La séance est ouverte à dix heures.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la commission des lois a été publiée.
Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution.
Mes chers collègues, je vous rappelle que, en vertu des règles sanitaires, il convient de laisser un siège vide entre deux sièges occupés ou, à défaut, de porter un masque. Ce n’est pas qu’une formule rituelle : nous devons tous y être attentifs !
Je vous rappelle également – ce n’est pas tout à fait ce qui s’est passé hier – que vous devez sortir de la salle des séances par les portes situées sur le pourtour de l’hémicycle ; les membres du Gouvernement doivent, quant à eux, sortir par le devant.
Enfin, je salue M. le Premier ministre, ainsi que Mmes et MM. les ministres présents parmi nous ce matin.
La parole est à M. le Premier ministre.
Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et Les Indépendants. – M. Pierre Louault applaudit également.
Monsieur le président du Sénat, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de vous dire l’immense honneur et la grande émotion que je ressens au moment de m’exprimer devant la Haute Assemblée que vous formez.
Si j’ai tenu à présenter la politique de mon gouvernement devant le Sénat, c’est avant tout pour marquer mon attachement personnel, peut-être familial aussi, au bicamérisme…
… et à l’équilibre démocratique qu’il garantit.
Devant vous, comme hier devant l’Assemblée nationale, je veux témoigner de notre profond attachement à notre système représentatif.
Je m’adresse à vous, ce matin, dans un moment très particulier pour notre pays.
Je mesure pleinement la gravité du contexte national, européen et international dans lequel j’ai accédé à cette haute responsabilité. Je mesure que je dirige un gouvernement de crise, donc un gouvernement de combat.
L’actualité me conduit à rappeler que la crise, c’est encore et toujours la crise sanitaire. Je tiens à préciser au Sénat les intentions du Gouvernement dans la période actuelle, marquée – vous le savez – à la fois par une forte activité de l’épidémie dans certaines parties du monde et par une situation nationale qui, au contraire, reste orientée de manière plutôt favorable, même si certaines situations localisées exigent la plus grande vigilance. Je pense notamment à la Guyane, où j’ai d’ailleurs tenu à me rendre dès ma prise de fonctions.
En conséquence, les mesures que je vais prendre, annoncées par le chef de l’État, ne visent pas tant à répondre, ici, en métropole, à une situation d’urgence, qu’à nous inscrire dans une logique préventive.
À cet effet, nous allons agir dans trois directions.
Premièrement, nous sommes en train de renforcer nos dispositifs de contrôle des entrées sur le territoire pour les voyageurs en provenance de tous les pays où la circulation virale est plus forte. Les personnes concernées sont souvent des ressortissants français : c’est pourquoi les interdictions absolues sont difficiles à concevoir.
L’idéal serait que les contrôles sanitaires soient effectués dans les pays de départ ; c’est d’ailleurs ce qui est envisagé. Mais nous devons être pragmatiques : sans certitude absolue qu’une telle action soit possible, j’ai décidé que nous allions amplifier les mesures de contrôle sanitaire à l’arrivée sur le territoire national, dans les ports et les aéroports.
Deuxièmement, nous entendons développer encore les tests de dépistage. Leur volume est en constante augmentation ; et le point le plus positif, c’est que leur résultat, quand ils sont pratiqués, demeure très largement favorable. En tout cas, le nombre de tests positifs est très nettement inférieur aux modélisations réalisées au mois de mai dernier, ce qui témoigne sans doute de l’efficacité de la politique conduite.
Cela étant, le nombre de tests demeure insuffisant, ce qui s’explique par la considération précédente. Je le dis au Sénat : nous ne manquons ni d’équipements ni de personnels pour les réaliser, notamment depuis que les techniciens de laboratoire ont été autorisés à effectuer les prélèvements ; mais nos concitoyens ne se font pas suffisamment tester, tout simplement…
Marques de scepticisme sur les travées des groupes SOCR, CRCE et Les Républicains. – Mme Éliane Assassi s ’ esclaffe.
Nos concitoyens sont sensibles à l’ambiance générale – on affirme que l’épidémie est maîtrisée, ce qui est le cas. Il faut donc lever tous les obstacles, y compris psychologiques, qui expliquent cette situation.
Ainsi, le Président de la République a annoncé la fin des prescriptions médicales obligatoires pour se faire tester. En outre, j’ai demandé que nous accélérions l’évaluation de la fiabilité scientifique des tests salivaires, lesquels sont beaucoup plus simples à réaliser et beaucoup moins douloureux.
Par ailleurs, nous devrons continuer à intensifier les actions proactives, en invitant les habitants de certaines communes et de certains quartiers à réaliser des tests. Nous avons entrepris cet effort il y a plusieurs semaines, notamment en Île-de-France, et son efficacité est certaine.
Troisièmement, et enfin, le port du masque constitue, avec le respect des gestes dits « barrières », une mesure de prévention et de protection efficace.
Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.
J’ai donc proposé que l’obligation de le porter soit renforcée dans tous les établissements recevant du public clos, en particulier – ce n’est pas le cas aujourd’hui – les commerces. Cette mesure nécessite un décret, alors que, dans les locaux dits « professionnels », elle suppose une évolution des protocoles sanitaires régissant les activités concernées.
Nous envisagions une entrée en vigueur de ces dispositions le 1er août prochain, car – j’y insiste – nous agissons dans une logique préventive, et non sous l’empire de l’urgence.
Exclamations sur les travées des groupes SOCR et CRCE.
M. Jean Castex, Premier ministre. J’ai entendu et compris que cette échéance paraissait tardive ou suscitait quelques interrogations : le décret entrera donc en vigueur la semaine prochaine.
Applaudissements sur des travées des groupes LaREM et Les Indépendants, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains.
Par ailleurs, j’ai demandé aux ministres chargés de la santé, de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur de donner très rapidement des indications précises aux familles et au corps enseignant quant aux conditions dans lesquelles se déroulera la rentrée de septembre dans les établissements d’enseignement.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, dans la gestion de cette crise, les élus ont été remarquables d’implication et de dévouement, …
… qui ont, comme toujours, été des combattants de la première ligne et de la première heure.
Vous le savez, chargé par le précédent gouvernement de préparer le déconfinement, j’avais recommandé que le couple maire-préfet de département soit placé au cœur du dispositif, ce qui fut fait. J’avais également suggéré que l’on soutienne les collectivités territoriales dans leur politique d’acquisition de masques pour conforter et démultiplier nos actions, ce qui fut fait également.
Au-delà de la crise sanitaire, nous devrons en tirer, ensemble, un enseignement structurel pour la conduite de l’action publique. Nous connaissons en effet une crise économique et sociale sans précédent.
Depuis plusieurs mois, cette crise frappe notre économie très durement. Elle accentue encore la vulnérabilité des plus démunis – j’y reviendrai – et risque de creuser les inégalités, y compris – elle l’a déjà fait – face à la maladie. Elle dégrade fortement nos finances publiques et nos finances sociales, venant fragiliser notre modèle. Elle nous rappelle également l’ampleur du défi écologique.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il est des heures où l’ensemble des forces vives d’un pays doivent plus que jamais se rassembler. Ma conviction est que nous sommes précisément dans un tel moment.
Ce qui m’anime, c’est l’esprit de dialogue, la volonté de dépasser les postures et les clivages ; et ce sont, je le sais, des principes qui vous sont chers.
À ce titre, les Français eux-mêmes nous ont donné l’exemple. Ils ont été solidaires et résilients face à la crise sanitaire.
Nous devons prendre collectivement la mesure de la situation. Si nous ne réagissons pas, elle pourrait accentuer les fractures qui traversent notre pays et menacer notre unité, déjà bien mise à mal, notamment en aggravant les fractures territoriales.
Prendre cette crise à bras-le-corps, protéger les Français, reconstruire notre économie et, au-delà, conforter notre pacte républicain : tels sont les défis qui se présentent devant moi et devant le gouvernement que je conduis.
Mon discours de politique générale, prononcé hier devant l’Assemblée nationale, a été lu devant vous par M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Je ne reviendrai donc pas en détail sur l’ensemble des mesures que j’ai évoquées.
Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.
Vous l’avez compris : ma conviction est que, pour réussir, nous devons changer nos façons de faire.
Il faut le dire et le réaffirmer : l’État a un rôle majeur, mais il ne pourra agir seul. Il devra fédérer les bonnes volontés, mobiliser toutes les énergies et faire confiance à tous ses partenaires, à commencer par les collectivités, que vous représentez.
Je suis aujourd’hui devant la chambre des territoires, et c’est de ces derniers que je me revendique : j’entends être le Premier ministre des territoires et de la vie quotidienne des gens.
J’évoquerai les priorités de mon gouvernement pour les deux prochaines années. Je vous exposerai également la manière dont j’entends engager la mise en œuvre concrète de ces orientations. En effet, l’exercice de la responsabilité politique ne peut s’arrêter aux intentions, si louables et ambitieuses soient-elles. Rien ne vaut sans l’obsession du résultat et de l’impact sur la vie de nos concitoyens.
J’ai rappelé hier cette phrase célèbre : « L’intendance suivra. »
Non, l’intendance ne suit pas, en tout cas pas toujours, et même de moins en moins, alors même que cela devrait être la priorité. La mise en œuvre, l’exécution, les conditions de réalisation doivent entrer clairement dans le champ de la politique et ne plus être considérées comme de simples sujets triviaux et techniques.
Je vous le concède volontiers : il s’agit là d’un choc culturel dans un pays où, depuis le siècle des Lumières, le débat d’idées, l’invocation des grands principes et le maniement des concepts monopolisent le débat public.
C’est sur l’exécution que nos concitoyens nous attendent et sont fondés à nous juger. C’est surtout par l’exécution, par la charge de la preuve, que se reconstruira la confiance, dont les responsables publics ont tant besoin et qui, vous le savez comme moi, s’est fortement altérée.
Pour réussir, nous ne pouvons donc pas nous contenter de fixer un cadre juridique national. Nous devons nous impliquer dans le déploiement, dans la mise en œuvre des politiques publiques au sein des territoires, pour les adapter à la vie des gens dans nos régions, nos départements, nos cantons, nos communes et nos quartiers.
Pour cela, il faut faire confiance aux territoires.
La France des territoires, c’est la France de la proximité, …
Murmures sur les travées des groupes SOCR, CRCE et Les Républicains.
… à laquelle nous devons impérativement faire confiance, car elle détient, pour une large part, les leviers du sursaut collectif.
Libérer les territoires, c’est libérer les énergies.
