Intervention de Dominique de Legge

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 8 juillet 2020 à 9h35
Contrôle budgétaire — Office national d'études et de recherches aérospatiales onera - communication

Photo de Dominique de LeggeDominique de Legge, rapporteur spécial :

Mon rapport porte cette année sur un opérateur peu connu du grand public : l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA), établissement public de recherche fondamentale dans le domaine aérospatial. Bien qu'il soit placé sous la tutelle du ministère des armées depuis sa création en 1946, l'ONERA a une vocation duale. L'ensemble des grands programmes aéronautiques civils et militaires français comprennent de nombreux apports de l'ONERA. Son rôle est également majeur dans le domaine des missiles tactiques et stratégiques, de la dissuasion nucléaire, des drones, des lanceurs ou encore des satellites.

J'ai souhaité vous soumettre ce rapport pour trois raisons. En premier lieu, en 2015, la Cour des comptes avait pointé un ensemble de dysfonctionnements majeurs de l'Office. Ensuite, l'ONERA est régulièrement évoqué par nos collègues lors de l'examen du projet de loi de finances pour demander le rassemblement de ses sites franciliens ou s'inquiéter des difficultés de fidélisation des personnels. Enfin, nos capacités nationales d'innovation dans le domaine aérospatial ont une importance stratégique, surtout dans le contexte actuel de conception du système de combat aérien du futur (SCAF) et je souhaitais approfondir ce point.

Sur le premier point je vous renvoie à mon rapport pour noter que les nombreux dysfonctionnements liés au fonctionnement du conseil d'administration, aux instances dirigeantes, aux procédures ou à la tutelle sont très largement réglés.

Sur le plan immobilier, si l'on peut regretter que les choses n'aillent pas aussi vite que souhaitées nous sommes rentrés dans une logique de rationalisation avec un regroupement des trois sites franciliens d'ici à 2024 sur le site de Palaiseau permettant de libérer ceux de Meudon et de Châtillon.

L'ONERA dispose également du plus grand parc de souffleries d'Europe, dont la valeur théorique à la reconstruction est d'1,5 milliard d'euros, et qui constituent un atout industriel majeur. On a connu des difficultés à Modane, et aujourd'hui les investissements ont été faits. À cet égard, un prêt de 47 millions d'euros sur 6 ans a été octroyé par la banque européenne d'investissement (BEI) en 2019 afin d'assurer leur pérennité et leur remise à niveau. Cet effort s'est traduit par une hausse de la part de marché de ces souffleries, ce qui constitue incontestablement une évolution positive.

Malgré ces évolutions récentes et son potentiel important, l'ONERA reste gêné dans son développement par la rigidité de certaines règles de gestion, et surtout par le manque de visibilité offerte par les pouvoirs publics sur sa participation à des projets stratégiques.

Avec 1 916 employés au 31 décembre 2019 l'activité de l'ONERA repose pour moitié sur des contrats réalisés à titre onéreux pour des clients privés ou publics financés par la DGA au titre d'une subvention pour charge de service public afin de réaliser des recherches amont. L'augmentation des ressources contractuelles constitue un des principaux objectifs que l'État a fixé à l'ONERA (par le biais du contrat d'objectifs et de performance 2017-2021). Celles-ci ont augmenté ces dernières années, mais restent toujours inférieures aux objectifs.

Sans doute parce que les règles de gestion des effectifs ne sont pas adaptées. Bercy ne peut pas à la fois demander à l'ONERA d'accroitre ses recettes propres et en même temps lui interdire d'augmenter ses effectifs afin de faire appel à des chercheurs correspondant aux profils susceptibles de pouvoir répondre à une demande des entreprises.

L'ONERA est en outre confronté à des difficultés de fidélisation de ses personnels. La comparaison des rémunérations entre l'ONERA et les employeurs du même domaine, tant publics que privés, met en évidence un écart réel en défaveur de l'ONERA, de l'ordre de 300 euros par mois. Afin de permettre à l'ONERA de lancer la négociation salariale nécessaire, une hausse de la subvention pour charges de service public (SCSP) par rapport au contrat d'objectifs et de performance (COP) a été décidée pour la porter de 105 à 110 millions d'euros dès 2020. Les effets de la crise économique actuelle sur le vivier d'emploi de l'ONERA et l'évolution de la concurrence avec les autres employeurs du secteur apparaissent aujourd'hui difficiles à anticiper. Il convient toutefois de maintenir les efforts de fidélisation prévus, afin de parvenir à une consolidation des effectifs.

