Intervention de Bruno Retailleau

Réunion du 16 juillet 2020 à 10h00
Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Bruno RetailleauBruno Retailleau :

…, c’est-à-dire Victor Hugo : « La France dirigée par une assemblée unique ; c’est-à-dire l’océan gouverné par l’ouragan. » Ce sont nos institutions et, si vous êtes attaché à votre fibre gaulliste, vous vous en souviendrez.

Votre tâche est lourde, à l’image de l’épreuve qui accable notre pays depuis plusieurs mois. Elle exige le meilleur de vous et, de nous, de la hauteur.

J’entends, depuis que vous avez été nommé, de nombreux commentaires cherchant à deviner quel Premier ministre vous serez. Cela importe peu, pourtant, en comparaison de ce que vous ferez. Peu importe votre accent chantant, agréable à écouter et qui apporte la preuve vocale de ce reflet « du sol sur les âmes » qu’évoquait le poète.

Ce qui comptera, ce sera la partition de vos décisions, des actes que vous poserez, dans des circonstances particulièrement difficiles pour la France, avec plusieurs crises emboîtées les unes dans les autres comme des poupées russes : crise sanitaire, crise économique et sociale, et non des moindres, crise civique enfin.

En matière de santé, il vous faudra énormément d’énergie, plus encore que celle qu’ont déployée jusqu’ici vos prédécesseurs, pour éviter une reprise de l’épidémie. Deux exemples : à propos du port du masque, tout d’abord, il a fallu cinq mois – et ce n’est pas encore fait ! – pour le rendre obligatoire dans les endroits publics clos.

S’agissant, ensuite, du dépistage, j’ai entendu le Président de la République affirmer que nous avions les capacités, mais qu’il n’y avait pas de demande. Non ! Nous n’avons pas la stratégie pour tester, monsieur le Premier ministre ! §On nous avait promis 700 000 tests, nous en faisons deux fois moins, alors qu’il ne faut pas attendre, car la plupart des cas sont asymptomatiques. Il faut tester !

Pourquoi d’ailleurs avoir interdit les dépistages systématiques aux entreprises et aux salariés volontaires ? Il faut consacrer beaucoup plus d’énergie à régler cette crise sanitaire, pour éviter la résurgence de l’épidémie.

Concernant la crise économique et sociale, la France est à la croisée des chemins, face à un choix terrible entre le relèvement, qui est possible, et l’engourdissement, c’est-à-dire dire le décrochage et le déclin. Les décisions que vous serez amené à prendre dans les prochaines semaines ou les prochains mois détermineront l’avenir de notre pays, pas seulement pour ce quinquennat, mais aussi, sans doute, pour les dix ou quinze années qui viennent.

Partout, nous assistons à une course contre-la-montre à la reprise économique, dans laquelle se sont lancées les nations du monde. Nous ne sommes pas bien placés, vous l’avez dit vous-même : une baisse du PIB de 11 % représente sans doute l’un des plus mauvais résultats dans le monde développé en matière de violence de la récession.

Il faudra agir vite sur deux urgences simultanément.

L’urgence sociale, tout d’abord, avec le chômage. Il faudra toujours préférer financer des dépenses actives d’investissement en compétences et aimer mieux former que licencier. S’agissant des jeunes, ne vous enfermez pas dans les recettes du passé, car vous ne bâtirez pas l’avenir avec de vieilles solutions, telles que des contrats aidés. Pour des jeunes qui sont souvent sans qualification, qui ont connu un échec scolaire, préférez des contrats d’apprentissage de nouvelle manière, au sujet desquels nous avons des propositions à vous faire, monsieur le Premier ministre, si vous le voulez bien.

La seconde urgence est économique. La clé du relèvement, c’est la croissance ; c’est elle, mes chers collègues, qui paiera nos dettes et qui protégera les Français du déclassement et de l’appauvrissement, aussi bien collectifs qu’individuels.

Pour aller chercher le potentiel de croissance, il faut toutefois agir puissamment sur deux facteurs sur lesquels la France est trop faible : il faut augmenter l’offre de travail et les compétences des travailleurs, mais il faut aussi travailler davantage. Je ne connais pas, ni dans nos expériences individuelles ni dans les expériences historiques collectives, de grande épreuve surmontée dans la facilité.

Oui, il faudra du courage ! Il faut dire la vérité aux Français et tourner le dos à tous les mensonges qu’on leur a fait depuis des années.

La croissance potentielle repose sur l’offre de travail, mais aussi sur la compétitivité, laquelle est en berne, comme l’indique depuis tant d’années le déficit du commerce extérieur.

Pour résoudre ce problème, il faudra baisser les impôts, à commencer par ceux qui pèsent sur la production. Vous devriez dès maintenant, dans le troisième projet de loi de finances rectificative – le PLFR 3 –, baisser la contribution sociale de solidarité des sociétés, ou C3S, et les charges au-delà de 1, 6 SMIC. En ne le faisant pas, vous désavantageriez l’industrie, alors que vous affirmez vouloir réindustrialiser la France. Vous devez le faire !

Il vous faut également annuler le forfait social, pas seulement sur les très petites entreprises, les TPE, et sur les petites et moyennes entreprises, les PME, mais aussi sur les établissements de taille intermédiaire, les ETI. Si vous voulez vraiment relancer puissamment la participation, puisque vous vous décrivez comme un gaulliste social, annulez maintenant le forfait social ; n’attendez pas demain ou la rentrée.

Sans compétitivité, il n’y aura pas de souveraineté économique, pas de relocalisation, pas de réindustrialisation et donc pas de mobilité sociale. Comme vous le savez, de tous les pays d’Europe, la France est celui qui s’est le plus tertiarisé.

Nous avons remplacé des salaires de 48 000 ou 50 000 euros par des salaires plus modestes dans le tertiaire. Il faut donc déployer les voiles avec le glaive de la compétitivité de la productivité, mais aussi un bouclier européen.

Mes chers collègues, l’Allemagne préside depuis quelques jours l’Union européenne. Les liens entre nos deux pays se sont un peu retissés ; il faut les renforcer et exiger ce bouclier européen, c’est-à-dire un changement de logiciel en faveur de la concurrence. Acceptera-t-on demain, face aux Chinois et à la planète entière, d’avoir des champions européens ? Pour cela, il faut opérer ce changement !

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