M. Jean Castex, Premier ministre. Nous devons réarmer nos territoires. Nous devons investir dans nos territoires.
Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et Les Indépendants. – M. Jean-Claude Requier applaudit également. – Marques d ’ ironie sur les travées des groupes SOCR et CRCE.
La République territoriale, c’est l’unité dans la diversité.
Je compte sur vous, durant les 600 jours qu’il nous reste, pour m’aider dans un esprit de concorde, parce que, si la défiance progresse encore, elle nous emportera tous.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la bataille de l’emploi sera la priorité absolue. Pour 2020, nous prévoyons à ce jour une récession de 11 %, soit la récession la plus sévère depuis que les comptes nationaux ont été créés.
Derrière les données comptables, il y a des drames humains, des territoires meurtris. Tout cela, nous devons le prévoir, l’accompagner, le soulager, et nous devons aller plus loin. Nous devons nous saisir de cette situation pour reconvertir notre économie, nos travailleurs et nos salariés ; pour les rendre plus forts et plus compétitifs ; pour les orienter davantage vers une croissance durable et respectueuse de l’environnement.
Tel est l’objectif central, et même unique, de notre politique, notamment du plan de relance de l’économie que j’ai présenté hier à l’Assemblée nationale.
À l’occasion de ce débat, j’ai entendu que nous n’agirions ni assez vite ni assez fort pour soutenir l’économie et lutter contre la dégradation de l’emploi.
Je vous le confirme : nous avons pour objectif de présenter notre ambitieux plan de relance à la fin du mois d’août prochain, après une phase de concertation.
L’explication de ce calendrier est simple : ce plan sera la nouvelle étape d’un processus de soutien à l’activité caractérisé par son ampleur et sa précocité et engagé sous l’égide de mon prédécesseur. Vous en connaissez les vecteurs : le chômage partiel, les prêts garantis par l’État et le fonds de solidarité, qui ont représenté un effort global et massif de près de 500 milliards d’euros.
Cette politique nous a permis d’éviter l’effondrement de notre économie. Lorsque nous regardons autour de nous, nous constatons qu’elle a été la plus ambitieuse d’Europe ; ses résultats ont été salués par tous, à commencer par le peuple français.
Très vite et très tôt, nous avons également mis en place des plans sectoriels très ambitieux dans le tourisme, l’aéronautique, l’automobile, la culture, le commerce, le bâtiment et les travaux publics (BTP), ou encore les nouvelles technologies. Vous le vérifierez, car tel est votre rôle, mesdames, messieurs les sénateurs : tout cela a porté ses fruits.
Grâce à ces mesures, les derniers chiffres publiés par l’Insee et par la Banque de France semblent indiquer une reprise plus rapide que prévu.
En particulier, la consommation des ménages affiche une reprise solide depuis la fin du confinement.
Nous ne disposons pas encore des chiffres définitifs, mais nous n’excluons pas que, au mois de juin dernier, la consommation ait été proche de son niveau normal, avec un effet de rattrapage marqué pour les biens d’équipement.
Grâce au plan relatif au secteur automobile que j’ai évoqué, les immatriculations de véhicules neufs ont retrouvé dès le mois de juin leur niveau de février. Elles l’ont même dépassé de 30 % pour les ventes aux particuliers.
Nous nous inscrivons donc dans la continuité de ce qui a été fait. Tout ne commence pas avec le plan de relance. Il s’agit d’une nouvelle étape, mais notre philosophie est inchangée : protéger les Français, reconstruire et moderniser la France.
En particulier, en prolongeant les dispositifs d’activité partielle, nous mettons tout en œuvre pour préserver l’emploi et les salaires dans les entreprises les plus touchées par la crise.
Je le dis et je le répète – nous en parlerons demain avec les partenaires sociaux –, le Gouvernement a pris acte de ce contexte économique bouleversé en décidant d’aménager la réforme de l’assurance chômage. Il s’agit là d’une bonne réforme, mais elle a été élaborée dans d’autres circonstances et elle est nécessairement affectée par ce nouveau contexte.
La première urgence, parce qu’ils seront nécessairement les premiers touchés par la crise économique, ce sont les jeunes. Au total, 700 000 à 800 000 d’entre eux vont arriver sur le marché du travail. C’est une force pour notre pays – nos voisins allemands seraient très heureux d’avoir autant de jeunes ! –, …
… mais cette situation nous oblige. Pendant le confinement, beaucoup ont vu leurs études arrêtées, leurs stages interrompus, leur vie sociale profondément perturbée.
La Nation ne peut pas accepter que le chômage constitue le seul horizon pour ces centaines de milliers de jeunes Français. Il n’est pas question de laisser s’installer l’idée d’une génération sacrifiée à cause de cette crise.
Pour cela, nous allons engager des mesures fortes. Elles seront au menu de la conférence que nous tiendrons demain avec les partenaires sociaux, mais – je le dis à la représentation nationale – elles sont encore susceptibles d’être améliorées.
L’État a la volonté de baisser très fortement le coût du travail pour faciliter l’embauche des jeunes. Parallèlement, nous allons développer massivement, dans des proportions qui n’ont jamais été atteintes, les dispositifs d’insertion, en particulier à l’intention des jeunes les plus en difficulté.
Le service civique, au service de l’engagement des jeunes et de leur insertion, sera considérablement renforcé. Ce sera aussi l’une des manières de soutenir nos associations et leurs vingt millions de bénévoles, qui – personne ne l’oublie – sont un atout majeur pour renforcer la cohésion nationale et le lien social dans notre pays.
À l’université, la crise a agi comme révélateur des difficultés que rencontrent encore de trop nombreux étudiants. Nous avons décidé de geler les droits d’inscription et de porter à 1 euro le prix des repas dans les restaurants universitaires pour les étudiants boursiers.
Mesdames, messieurs les sénateurs, pour conforter notre action et notre cohésion, nous devons aussi consolider notre modèle social, que la crise affecte fortement. Aujourd’hui, ce dernier exige, de notre part, des interventions fortes et nouvelles : il faut améliorer son fonctionnement et mieux en garantir les équilibres dans la durée.
Je pense tout d’abord – évidemment ! – à notre système de santé. Finalement, ce dernier a démontré sa robustesse au cours des derniers mois, dans un contexte de tension extrême, qui – nous devons bien le reconnaître – préexistait à la crise du covid. Cette situation appelait une réponse d’envergure, et ce de toute urgence.
C’est l’objet du Ségur de la santé, qui a été lancé par mon prédécesseur en mai dernier et qui s’achèvera dans les prochains jours. À l’issue d’une négociation avec l’ensemble des acteurs, un accord majoritaire – un accord historique – a été conclu lundi dernier.
Cet accord, c’est d’abord le témoignage de reconnaissance de la Nation tout entière à l’endroit des personnels de santé : une mise à niveau de leur rémunération est prévue, de même qu’un investissement massif pour transformer et moderniser notre système.
Ainsi, 8 milliards d’euros seront consacrés à la revalorisation des salaires, ainsi qu’il était prévu, mais aussi, comme je l’ai annoncé ici même la semaine dernière, à la création d’emplois, ce qui n’était pas envisagé dans le projet initial.
Dans le cadre du plan de relance, 6 milliards d’euros seront alloués à l’investissement en ville et à l’hôpital, dans le domaine immobilier, mais aussi pour l’e-santé. Enfin, la reprise de 13 milliards d’euros de dette hospitalière permettra aux établissements de retrouver de l’oxygène, donc une capacité à investir – à l’hôpital comme ailleurs, vous le savez bien, l’investissement constitue l’un des leviers essentiels de la relance économique.
Au-delà de ces moyens financiers, il faut améliorer le fonctionnement quotidien des structures en leur donnant davantage de souplesse : elles doivent pouvoir déroger à certains cadres nationaux sur des questions de gouvernance interne, d’organisation et de modalités de temps de travail. Nous devons aussi favoriser davantage les logiques de décloisonnement entre ville et hôpital, à l’échelle des territoires.
Enfin, il faut permettre aux collectivités territoriales d’être davantage parties prenantes des stratégies d’investissement et d’organisation des soins, au niveau tant des agences régionales de santé que des établissements eux-mêmes.
À cet effet, je souhaite que régions, départements et intercommunalités puissent prendre une part plus grande dans la gestion de notre système de santé et, s’ils le souhaitent, s’associer aux investissements que nous allons décider en sa faveur.
Marques d ’ ironie sur les travées du groupe SOCR.
Cela se fera dans un cadre clair, sur la base de contrats territoriaux conclus avec l’État et les structures de soins, et avec à la clé, je le répète, une participation accrue des élus à la gouvernance du système.
Je n’ignore pas que l’autre question majeure que nous posent nos concitoyens dans le domaine de la santé a trait à la difficulté qu’ils rencontrent pour accéder à un médecin, généraliste ou spécialiste, notamment en ville. Nous connaissons tous ici la difficulté du problème : il faut dix ans pour former de nouveaux médecins, et la tension, déjà réelle, s’étendra dans les prochaines années à la plupart des territoires.
Nous devons agir de manière pragmatique, pour être efficaces à court terme. La seule solution, en tout cas l’une des principales, consiste à permettre aux médecins en exercice de travailler dans de meilleures conditions, au sein d’organisations plus collectives, en favorisant la délégation de plus de tâches, en les dotant d’assistants médicaux et en les allégeant des trop nombreuses charges administratives, qui leur prennent du temps.
L’autre priorité est de recourir davantage à la télémédecine, dont j’ai pu constater dans mon territoire qu’elle a connu, à la faveur de la crise du covid, un essor tout à fait spectaculaire, presque inattendu dans son ampleur. Il nous appartient maintenant de consolider et de sécuriser sa place parmi les pratiques médicales.
Nous ne retrouverons pas l’unité sans une attention accrue aux plus vulnérables d’entre nous. Davantage touchés par la crise sanitaire, ils seront également, avec les jeunes, les plus fortement affectés par la crise économique, à commencer par les personnes en situation de handicap. Nous réunirons une Conférence nationale du handicap consacrée à ces sujets.
Mesdames, messieurs les sénateurs, consolider notre modèle de protection sociale, c’est aussi prendre les mesures nécessaires pour assurer sa pérennité.
En matière de retraites, la crise nous invite plus que jamais à poursuivre nos objectifs vers un système plus juste et plus équitable, notamment pour les femmes et les travailleurs modestes.