Après avoir évoqué les menaces « internes », il est important de revenir sur les menaces d'ordre « externe » auxquelles est confronté l'office.

La plus importante est celle de la concurrence de l'homologue allemand de l'ONERA, dans le contexte particulier du développement par la France et l'Allemagne, rejoints par l'Espagne, du système de combat aérien du futur - le SCAF, à horizon 2040. Si l'ONERA coopère très largement avec son homologue allemand, le DLR (Deutsches Zentrum für Luft-und Raumfahrt), sa montée en puissance est susceptible de constituer une menace pour l'indépendance et la pérennité des savoir-faire français. Le DLR allemand met en oeuvre depuis cinq ans une stratégie de développement particulièrement offensive, le budget qu'il dédie à l'aéronautique ayant augmenté de près de 30 % depuis 2015, alors que celui de l'ONERA est resté stable.

Contrairement à l'ONERA, et malgré les efforts budgétaires faits par les pouvoirs publics allemands, le DLR ne maîtrise pas aujourd'hui l'ensemble du spectre de compétences nécessaire à la conception du futur avion de chasse européen, le SCAF. La logique du « juste retour », couplée à la puissance financière du DLR pourrait toutefois nuire à la place que l'ONERA aura dans ce projet et au maintien des compétences françaises dans ce domaine stratégique. Le DLR semble déjà être assuré d'un budget national pour sa contribution au SCAF, via le BDLI (Bundesverband der Deutschen Luft- und Raumfahrtindustrie, équivalent allemand du GIFAS), ce qui n'est pas encore le cas pour l'ONERA. Le risque est réel de voir l'ONERA sacrifié au profit de l'industrie aéronautique française, la part du retour industriel entre la France et l'Allemagne devant être le reflet de la part des financements des deux pays.

Il est clair que la coopération en matière d'industrie de défense avec l'Allemagne constitue une nécessité, pour garantir une puissance financière suffisante permettant la conception de technologies abouties, comme le SCAF. Elle constitue également une nécessité géostratégique, dans un contexte d'affaiblissement de l'OTAN. Le succès du SCAF marquerait, à cet égard, une avancée majeure non seulement pour l'industrie, mais aussi pour la coopération européenne en matière de défense.

Cette coopération ne doit toutefois pas consister à transférer les technologies industrielles stratégiques à l'Allemagne tout en laissant à la France « le soin de faire la guerre ».

L'ONERA constitue le « gardien » d'un ensemble de moyens et de compétences stratégiques nationaux. Si sa participation au SCAF n'était pas suffisante, la perte définitive de savoir-faire pour l'ONERA constituerait un affaiblissement majeur. La durée d'aboutissement de ce projet, de plus 20 ans, conjugué à sa rareté, rendrait irréversible cette perte d'autonomie de la France dans de nombreux domaines (aérodynamique, propulsion, furtivité, etc.).

Il est donc indispensable que le gouvernement français donne à l'ONERA des garanties quant à sa participation au SCAF.

De manière plus générale, la place de l'ONERA dans le cadre du plan de relance est incertaine aujourd'hui, tant dans le domaine militaire que civil. Les commandes de la direction générale de l'armement (DGA) à l'ONERA ont augmenté de 30 % depuis 2018, ce qui constitue une dynamique positive.

En matière d'aviation civile, l'ONERA a traversé une crise structurelle au début des années 2010, mais a su engager une transformation profonde à partir de 2015 pour se repositionner sur ces enjeux. Les efforts qu'il consacre aux recherches relatives à la réduction de l'empreinte environnementale du trafic aérien représentent 5 % du montant des travaux effectués sur SCSP en 2019 et apparaissent trop faibles par rapport aux enjeux économiques et industriels en cause. L'ONERA, qui maîtrise certaines technologies comme la propulsion à l'hydrogène au coeur de la stratégie de soutien au secteur aéronautique présentée par le gouvernement, doit occuper une place croissante dans ce domaine dans les années à venir. Je ne puis que déplorer que l'ONERA ait été absent de la troisième vague du programme des investissements d'avenir (PIA 3). Il conviendra donc qu'une partie des financements destinés au volet recherche et développement du plan de soutien à l'aéronautique présenté en juin par le gouvernement, d'un montant de 1,5 milliard d'euros, soient effectivement orientés vers l'ONERA.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion