Commission des affaires européennes

Réunion du 2 juillet 2020 à 9h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Monsieur le commissaire européen, merci d'avoir accepté notre invitation pour cet échange par visioconférence, en attendant, je l'espère, de pouvoir se rencontrer prochainement dans des conditions normales à Paris ou à Bruxelles. Je salue aussi nos collègues reliés à nous à distance.

Les commissions des affaires économiques et des affaires européennes souhaiteraient vous interroger sur trois points principaux : la future réforme de la politique agricole commune (PAC), l'impact du Green Deal ou Pacte vert, ainsi que la réaction européenne à la crise économique consécutive à la Covid-19.

Permettez-moi de revenir brièvement sur le bilan du dialogue politique entre nos deux institutions sur les sujets agricoles, au terme des trois dernières années. Je tiens d'abord à vous exprimer d'emblée toute notre reconnaissance pour la qualité des réponses que nous apporte la Commission européenne. Nous apprécions aussi qu'elle ait récemment proposé d'augmenter le budget de la PAC de 25 milliards d'euros sur la période 2021-2027 par rapport à ce qu'elle avait envisagé en 2018.

En revanche, des divergences fondamentales persistent entre nous, concernant l'économie générale de la réforme en préparation. Le Sénat a adopté, à notre initiative, trois résolutions européennes sur la future PAC, les 8 septembre 2017, 6 juin 2018 et 7 mai 2019 : elles comportent un ensemble très complet de demandes et de recommandations. Vous avez eu l'amabilité de fournir une réponse extrêmement détaillée à ces demandes, dans un courrier d'une remarquable précision.

Pour autant, sur le fond, nous regrettons que les recommandations du Sénat n'aient manifestement guère infléchi les orientations de la Commission européenne : notre réunion d'aujourd'hui nous fournit l'opportunité de vous indiquer que nous maintenons nos réserves et nos inquiétudes.

Pour résumer les choses en employant une image très simple, votre projet de réforme nous apparaît en quelque sorte comme un « toboggan » conduisant à une déconstruction inéluctable de la PAC d'ici à 2027. Nous redoutons, en particulier, une dérive progressive vers vingt-sept politiques agricoles nationales, de moins en moins compatibles entre elles. Les risques de distorsion de concurrence, de course au moins-disant social et environnemental entre les États membres, ainsi que de pénalisation des producteurs les plus vertueux nous préoccupent vivement.

Enfin, le nouveau mode de mise en oeuvre de la PAC pourrait n'être qu'un transfert de bureaucratie dont nous ne voyons pas le bénéfice, ni pour les agriculteurs européens, ni pour les consommateurs et citoyens européens. Sur ce point, malheureusement, la Commission européenne nous a donné le sentiment de présenter ce nouveau mode de mise en oeuvre de la PAC comme un impératif non négociable.

Avec une pointe d'amertume, je regrette vivement que nous ne soyons pas parvenus à vous convaincre de la justesse de nos observations.

À ces inquiétudes anciennes, s'en ajoutent de nouvelles, dont vous me permettrez de me faire l'écho à titre personnel, puisque nous n'avons pas encore eu le temps d'en débattre formellement en commission. La PAC est maintenant prise dans un autre engrenage, à savoir le Pacte vert en cours d'élaboration : ce pacte devrait être conçu de façon pragmatique. Or l'idée de décroissance irrigue son volet biodiversité.

Comment, en particulier, prévoir d'ici à 2030 de renoncer à 10 % de la surface agricole utile (SAU) européenne, tout en diminuant de 50 % l'utilisation des pesticides et en quadruplant les terres converties au bio, à hauteur de 25 %, sans renoncer de facto aux exploitations traditionnelles ? Cela nous paraît inacceptable.