Ce système passe par la création d’un régime universel, ce qui, à mes yeux, implique clairement – je l’ai dit, je le répète – la disparition à terme des régimes spéciaux, étant entendu que nous prendrons pleinement en considération, comme nous avons commencé de le faire lors de la réforme de 2008, la situation des bénéficiaires actuels de ces régimes.
Je suis déterminé à ce que cette réforme aille à son terme d’ici à la fin de la législature, parce que c’est l’intérêt du pays. Dans le même temps, je pense que nous devons entendre les inquiétudes et les incompréhensions exprimées par nos concitoyens s’agissant de certaines modalités du projet dont le Parlement a été saisi.
Je proposerai donc aux partenaires sociaux, comme aux parlementaires, que, sur les bases que je viens d’indiquer, la concertation reprenne rapidement, afin d’améliorer le contenu et la lisibilité de cette réforme nécessaire, en la distinguant très clairement de tout enjeu d’ajustement paramétrique – pour employer une formule technocratique – des régimes existants.
En effet, je suis convaincu que, s’agissant d’une réforme qui nous engagera pour des décennies, il est nécessaire que nous prenions le temps d’essayer de trouver les meilleurs points d’équilibre. En ce sens, cette réforme s’inscrit pour moi dans la continuité de la première phase de réforme des régimes spéciaux, décidée en 2007.
Au-delà de la retraite, nous devons répondre aussi à la question du grand âge et de la dépendance. Ce chantier si souvent annoncé, si longtemps attendu et sur lequel le Sénat, monsieur le président, a déjà apporté de nombreuses contributions, doit aboutir à un projet de loi, dont vous serez saisis au premier semestre de l’année prochaine.
Par ailleurs, je demanderai demain aux partenaires sociaux de se saisir, avec l’État, des questions liées à l’équilibre de l’ensemble des régimes de protection sociale, profondément affectés par la crise.
L’unité suppose aussi que l’État demeure le garant de l’ordre républicain. L’État doit être le même pour tous : nous ne tolérerons aucune zone de non-droit !
M. Stéphane Ravier s ’ esclaffe.
À tous nos concitoyens, je veux affirmer notre totale détermination à assurer leur sécurité. Je le disais hier à l’Assemblée nationale et je le répète devant vous ce matin : nous ne montrerons aucune faiblesse contre tous ceux qui s’en prennent à l’ordre public, tentent de fracturer le pays entre communautés et portent atteinte aux valeurs cardinales de la laïcité.
À nos policiers et gendarmes j’exprime, au nom de la Nation, mon profond respect et ma gratitude. Incarnant l’ordre républicain, ils exercent leur mission dans des conditions parfois extrêmement délicates. Je veillerai, avec M. le ministre de l’intérieur, à ce qu’ils obtiennent les moyens matériels et humains nécessaires pour conduire leurs missions et à ce qu’ils puissent être présents là où ils sont attendus, sur le terrain, en étant déchargés au maximum de tâches administratives parfois chronophages.
Je ne puis parler de ceux qui protègent les Français sans évoquer le rôle fondamental de nos armées. Dans le combat contre les ennemis de la liberté, elles portent haut les couleurs de la France !
Je me plais à souligner que c’est sous cette mandature qu’un effort exceptionnel de la Nation a été décidé pour renforcer leur efficacité.
Permettez-moi d’insister devant vous, comme je l’ai fait hier devant les députés, sur ceci : pour que l’ordre républicain soit effectif et la sécurité de nos concitoyens assurée, il faut, bien sûr, que les forces de police et de gendarmerie reçoivent la reconnaissance et les moyens nécessaires à l’accomplissement de leur mission, mais il faut aussi, et peut-être surtout, que les moyens d’action de la justice soient renforcés, pour que celle-ci soit rendue plus accessible, plus compréhensible et plus efficace.
Je disais, voilà quelques instants, que certaines choses doivent être faites par d’autres, qui les feront mieux. Mais, avec la justice, nous sommes au cœur des prérogatives de l’État : la justice, c’est l’État, et l’État, c’est la justice !
Or c’est un fait historique, démontré par les comparaisons internationales, dont celles, nombreuses, établies par cette assemblée : depuis de nombreuses années, l’État ne donne pas à la justice ses moyens d’intervention. Il en résulte que l’action des forces de l’ordre reste parfois sans suite et que des situations d’impunité sont ressenties comme particulièrement inacceptables par nos concitoyens et les élus de territoire – les maires au premier chef.
Vous avez voté une loi de programmation et de réforme de la justice ; j’entends en accélérer la mise en œuvre, en réorientant par redéploiement, dès l’année prochaine, des moyens affectés au budget de ce ministère, notamment pour rendre plus rapide et effective la réponse judiciaire, améliorer la politique des peines, garantir la dignité et la réinsertion des prisonniers et moderniser le fonctionnement des juridictions.
M. Jean Castex, Premier ministre. Toutes et tous dans cet hémicycle, forts de vos expériences de terrain, vous le savez : on pourra à l’envi augmenter les moyens de la police et de la gendarmerie, si la réponse judiciaire ne suit pas, il ne se passera rien… Il faut donc aller au cœur du dispositif : c’est le devoir de l’État, c’est l’intention de mon gouvernement !
Applaudissements sur les travées du groupe LaRE M. – MM. Jérôme Bignon et Pierre Louault applaudissent également.
Renforcer la confiance, c’est, enfin, veiller à ce que la justice soit rendue dans les conditions d’écoute et de dialogue les plus complètes ; c’est un chantier auquel le garde des sceaux est particulièrement attaché.
Aucune forme de violence ne peut être tolérée ! La lutte contre les violences conjugales sera l’une des grandes priorités de la politique pénale du Gouvernement.
Exclamations ironiques sur les travées des groupes SOCR et CRCE.
Faire régner l’ordre, rendre la justice : ce sont les valeurs cardinales de l’État.
Mesdames, messieurs les sénateurs, parlant du pacte républicain et de l’unité de la Nation, je tiens à marquer mon attachement profond à l’école de la République.
Fils d’institutrice, je sais ce que je dois à la méritocratie républicaine.
M. Martin Lévrier applaudit. – Murmures sur les travées des groupes SOCR et CRCE.
Ainsi, dès le début de l’année scolaire, les professeurs veilleront à identifier les besoins de chaque élève, grâce à des évaluations nationales. Chaque famille qui en fera la demande pourra bénéficier pour son enfant d’un programme personnalisé de soutien scolaire au cours du premier trimestre de l’année scolaire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’achèverai en vous disant…
M. Jean Castex, Premier ministre. … que mon gouvernement s’appuiera sur les territoires pour conduire sa politique.
M. Martin Lévrier applaudit.
C’est une question de respect ; c’est surtout une question d’efficacité. Car si l’État, je le répète, est le garant des fonctions régaliennes qui scellent l’unité de la Nation, pour l’ensemble des grandes transitions écologiques, économiques et sociales, ce sont les acteurs territoriaux qui doivent être à la manœuvre !
L’État et les collectivités territoriales ont la République en partage : ils sont les partenaires indispensables de la réussite de nos politiques publiques.
Dès les premiers jours qui ont suivi ma prise de fonction, j’ai rencontré l’ensemble des associations représentatives des collectivités territoriales. La relance économique que nous allons engager sera, évidemment, le premier terrain de mise en œuvre de cette mobilisation conjointe. Toutes les collectivités territoriales y auront une part essentielle.
Nous devons rapidement achever de régler avec elles les questions liées aux conséquences de la crise sur leurs finances, ainsi qu’à l’incidence sur leurs ressources des allégements d’impôt de production qui sont nécessaires pour concourir à la reconquête de notre souveraineté économique.
L’objectif est que les collectivités territoriales puissent, parce que c’est dans leurs gènes, investir, former et agir de la manière la plus massive possible, mais en cohérence avec nous. En effet, dans les circonstances présentes, nos concitoyens ne nous pardonneraient ni dispersions ni divisions stériles. Monsieur le président, celles-ci ne seront jamais de mon fait ; je sais que le Sénat partage pleinement cette vision.
Le plan de relance prévoit d’ailleurs de soutenir les interventions des collectivités territoriales dans leur champ de compétences. Nous devons impérativement redonner du sens et surtout de la chair au futur contrat de plan et de territoire.
Je voudrais insister devant vous sur deux chantiers majeurs, qui illustreront cet engagement partagé.
Je pense tout d’abord à la formation professionnelle, que les circonstances actuelles vont fortement mobiliser. La relance passera, nous en sommes tous d’accord, par un effort accru en la matière. Il s’agit de permettre à ceux de nos concitoyens qui perdent leur emploi d’en retrouver un au plus vite.
Pour cela, nous investirons 1, 5 milliard d’euros supplémentaires. Nous nous fixons l’objectif de 200 000 places supplémentaires pouvant être ouvertes en 2021 au bénéfice des jeunes et des demandeurs d’emploi. Qui peut imaginer que nous pourrions construire ce plan sans le concours des régions, compétentes au premier chef en la matière ?
Nous devons également poursuivre l’effort de reconquête industrielle, au travers du programme « Territoires d’industrie », largement décliné par les régions.
Une autre priorité essentielle est la transition écologique. Cette dernière réussira d’autant mieux qu’elle reposera sur une mise en œuvre partagée et territorialisée. Un tiers au moins des crédits du plan de relance seront déployés à destination de la transition écologique.
Nous investirons, tout d’abord, dans le bâtiment et les transports. Nous investirons aussi dans les technologies vertes de demain, comme l’hydrogène, mais aussi pour mieux recycler et moins gaspiller. Accélérer la transition écologique, c’est investir également en faveur d’une offre d’alimentation saine et durable, pour que tous les Français, même les plus fragiles, aient accès à une alimentation de qualité.
Ensemble, nous allons aussi protéger les terres agricoles. À cet égard, j’ai annoncé hier, à l’Assemblée nationale, notre volonté de décréter un moratoire pour tout projet nouveau d’installation de centres commerciaux dans les zones périurbaines.
Applaudissements sur les travées du groupe LaRE M. – MM. Jérôme Bignon et Pierre Louault applaudissent également.
Nous définirons, en concertation avec vous et toutes les parties prenantes, de nouvelles règles d’autorisation d’exploitation commerciale.
Surtout, pour réussir cette reconstruction, nous allons donner davantage de liberté aux territoires et aux collectivités territoriales.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.
À cet égard, monsieur le président, je tiens à vous remercier des cinquante propositions du Sénat pour une nouvelle génération de la décentralisation.
Ah ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, Les Indépendants, RDSE et LaREM.
Je salue également les deux rapporteurs, MM. Philippe Bas et Jean-Marie Bockel.
Mêmes mouvements.
Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.
Toutes celles et tous ceux qui connaissent mes conceptions ne peuvent douter que ces propositions feront l’objet de ma part d’un examen très attentif et très bienveillant.
Dès aujourd’hui, Mme la ministre des relations avec les collectivités territoriales, Jacqueline Gourault, reprend les nombreuses concertations lancées en janvier dernier, dans le cadre de la préparation du futur projet de loi dit « 3D », pour décentralisation, déconcentration, différenciation. Dans ce cadre, bien sûr, tous les échelons de collectivités territoriales et toutes les associations d’élus continueront d’être étroitement associés.
Tout ce travail de concertation aboutira à une prochaine Conférence nationale des territoires, où nous annoncerons clairement nos intentions.
Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.
Tout d’abord, nous allons consacrer le droit à la différenciation dans une loi organique.
Concrètement, développer la différenciation, c’est avant tout faciliter l’expérimentation. Oui, des réponses différentes doivent être apportées à des situations différentes : dans notre pays, construit depuis plus de deux siècles sur l’uniformisation, c’est une révolution ! Dès la fin de ce mois, un projet de loi organique sera présenté en conseil des ministres, qui donnera un nouveau cadre aux expérimentations menées par les collectivités territoriales pour qu’elles ouvrent la voie à une différenciation durable.
Un autre projet de loi viendra consacrer et donner de l’effectivité à ces trois principes : différenciation, décentralisation, déconcentration.
Donner plus de liberté aux collectivités territoriales, c’est aussi faire évoluer profondément l’organisation interne de l’État. Ce qui est nécessaire aussi pour rendre l’État plus proche des concitoyens. Je le dis pour l’avoir vécu : l’État s’est trop éloigné. On a commencé à favoriser l’État régional, sans doute par souci d’économie.
Seulement, quand les régions sont devenues immenses, cette intention, sans doute louable…
… s’est retournée contre la proximité et l’efficacité des politiques de l’État. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendants, UC et Les Républicains.)
Nous rendrons rapidement plus cohérente et plus efficace l’organisation de l’État, en particulier au niveau du département.
Les moyens de l’État seront confortés pour l’action quotidienne, dès le projet de loi de finances pour 2021. En effet, je veillerai à ce que toutes les créations d’emploi – pas forcément des créations nettes : il faut bien recruter pour remplacer les départs à la retraite – bénéficient, sauf exceptions justifiées, à l’échelon départemental de l’État, et non plus aux administrations centrales.
M. Jean Castex, Premier ministre. C’est une révolution dont je vous prie de mesurer qu’elle va me causer beaucoup de soucis…
Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et RDSE. – M. Pierre Louault applaudit également.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il nous faudra aussi profiter de la crise – vous me pardonnerez cette expression – pour pérenniser les dispositifs de dérogation et de simplification administrative adoptés par ordonnances à la faveur de la crise sanitaire.
Bien plus, la crise économique, qui sera au moins aussi forte dans son ampleur, justifiera que nous allions encore plus loin, encore plus fort, dans les démarches de simplification, qu’il s’agisse du droit de la commande publique, des autorisations ou de tous les dispositifs qui – pour être ancrés dans les territoires, vous le savez bien – retardent et contrarient sans cesse la réalisation d’investissements indispensables. Je sais, monsieur le président, que le Sénat sera une mine de propositions en la matière.
Tout à fait ! sur les travées du groupe Les Républicains.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous entendons renforcer l’équilibre entre les territoires.
Pour cela, dans le cadre de notre agenda rural, nous allons amplifier les actions en direction de la ruralité.
Je souhaite vous faire partager ma conviction que la priorité des priorités, c’est de trouver ou retrouver le chemin d’un développement économique du monde rural. En réalité, si les services publics y ont fermé au cours des dernières années, c’est parce que la population y a diminué.
M. Jean Castex, Premier ministre. Et si la population y a diminué, c’est d’abord parce que l’économie et l’emploi dans notre pays se concentrent désormais dans les très grandes agglomérations. Il faut donc revitaliser nos territoires ruraux par l’économie. Le service public suivra, mais il ne faut pas inverser l’ordre des facteurs.
MM. Martin Lévrier et Pierre Louault applaudissent.
Tout d’abord, il faut embarquer ces territoires dans la révolution numérique. À cet égard, il est vital d’investir dans une politique de réseau et de maillage, en commençant par accélérer la couverture de tout le territoire en très haut débit, afin, notamment, de faciliter le télétravail, la télémédecine et tous les usages liés au numérique.
Les réseaux, c’est aussi la conservation des lignes ferroviaires et peut-être, je le dis devant le Sénat, de nouveaux investissements dans les routes.
Exclamations.
Cela rejoint les débats que nous aurons au sujet de la décentralisation. Doit-on conserver des routes nationales, que l’État a bien du mal à entretenir et qu’il ne développe plus ?
Pour autant – je pose la question au Sénat, puisqu’il l’a lui-même soulevée – peut-on renvoyer cette responsabilité aux départements ? N’est-il pas temps de conforter les régions dans leur rôle de responsables de toutes les mobilités, en envisageant des routes structurantes d’intérêt régional ?
Nouvelles exclamations.
Autant de réflexions que je soumets à la sagacité du Sénat.
Et puisque je parle de réseaux et de mobilité, …
M. Jean Castex, Premier ministre. … je voulais vous dire que, dans le plan de relance, une attention particulière sera portée aux pistes cyclables.
Exclamations.
On m’a moqué lorsque j’ai évoqué ce sujet ; mesure gadget, a-t-on dit… Pas du tout, mesdames, messieurs les sénateurs ! Le vélo, c’est bon pour l’environnement et pour la santé, et nous assistons à une révolution, celle du vélo électrique, qui va multiplier les usages et raccourcir les distances.
Applaudissements sur les travées du groupe LaRE M. – Marques d ’ ironie sur les travées du groupe Les Républicains.
N’en riez pas ! Dans dix ans, si l’on a créé un réseau de pistes cyclables sécurisées, on pourra se rendre de Prades à Perpignan à vélo pour y travailler.
Voilà du concret ! C’est ce qui va se passer, et, je vous le dis, c’est ce que les jeunes générations attendent !
Exclamations.
M. Jean Castex, Premier ministre. La problématique vous paraît peut-être secondaire ; c’est pourtant un sujet essentiel, et concret, que les gens comprendront. C’est une bonne façon de faire de l’écologie et du développement durable, à la portée de toutes et de tous.
Brouhaha.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je savais que ce sujet plairait beaucoup à la Haute Assemblée…
Je reviens au sujet de la ruralité – en réalité, je n’en étais jamais sorti – avec le déploiement du programme Action cœur de ville, qui s’adresse déjà à 234 villes de petite taille ou de taille intermédiaire, et, surtout, celui du programme dit « Petites villes de demain » – c’est la strate au-dessous, et je la connais bien. Sur ce dernier point, l’objectif gouvernemental est clair : l’intégration de 1 000 villes supplémentaires, partout sur le territoire.
Il s’agit de faire de toutes nos villes, petites et moyennes, des lieux plus attractifs, exemplaires, dotés de services essentiels et où il fait bon vivre.
De même, j’ai fixé à mon gouvernement des objectifs précis et quantifiés s’agissant du plan de rénovation urbaine et des 450 quartiers de la politique de la ville. Les intentions sont belles et les objectifs louables : restaurer la République dans ces quartiers et permettre l’émancipation de leurs habitants. Mais, une fois encore, tout est dans l’exécution !
Ils seront prévus dans le plan de relance. Ce sont des dépenses d’investissement, et non des dépenses de fonctionnement.
Sur les 450 quartiers que j’ai mentionnés, très peu ont fait l’objet d’une mise en œuvre effective. Plutôt que d’annoncer aujourd’hui au Sénat que l’on va porter ce nombre de 450 à 600 ou 800 quartiers, veillons donc, pour assurer notre crédibilité collective, à ce que, pour au moins 300 des quartiers déjà visés, la situation ait concrètement évolué à la fin de l’année prochaine.
M. Jean Castex, Premier ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, la République ne serait rien sans les territoires qui la composent, dans leur diversité et leur insondable richesse.
MM. Martin Lévrier et Jean-Claude Requier applaudissent.
Cette diversité, croyez-moi, je la connais bien ! Fils du Gers – un territoire rural –, élu dans les Pyrénées orientales – un territoire éloigné –, je suis surtout un enfant de la République, que je m’efforce de servir avec passion. Je suis persuadé que cette diversité de la France, qu’exprimait avec admiration Fernand Braudel au soir de sa vie, est plus que jamais un chemin d’espérance.
C’est en tout cas le sens de l’action que j’entends mener à la tête du Gouvernement que j’ai l’honneur de diriger, sous l’autorité du Président de la République.
C’est le sens de l’engagement qui est le mien depuis de nombreuses années, engagement porté dans les différentes responsabilités publiques et mandats démocratiques que j’ai exercés au service de nos concitoyens.
C’est surtout le sens de la mobilisation collective qui doit être la nôtre dans les circonstances, très difficiles, traversées par notre pays.
C’est le sens de l’invitation que j’adresse à toutes les forces démocratiques, à toutes les forces vives, à tous les territoires. Unissons-nous, afin d’agir et réussir ensemble pour notre pays : nous n’avons pas d’autre choix !
Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, Les Indépendants et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC.
Acte est donné de la déclaration du Gouvernement.
Dans le débat, la parole est à M. Philippe Adnot, pour la réunion administrative des sénateurs n’appartenant à aucun groupe.
C’est, d’après ce que notre collègue m’a dit, son dernier discours en qualité de sénateur – il siège parmi nous depuis 1989 ! Je lui exprime toute ma gratitude pour son rôle d’animateur des sénateurs non inscrits.
Applaudissements.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord d’adresser des félicitations. Je vous félicite, monsieur le Premier ministre, d’avoir été choisi pour assumer une tâche particulièrement difficile et de l’avoir acceptée. Je vous souhaite bonne chance.
Bonne chance, car notre pays va être confronté à une situation inédite : l’argent a coulé à flots ; pourtant, notre économie et l’emploi risquent d’être au cœur d’une situation explosive.
N’ayant que cinq minutes de temps de parole, monsieur le Premier ministre, je ne vais pas aborder tous les sujets.
Tout d’abord, je souhaite que vous sachiez trouver les bonnes solutions pour que le secteur de la santé soit traité avec efficacité et humanité. Tout n’est pas affaire d’argent, mais notre pays est confronté à un double enjeu : être prêt à affronter un retour de la pandémie et ne pas laisser de côté, pour ce motif, ceux qui ont un droit légitime à être soignés, quel que soit le besoin.
