Intervention de Thierry Carcenac

Réunion du 8 juillet 2020 à 15h00
Règlement du budget et approbation des comptes de 2019 — Discussion générale

Photo de Thierry CarcenacThierry Carcenac :

Comme mes collègues l’ont fait précédemment, monsieur le ministre, je vous souhaite au nom de mon groupe la bienvenue au Sénat.

L’examen d’un projet de loi de règlement permet de vérifier, en fin d’exercice, le respect de l’exécution des choix budgétaires effectués par le Gouvernement et sa majorité. Ce texte s’inscrit dans la perspective de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, notamment de l’option de retour à l’équilibre des comptes publics prévu pour la fin du quinquennat par le Gouvernement. Il permet également de tirer des leçons pour la préparation de la loi de finances à venir.

C’est au regard de ces trois aspects que le groupe socialiste et républicain fixe sa position.

S’agissant du respect de l’exécution des choix budgétaires de la majorité, nous sommes dans la continuité des choix opérés lors de l’examen de l’exercice 2018. On peut faire crédit au Gouvernement de la sincérité du volet dépenses du budget, de la conformité au budget voté, ainsi que de l’absence de décrets d’avance en cours d’année.

Toutefois, je rappelle que le groupe socialiste et républicain n’avait pas adopté la loi de finances initiale pour 2019, non pas, comme la majorité sénatoriale, pour des raisons de dépenses insuffisamment réduites et de déficit excessif, mais pour des raisons de fonds concernant une approche injuste de l’impôt.

Celle-ci relève d’une baisse à crédit, d’une fiscalité dont la progressivité est inopérante et a profité aux plus fortunés, conduisant à une hausse de 4 % des revenus disponibles pour le premier centile des contribuables les plus aisés et à une absence de baisse pour les 20 % les plus modestes. L’effet de ruissellement tant vanté n’a pas produit les résultats escomptés, comme l’ont démontré le président Vincent Éblé et le rapporteur général du budget, dans leur rapport d’évaluation de la transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune en impôt sur la fortune immobilière et de la création du prélèvement forfaitaire unique.

Réduire les recettes conduit à réduire les dépenses : théorie bien connue des libéraux.

Nous nous étions opposés, par ailleurs, aux choix opérés en matière de dépenses, considérant notamment les moyens insuffisants dans le domaine de la santé et de l’hôpital – alors que la crise sanitaire n’avait pas encore fait de ravages – et de la lutte pour relever le défi environnemental, mais aussi à destination des territoires afin de réduire les fractures sociales.

L’examen de quelques points saillants permet de rappeler certaines positions de mon groupe.

M. Gérald Darmanin se félicitait de la mise en œuvre réussie du prélèvement à la source en 2019 et du rôle que la contemporanéité permet, par la modulation du taux d’imposition en fonction de la variation des revenus. En période de crise, cette possibilité devient une opportunité pour nombre de contribuables.

Je rappelle que c’est la précédente majorité, avec Christian Eckert, qui avait engagé cette modification. Le Gouvernement a opportunément, après quelques tergiversations, suivi ces orientations et nous l’avons soutenu. Nous ne doutions pas de la réactivité des agents de la direction générale des finances publiques, qui ont déployé sans difficulté le paiement de l’impôt sur le revenu. Reste maintenant à suivre l’effectivité du respect, par les entreprises, de leurs obligations.

On évoque également les 10 milliards d’euros consacrés, sans difficulté, à la réponse à la crise des « gilets jaunes ». Certes, monsieur le ministre, mais que n’avez-vous écouté, alors, les réactions unanimes du Sénat sur la fiscalité exorbitante de l’énergie, de même que sur l’approche contestable de la baisse des aides personnalisées au logement (APL), certes reportée pour les plus modestes de nos concitoyens… Les choix opérés ont encouragé les manifestations pendant plus d’une année et ont contribué à affaiblir la position de la France aujourd’hui, en bloquant l’activité de certains commerces de centre-ville pendant plusieurs samedis d’affilée.

Je ne reviens pas sur la réduction des emplois aidés au détriment de la cohésion sociale ni sur la réalisation du schéma des emplois publics, avec la baisse des personnels de l’éducation nationale et de la direction générale des finances publiques au-delà de la prévision initiale, deux secteurs pourtant nécessaires, l’un pour l’égalité des chances, l’autre pour la lutte contre la fraude fiscale.

Il s’agit d’emplois dont l’efficacité n’est plus à démontrer. Sur ce second point, la conférence de presse du ministre Darmanin est là pour le confirmer. Heureusement que notre groupe a insisté sur la nécessité de faire sauter le « verrou de Bercy »… À cet égard, les résultats des contrôles fiscaux sont probants.