En dernière analyse, nous vous appelons à faire confiance à nos agriculteurs qui seront les moteurs de la transition en cours. Nous devons réaliser des sauts technologiques pour rester concurrentiels par rapport aux autres continents. Ce n'est qu'ainsi que nous parviendrons à garantir la souveraineté alimentaire européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Nous considérons, comme beaucoup de nos concitoyens français, que la politique agricole commune est une politique ancienne mais que ce n'est pas une vieille politique. Elle a été au coeur de la construction européenne en étant la politique la plus intégrée de l'Union européenne. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les pères fondateurs ont confié la mission aux agriculteurs européens de nourrir les Européens, en échange des soutiens distribués par la PAC. Nous sommes très attachés à cette mission nourricière. La crise liée à la Covid-19 a démontré combien elle était encore d'actualité. C'est une politique ancienne qui a, encore aujourd'hui, toute sa place. Il ne s'agit donc nullement d'une vieille politique, car elle se situe aux carrefours de nombreuses attentes de nos citoyens en matière de sécurité stratégique, de sécurité sanitaire, d'environnement, de santé publique, de transparence, d'innovation... Nous considérons ici, au Sénat, et je crois pouvoir le dire, en France, que l'agriculture est un secteur stratégique majeur.

Les positions prises par la Commission européenne depuis le début de la négociation du cadre financier pluriannuel, de la réforme de la PAC ou du Green New Deal laissent supposer qu'elle envisage de réviser ce pacte historique des pères fondateurs de l'Union européenne avec nos agriculteurs, au profit d'un autre contrat qui consisterait à limiter notre production alimentaire européenne pour relever le défi environnemental, quitte à importer ce que nous ne produisons plus depuis d'autres pays. Cette orientation mérite d'être débattue, mais pose certaines difficultés stratégiques, à l'heure où l'agriculture est une priorité absolue sous d'autres latitudes. En outre, la question de la résilience et de la souveraineté alimentaire pose, sans doute, en des termes différents, cette problématique depuis quelques semaines. Loin de dénoncer par principe tout accord de libre-échange, la majorité des commissaires présents devant vous ne peuvent accepter que certains secteurs agricoles soient, systématiquement, des secteurs défensifs dans ces négociations. Ils s'interrogent, à cet égard, sur le bien-fondé d'accélérer les négociations sur les accords avec le Mexique ou l'Australie et la Nouvelle-Zélande en temps de crise.

Ce sentiment général d'une relégation de l'agriculture à un rang secondaire au sein des instances européennes a été corroboré par l'attitude de la Commission durant la crise épidémiologique. La lenteur dont a fait preuve la Commission à déclencher les mécanismes de crise et le budget finalement retenu pour les couvrir ne manquent pas de poser question. Pour le dire clairement, les 88 millions d'euros débloqués par l'Union européenne font pâle figure face aux 45 milliards d'euros débloqués par les États-Unis ou aux 5 milliards du Japon ! Pour combler cette lacune, nous assistons à une multiplication de plans nationaux de relance, qui ont de quoi surprendre dans la mesure où la politique agricole est toujours censée être commune. Et je n'évoque pas les propositions de baisse du budget européen d'une programmation à l'autre.

Ma question sera simple : où en est-on du projet européen en matière agricole ? La Commission européenne considère-t-elle encore l'agriculture comme un secteur stratégique ?

Le budget de la PAC diminuera-t-il entre la programmation 2014-2020 et la suivante ? Quelles sont les orientations de la Commission en matière d'harmonisation des normes fiscales, sociales et environnementales entre États membres ? Quelle est la position de la Commission sur les questions de l'étiquetage de l'origine des produits alimentaires, réclamé par nos consommateurs ? La Commission est-elle disposée à assouplir les règles relatives aux marchés publics afin de favoriser des approvisionnements locaux dans la restauration collective, comme le réclament les consommateurs ?

Debut de section - Permalien
Janusz Wojciechowski, commissaire européen à l'agriculture

Je vous remercie pour cette invitation, qui constitue une occasion d'échanger à un moment important pour l'Union européenne et son agriculture, alors que nous débattons du futur budget, du Pacte vert et du futur plan de relance. Nos agriculteurs ont pu continuer à assurer la sécurité alimentaire de l'Europe pendant la crise sanitaire. Les agriculteurs français fournissent à eux seuls un cinquième de la production européenne. Cela prouve la pertinence de la PAC, cette vieille politique conçue par les Pères fondateurs de l'Europe, mais qui n'est pas pour autant surannée, comme vous l'avez souligné, et qui est nécessaire pour assurer notre sécurité alimentaire. Cette dernière n'est pas un acquis intangible. Nous recevons de multiples signaux qui montrent que nous devons prendre soin de nos agriculteurs.