Rapporteur du budget de l’enseignement supérieur et de la recherche, j’ai rédigé de nombreux rapports sur la valorisation de la recherche. J’espère que Mme la ministre Frédérique Vidal saura trouver auprès de vous les moyens d’une loi dynamique, dont nous attendons beaucoup. L’avenir de la France dépend, en effet, de notre capacité à mobiliser les énergies créatrices et, surtout, transformer en réalité économique le formidable réservoir de notre excellence scientifique.
En effet, monsieur le Premier ministre, les problèmes de notre pays vont nécessiter de notre part une incroyable énergie à produire du concret.
Sénateur depuis trente et un ans, comme l’a rappelé M. le président du Sénat, c’est aujourd’hui la dernière fois que j’interviens dans cette enceinte. Je pense pouvoir faire quelques observations, n’ayant d’autre valeur que d’être le fruit d’une modeste expérience…
Des discours, des bonnes intentions et des analyses pertinentes, j’en ai entendus beaucoup ! Rien ne vaut la réalité des faits ; c’est par les actes que l’on juge une politique. La politique, c’est comme l’art de la guerre : tout dépend de l’exécution.
Une bonne exécution est tout d’abord cohérente. La cohérence suppose que l’on se concentre sur l’essentiel : la priorité des priorités, c’est l’économie, l’emploi, l’avenir des jeunes. Vous avez proposé des mesures qui vont dans le bon sens. Seront-elles assez rapidement opérationnelles ?
Prenons l’exemple des jeunes censés intégrer le marché de l’emploi. Vous avancez des mesures visant à alléger les charges des entreprises. Mais celles-ci n’ont plus de trésorerie ! Ce n’est pas à la hauteur de l’enjeu. Cela ne provoquera pas le déclic immédiat et enthousiasmant qui serait nécessaire.
Il faudrait plutôt que chaque entreprise puisse embaucher un ou plusieurs jeunes, à proportion de son effectif, avec un financement de l’État pendant un an. Vous auriez ainsi résolu le problème de milliers de jeunes, en leur permettant de vivre une première expérience professionnelle, et donné immédiatement de la compétitivité à des entreprises.
J’ai entendu une des ministres présentes s’exclamer… Si ces jeunes n’entrent pas dans les entreprises, ils coûteront beaucoup plus cher !
Certaines mesures ne seront efficaces que dans le temps. Je pense notamment à la rénovation énergétique : une mesure tout à fait sympathique, notamment pour des bâtiments communaux, mais qui n’aura aucun effet sur les entreprises avant deux ans, le temps que les analyses soient menées par les nouvelles municipalités et les marchés mis en place. Cela risque d’être bien long.
Il faut donc accélérer le mouvement ! La situation demande de la réactivité ; il faut libérer les énergies. Ne faites rien de complexe ! Donnez de la flexibilité aux entreprises ayant des carnets de commandes – cela ne vous coûtera rien. Mettez-les en situation de s’adapter à une demande multiforme. Libérez les heures supplémentaires – il n’est pas nécessaire de les défiscaliser !
L’avenir de notre pays dépendra de ce que vous serez capable de faire à la rentrée, comme nos voisins européens. Ne polluez pas ce combat par des décisions qui ne peuvent que nous diviser et, donc, diminuer notre effort !
Nous ne souhaitons pas votre échec, monsieur le Premier ministre. Il vous revient la responsabilité de savoir écouter, même les anciens qui tirent leur révérence…
Applaudissements prolongés sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, LaREM et Les Indépendants, ainsi que sur des travées du groupe SOCR. – Mme Éliane Assassi et M. Éric Bocquet applaudissent également.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, le 12 mars dernier, une prise de conscience transparaissait dans les propos d’Emmanuel Macron : s’opposer à la loi du marché qui domine tous les secteurs de la vie, y compris la santé ; faire sauter les verrous budgétaires libéraux qui, jusqu’à la dernière loi de finances et à la présentation du projet de loi sur les retraites, étaient les marqueurs du discours présidentiel.
La crise sanitaire, violente, a cruellement mis en évidence le grand désordre suscité par la mondialisation financière.
Le capitalisme, dans une fuite en avant cupide et inhumaine, a porté une lourde part de responsabilité dans les difficultés de notre pays à faire face à l’épidémie. Nos concitoyens ont découvert avec stupeur la délocalisation massive de la production de médicaments, de masques et de réanimateurs.
Voilà pourtant des années que certains, dont nous étions, soulignaient les ravages des délocalisations, cette absurdité sociale au service du profit des actionnaires. Leur terrible impact, appliqué au système de santé, a convaincu une grande majorité de nos concitoyens qu’il fallait changer de logiciel pour notre économie et, sans doute, pour notre société.
Monsieur le Premier ministre, ni le Président de la République, qui voulait se réinventer, ni vous-même ne nous avez convaincus de votre volonté de rompre avec un système, dans lequel l’argent roi prévaut sur l’humain.
La crise économique est là ; elle aussi est violente. Bien sûr, vous mettez l’orthodoxie budgétaire dictée par les règles européennes entre parenthèses, car vous avez besoin de sommes considérables pour faire face au choc actuel.
Néanmoins, sur le fond, vous gardez ensemble le cap. Et ce cap, c’est l’adaptation de notre pays à la mondialisation financière fondant le système auquel vous adhérez – en dépit, monsieur le Premier ministre, de vos références à un gaullisme social désuet.
On peut parler de désuétude, car la puissance publique a été dévorée par le marché, année après année, privatisation après privatisation !
J’ai cette impression fugace, mais bien détestable : pour vous, « il faut que tout change pour que rien ne change », comme en atteste l’atterrissage, emblématique, du Ségur de la santé.
M. Julien Bargeton proteste.
Oui, vous gardez le cap ! M. Macron, dans un exercice de repentance bien appuyé, reconnaissait s’être trompé, avoir porté des mesures injustes. Mais, en même temps, il vantait les mérites de sa politique, dus, selon lui, au projet qui a justement dressé le peuple contre lui. Réforme de la SNCF, réforme du travail, politique fiscale : voilà les bons points qu’il s’est distribués le 14 juillet dernier.
Le cap, c’est le libéralisme sans frein. La réforme des retraites est, à ce titre, symbolique. Vous l’exhumez de nouveau, monsieur le Premier ministre, mais nos concitoyens, qui sont très intelligents, ne sont pas dupes…
Ils ont bien compris que le système par point équivalait à la soumission aux marchés financiers, contrôlés par des vautours comme BlackRock, et que votre ambition pour équilibrer les régimes sociaux consistait, non pas à trouver de nouveaux financements – de fait, il y en a –, mais à faire travailler plus longtemps les salariés.
Nous vous demandons, monsieur le Premier ministre, de renoncer à ce projet dogmatique, suscitant des inquiétudes parmi nos compatriotes déjà meurtris par la crise que nous traversons.
Votre label, c’est l’État et les territoires. Bien ! Mais jamais hier je n’ai entendu évoquer les raisons profondes de la détresse de nombre de nos communes, départements et régions : la disparition, l’effondrement du service public et l’étranglement financier.
Vous évoquez même le retour du commissariat au plan. Il y a du Cervantès dans cette conviction ! Comment planifier alors que tout a été cédé aux actionnaires ?
Monsieur le Premier ministre, pour planifier la reconstruction de notre économie et de notre industrie, pour mettre l’écologie et l’emploi, et non le profit financier, au cœur des préoccupations, il faudra plus d’État. Certes au plus près du peuple, de ses agents et des élus, mais il faudra plus d’État !
M. Macron a parlé du fret, des trains de nuit, des petites lignes ferroviaires, qu’il voulait pourtant achever avec ses bus éponymes voilà cinq ans. Mais avec quel outil agira-t-il ? Avec le privé, en cédant la SNCF au plus offrant comme ce fut le cas pour Alstom ?
Pour notre part, nous proposons de remettre la collectivité publique au cœur du redressement, en nous appuyant sur une nouvelle voie : celle d’une transition écologique solidaire et du retour à une souveraineté nationale industrielle, qui permette à notre peuple de retrouver la certitude d’un avenir.
Oui, les collectivités locales, qui sont au cœur de l’organisation des différents territoires de notre pays, ont un rôle décisif à jouer. Nous serons vigilants sur ce point, mais, je le précise, le Sénat n’est pas la chambre des territoires ; il assure la représentation des collectivités territoriales dans la République. C’est pourquoi, aussi, nous refusons ce concept de différenciation, source de rupture d’égalité et d’émiettement de la République.
Toutefois, qu’en est-il de ces collectivités, si elles n’ont plus de service public, plus de bureau de poste, de gare de chemin de fer, d’école, d’hôpital, de maternité ? C’est là que le bât blesse dans votre propos, monsieur le Premier ministre ! Vous affichez un déterminisme et un verbe dignes des Trente Glorieuses, mais les acteurs et les outils de cette période ont disparu, ou presque !
Le cap est maintenu quand on entend M. Macron accepter, justifier la baisse des salaires contre la préservation de l’emploi. Du bout des lèvres, il appelle les entreprises à modérer le versement des dividendes. Mettre sur le même plan ces deux éléments dans une forme de donnant-donnant est inacceptable !
D’un côté, on réduit le revenu des salariés, souvent modestes, qui devront sacrifier des éléments essentiels de leur vie ; de l’autre, on suggère à des fortunes de limiter une part marginale de leurs revenus.
Monsieur le Premier ministre, nous divergeons au moins sur deux points essentiels : il n’y aura pas de reconstruction sans répartition des richesses et sans un nouveau partage du travail.
L’appellation de « Président des riches », qui colle à M. Macron tel un sparadrap, est liée au péché originel de la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune, dans sa partie liée aux revenus financiers, accompagnée de l’instauration d’une flat tax portant sur les dividendes et d’une paralysie continuelle de la lutte contre l’évasion fiscale.
S’agissant du partage du travail – l’autre grand chantier d’une nouvelle politique exigée par les failles, révélées par la crise, du système actuel –, comment pouvez-vous affirmer sans sourciller, alors que 800 000 à 1 million de chômeurs supplémentaires sont attendus d’ici à la fin de l’année, qu’il faut « travailler davantage », qu’il faut user et abuser des heures supplémentaires, qu’il faut rallonger l’âge de départ à la retraite ?