Je ne reviendrai pas sur votre choix de privatisation d’Aéroports de Paris, laquelle devait abonder le fonds pour l’innovation et l’industrie, créé en 2018, mais fermement critiqué par la Cour des comptes, qui précise que ce fonds n’a généré aucune plus-value. La procédure du référendum d’initiative partagée engagée sur l’initiative, entre autres, des parlementaires socialistes et la crise en cours devraient vous faire abandonner définitivement cette privatisation.

Enfin, le refus de la compensation des exonérations de cotisations sociales, obligation pourtant instaurée par la loi Veil de 1994, grève, dans une période délicate, les finances largement dégradées de la sécurité sociale.

Concernant le respect de la loi de programmation des finances publiques, nous sommes très loin des objectifs initialement affichés pour la période 2018-2022.

Le redressement structurel des finances publiques est nul en 2019 ; il est inférieur à celui qui était prévu par la loi de programmation des finances publiques, comme l’ont souligné la Cour des comptes et le Haut Conseil des finances publiques. Nous sommes loin des objectifs initialement affichés, alors que l’on a bénéficié de facteurs favorables, comme l’a rappelé le rapporteur général.

Les vents contraires, certes imprévisibles, comme la crise des « gilets jaunes » et la crise sanitaire, aux conséquences inédites, n’ont pas été anticipés par le Gouvernement, qui, comme la cigale, a réduit ses ressources, se trouvant fort dépourvu l’hiver venu.

En effet, le Gouvernement avait tablé sur les dernières années du quinquennat pour revenir à l’équilibre, le Président de la République estimant d’ailleurs que la règle des 3 % du PIB pour notre déficit relevait « d’un débat d’un autre siècle », sans toutefois indiquer quel était l’objectif. Il ne croyait pas si bien dire…

S’agissant, enfin, des leçons à tirer pour l’exercice futur –, nous sommes passés dans une autre dimension avec les effets de la crise sanitaire. Le monde d’après ne peut tabler sur aucune situation comparable.

En matière de recettes, nous insistons donc, avec notre groupe, sur les principes de juste contribution en proportion des ressources perçues et sur un juste équilibre entre la taxation des revenus du travail et de ceux du capital. Tous les indicateurs démontrent que nous n’avons pas encore su enrayer l’appauvrissement de certains de nos concitoyens, alors que les plus aisés ont continué de s’enrichir.

Dès lors, pour ne pas aggraver la fracture sociale, nous réitérons nos propositions d’une taxation rénovée de la fortune et du capital dont vous ne voulez pas entendre parler, et qui reviendra en boomerang avec la crise économique et sociale hélas ! prévisible après les nombreux plans de licenciement annoncés pour la rentrée et avec l’arrivée de 800 000 jeunes sur le marché du travail.

En matière de dépenses utiles, nous rappelons que la relance du logement, tant en constructions neuves qu’en opérations de rénovation thermique de l’habitat, s’impose. La transition énergétique est un formidable levier pour créer des emplois dans un secteur non délocalisable.

La santé et l’hôpital public ne doivent pas être abandonnés après le traumatisme vécu depuis la crise sanitaire.

L’éducation, qui a été mise contribution en matière d’emplois, doit être renforcée, tout comme l’enseignement supérieur et la recherche, qui, pour favoriser la relance, doivent être bien dotés.

Enfin, la culture est un formidable atout qui contribue, avec le sport, au renforcement de la cohésion sociale.

Comme rapporteur spécial de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » et du programme 348, également en tant que membre du Conseil de l’immobilier de l’État, je me permets d’insister sur la politique immobilière de l’État, qui devrait être un levier de transformation des services publics.

Le Gouvernement, par la création d’un ministère de la transformation et de la fonction publiques, avec, à sa tête, Amélie de Montchalin, aura du pain sur la planche. En effet, en dépit du rôle de la direction de l’immobilier de l’État, cette politique immobilière est quasi inexistante et d’une évolution trop lente.

Un manque de visibilité et d’orientation, des changements perpétuels d’organisation des administrations, sans stratégie véritable, nuisent à une vision claire à fournir à l’ensemble des gestionnaires de l’État, qui, tant bien que mal, essayent de produire des schémas pluriannuels de stratégie immobilière, lesquels, à peine élaborés, doivent être corrigés. L’État n’est donc pas un modèle, qu’il s’agisse de la gestion de son parc immobilier ou de la performance énergétique.

Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste et républicain ne votera pas ce projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2019.

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