L'Union européenne est le plus grand exportateur de produits agricoles dans le monde et notre balance commerciale agricole est excédentaire. Toutefois, nous sommes importateurs de produits alimentaires non transformés, ce qui montre que notre indépendance n'est pas totale. On compte dix millions d'exploitations agricoles en Europe, contre quatorze millions il y a dix ans ; chaque jour, une centaine d'exploitations disparaissent. Les jeunes ne sont pas très intéressés pour prendre la relève.

Je vous remercie pour vos résolutions. La voix du Sénat français est très forte et constitue un soutien précieux pour défendre la PAC dans le cadre des négociations budgétaires en cours. La Commission a amélioré ses propositions ; il y a deux ans, elle envisageait une enveloppe de 365 milliards d'euros. Elle propose désormais 26,5 milliards de plus. Les crédits destinés à la France augmenteraient de 3,3 milliards : 1 milliard environ au titre des paiements directs, et 2 milliards au titre du deuxième pilier consacré au développement rural. J'ai conscience que ces propositions ne sont pas totalement satisfaisantes. Ayant rencontré les agriculteurs français lors du salon de l'agriculture à Paris avant la crise sanitaire, je sais que les besoins sont immenses. Toutefois, il faut souligner que c'est la première fois que la Commission améliore spontanément sa proposition initiale de budget.

Les agriculteurs bénéficieront aussi de la politique de cohésion, ou du futur plan de relance. Je travaille à ce que l'agriculture y ait toute sa place.

J'entends vos préoccupations sur le Pacte vert. Je reçois des messages identiques de la part des agriculteurs des autres États membres. J'ai essayé de jouer un rôle actif dans l'élaboration des stratégies « de la ferme à la table » ou concernant la biodiversité. Je crois que la Commission est sensible à nos arguments. À mon initiative - et je crois que j'ai obtenu gain de cause -, il y aura un suivi de cette stratégie en ce qui concerne la sécurité alimentaire et la compétitivité de notre secteur agricole. Si l'on devait s'apercevoir que la réalisation des objectifs prévus dans le cadre de cette stratégie menace la sécurité alimentaire et la compétitivité de notre agriculture, ces objectifs devraient être révisés. D'ailleurs, cette stratégie prend en considération les points de départ différents des pays européens. En France, on peut parler d'atouts, en ce qui concerne l'utilisation des pesticides, des engrais et des antibiotiques, notamment pour l'élevage intensif. La situation y est donc assez équilibrée, si l'on compare à d'autres États européens. La réalisation de ces objectifs très ambitieux devrait y être plus facile que dans certains autres pays européens.

La mise en oeuvre de ces objectifs est nécessaire, car il existe de fortes attentes pour que l'agriculture soit plus respectueuse de l'environnement et qu'elle s'inscrive dans le cadre de la lutte contre le changement climatique. C'est également important pour la sécurité des agriculteurs eux-mêmes, car nous nous sommes aperçus que les méthodes de production intensives étaient peu résilientes en cas de crise, à cause de leur dépendance en termes d'approvisionnement et de main-d'oeuvre. Nous devons consentir des efforts pour que l'agriculture se concentre davantage sur les marchés locaux et la transformation locale de produits agricoles. Cela constitue une grande chance pour l'Europe comme pour la France, qui est sans conteste un énorme marché agricole. Je soutiendrai donc toute initiative ayant pour objectif de favoriser la dimension locale de l'agriculture, et non la production ciblée sur les exportations - même si celles-ci ont également leur importance. La priorité doit aller aux marchés locaux.

Nous devons également prendre soin de nos agriculteurs. Je m'engage ici personnellement à veiller à ce que les conditions de concurrence soient égales, qu'il s'agisse de nos partenaires européens ou extra-européens. L'Union européenne gagne à signer des accords commerciaux parce qu'elle est un exportateur de produits agricoles, et même le premier au monde ! En même temps, nous ne pouvons pas oublier que plusieurs secteurs sensibles ne tirent pas toujours bénéfice de ces accords commerciaux. Je m'engage à protéger de tels secteurs et, si j'ai bien compris, la Commission s'y engage également.

Pour conclure, je dirai que nous avons besoin d'une agriculture plus respectueuse de l'environnement, et d'une PAC plus respectueuse de nos agriculteurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Je vous remercie de votre intervention. Je donne à présent la parole, dans un premier temps, à un sénateur par groupe politique.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Gremillet

Merci de nous consacrer ainsi du temps, monsieur le commissaire. Au cours de la pandémie de Covid-19, on peut dire que les agriculteurs ont été au rendez-vous, alors qu'on a eu le sentiment que l'Europe tardait à l'être, puisqu'il a fallu attendre presque deux mois avant que l'Union européenne ne prenne des décisions significatives en matière de soutien à l'alimentation des Européens dans cette crise. Avec le Brexit, nous avons besoin de renforcer le projet européen, et de renforcer le projet agricole de l'Union européenne. Les différentes résolutions adoptées par le Sénat montrent bien notre volonté, la volonté de la France, d'aller encore plus loin dans la construction européenne, y compris sur le projet agricole.

Comment pensez-vous renforcer cette Europe dont nous avons tant besoin ? La sécurité alimentaire est très fragile. Et j'observe un décalage entre l'offensive de l'ensemble des pays qui ont une capacité de production et l'Europe, qui ne donne pas le sentiment d'avoir l'ambition d'être au rendez-vous pour relever les défis alimentaires mondiaux.

Si le risque climatique doit être supporté pour partie par les agriculteurs, il ne peut pas l'être que par eux. La sécurité alimentaire doit aussi être garantie par l'Europe, avec la PAC. Les conséquences agricoles, de la crise actuelle ne doivent pas non plus être supportées par les seuls agriculteurs.

Vous avez évoqué la biodiversité. Nul ne l'oppose à la production agricole : geler des surfaces pour maintenir la biodiversité, nous sommes capables de le faire ! En France et en Europe, nous avons la plus grande biodiversité raciale de bovins, de caprins, de porcins... Cela résulte du travail des paysans et des éleveurs. Nous pouvons la maintenir, tout en continuant de produire.

Je partage votre point de vue sur l'inquiétude des jeunes avant l'installation. Ils ne s'installeront pas si on ne leur fait pas confiance, si on ne leur donne pas envie. Or, on a l'impression qu'ils sont accusés en permanence. Pourtant, les métiers de paysan, liés à la production agricole, et ceux liés à la transformation agricole sont pleins de ressources et d'avenir.

Le projet européen ne peut pas être en contradiction et en opposition avec le consommateur et le citoyen. On ne peut pas définir des conditions européennes en matière d'agriculture et de gestion de l'espace rural sans tenir compte des conditions de production des biens qui vont entrer sur notre marché à la suite des accords que nous signons. À l'échelle du monde, l'Europe est un marché local. Il serait dommage qu'elle ne conserve pas une ambition de présence de son agriculture dans le monde.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Je souhaite évoquer la situation critique des régions viticoles françaises, en particulier en Occitanie. Les vignerons n'ont pu écouler leurs stocks, non seulement en raison de la pandémie, mais aussi à cause de la politique des États-Unis et de la Chine, qui augmentent sensiblement leurs droits de douane. La réponse de la Commission européenne est très attendue, en particulier d'un point de vue financier. La proposition d'acte délégué que vous avez faite le 30 avril dernier était insuffisante, de notre point de vue - et du point de vue de la commission AGRI du Parlement européen, qui a bloqué l'acte. Il ne pourra pas y avoir de réponse efficace sans qu'une enveloppe supplémentaire soit mise sur la table, et sans mesures fortes prises à l'échelle de l'Union européenne pour le stockage et la distillation.

Pour nous, la distillation constitue l'outil majeur. Nous regrettons que la réponse européenne tarde tant : toutes les caves sont pleines, et la nouvelle récolte arrive. Il manque 100 millions d'euros pour la distillation de crise. La souplesse dans l'utilisation des crédits de la PAC, c'est bien, mais un budget européen pour soutenir la filière viticole en 2020, ce serait plus sérieux, monsieur le commissaire ! Vous avez annoncé un acte délégué modifié, et nous avons pris connaissance du courrier que vous avez adressé au président de la commission AGRI du Parlement européen, mais certains points appellent des précisions.

Pouvez-vous nous détailler le contenu de l'acte délégué modifié que vous vous apprêtez à publier pour remédier à la crise viticole qui menace ? Quelles aides supplémentaires pour le secteur viticole allez-vous proposer ? Quelles sont les modalités des opérations de stockage et de distillation que vous proposez ? Quelles dérogations seront accordées, sur le fondement de l'article 222 du règlement portant Organisation Commune de Marché (OCM), pour le secteur du vin ? Quel est le niveau des aides qui sera finalement retenu ? Quelles sont les modalités de promotion des vins européens en direction des pays tiers ?

Le prochain conseil Agriculture du 20 juillet abordera l'articulation entre la réforme de la PAC et les stratégies alimentaires liées au Pacte vert. Ce débat doit répondre à plusieurs questions. Lors du dernier conseil Agriculture, de nombreux États membres se sont inquiétés que les ambitions légitimes affichées par les stratégies « de la ferme à la fourchette » et du Green Deal, auquel l'agriculture est appelée à contribuer, créent des asymétries entre les nouvelles exigences, élevées, imposées aux agriculteurs européens, et les normes moins strictes pour les produits importés. Avec la stratégie « de la ferme à la fourchette », que vous avez présentée le 20 mai dernier, le coût final des produits risquerait de nuire à la compétitivité des denrées alimentaires de l'Union européenne. Il faut éviter que la production ne se déplace vers d'autres zones...

Debut de section - PermalienPhoto de Anne-Catherine Loisier

Vous avez beaucoup parlé de sécurité et de souveraineté alimentaire. Vous avez dit à juste titre que cela passe d'abord par le soutien aux agriculteurs qui, pour beaucoup, sont en grande détresse et ne se voient pas d'avenir. Vous avez souligné aussi votre attention aux circuits courts. Le projet européen est-il attentif au maintien d'une agriculture dans tous les territoires ? L'agriculture anime les territoires et, comme l'a dit Daniel Gremillet, préserve leur biodiversité. Quel projet européen pour les agriculteurs des bassins allaitants, et notamment pour la filière bovine ? Celle-ci est inquiète. Comment pensez-vous la protéger ? Quel projet d'avenir pour les agriculteurs des zones à faible rendement, dites zones intermédiaires ? Ces zones sont, à ce jour, les moins aidées par la PAC, et subissent de la sorte une double peine, alors même qu'elles contribuent à une agriculture de qualité. La moutarde en Bourgogne-Franche-Comté, par exemple, rencontre de grandes difficultés. Enfin, vos compétences couvrent-elles la filière forêt-bois ? Y a-t-il un projet européen pour la valorisation de sa production en tant que matériau, en tant que source d'énergie ? Cela pourrait répondre dans une large mesure aux enjeux de maîtrise de l'empreinte carbone, mis en avant par le Pacte vert.

Debut de section - Permalien
Janusz Wojciechowski, commissaire européen à l'agriculture

M. Gremillet a parlé de retard dans la réponse de l'Union européenne à la crise. On peut toujours faire mieux, et plus vite, mais en ce qui concerne notre secteur agricole, nous avons travaillé de façon très intense, et beaucoup de décisions ont été prises dès le déclenchement de la crise. La Commission a publié assez vite ses lignes directrices et travaillé rapidement à la création des couloirs verts, vitaux pour le transport. Nous avons essayé de régler la question des travailleurs saisonniers, indispensables dans certains secteurs, et nous avons permis d'augmenter l'aide publique. Il y a eu aussi plusieurs interventions pour soutenir le secteur laitier et celui des fruits et légumes. Nous avons consacré d'importantes sommes au stockage privé, et nous constatons qu'elles n'ont pas été entièrement utilisées. Les besoins de certains secteurs, et surtout du secteur laitier, n'étaient donc pas si énormes que cela.

Je comprends les difficultés rencontrées par le secteur vitivinicole. La question est sensible, notamment en France, mais je puis vous assurer que, après la controverse au Parlement européen, la situation est en voie d'amélioration. Ainsi, la Commission européenne a accru les aides financières destinées au secteur et le Parlement a retiré son opposition à notre premier acte délégué. Les solutions proposées feront l'objet de deux paquets législatifs. Usant de tous les instruments à notre disposition, nous avons autorisé la distillation du vin et nous avons accordé des mesures de flexibilité aux producteurs.

M. Gremillet a également évoqué le projet européen et s'est interrogé sur les garanties de sa réalisation effective. Dans ce cadre, notre sécurité alimentaire est un enjeu majeur. Elle doit, à mon sens, être assurée par la production locale européenne. En effet, nous ne pouvons toujours compter sur les importations, car, parfois, les circonstances - je pense à la crise sanitaire par exemple - perturbent les livraisons.

Une question de Mme Loisier portait sur le secteur bovin. Nous devons travailler davantage sur la promotion des exportations, essentielles pour le secteur, sans oublier de développer les marchés locaux où la situation pourrait être améliorée à l'aune d'une croissance de la consommation. À titre d'illustration, en Pologne, la viande produite est exportée à 80 %, car la consommation locale est quatre à cinq fois inférieure à la moyenne européenne. Si elle se hissait au niveau de cette moyenne, la Pologne deviendrait importatrice de viande bovine. Dans ce secteur, le développement de la production biologique et sa promotion constitueraient, selon moi, une solution adaptée pour renforcer les marchés locaux. À cet égard, la création d'un label qualité associé au bien-être animal représenterait un élément efficace de promotion de la viande bovine sur les marchés européens.

Mme Loisier m'a également interrogé sur le secteur forestier. La Commission européenne l'a pris en considération dans son cadre stratégique. Des investissements pourront être réalisés au bénéfice du secteur forestier et de la filière bois dans le contexte de la mise en oeuvre du Pacte vert.

Revenant à l'intervention de M. Gremillet sur le projet européen pour compléter ma réponse relative à la sécurité alimentaire du continent, je précise que la sécurité économique des agriculteurs constitue également une priorité de la Commission européenne. Les jeunes agriculteurs craignent de se lancer dans un secteur à risque, où il est possible de tout perdre à la suite d'une catastrophe naturelle, d'une crise sanitaire ou d'une décision politique, à l'instar, récemment, de la fixation de tarifs douaniers élevés par les États-Unis ou de l'embargo établi par la Russie sur certains produits. La Commission européenne travaille donc au renforcement des moyens de l'agriculture en situation de crise. Nous ne pouvons, en effet, laisser dans ces circonstances les agriculteurs sans soutien.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Étant donné le temps imparti, je propose que nos collègues qui n'auront pas pu poser leurs questions le fassent ultérieurement par écrit.

Debut de section - PermalienPhoto de Noëlle Rauscent

Les agriculteurs doivent suivre des normes toujours plus contraignantes, en France plus encore que dans d'autres pays de l'Union européenne, au point de subir une distorsion de concurrence à l'intérieur même de l'Union. Dans ces conditions, sans barrière douanière, on pénalise les pays qui sont les plus soucieux de protéger les consommateurs, ce qui va contre l'objectif même de l'Europe. Une harmonisation des normes imposées aux agriculteurs vous paraît-elle possible ?

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

Sénateur du Morbihan, le « Far West de l'Europe », écologiste, je sais que j'exprime une voix parfois dissonante dans notre assemblée, en particulier lorsque je me réjouis de vos annonces : oui, la réduction de l'usage des antibiotiques dans l'élevage, l'extension des terres disponibles pour l'agriculture biologique, ou encore la réserve de 10 % des terres cultivables pour la biodiversité, sont de bonnes nouvelles pour les agriculteurs et pour notre agriculture. Cependant, aurez-vous les moyens d'une telle politique ? Comment comptez-vous articuler ces objectifs avec ceux de la PAC ? Pour donner corps à votre stratégie « de la ferme à la table », ne faudrait-il pas flécher des dépenses du premier pilier vers les services environnementaux ? Ne faut-il pas, même, inscrire dans la PAC des obligations issues du Green Deal ? Je crois que ce serait la meilleure option, parce que je suis convaincu que l'agriculture biologique, de plus en plus efficace et source d'externalités positives très nombreuses, peut nourrir les populations européennes, avec des avantages sur la santé, la qualité des eaux, la pollinisation, l'environnement. Je sais aussi que les importations de produits issus de pays moins-disants ne vont pas s'arrêter du jour au lendemain ; c'est pourquoi il faut être exigeant, et commencer par interdire des produits qui ne sont pas conformes à nos normes, comme on l'a fait par voie d'un récent règlement européen contre le boeuf aux hormones. Une telle interdiction vous paraît-elle possible ?

Debut de section - PermalienPhoto de Franck Menonville

Alors que l'on déplore de plus en plus d'épisodes climatiques et une volatilité plus forte des prix, quelle place pensez-vous pouvoir accorder à la gestion des risques en matière agricole ? Plusieurs des mesures que vous annoncez dans votre stratégie « de la ferme à la fourchette » nous semblent fondées sur l'idée de décroissance, en particulier la réservation d'un quart des terres agricoles au bio et d'un dixième des terres à un usage non productif. Pourquoi ce choix ? N'est-ce pas manquer d'ambition pour notre agriculture ? Et ce alors même qu'il ne faut pas fragiliser la souveraineté agricole européenne...

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Cuypers

Alors que l'agriculture a joué un rôle essentiel pendant la pandémie, elle est menacée, ce qui compromet notre sécurité alimentaire, mais aussi des pans entiers de notre industrie et de nos emplois. Nous sommes face à une rupture technologique très forte. Voyez les conséquences de l'interdiction, en 2018, des insecticides néonicotinoïdes : la production de sucre en Europe va diminuer de 30 à 70 % faute d'une solution phytosanitaire, et nous allons devoir importer de l'alcool massivement. Nous aurons également des difficultés pour abonder les énergies renouvelables, alors qu'elles sont nécessaires. La révision de la PAC est dans le calendrier européen : pensez-vous pouvoir ré-autoriser ces molécules interdites en 2018 tant que des produits de substitution n'ont pas été trouvés ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Raison

Les jeunes agriculteurs s'inquiètent pour leur métier, notamment pour des raisons financières : les aides à l'installation stagnent, elles sont mobilisées de façon routinière, il faut y regarder de plus près. Avez-vous pensé à d'autres façons de faire, par exemple comme les Américains avec leur Farm Bill ?

Enfin, si nous sommes très attachés à l'équilibre environnemental et à la biodiversité, nous sommes quelques-uns à craindre que l'idéologie verte n'anéantisse les recherches scientifiques dont nous avons tant besoin.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Louault

Nous comprenons l'objectif de verdissement de la PAC, mais il faut bien se rendre compte de la rupture qui est en jeu : nos concurrents produisent de la viande de façon industrielle, quand nous l'élevons avec de l'herbe, l'Europe accepte les règles de la concurrence, quand les États-Unis et la Chine sont protectionnistes... Pour trouver un équivalent : on demande à nos agriculteurs de produire des Mercedes au prix de Lada... il faut en sortir, et mieux protéger l'agriculture européenne.

Debut de section - Permalien
Janusz Wojciechowski, commissaire européen à l'agriculture

Merci pour ces questions et remarques judicieuses. Je me réjouirais que les normes imposées aux agriculteurs soient harmonisées, mais sachez que la bureaucratie est très loin d'être le seul fait de Bruxelles : bien des États traînent des pieds. Je partage aussi l'objectif que les produits que nous importons soient conformes aux normes que nous nous imposons en Europe ; il y a fort à faire avec l'Organisation mondiale du commerce (OMC), mais nous sommes parvenus à des résultats, et nous avons de quoi refuser l'usage de pesticides interdits en Europe.