La crise, mais aussi les évolutions technologiques et la recherche fondamentale de l’épanouissement humain exigent de changer de logiciel, de cesser l’exploitation à outrance du travailleur, tout en laissant de côté celui qui n’a pas d’emploi. Pour cela, il faut permettre au plus grand nombre de travailler, en faisant en sorte que l’on travaille moins ou mieux.
Mme Éliane Assassi. Nous portons, bien au contraire, le projet de la retraite à 60 ans et de la semaine de 32 heures.
Marques d ’ ironie sur les travées du groupe Les Républicains.
Nous vous demandons dès aujourd’hui d’agir avec fermeté contre les entreprises qui licencient, alors qu’elles touchent des aides massives ou qu’elles réalisent des profits boursiers. Allez-vous sanctionner celles qui ont bénéficié du dispositif de chômage partiel, tout en continuant à produire ?
Bien évidemment, nous approuvons l’idée de ne pas laisser sur la touche les 800 000 jeunes arrivant sur le marché de l’emploi en septembre prochain. Mais pourquoi utiliser systématiquement les vieilles recettes des exonérations de cotisations sociales ou autres allégements fiscaux, qui grèvent le budget de la sécurité sociale ?
Le coût du travail est, toujours et encore, votre unique boussole ; jamais, ô grand jamais, le coût du capital ! Nous ne pouvons l’accepter, monsieur le Premier ministre, et nous ne cesserons de nous battre contre cette politique.
Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.
Vous nous dites qu’un nouveau monde est possible… Certainement pas, monsieur le Premier ministre, en utilisant les vieilles recettes d’un ancien monde, détenues par une infinie minorité, au détriment de l’intérêt général !
Bien sûr, nous observerons votre action, mais nous constatons d’emblée que, avec Emmanuel Macron, vous avez rebroussé le chemin !
Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et Les Républicains.
Monsieur le Premier ministre, pendant la guerre du Vietnam, le monde entier s’était moqué d’un commandant américain, accusé d’avoir rasé un village, qui avait eu cette explication bizarre : « Lorsque nous sommes arrivés, l’ennemi était déjà là. Pour sauver le village, nous avons dû le détruire. »
Aujourd’hui, pour sauver le monde de la pandémie, il a fallu sacrifier l’économie. Voilà la situation redoutable dans laquelle vous entamez votre mandat. Autant dire que l’on vous a confié un job à 10 000 aspirines, monsieur le Premier ministre !
Sourires.
Toutefois, il faut toujours regarder le bon côté des choses, surtout lorsqu’il n’y en a pas…
Rires.
Ma première remarque concerne le mythe de l’État père Noël.
La France sortira essorée de la crise. Les démagogues vont se déchaîner, à commencer par les marchands d’illusion de la dépense publique illimitée, mouvement alimenté par l’improbable quatuor Soros, Minc, Pigasse, Mélenchon, lesquels ont décidé de promouvoir en commun l’idée qu’il était devenu ringard de rembourser ses dettes.
Sourires.
Les rois d’autrefois avaient déjà trouvé une solution, qui consistait à trancher la tête de leurs créanciers.
M. Claude Malhuret. Le monde est devenu plus doux. Aujourd’hui, on nous propose seulement de les ruiner !
Sourires.
Néanmoins, ce qui est grave, c’est que cette croyance va faire déployer toutes les banderoles à la rentrée, puisqu’elle implique qu’il n’y a plus de limite au financement à crédit et à l’infini de toutes les politiques publiques. Elle renforce l’idée bien française que l’argent public est comme l’eau bénite et que chacun peut se servir.
Sourires.
Bien sûr, pour l’heure, il n’y a pas d’autre solution que le keynésianisme sous stéroïdes adopté par le monde entier et qui nous a tellement manqué, en 2009, quand une certaine Banque centrale européenne agissait plus comme un club sadomasochiste que comme la bouée de sauvetage qui nous aurait remis à flot.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants, ainsi que sur des travées des groupes LaREM, UC et Les Républicains.
Vous avez raison, monsieur le Premier ministre, de recourir à une telle solution. Mais gardons-nous de confondre plan de relance et financement de déficits incontrôlés. Sans cela, vu la dette que nous laisserons à nos enfants, nous ne devrons plus être surpris que les bébés crient à la naissance.
Rires.
Je dis cela, car, alors que l’on ne parle à juste titre que de l’emploi, l’on a parfois l’impression que certains de nos concitoyens éprouvent quelque peine à envisager la reprise du travail. La France possède tout de même le seul syndicat au monde ayant déposé un préavis de grève le jour du déconfinement et traîné au tribunal les entreprises qui redémarraient à grand-peine.
Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, Les Républicains et UC.
Le Président de la République avait déclaré en avril dernier : « Il n’y a pas d’argent magique ». Puissiez-vous, monsieur le Premier ministre, tenir ce cap et expliquer sans relâche que la clé de la reprise est le travail, pas l’argent tombé du ciel.
M. Claude Malhuret. Ma deuxième remarque est la suivante : depuis les élections municipales, nous sommes tous « écolos » ! Le bonheur est dans le pré !
Sourires.
Le « tout le monde il est beau, tout le monde il est écolo » est trompeur. Il y a effectivement deux écologies, comme, je crois, vous l’avez souligné hier à l’Assemblée nationale, monsieur le Premier ministre : celle de la croissance et celle de la décroissance.
La convention citoyenne pour la transition écologique a accouché de trois sortes de mesures.
Les premières sont des mesures techniques, souvent déjà entreprises, comme la rénovation des logements. Elles ne posent pas de problème.
Les deuxièmes sont des solutions à la française qui ne coûtent rien, proclament des bons sentiments et rendent les lois bavardes. Je pense, par exemple, à l’inscription de l’environnement dans la Constitution ou au crime d’écocide. Ces mesures ne feront que gonfler encore nos codes, qui ressemblent déjà à des sculptures de Jeff Koons.
Sourires.
Les troisièmes, enfin, constituent un catalogue de contraintes qui sont le fonds de commerce des ONG décroissantes. La décroissance est l’opium des bobos, comme nous l’ont prouvé récemment avec éclat, en une du Monde, dans une proclamation aussi subversive que du fromage à tartiner, une brochette de stars « kérosène » au bilan carbone le plus élevé de la planète. C’est risible, mais ce n’est pas drôle !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.
Ce qui est ennuyeux, c’est que la convention s’est gardée de répondre aux questions essentielles. Comment parvenir à une énergie décarbonée dans l’hypothèse où l’on décide de se passer du nucléaire ?
Comment faire cesser l’hypocrisie de l’importation de millions de tonnes d’OGM, tout en interdisant les OGM à nos agriculteurs ? Comment faire payer les émissions de carbone chez nous et à nos frontières ?
Surtout, quelles sont les pistes pour la seule solution réaliste au défi climatique : la croissance verte, l’innovation, les nouvelles énergies, les start-up, la recherche et développement, le capital-risque, la formation ?
La France a sabordé son industrie avec une méthode simple : tout ce qui bouge, on le taxe ; tout ce qui bouge encore, on le réglemente ; tout ce qui ne bouge plus, on le subventionne.
Rires et applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, UC et Les Républicains. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.
L’Europe a raté la grande révolution des quarante dernières années, à savoir le numérique. La prochaine révolution est celle des industries de la transition écologique, que notre absence de pétrole devrait nous faire aborder avec plus d’atouts que nos concurrents, freinés par les lobbies de l’or noir. L’avenir est là, et pas dans l’écologie du « gentil avec les arbres, méchant avec les hommes » qui ne fait croître que les ronds-points.
Ma troisième remarque – et votre troisième défi, monsieur le Premier ministre – concerne les missions régaliennes. La situation est critique. Alors que de nombreuses catégories de Français, à commencer par les soignants et les premiers de corvée, ont été admirables, les droits de retrait dans l’administration ont atteint des sommets.
La justice a quasiment suspendu son activité pendant trois mois, les greffiers n’ayant pas les moyens de télétravailler. Mais le dossier le plus alarmant est celui de la police. Sa crise touche aujourd’hui sa légitimité, ses doctrines d’intervention, son organisation et ses fonctionnaires.
Pas de chance pour nos policiers : après le chewing-gum, le McDo, les westerns et le rock’n’roll, on importe aujourd’hui d’Amérique les névroses sur la race, qui n’ont rien à faire sur nos terres universalistes
Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, LaREM, Les Républicains et UC. – Exclamations sur des travées des groupes SOCR et CRCE.
Il est temps que les politiques, les journalistes, les intellectuels, particulièrement ceux du « camp du bien », terrorisés depuis toujours par la panique de ne pas être du côté des victimes, prennent conscience que le racisme n’est pas le fait de ceux que l’on accuse aujourd’hui, mais des faux antiracistes que sont les racialistes, les indigénistes et les décoloniaux.
Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, UC et Les Républicains. – Mmes Éliane Assassi et Esther Benbassa protestent.
Écoutons la leçon de lucidité d’Abnousse Shalmani : « Une image m’a glacée lors de la manifestation pour Adama Traoré : un policier noir se fait harceler par la foule qui lui crie : “Vendu ! T’as pas honte ?” Reprocher à un homme noir d’être un policier équivaut exactement à interdire à un homme noir l’accès à la députation, à un bar ou à un mariage mixte sous prétexte de sa couleur. […] Ce qui résonne dans ce discours, c’est la prison de la victimisation et l’essentialisation. »
Nous attendons de votre gouvernement qu’il trouve les mots pour s’opposer à cette tragi-comédie burlesque. Autant que de moyens, les policiers ont aujourd’hui besoin de respect et de considération.
À ceux qui ont décidé de discréditer la police pour mieux discréditer l’État, il faut répondre que ceux qui menacent les Français, ce sont les terroristes, les criminels, les dealers et les bandes armées de kalachnikov dans les rues, mais pas la police !
Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, UC et Les Républicains.
Un dernier mot : Barack Obama disait qu’il ne faut jamais gâcher une crise. Je voudrais terminer sur l’immense et paradoxale chance que nous offre celle que nous vivons en saluant l’accord franco-allemand sur un plan de relance européen. Si nous parvenons à convaincre nos partenaires, alors la crise du coronavirus aura pour conséquence un grand pas en avant de l’Europe.
C’est pour payer l’énorme dette de la guerre contre les Anglais que les Américains ont, pour la première fois, rassemblé leurs États et lancé la marche vers les États-Unis d’Amérique ; pour l’Europe, ce premier pas en vue de l’harmonisation financière, budgétaire et fiscale est essentiel.
Nietzsche disait : « l’Europe ne se fera qu’au bord du tombeau. » Il prédisait alors les guerres à venir et la sagesse de ceux qui, après 1945, ont jeté les bases de l’Union européenne.
Sa prophétie vaut aussi pour notre temps : depuis le traité de Rome, chaque crise a failli emporter l’Europe et chaque crise l’a renforcée. Celle qui sévit aujourd’hui est sans doute la plus grave, peut-être nous fera-t-elle faire le plus grand pas. Tel est le défi qui nous attend.
M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille, pour le groupe Union Centriste.
Applaudissements sur les travées du groupe UC.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, après deux déclarations de politique générale, deux discours devant le Congrès de Versailles et une lettre aux Français qui marquaient les orientations du mandat, il vous appartient, monsieur le Premier ministre, de fixer les nouvelles priorités de l’action gouvernementale.
Vous me permettrez d’en profiter pour rendre hommage à votre prédécesseur, M. Édouard Philippe, qui a dû surmonter des épreuves importantes. Il a été à la hauteur de sa tâche et, au nom de mon groupe, je voulais lui adresser des salutations respectueuses et républicaines.
Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.
La période qui s’ouvre ne s’annonce pas des plus sereines ; il va nous falloir mettre les bouchées doubles. De la même manière qu’une hirondelle ne fait pas le printemps, une pandémie ne fait pas le ménage.
Depuis le déconfinement, on ne parle plus que du monde d’après, comme si la crise sanitaire avait balayé tout ce qui nous préoccupait encore il y a quelques mois. Sous le tapis les gilets jaunes et leurs problèmes, les difficultés en matière de laïcité, de sécurité, d’immigration, la communautarisation de notre société ; sous le voile de la covid la violence, l’incivisme, la radicalité, tout ce qui sape le lien social depuis des décennies.
Tôt ou tard – et plutôt tôt que tard ! –, tous ces sujets vont refaire surface ; évacués par la grande porte de la crise sanitaire, ils reviennent déjà par la petite fenêtre de l’actualité : l’affaire Floyd aux États-Unis, amalgamée ici avec l’affaire Traoré – mon ami Claude Malhuret vient d’en parler –, l’assassinat de Philippe Monguillot, chauffeur de bus à Bayonne, de Mélanie Lemée, gendarme à Agen, les violences du 14 juillet ou encore celles qui se sont produites à Nanterre. À l’évidence, la restauration de l’autorité de l’État constitue un enjeu majeur.
Le défi du monde d’après est le suivant : il faut régler les problèmes du monde d’avant en même temps que ceux qu’a occasionnés la pandémie, c’est-à-dire, tout d’abord, une crise sanitaire persistante, comme nous le rappellent nos compatriotes qui vivent à l’étranger, parce que la maladie est toujours là.
La pandémie peut se raviver ici ; il faut donc rester prêt à réagir avec l’expérience que nous avons acquise. S’y ajoute une crise économique et sociale terrible dont les jeunes vont être les premières victimes : ils héritent de la dette sociale, de la dette environnementale et maintenant de la dette issue de la covid ; triste constat auquel, malheureusement, nous ne pouvons qu’adhérer pleinement.
Pour surmonter ce choc, une relance environnementale et solidaire s’impose, ainsi que le Président de la République et votre gouvernement, monsieur le Premier ministre, l’ont visiblement compris. Cela va dans le bon sens. Derrière les intentions exprimées, il reste toutefois beaucoup d’interrogations.
Le premier axe est la relance. Ouvrir les vannes de la dépense serait inutile, puisque les ménages ont épargné, semble-t-il, entre 60 et 80 milliards d’euros durant le confinement.
Dans les circonstances actuelles, relancer la demande, c’est restaurer la confiance : les gens ne consomment pas parce qu’ils ont encore peur ; ils redoutent la maladie. De ce point de vue, imposer le port du masque, ainsi que le Gouvernement est enfin déterminé à le faire, et maintenir davantage de vigilance participent du rétablissement de la sécurité sanitaire, donc de la confiance.
Nos concitoyens craignent également le chômage, avec raison, malheureusement, puisque tous les analystes prévoient entre 800 000 et un million de chômeurs supplémentaires d’ici à la fin de l’année. C’est considérable. Restaurer la confiance, c’est donc maintenir les salariés dans l’entreprise, ce que vous entendez réaliser grâce à un dispositif d’activité partielle de longue durée.
Si j’ai bien compris, il s’agit de favoriser le maintien dans l’emploi contre la modération des salaires et des dividendes. Ce procédé peut fonctionner à trois conditions : il faut que le dispositif soit discuté et adapté par les partenaires sociaux, branche par branche, que les abus et les fraudes soient poursuivis et punis et que l’effort consenti aujourd’hui soit récompensé par plus de participation et d’intéressement pour les salariés.
Enfin, si les gens ne consomment pas, c’est parce qu’ils appréhendent un retour de bâton fiscal, soit une hausse des impôts. Pour restaurer la confiance, il fallait donc assurer que cela n’arriverait pas. Le Gouvernement l’a dit, espérons que cela se vérifie.
Plus fondamentalement encore, rétablir la confiance impose de convaincre que l’on peut vite renouer avec la croissance. Pour ce faire, nous avons besoin d’une vision stratégique capable d’identifier les secteurs dans lesquels la France peut demeurer ou devenir leader. Spontanément viennent à l’esprit l’aéronautique du futur ou les biotechnologies, dont le potentiel en France est immense, pourvu qu’il bénéficie d’un accompagnement. Ces secteurs sont-ils concernés, d’ailleurs, par le plan de recherche de 25 milliards d’euros ?
Il ne faudra pas oublier le tourisme, premier secteur d’activité de notre économie, dont certaines modalités devront être repensées.
C’est dans le domaine de la transition environnementale que l’on a le plus besoin d’une vision stratégique. Pour l’heure, nous ne la discernons pas ; nous avons assisté jusqu’à maintenant à un saupoudrage écologique plutôt qu’à la mise en place d’un véritable plan. Les propositions de la Convention citoyenne pour le climat en témoignent : il y en a pour tous les goûts !
De même, il ne suffirait pas de modifier la Constitution pour repeindre la France en vert. J’observe d’ailleurs que vous n’avez pas évoqué ce point dans votre discours.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.
Plus fondamentalement, quelle est notre voie énergétique ? Vous n’en avez pas dit un mot. La fermeture de Fessenheim comme le maintien d’une baisse du nucléaire dans le mix énergétique entretiennent le doute. Les acteurs sérieux de l’environnement savent qu’il ne peut y avoir de transition énergétique sans le nucléaire.
Nous sommes leaders dans ce domaine, mais, plutôt que de vouloir le rester, nous allons amorcer un repli. C’est difficilement compréhensible, à moins que l’on nous démontre, chiffres à l’appui, que la France pourra atteindre la neutralité carbone en 2050 tout en se dégageant de l’atome, grâce à l’hydrogène.
Nous en serions heureux, mais encore faudrait-il pour cela que nous soyons capables de développer parallèlement nos énergies renouvelables dans les proportions requises, car l’hydrogène doit être produit avec de l’éolien ou du solaire pour être décarboné. Aurons-nous la capacité et la volonté de le faire ?
La meilleure énergie est, bien sûr, celle que l’on ne consomme pas ; c’est pourquoi nous soutenons votre plan de rénovation thermique des bâtiments.
La relance écologique consiste également à mener à bien certains grands travaux en faveur du fret, du transport fluvial et du ferroutage. J’ai ainsi à l’esprit le canal Seine-Nord Europe ou la ligne Lyon-Turin.
Enfin, il n’y aura pas de relance sans solidarité, en premier lieu envers les jeunes, nous en sommes d’accord, monsieur le Premier ministre, mais aussi à propos des retraites. Or, après vous avoir écouté, je continue de m’interroger : la réforme systémique par point aura-t-elle lieu ? Précédera-t-elle ou suivra-t-elle le rééquilibrage des comptes ?
La solidarité doit également s’entendre dans son acception territoriale, les territoires étant les grands oubliés de la République depuis des années. Vos déclarations laissent à penser que les choses évoluent et vont changer, vous avez cité à de très nombreuses reprises le mot « territoires », c’est une bonne chose. Nous nous étions habitués à ne plus entendre un Premier ministre évoquer la ruralité. Vous avez qualifié de « révolutionnaire » la déconcentration de l’État que vous voulez conduire. Chiche ! L’attente sera forte en faveur d’un État capable de se réformer, svelte, agile et réactif.
Nous nous réjouissons aussi d’apprendre que les collectivités vont être associées étroitement au plan de relance. Nous applaudissons, enfin, quand vous affirmez vouloir consacrer la différenciation, nouvelle étape indispensable de la décentralisation. Les collectivités territoriales doivent pouvoir adapter les normes en fonction de leurs particularités et des priorités locales.
Cependant, monsieur le Premier ministre, « réarmer les territoires », pour reprendre vos mots, impose aussi de leur redonner de l’autonomie fiscale. Tous les volets du plan de relance doivent se tenir.
Pour relancer l’économie, le Président de la République a annoncé une baisse des impôts de production. Dès lors qu’il s’agit de relocaliser, c’est une bonne chose, mais ces impôts sont pour l’essentiel locaux. Cette mesure revient donc à restreindre encore les marges des collectivités. Dans ces conditions, le corollaire d’une véritable réforme serait la consécration de l’autonomie fiscale des collectivités, dont nous aimerions discuter. Il nous semble en effet indispensable de clarifier le plan de relance que vous avez annoncé.
Nous savons également que ce plan ne pourra être mis en œuvre sans deux acteurs majeurs : l’Europe et le Parlement. Il n’y aura pas de relance économique sans plan de relance européen, c’est la raison pour laquelle le sommet de demain est décisif ; nous y avons une obligation de résultat. De plus, il n’y aura pas non plus de transition environnementale sans Green New Deal européen. Il nous faut donc également redéfinir la politique agricole commune, dans une perspective d’agroécologie.
Quoi qu’il en soit, le plan de relance économique et écologique européen aura besoin de ressources nouvelles. Pour nous, centristes, celles-ci doivent provenir d’une taxe carbone aux frontières de l’Union européenne, d’une TVA sociale européenne et d’une taxe sur les GAFA – pour Google, Apple, Facebook et Amazon. Nous comptons sur l’exécutif pour aller dans cette direction, c’est-à-dire vers plus d’Europe et vers une Europe plus forte et plus unie.
L’autre acteur à ne pas mettre de côté est le Parlement. Nous nous réjouissons que le Président de la République compte de nouveau sur les corps intermédiaires, puisqu’il en appelle largement aux partenaires sociaux, mais le seul corps intermédiaire oublié est, paradoxalement, le plus légitime : le Parlement.
