Monsieur le commissaire européen, merci d'avoir accepté notre invitation pour cet échange par visioconférence, en attendant, je l'espère, de pouvoir se rencontrer prochainement dans des conditions normales à Paris ou à Bruxelles. Je salue aussi nos collègues reliés à nous à distance.
Les commissions des affaires économiques et des affaires européennes souhaiteraient vous interroger sur trois points principaux : la future réforme de la politique agricole commune (PAC), l'impact du Green Deal ou Pacte vert, ainsi que la réaction européenne à la crise économique consécutive à la Covid-19.
Permettez-moi de revenir brièvement sur le bilan du dialogue politique entre nos deux institutions sur les sujets agricoles, au terme des trois dernières années. Je tiens d'abord à vous exprimer d'emblée toute notre reconnaissance pour la qualité des réponses que nous apporte la Commission européenne. Nous apprécions aussi qu'elle ait récemment proposé d'augmenter le budget de la PAC de 25 milliards d'euros sur la période 2021-2027 par rapport à ce qu'elle avait envisagé en 2018.
En revanche, des divergences fondamentales persistent entre nous, concernant l'économie générale de la réforme en préparation. Le Sénat a adopté, à notre initiative, trois résolutions européennes sur la future PAC, les 8 septembre 2017, 6 juin 2018 et 7 mai 2019 : elles comportent un ensemble très complet de demandes et de recommandations. Vous avez eu l'amabilité de fournir une réponse extrêmement détaillée à ces demandes, dans un courrier d'une remarquable précision.
Pour autant, sur le fond, nous regrettons que les recommandations du Sénat n'aient manifestement guère infléchi les orientations de la Commission européenne : notre réunion d'aujourd'hui nous fournit l'opportunité de vous indiquer que nous maintenons nos réserves et nos inquiétudes.
Pour résumer les choses en employant une image très simple, votre projet de réforme nous apparaît en quelque sorte comme un « toboggan » conduisant à une déconstruction inéluctable de la PAC d'ici à 2027. Nous redoutons, en particulier, une dérive progressive vers vingt-sept politiques agricoles nationales, de moins en moins compatibles entre elles. Les risques de distorsion de concurrence, de course au moins-disant social et environnemental entre les États membres, ainsi que de pénalisation des producteurs les plus vertueux nous préoccupent vivement.
Enfin, le nouveau mode de mise en oeuvre de la PAC pourrait n'être qu'un transfert de bureaucratie dont nous ne voyons pas le bénéfice, ni pour les agriculteurs européens, ni pour les consommateurs et citoyens européens. Sur ce point, malheureusement, la Commission européenne nous a donné le sentiment de présenter ce nouveau mode de mise en oeuvre de la PAC comme un impératif non négociable.
Avec une pointe d'amertume, je regrette vivement que nous ne soyons pas parvenus à vous convaincre de la justesse de nos observations.
À ces inquiétudes anciennes, s'en ajoutent de nouvelles, dont vous me permettrez de me faire l'écho à titre personnel, puisque nous n'avons pas encore eu le temps d'en débattre formellement en commission. La PAC est maintenant prise dans un autre engrenage, à savoir le Pacte vert en cours d'élaboration : ce pacte devrait être conçu de façon pragmatique. Or l'idée de décroissance irrigue son volet biodiversité.
Comment, en particulier, prévoir d'ici à 2030 de renoncer à 10 % de la surface agricole utile (SAU) européenne, tout en diminuant de 50 % l'utilisation des pesticides et en quadruplant les terres converties au bio, à hauteur de 25 %, sans renoncer de facto aux exploitations traditionnelles ? Cela nous paraît inacceptable.
En dernière analyse, nous vous appelons à faire confiance à nos agriculteurs qui seront les moteurs de la transition en cours. Nous devons réaliser des sauts technologiques pour rester concurrentiels par rapport aux autres continents. Ce n'est qu'ainsi que nous parviendrons à garantir la souveraineté alimentaire européenne.