Intervention de Dominique de Villepin

Commission d'enquête Concessions autoroutières — Réunion du 9 juillet 2020 à 14h00
Audition de M. Dominique de Villepin premier ministre de 2005 à 2007

Dominique de Villepin, Premier ministre de 2005 à 2007 :

Effectivement, madame la sénatrice, la grande question porte sur l'avenir. Vous évoquez la situation florissante des sociétés d'autoroutes. Il faut bien prendre la mesure de la situation. On a fait un procès d'intention aux sociétés d'autoroutes, au départ, au regard des dividendes considérables versés de 2006 à 2013. N'oublions pas quel est le modèle de la concession, qui s'articule autour de trois périodes. Il y a en particulier un moment à partir duquel les sociétés d'autoroutes doivent restituer les infrastructures sans contrepartie, pas même pour un euro symbolique. Il y a une naissance, une vie et une mort de ces contrats pour les sociétés d'autoroutes. À l'échéance de ces contrats, il faudra d'abord, pour les concessionnaires, avoir amorti les fonds propres. Le chiffre couramment cité est celui de 24 milliards d'euros. Il leur faudra régler l'intégralité de la dette des sociétés concessionnaires, estimée à environ 18 milliards d'euros. Il leur faudra aussi honorer les investissements de renouvellement et de modernisation soit environ 26 milliards d'euros. Enfin, il faudra rémunérer le capital investi. En cumulant la valeur des fonds propres, tout ceci représente 70 milliards d'euros. Il faut prendre en compte ce modèle particulier.

Je ne crois pas que les péages aient fait augmenter la valeur des sociétés concessionnaires. Il ne faut pas croire que l'État, seul, aurait réussi à s'arroger cette manne financière. Il faut prendre en compte les deux variables sur lesquelles agissent les sociétés d'autoroutes, à commencer par le niveau des taux d'intérêt. S'il y a un enrichissement sans cause, pour certains, des sociétés d'autoroutes, c'est en grande partie en raison des taux d'intérêt bas. L'État aurait-il pu profiter de ce contexte de bas taux d'intérêt ? C'est loin d'être évident, car l'AFIT ne peut se départir des règles de Maastricht ni se lancer dans des montages d'ingénierie financière comme le font des sociétés privées.

La seconde variable est le trafic. Depuis 2006, le secteur autoroutier a fait face à deux crises, celle de 2008 et la crise sanitaire de 2020. Les sociétés d'autoroutes ont-elles le même potentiel de croissance sur les prochaines années ? Existe-t-il une manne financière sur laquelle nous pourrions remettre la main ? Je crains qu'il n'y ait à bien des égards des illusions de ce point de vue.

Je crois que, dans l'avenir, il faut s'assurer que nous mettons en place un système où toutes les garanties sont prises. Ce sont notamment des garanties de durée, avec des clauses de rendez-vous. On cite toujours l'arrêt du Conseil d'État commune d'Olivet de 2009, qui permet, en cas de rentabilité excessive, de reprendre la main. Une clause, dans les cahiers des charges que nous avons fait insérer en 2006, permettait aussi d'éviter certains abus.

Je regrette qu'on ait allongé excessivement la durée des concessions car ceci éloigne ce rendez-vous, lequel ne pouvait avoir lieu, en 2005-2006, en tout cas pas de façon si simple que beaucoup le disent. Dans un État moderne et dans un monde globalisé où les imprévus sont nombreux, les durées longues sont très dangereuses.

Il ne faut pas abandonner les péages. Nous voyons bien que ce modèle est aujourd'hui en question, car la question de l'acceptabilité des péages est posée. Il y a un ras-le-bol des Français, en particulier au regard des trajets du quotidien. Néanmoins ce principe fonde, aujourd'hui, l'équilibre du système. Il faut réparer ce modèle et préparer un nouveau modèle. Il faut aussi remettre en concurrence l'ensemble des concessions avant leur réattribution. En respectant ces quatre règles, nous avons de quoi recaler le dispositif autoroutier.

Faut-il envisager la renationalisation des autoroutes et reprendre la main en régie, comme je l'entends ici et là ? Si l'État ne parvient pas à réaliser les moindres travaux et s'il a parfois payé très cher, à son détriment, en allongeant la durée des concessions, la délégation de travaux à des sociétés d'autoroutes alors qu'il aurait peut-être pu les faire lui-même, c'est bien parce que nous n'avons pas les moyens. L'idée de reprendre la main me paraît, sauf retour à la vertu (qui n'est pas dans l'esprit du jour) sympathique mais un peu ubuesque.

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