Intervention de Stéphane Lissner

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 15 juillet 2020 à 9h30
Audition de Mm. Stéphane Lissner et martin ajdari respectivement directeur général et directeur général adjoint de l'opéra national de paris

Stéphane Lissner, directeur général de l'Opéra national de Paris :

Vous avez débuté votre propos en parlant de la situation des opéras en général. En fait, la situation des opéras diffère selon leur modèle économique, et notamment selon qu'ils sont financés largement sur fonds publics, ou par autofinancement. L'Opéra de Paris s'autofinançant à hauteur de 56 à 60 %, suivant les années, les recettes jouent pour lui un rôle déterminant. Inversement, pour un opéra qui se finance à 60 ou 70 % sur fonds publics, l'arrêt de son activité ne crée pas de problème économique majeur. Ainsi, des institutions comme Covent Garden à Londres, la Scala à Milan, ou le Metropolitan Opera de New York vont au-devant de difficultés extrêmes, alors que des opéras de plus petite taille, dont le financement public est largement supérieur aux recettes propres, ne connaîtront pas les mêmes difficultés économiques.

À l'Opéra de Paris, le financement public est inférieur à 50 %. Le premier problème qui se pose est donc celui du modèle économique. Pendant des années, le financement public a couvert le coût du personnel, c'est-à-dire les frais fixes. Actuellement, il manque entre 30 et 35 millions d'euros pour couvrir le montant des salaires, qui représente à peu près 100 millions d'euros, sur un budget de 230 millions d'euros. D'où l'importance de nos ressources propres, à commencer par les recettes de billeterie, sans compter les recettes de mécénat, celles des visites de Garnier, etc. Notre modèle économique actuel ne peut donc pas supporter les crises sociales ou liées aux attentats que nous avons connues.

Après les grèves liées à la loi El Khomri, nous avons eu les week-ends des gilets jaunes, mais on pourrait mentionner aussi les grèves de la SNCF, surtout les plus anciennes, qui nous occasionnaient de gros problèmes de remplissage le week-end, puisque le public ne pouvait plus venir de province. Il y eu ensuite, effectivement, la réforme des retraites, qui nous a infligé un choc très violent. À mon avis, si l'on pouvait comprendre une réaction forte de l'ensemble des syndicats et du personnel à la suspension d'une caisse de retraite qui existait depuis 350 ans, sans que l'État ne propose de projet alternatif à cette annulation, il était plus difficile d'expliquer que les grèves continuent à partir du mois de janvier, alors que l'ensemble du pays, et notamment la SNCF et la RATP, reprenait sa vie.

En tous cas, cette période a été très difficile. La grève perlée a repris à partir du mois de février, puis nous sommes tombés dans la crise sanitaire... Bref, depuis le 5 décembre, nous vivons une crise très grave, qui a créé des déficits importants sur l'année 2019, ce qui est d'autant plus dommageable que le 5 décembre, nous terminions une année 2019 exceptionnelle, avec 4 ou 5 millions d'euros de résultat positif. Mais nous avons perdu, entre le 5 et le 31 décembre 2019, 15 à 16 millions d'euros, ce qui fait que nous avons fini l'année avec un déficit de 12 millions d'euros. L'année 2020 a débuté dans la continuité des grèves, jusqu'au 24 janvier exactement, ce qui nous a fait perdre de nouveau 5 millions d'euros, avant que nous n'entrions dans la pandémie.

Le modèle actuel de l'Opéra de Paris ne peut pas supporter, et ne supportera pas dans le futur, des crises sociales ou sanitaires comme celles que nous venons de connaître. Je rappelle que, au cours des dix dernières années, entre 110 et 115 postes ont été supprimés ; nous en sommes désormais à 1 480 postes à durée indéterminée, et environ 300 postes à durée déterminée. Si l'on compare ces chiffres avec ceux des autres grands établissements internationaux, on voit que l'Opéra de Paris se défend très bien ! D'autant que nous ne gérons pas un seul théâtre : nous avons un théâtre de 2 700 places et un de 2 000 places, ainsi qu'une école de danse à Nanterre et des ateliers à Berthier. Cela pose la question du modèle économique et de l'engagement de l'État. L'établissement a fait beaucoup d'efforts au cours des dernières années, alors que les financements publics ont baissé de 10 à 15 millions d'euros : notre subvention est passée de 108 millions d'euros il y a une dizaine d'années à 97 millions d'euros aujourd'hui, soit une baisse sensible. Pourtant, nos charges fixes connaissent une augmentation mécanique du fait de l'ancienneté : chaque année, la masse salariale augmente de 1,6 %, quoi qu'il arrive, à quoi il faut ajouter des mesures nouvelles inévitables, ce qui aboutit à environ 2,2 % d'augmentation par an...

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