Intervention de Pierre-Yves Collombat

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 15 juillet 2020 à 9h00
Proposition de loi adoptée par l'assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée instaurant des mesures de sûreté à l'encontre des auteurs d'infractions terroristes à l'issue de leur peine — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Pierre-Yves CollombatPierre-Yves Collombat :

Ce sera probablement ma dernière intervention en commission. Nous sommes censés vivre au sein d'un régime libéral. Notre commission des lois ne manque pas une occasion de rappeler son souci et celui du Sénat pour les libertés publiques.

Au fil des années passées dans cette maison, je constate une véritable dérive sécuritaire et antilibérale - au sens des libéraux du XVIIIe siècle et de leurs successeurs en lutte contre l'arbitraire - au nom de la sécurité sous des formes de plus en plus diverses, au gré des circonstances, pour pallier les déficiences du système policier et social, et au nom d'un moralisme de surface faisant aujourd'hui fonction de morale.

Ces dernières années, les motifs d'incrimination n'ont cessé de se spécialiser et d'augmenter, le code pénal d'enfler, les peines de s'alourdir dans un mouvement qui semble irrépressible. Ainsi, les crimes à caractère sexuel sont désormais réprimés plus lourdement que les crimes de sang, et souvent sanctionnés avant même que l'on ait pris le temps de vérifier le bien-fondé des accusations.

Par ailleurs, la répression des manifestations de rue se fait de plus en plus violente, en toute bonne conscience. Au nom de la lutte antiterroriste, les moyens policiers d'intrusion dans la vie privée rejoignent progressivement ceux des services spéciaux.

Au nom de la lutte contre l'épidémie de covid-19, puis du nécessaire traçage des personnes contaminées, de nouveaux délits pour non-respect du confinement ont été inventés et une nouvelle étape dans la surveillance généralisée a été franchie. Que le préfet de police de Paris, à l'occasion d'un déplacement télévisé, puisse sans se ridiculiser dire « que ceux qui sont aujourd'hui hospitalisés, ceux qu'on trouve dans les réanimations désormais aujourd'hui, ce sont ceux qui au début du confinement ne l'ont pas respecté », en dit long sur l'évolution des mentalités.

État de droit oblige, ce n'est pas la créativité juridique qui manque le plus. Ainsi, depuis une quinzaine d'années, trois nouveautés ont été mises en oeuvre.

Premièrement, dans le cadre de procédures nouvelles, ont été confiées au procureur, qui dépend directement de l'exécutif, des prérogatives jusqu'alors réservées au juge. La plus connue est la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) qui, avec l'extension récente de son usage pour les délits boursiers, me semble avoir un bel avenir devant elle.

La deuxième a été d'étendre le champ de la loi d'avril 1955, qui a créé l'état d'urgence en cas de menace terroriste, comme en 2015, et d'urgence sanitaire, tout récemment : une urgence d'ailleurs élastique puisque même levée, le Premier ministre peut, si besoin, rétablir les restrictions aux libertés.

La troisième innovation, meilleur faux-semblant juridique que je connaisse, est la rétention de sûreté. C'est une véritable innovation puisqu'elle est applicable à des individus jugés, bien que reconnus irresponsables, ou en totale contradiction avec l'un des premiers principes du droit selon lequel personne ne peut être rejugé pour les mêmes faits. Et l'on nous explique que cette nouvelle privation de liberté hors de tout délit nouveau réel est non pas une peine, mais seulement une mesure de sécurité destinée à protéger la société contre des individus présumés dangereux. Et pour qu'on ne la confonde pas avec une simple mesure de basse police, elle sera infligée par des magistrats. Ainsi, des mesures de police prises par des magistrats ne sont ni des peines ni des mesures de police. C'est un procédé très habile. Nous ne sommes plus au pays des Droits de l'homme et du citoyen, mais au pays d'Alice au pays des cauchemars.

Créé en 2008 sous Nicolas Sarkozy à destination des condamnés en fin de peine jugés dangereux pour des motifs psychiatriques, ce principe est ici étendu aux auteurs d'infractions terroristes. Que l'on ne soit pas capable d'évaluer la dangerosité d'un individu hors du contexte particulier et que l'État de droit perde toute signification ne gêne absolument personne.

On n'administre plus la justice, on sécurise la société à moindre coût. La devise de la République française n'est plus : « Liberté, égalité, fraternité », mais désormais « Sécurité, inégalité et compassion. »

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