Intervention de Olivier Henno

Commission des affaires européennes — Réunion du 8 juillet 2020 à 9h30
Marché intérieur économie finances fiscalité — Évolution de la politique européenne de concurrence - examen du rapport et de la proposition de résolution européenne

Photo de Olivier HennoOlivier Henno, rapporteur :

Travailler sur ces notions complexes et évolutives de formation des prix, de concurrence libre et non forcée, de normes européennes qui influent sur le marché, nous a semblé utile.

La France, et singulièrement notre assemblée, à travers plusieurs rapports récents, résolutions européennes et propositions de loi, appelle de ses voeux des évolutions sur certains points, en particulier le contrôle des concentrations dans un univers de concurrence mondialisé, et afin de prendre en compte les bouleversements générés par la numérisation de l'économie.

Certains États membres préconisent également des adaptations : l'Allemagne a signé avec la France, en février 2019, un manifeste pour une politique industrielle européenne ; l'Italie et la Pologne ont écrit, avec la France et l'Allemagne, à la commissaire européenne Margrethe Vestager ; et les Pays-Bas, ont diffusé, fin 2019, un non paper appelant à un encadrement des positions dominantes, avant de cosigner avec la France, en mai dernier, un appel au respect de la concurrence dans les relations commerciales internationales.

La stratégie industrielle européenne, présentée par la Commission à la mi-mars, a mis en exergue la nécessaire modernisation de la politique européenne de concurrence. Immédiatement après, la crise sanitaire a donné une actualité toute particulière à ce sujet, que ce soit en matière d'aides d'État ou de prise en compte des difficultés concurrentielles générées par le développement du numérique.

Début juin, la Commission européenne a lancé plusieurs initiatives qui s'inscrivent dans la logique de modernisation de la politique européenne de concurrence : la publication d'un livre blanc pour remédier aux distorsions de concurrence provenant de marchés tiers, le lancement de deux consultations sur la régulation des plateformes numériques dans le cadre de la préparation du Digital Services Act et, la semaine dernière, d'une consultation sur le marché pertinent.

Nos douze recommandations arrivent donc à point nommé. Nous proposons que la Commission européenne introduise une forte dimension préventive dans son approche des enjeux de concurrence, notamment en établissant des analyses sectorielles de l'état de la concurrence grâce aux expertises conjointes de ses différentes directions générales. Cette cartographie lui permettrait d'analyser plus efficacement et plus rapidement les projets de rapprochement et d'appréhender les risques de pratiques anticoncurrentielles. Elle pourrait ainsi prendre véritablement en compte les évolutions de la concurrence potentielle à moyen terme.

Nous appelons également à une révision des concepts clés d'analyse de la situation concurrentielle. Les composantes de la notion de bien-être du consommateur doivent être clarifiées et intégrer des éléments déterminants comme la compétitivité, le maintien de l'emploi, la protection de l'environnement, la protection des données personnelles ou encore l'autonomie stratégique.

De même, la définition de la notion de marché pertinent, au regard de laquelle sont appréciées les conséquences des projets de concentration, doit être actualisée pour adapter les notions de marché de produits et de marché géographique aux évolutions de la réalité économique.

De nouveaux concepts d'analyse adaptés au numérique doivent être introduits, pour prendre en compte les spécificités de cette nouvelle économie et du pouvoir de marché qu'elle génère, notamment la « gratuité » de certains services, les externalités de réseau, l'utilisation des données ou encore l'existence d'acteurs systémiques ou de plateformes verrouillant le marché.

Nous proposons d'introduire de nouveaux modes de régulation ex ante, dans la logique de l'approche du livre blanc que la Commission européenne vient de publier. Il est indispensable de protéger les acteurs européens contre les pratiques abusives d'entreprises extra-européennes fortement subventionnées par leurs États.

De même, face à des acteurs systémiques ou à des positions dominantes, nous recommandons un encadrement a priori de leurs comportements pour rétablir l'équilibre relationnel entre les plateformes et leurs utilisateurs ou leurs concurrentes. La situation actuelle, qui laisse perdurer ces comportements jusqu'à ce que la Commission soit en mesure de démontrer des abus de position dominante, est particulièrement préjudiciable à la concurrence, d'autant que la Commission répugne à prendre des mesures conservatoires. Une régulation ex ante peut être mise en place lors d'opérations de concentration. Plutôt que d'imposer des cessions d'actifs, préférons des remèdes comportementaux, qui peuvent être ultérieurement adaptés. Une telle régulation impose bien sûr la mise en place d'un suivi par la Direction générale concurrence et d'une évaluation de la pertinence des mesures.

Cette notion d'évaluation nous paraît centrale, c'est pourquoi nous préconisons la création d'un Observatoire européen d'évaluation de la politique la concurrence, indépendant de la DG concurrence, qui collecterait les données utiles et évaluerait la pertinence des décisions de la Commission en matière de concurrence et de leur suivi, au regard de leur impact sur les prix, la concurrence, le choix offert aux consommateurs, la compétitivité des entreprises ou encore l'innovation.

Nous vous proposons de reprendre ces recommandations dans une proposition de résolution européenne. Nous pourrions aussi les inclure dans un avis politique, afin que la Commission européenne en soit destinataire, notamment dans le cadre des consultations qu'elle vient d'ouvrir.

Permettez-moi d'insister sur la nécessaire articulation dynamique entre les différents outils de la politique européenne, à l'appui d'une concurrence équilibrée au niveau mondial, en particulier par les leviers de la politique de concurrence que nous proposons de renforcer, en cohérence avec la politique commerciale, dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) comme dans les relations bilatérales, ou encore la politique fiscale, dans le cadre d'une approche multilatérale.

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