Oui, le budget de la PAC est tout à fait compatible avec le Pacte vert, la PAC elle-même doit aller dans ce sens, parce que c'est une priorité politique de l'Union.

L'agriculture est une chance pour l'Europe et pour la France, j'en suis convaincu tout comme vous. Notre agriculture est principalement composée d'exploitations familiales, d'où sortent des produits de haute qualité, sains, souvent biologiques. Cette façon de faire constitue notre avantage concurrentiel sur les marchés mondiaux, bien davantage que les produits massifiés. Je crois que la conversion biologique ne doit pas s'opérer par contrainte, mais par incitation, et, effectivement, je vois des possibilités dans le cadre du premier pilier, pour aider les agriculteurs volontaires. L'agriculture européenne est très différente de l'agriculture américaine : nous avons des exploitations souvent familiales, notre intérêt est de maintenir ce modèle. La taille moyenne des exploitations - 16 hectares - n'empêche pas la diversité ; dans certains pays, cette moyenne atteint 100 hectares : les plus grandes exploitations ne sont pas toujours les plus rentables, souvent les petites exploitations produisent mieux et davantage, grâce à une meilleure productivité.

Devons-nous changer ce modèle ? Je ne le crois pas, et je pense même que nous devons regarder ses atouts et le consolider en aidant les agriculteurs. Vous savez comme moi qu'en agriculture, l'incertitude est omniprésente, du semis à la récolte, en passant par les aides - nous devons composer avec cette incertitude et conforter notre modèle, fondé sur la sécurité alimentaire : alors nous assurerons un futur meilleur pour notre agriculture. Je crois aussi que nous devons agir de façon raisonnable sur le plan stratégique, en conciliant sécurité alimentaire et concurrence.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Merci, monsieur le commissaire, nous vous enverrons éventuellement des questions complémentaires par écrit.

Le Sénat n'est pas en phase avec vos propositions, vous l'avez compris. Nous reconnaissons les efforts budgétaires de la Commission européenne, mais deux points majeurs nous posent problème : le Green Deal, d'abord, nous semble bien trop synonyme de décroissance, laquelle n'est pas une voie d'avenir. Nous sommes convaincus qu'il est possible de concilier qualité des aliments, productivité et respect des consommateurs. Ensuite, nous voulons plus de revenus pour les agriculteurs, ce qui valorise l'approche américaine, plus technologique et avancée - nous souhaitons utiliser les New Breeding Techniques, les nouvelles techniques de sélection végétale, qui sont indétectables et qui donnent un avantage comparatif certain.

Nous disons, ensuite, que l'état de notre agriculture exige d'aller au-delà du règlement relatif à l'Organisation commune des marchés, dit « OCM », pour autoriser les agriculteurs à s'entendre sur les quantités et sur les prix. Cette souplesse se justifie par la nature même de l'activité agricole et elle pourrait permettre de diminuer la contribution budgétaire de l'Union européenne. À l'inverse, si nous en restons à nous laisser porter par le vent vert, environnementaliste, nous conduirons l'agriculture européenne à l'échec.

Debut de section - Permalien
Janusz Wojciechowski, commissaire européen à l'agriculture

Merci pour ce débat, j'essaierai de répondre par écrit à toutes vos questions.

Sur le fond, je crois que l'important pour l'agriculture, c'est son équilibre, lequel est une condition de sa pérennité. Ce débat renforce ma conviction que l'agriculture est importante, vous me donnez des arguments que je pourrai utiliser dans mes contacts et négociations. Il faut que vous sachiez que la France est très sensible aux considérations agricoles, mais que ce n'est pas le cas de certains autres États membres. Je me réjouis du signal politique favorable que vous me donnez, celui du Sénat français - et j'espère que nous continuerons notre dialogue.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

En deux mots, cependant : le Sénat français veut concilier productivité et environnement et ce que l'on dessine au nom du Green Deal ne nous convient pas.

La réunion est close à 11 h 10.