Intervention de Martin Ajdari

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 15 juillet 2020 à 9h30
Audition de Mm. Stéphane Lissner et martin ajdari respectivement directeur général et directeur général adjoint de l'opéra national de paris

Martin Ajdari, directeur général adjoint de l'Opéra national de Paris :

Sur l'année 2020, l'état des lieux se bornera principalement à des constats budgétaires, malheureusement. Nous avons dû annuler tous les spectacles de début mars jusqu'à la fin de la saison en juillet. Et, vu les incertitudes pesant sur la rentrée, nous avons anticipé des travaux prévus l'an prochain, en 2021, pour qu'ils aient lieu cette année. Cela a conduit à une annulation de presque tous les spectacles entre mars et la fin novembre à Bastille, et la fin de l'année 2020 à Garnier.

Or, comme l'a expliqué Stéphane Lissner, nous avons besoin de jouer pour couvrir les frais fixes, contrairement à la plupart des théâtres qui bénéficient d'une subvention couvrant leurs frais fixes, ce qui leur laisse une marge pour financer l'activité artistique. Comme nous n'aurons quasiment aucun spectacle cette année, nous finirons 2020 avec une perte de 44 millions d'euros, dont l'essentiel est lié à la covid-19, et pour environ 5 millions d'euros, aux grèves de janvier.

À la fin 2019, nous disposions d'un fonds de roulement dont la vocation était de financer des investissements dans l'outil de production, notamment dans les aspects patrimoniaux du bâtiment. Les quelque 20 ou 30 millions d'euros qui le constituaient se seront transformés, fin 2020, en - 20 millions d'euros ! C'est une perspective assez angoissante que de ne plus avoir de réserve, et de ne pas savoir si nous pourrons maintenir correctement notre outil de travail et de production ainsi que sa sécurité.

L'absence de fonds de roulement fait aussi peser une contrainte sur toute prise de risque et toute innovation. Comme notre modèle économique dépend de plus en plus des recettes commerciales, disposer de réserves permet de faire face à des aléas, y compris commerciaux. La tentation va être de prendre de moins en moins de risques, ce qui risque d'affadir le lien entre l'Opéra de Paris et la création.

Or, si l'Opéra de Paris dispose dans son répertoire d'oeuvres susceptibles d'attirer un public large, et dont le succès est à peu près garanti, il y a aussi des prises de risque à faire, avec des créations. C'est ce qu'a fait Stéphane Lissner, qui a produit quelques exemples emblématiques, comme Moïse et Aaron ou les Indes galantes, qui ont permis une incursion de la culture urbaine dans la musique baroque. De telles prises de risques ne sont pas possibles sans un minimum de réserves pour faire face aux aléas.

Oui, notre subvention, en valeur absolue, est très importante, puisqu'elle s'élève à 97 millions d'euros. Mais elle a diminué, en dix ans, de près de 15 millions d'euros. En tenant compte de l'inflation, c'est une baisse de 25 %. Pourtant, dans le spectacle vivant, la loi de Baumol nous dit qu'il n'y a pas de rendements croissants, ni de gains de productivité. Nous sommes donc confrontés à un effet de ciseaux, avec une tension qui se crée entre l'évolution des recettes et celle des charges.

Les recettes, depuis dix ans, ont été portées par la hausse de la billetterie, qui a atteint des niveaux extrêmement importants, et du mécénat. Mais ces deux leviers touchent à leur limite. Le prix des places est déjà parfois de 200 euros, ce qui est beaucoup, surtout dans une phase où nous aurons moins de spectateurs internationaux et où les spectateurs ont un pouvoir d'achat restreint, en tous cas pour ce type de dépenses. Quant au mécénat, son montant a doublé sous le mandat de Stéphane Lissner, c'est-à-dire depuis 2014. Il a triplé depuis 2002. Il atteint aussi ses limites, puisque le cadre fiscal a été resserré récemment, et qu'une bonne partie des entreprises mécènes hésitent à investir à un moment où elles doivent demander des efforts ou des sacrifices à leurs salariés - environ un tiers des recettes de mécénat vont diminuer en 2020. Certes, nos grands partenaires historiques restent fidèles, mais nombre de donateurs et de mécènes intermédiaires ont tendance à se replier. Notre trésorerie reste légèrement positive, parce que les spectateurs payent leur billet à l'avance, mais elle est de plus en plus ténue.

Comme la plupart des établissements publics, nous n'avons reçu aucun soutien de l'État en 2020. On peut le comprendre : l'État considère qu'il fallait commencer par soutenir les structures privées dont l'existence était directement menacée, quand les établissements publics jouissent d'une forme de garantie implicite. Ce raisonnement peut s'entendre pendant quelques semaines, voire quelques mois. Mais au bout d'un moment, il faut que nous sachions comment reconstituer nos réserves, comment nous pourrons fonctionner en 2021, avec un niveau de recettes propres qui sera forcément impacté par la crise sanitaire et économique, dont on ne connaît ni l'ampleur ni la durée.

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