quo, tandis que les Britanniques réclament une souveraineté pleine sur leurs eaux et sur les poissons qui y vivent et estiment qu'un éventuel accès doit être rediscuté annuellement pour chaque espèce. Cela est évidemment impossible ! Nous devons, en conséquent, trouver un compromis. Nous sommes donc prêts à discuter avec les Britanniques sur le fondement d'une série de paramètres : le rattachement zonal des eaux et des poissons qu'ils réclament, les droits de pêche historiques dont la plupart sont antérieurs à l'adhésion du Royaume-Uni à l'Union européenne, les règles de protection de la biodiversité et les intérêts économiques des régions concernées notamment. J'attends une réponse à notre proposition. Nous pourrions appliquer des règles différentes selon les espèces, mais il convient d'éviter toute renégociation annuelle de l'accord, sauf sur les stocks qui relèvent de la protection de la biodiversité. Le Royaume-Uni ne peut être comparé, sur le sujet de la pêche, à la Norvège, dont les eaux n'accueillent que cinq espèces de poissons. Nous devons être prêts à un compromis pour obtenir un accord équilibré et durable. Les communautés de pêcheurs en ont conscience.

M. Vaugrenard, nous restons ouverts à une discussion sur le dossier de la défense et la coopération. N'oublions pas que le Royaume-Uni est une puissance nucléaire, qu'il dispose d'un siège au conseil de sécurité de l'Organisation des Nations unies (ONU) et jouit d'un réseau diplomatique mondial. Pourraient être envisagés une coopération entre l'Union européenne et le Royaume-Uni au sein de l'ONU, notamment en matière de politique des sanctions, une participation de ce dernier à des opérations militaires extérieures européennes - les Britanniques jouent un rôle majeur dans l'opération Atalante contre la piraterie dans la corne de l'Afrique -, un partenariat dans le domaine de la cybersécurité - je sens, sur ce point, un mouvement favorable des Britanniques - ou une collaboration en matière de renseignement. Cela n'est, hélas, pas à l'ordre du jour. Les Britanniques, très actifs en Afrique, notamment de l'Est, ne souhaitent pas non plus discuter d'une coopération dans le domaine du développement. Peut-être que, après avoir trouvé un accord sur le socle, les négociations pourront reprendre sur ces questions.

M. Cadic s'est préoccupé de l'application de l'accord concernant les citoyens européens vivant au Royaume-Uni. Durant la période de transition, les prestations sociales leur sont versées en application du droit européen. Si vous disposez de preuves impliquant des discriminations à l'endroit de citoyens européens, je vous prie de me les faire connaître afin que je puisse les évoquer dans le cadre du joint committee. Nous avons déjà traité les dossiers de citoyens britanniques vivant en Belgique et en France. Nous devons tous, dans ce domaine, nous montrer intraitables.

M. Cadic a également évoqué les négociations en cours entre le Royaume-Uni et le Japon. De fait, en quittant l'Union européenne, le Royaume-Uni se trouve dans l'obligation de négocier près de 600 accords commerciaux bilatéraux. La charge de travail est telle que nous les avons autorisés à débuter les discussions avant leur sortie effective de l'Union européenne. Pour autant, ces accords ne pourront s'appliquer avant le 1er janvier 2021. S'agissant du Japon, l'accord britannique constituera le miroir de celui qui lie l'archipel à l'Union européenne. Nous n'avons aucune raison de participer aux négociations, mais nous les suivons avec intérêt. J'ai ainsi constaté avec étonnement que les Britanniques demandaient aux Japonais des avantages qu'ils refusent aux Européens, comme le level playing field. De même, dans le cadre de la négociation de leur accord commercial, les États-Unis ont demandé aux Britanniques d'assouplir leurs standards sur certains produits alimentaires. L'idée que du poulet chloré pourrait être importé au Royaume-Uni a ému l'opinion britannique et inquiété les industriels de l'agro-alimentaire comme les agriculteurs. Il est important de suivre ces négociations, afin de prévenir toute conséquence collatérale sur la qualité des produits alimentaires importés en Europe. Nous sommes à cet égard comptables du fait que les produits entrant en Irlande respectent les normes européennes en matière sanitaire, phytosanitaire, mais aussi de TVA, et que les règles relatives à la pêche s'y appliquent. Je rappelle que le contrôle des aides d'État sera aussi effectif un certain temps en Irlande du Nord.

M. Gattolin, notre objectif est d'aboutir à la signature d'un accord cadre, qui ne traitera ni de défense ni de politique étrangère. À défaut, le Brexit s'appliquera sans accord et le Royaume-Uni, désormais pays tiers comme un autre, relèvera du cadre de l'OMC : des deux côtés seront fixés des tarifs et des quotas pour les différents produits. Une telle situation ne saurait être que temporaire pour les Britanniques. De fait, alors que nous exportons 8 % de produits vers le Royaume-Uni, soit 300 milliards d'euros pour l'ensemble des États membres, ce dernier exporte 47 % de sa production vers l'Union européenne, pour un montant de 200 milliards d'euros. L'application ne taxes ne serait pas durablement supportable : la conclusion d'un accord apparaît dans l'intérêt de tous. Quoi qu'il en soit, Mme Jouve, le Brexit est un jeu lose lose, mais plus encore pour les Britanniques.

Nous avons effectivement intérêt, monsieur Gattolin, à coopérer en matière de recherche. Les laboratoires et les universités britanniques sont particulièrement dynamiques et émargent aux programmes européens de recherche. Les programmes européens, à l'instar d'Erasmus ou d'Horizon Europe, sont ouverts aux pays tiers. Il conviendra cependant que le Royaume-Uni se plie aux règles applicables à ces pays. Déjà, les Britanniques ont fait état de leur intérêt pour leur maintien au sein d'Horizon Europe.

Mme Jouve, les Britanniques ont récemment publié les tarifs qu'ils appliqueraient en cas de no deal sur nos 8 % d'exportations. Ils concerneront majoritairement des produits agricoles en provenance de France, d'Espagne, d'Italie et du Portugal. L'application de tels tarifs conduirait inévitablement à une augmentation du prix de ces produits sur le marché domestique. En l'absence d'accord, nous appliquerions également des tarifs douaniers et des quotas sur les produits britanniques. Le sujet de l'extension du délai étant clos, nous sommes contraints de trouver un accord d'ici au 31 décembre 2020.

Enfin, les territoires ultramarins britanniques à statut spécifique au sens des traités européens ne sont pas compétents pour négocier des accords commerciaux avec des pays tiers. Ils ne seront pas couverts par un accord avec l'Union européenne, même si les Britanniques le souhaiteraient, y compris pour Gibraltar. Concernant le Fonds européen de développement (FED), dont bénéficient notamment la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie, le montant des aides ne sera pas modifié pour les territoires qui demeurent dans l'Union européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Nous vous remercions pour cette audition passionnante qui éclaire bien des problématiques. Nous vous souhaitons bonne chance dans les négociations à venir et vous assurons de notre solidarité en matière de vigilance comme de fermeté, car les enjeux sont majeurs pour l'Union européenne. Les Britanniques ont souhaité partir et ce n'est pas aux États membres de subir les conséquences de cette décision, même si une absence d'accord serait dommageable aux deux parties, notamment dans le domaine de la pêche et de la défense. Nous sommes particulièrement sensibles à l'unité permanente des vingt-sept que vous avez obtenue, malgré des intérêts parfois divergents, grâce à votre présence régulière auprès de chaque gouvernement et parlement. Nous vous en sommes reconnaissants.

Debut de section - Permalien
Michel Barnier, négociateur en chef, directeur de la Task Force

Je vous remercie de votre invitation. J'espère que ce dialogue vous aura été utile pour comprendre les enjeux de la négociation en cours qui, au-delà de la relation future entre l'Union européenne et le Royaume-Uni, concerne l'avenir de l'Europe.

Je vous encourage à maintenir le dialogue avec le Gouvernement pour assurer la fermeté de la France dans les négociations, ce qui n'est pas synonyme d'agressivité. Le Royaume-Uni ne défend que ses intérêts ; nous devons protéger les nôtres.

L'unité des Vingt-Sept est liée à la volonté des dirigeants européens de faire face ensemble aux enjeux que constituent la crise du Covid, le changement climatique, le risque terroriste, la pauvreté et la finance mondiale sans scrupule. Je la cultive en veillant à la transparence de nos travaux : nous validons tout, ensemble, en même temps et sur tous les sujets. Cela garantit une confiance mutuelle qui permet l'unité.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Je m'associe aux remerciements exprimés par le président Cambon. Il ne reste que quelques mois de négociation, en partie en période estivale : un no deal n'est pas à exclure. J'espère que le bon sens prévaudra pour aboutir à un arrangement global, voire horizontal selon vos mots, dès lors qu'une solution sera trouvée pour la pêche.

Nous entendrons prochainement l'ambassadeur de France à Dublin. En outre, nous aimerions être destinataires des documents que vous nous avez présentés, ainsi que des propositions tarifaires du Royaume-Uni en cas d'absence d'accord. Nous travaillerons, nous aussi, à conserver l'unité des États membres sur ce dossier.

La réunion est close à midi.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.