Nous avons entre 800 000 et 900 000 spectateurs par an, soit à peu près autant que l'ensemble de l'offre lyrique en France. Si notre subvention est importante, elle représente, en prix par place, 30 à 40 % de moins que pour chaque spectateur de l'Opéra-comique ou de l'Opéra de Lyon. Plus de la moitié des spectateurs de spectacles lyriques ou chorégraphiques en France sont à l'Opéra de Paris tous les ans. Et notre subvention représente beaucoup moins que la moitié de l'ensemble des subventions publiques.
Il y a une grande fragilité de notre art par rapport à la crise sanitaire, qu'il s'agisse des choeurs, des danseurs, des musiciens, ou des artistes qui, souvent, nous viennent de l'étranger. Or nous ne pouvons pas annuler une saison avec quelques mois de préavis car les artistes qui répondent à un système d'engagements internationaux sont souvent recrutés trois ou quatre ans à l'avance. Nous n'avons donc pas une grande capacité d'ajustement à court terme. Nous avons à la fois des frais fixes très importants, et des frais variables rigides à deux ou trois ans.
Nous étions théoriquement éligibles au chômage partiel, aux termes de l'ordonnance du 22 avril 2020, puisque nous avons plus de 50 % de ressources propres. Mais on nous a demandé, si nous voulions y avoir accès, de ne pas compenser un euro de perte de rémunération pour les salariés, contrairement à ce qui a pu se produire à la RATP ou la SNCF ou dans d'autres s'établissements publics. Au sein des établissements culturels et, en général, dans l'environnement public, les salaires ont été maintenus, même si les primes d'activité ont, elles, été perdues. C'est un choix qu'il était difficile d'imposer aux salariés de l'Opéra. L'absence de recours au chômage partiel, pour une activité industrielle et commerciale comme celle de l'Opéra de Paris, peut représenter, vu la durée d'inactivité, 25 à 30 millions d'euros. Une large part de nos pertes résulte donc de l'absence d'accès dans des conditions à peu près satisfaisantes au chômage partiel.
Il y a eu toutes les semaines l'éditorialisation d'une captation audiovisuelle, en partenariat avec France Télévisions, ce qui a permis d'enregistrer plus de 2 millions de vues pour l'ensemble des spectacles ainsi diffusés, soit un résultat assez encourageant. La 3e scène a connu un nombre de visites inédit et trouve un débouché aujourd'hui dans les salles de cinéma, avec une série de quatre courts-métrages proposés depuis la semaine dernière. Nous avons lancé une plateforme éducative de familiarisation avec les univers du ballet et de l'opéra, qui a déjà recruté 200 000 utilisateurs actifs. Nous essayons donc de maintenir un lien par le numérique, ce qui ne remplace évidemment pas ce qui peut se nouer dans une salle.
Le projet de salle modulable est intimement lié à l'aménagement de la cité Berthier, pour offrir des salles et des espaces de représentation supplémentaires à la Comédie française et à l'Odéon. L'Opéra de Paris y organisait régulièrement des répétitions. Il possède également là-bas des ateliers et du stockage de toiles et de costumes. Le projet de salle modulable et d'aménagement du site de Bastille consiste, pour un budget d'à peu près 60 millions d'euros, arrêté il y a deux ou trois ans, à armer enfin la salle modulable, présente dans le site de Bastille depuis l'origine, mais qui a été laissée inexploitée et non aménagée pour des raisons de coût à l'époque. Cela permet de parachever le projet de l'Opéra Bastille et d'aménager les différents espaces, notamment ce qu'on appelle le « site des délaissés », qui est un espace non construit près de l'hôpital des Quinze-Vingts, pour y construire une extension de l'atelier des décors qui est aujourd'hui à Berthier.
Cela permettra d'avoir des productions propres, notamment celles de l'Académie de l'Opéra de Paris, et l'accueil de productions d'une richesse ou d'une densité plus diverses que ce que l'on peut donner dans les grandes salles de Bastille et de Garnier. Nous y ferons aussi de la location événementielle pour avoir une source de revenus complémentaires et pourrons y accueillir des répétitions, ce qui libérera du temps de plateau à Bastille et Garnier et consolidera le modèle économique. Tout ceci est en cours de gestation depuis un an. Nous avons beaucoup travaillé avec les architectes pour faire rentrer le budget dans les prévisions initiales. Nous souhaitons une salle modulable, qui ne soit pas un théâtre à l'italienne mais puisse accueillir toutes sortes de configurations scéniques complémentaires des théâtres plus classiques. Nous attendons de la part de l'État, dans les prochaines semaines, la confirmation de ce projet dans sa dimension et dans son calendrier, même si nous nous attendons à un rebattage de cartes important d'un point de vue économique, financier et budgétaire, vu le contexte actuel. En tous cas, ce projet continue à être cadré sur le plan financier et économique, et affiné du point de vue fonctionnel.