Depuis le début de la législature, nous avons l’impression d’un évitement permanent des assemblées, singulièrement du Sénat. On écoute des citoyens tirés au sort, mais on ne prête pas davantage attention aux propos de ceux qui ont été élus par les citoyens ou par leurs concitoyens eux-mêmes élus.
Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Claude Malhuret applaudit également.
Pour autant, nous avons des interrogations, même si nous saluons un changement d’attitude et d’orientation vers plus de proximité. En effet, vous tendez la main et vous souhaitez travailler avec les élus, en partant du local. Je vois plus de régalien, de keynésien, de républicain ; on oublie la « start-up nation ». J’ai envie de vous dire : « Bienvenue en France » !
Puissent le travail du Parlement et celui du Gouvernement se conjuguer aussi souvent que possible dans l’intérêt de notre pays. Avec mon groupe, nous y sommes prêts.
Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains, RDSE et Les Indépendants.
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour le groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le Premier ministre, le chef de l’État vous a choisi pour diriger le Gouvernement de la France. Il a même eu la délicatesse de choisir également vos principaux collaborateurs !
Rires sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le Premier ministre fait un signe de dénégation.
N’oubliez jamais, toutefois, que vous êtes désormais le Premier ministre de la France et que, dans la République, il n’existe qu’un seul souverain : le peuple français. C’est lui, et lui seul, que vous devez servir dans le cadre de nos institutions républicaines bicamérales, comme vous l’avez rappelé – nous en avons été touchés. Me reviennent à ce sujet les mots du plus célèbre des sénateurs – après bien sûr le président Larcher ! –…
Sourires.
…, c’est-à-dire Victor Hugo : « La France dirigée par une assemblée unique ; c’est-à-dire l’océan gouverné par l’ouragan. » Ce sont nos institutions et, si vous êtes attaché à votre fibre gaulliste, vous vous en souviendrez.
Votre tâche est lourde, à l’image de l’épreuve qui accable notre pays depuis plusieurs mois. Elle exige le meilleur de vous et, de nous, de la hauteur.
J’entends, depuis que vous avez été nommé, de nombreux commentaires cherchant à deviner quel Premier ministre vous serez. Cela importe peu, pourtant, en comparaison de ce que vous ferez. Peu importe votre accent chantant, agréable à écouter et qui apporte la preuve vocale de ce reflet « du sol sur les âmes » qu’évoquait le poète.
Ce qui comptera, ce sera la partition de vos décisions, des actes que vous poserez, dans des circonstances particulièrement difficiles pour la France, avec plusieurs crises emboîtées les unes dans les autres comme des poupées russes : crise sanitaire, crise économique et sociale, et non des moindres, crise civique enfin.
En matière de santé, il vous faudra énormément d’énergie, plus encore que celle qu’ont déployée jusqu’ici vos prédécesseurs, pour éviter une reprise de l’épidémie. Deux exemples : à propos du port du masque, tout d’abord, il a fallu cinq mois – et ce n’est pas encore fait ! – pour le rendre obligatoire dans les endroits publics clos.
S’agissant, ensuite, du dépistage, j’ai entendu le Président de la République affirmer que nous avions les capacités, mais qu’il n’y avait pas de demande. Non ! Nous n’avons pas la stratégie pour tester, monsieur le Premier ministre ! §On nous avait promis 700 000 tests, nous en faisons deux fois moins, alors qu’il ne faut pas attendre, car la plupart des cas sont asymptomatiques. Il faut tester !
Pourquoi d’ailleurs avoir interdit les dépistages systématiques aux entreprises et aux salariés volontaires ? Il faut consacrer beaucoup plus d’énergie à régler cette crise sanitaire, pour éviter la résurgence de l’épidémie.
Concernant la crise économique et sociale, la France est à la croisée des chemins, face à un choix terrible entre le relèvement, qui est possible, et l’engourdissement, c’est-à-dire dire le décrochage et le déclin. Les décisions que vous serez amené à prendre dans les prochaines semaines ou les prochains mois détermineront l’avenir de notre pays, pas seulement pour ce quinquennat, mais aussi, sans doute, pour les dix ou quinze années qui viennent.
Partout, nous assistons à une course contre-la-montre à la reprise économique, dans laquelle se sont lancées les nations du monde. Nous ne sommes pas bien placés, vous l’avez dit vous-même : une baisse du PIB de 11 % représente sans doute l’un des plus mauvais résultats dans le monde développé en matière de violence de la récession.
Il faudra agir vite sur deux urgences simultanément.
L’urgence sociale, tout d’abord, avec le chômage. Il faudra toujours préférer financer des dépenses actives d’investissement en compétences et aimer mieux former que licencier. S’agissant des jeunes, ne vous enfermez pas dans les recettes du passé, car vous ne bâtirez pas l’avenir avec de vieilles solutions, telles que des contrats aidés. Pour des jeunes qui sont souvent sans qualification, qui ont connu un échec scolaire, préférez des contrats d’apprentissage de nouvelle manière, au sujet desquels nous avons des propositions à vous faire, monsieur le Premier ministre, si vous le voulez bien.
La seconde urgence est économique. La clé du relèvement, c’est la croissance ; c’est elle, mes chers collègues, qui paiera nos dettes et qui protégera les Français du déclassement et de l’appauvrissement, aussi bien collectifs qu’individuels.
Pour aller chercher le potentiel de croissance, il faut toutefois agir puissamment sur deux facteurs sur lesquels la France est trop faible : il faut augmenter l’offre de travail et les compétences des travailleurs, mais il faut aussi travailler davantage. Je ne connais pas, ni dans nos expériences individuelles ni dans les expériences historiques collectives, de grande épreuve surmontée dans la facilité.
Oui, il faudra du courage ! Il faut dire la vérité aux Français et tourner le dos à tous les mensonges qu’on leur a fait depuis des années.
La croissance potentielle repose sur l’offre de travail, mais aussi sur la compétitivité, laquelle est en berne, comme l’indique depuis tant d’années le déficit du commerce extérieur.
Pour résoudre ce problème, il faudra baisser les impôts, à commencer par ceux qui pèsent sur la production. Vous devriez dès maintenant, dans le troisième projet de loi de finances rectificative – le PLFR 3 –, baisser la contribution sociale de solidarité des sociétés, ou C3S, et les charges au-delà de 1, 6 SMIC. En ne le faisant pas, vous désavantageriez l’industrie, alors que vous affirmez vouloir réindustrialiser la France. Vous devez le faire !
Il vous faut également annuler le forfait social, pas seulement sur les très petites entreprises, les TPE, et sur les petites et moyennes entreprises, les PME, mais aussi sur les établissements de taille intermédiaire, les ETI. Si vous voulez vraiment relancer puissamment la participation, puisque vous vous décrivez comme un gaulliste social, annulez maintenant le forfait social ; n’attendez pas demain ou la rentrée.
Sans compétitivité, il n’y aura pas de souveraineté économique, pas de relocalisation, pas de réindustrialisation et donc pas de mobilité sociale. Comme vous le savez, de tous les pays d’Europe, la France est celui qui s’est le plus tertiarisé.
Nous avons remplacé des salaires de 48 000 ou 50 000 euros par des salaires plus modestes dans le tertiaire. Il faut donc déployer les voiles avec le glaive de la compétitivité de la productivité, mais aussi un bouclier européen.
Mes chers collègues, l’Allemagne préside depuis quelques jours l’Union européenne. Les liens entre nos deux pays se sont un peu retissés ; il faut les renforcer et exiger ce bouclier européen, c’est-à-dire un changement de logiciel en faveur de la concurrence. Acceptera-t-on demain, face aux Chinois et à la planète entière, d’avoir des champions européens ? Pour cela, il faut opérer ce changement !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Férat applaudit également.
M. Bruno Retailleau. Défendez une politique agricole commune, la PAC, bien sûr, mais aussi une autre conception du libre-échange. Madame la ministre, vous qui êtes chargée de l’écologie, nous attendons avec impatience que l’on transmette au Sénat le CETA (Accord économique et commercial global), afin que celui-ci puisse enfin voter contre !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Enfin, monsieur le Premier ministre, exigez, comme vient de vous le demander Hervé Marseille, une frontière verte, c’est-à-dire une frontière carbone, qui sera bonne pour le climat, et meilleure encore pour l’emploi. Il vous faudra beaucoup de courage ; je ne doute pas que vous en ayez, comme vous avez de la sincérité.
Vous devrez tourner le dos aux idées toutes faites. Un auteur que j’aime beaucoup, Hannah Arendt, a dit qu’une crise ne devenait catastrophique que si l’on y répondait par des idées toutes faites, c’est-à-dire par des préjugés. Oui, il vous faudra tourner le dos à tous les préjugés, à toutes les vieilles recettes.
Oui, vous devrez déboulonner les statues ! Pas celles qui nous surplombent, celle de Saint-Louis, celle de Portalis et celle de Colbert…
M. Bruno Retailleau. … que, malicieusement, le président du Sénat a placé juste dans son alignement – et dans le vôtre.
Sourires.
La première, c’est l’argent facile, l’argent magique. §Qui peut croire que, demain, nos créanciers n’exigeront pas le remboursement de leurs créances ? Qui peut croire que, demain, les nations qui compteront en Europe seront celles qui auront dépensé sans compter ?
Il y a d’autres statues virtuelles : celle qui consiste, par exemple, à faire de la dépense publique la seule mesure de l’efficacité de l’État et des services publics.
C’est malheureusement ce que vous faites actuellement avec le Ségur de la santé. Il fallait, bien sûr, revaloriser les carrières et les salaires des personnels soignants. Mais signer un chèque de 8 milliards d’euros sans rien dire de la tarification, du financement de l’hôpital, de sa gouvernance ou encore de son organisation, c’est se comporter en Sisyphe, monsieur le Premier ministre, c’est remplir le tonneau des Danaïdes !
Il faut réformer tout en disant la vérité et avoir le courage de faire. Vous disiez, il y a quelque temps, que vous étiez plutôt un taiseux et un « faiseux ».
Je termine par la crise civique, parce qu’elle est fondamentale et qu’elle commande tout le reste. J’ai la certitude que, pour redresser l’économie d’un pays, les ressorts du développement économique sont avant tout immatériels.
Vous n’avez pas prononcé aujourd’hui le mot « confiance » une quinzaine de fois, comme vous l’aviez fait hier. La confiance est immatérielle, elle relève d’un climat, d’une atmosphère, d’une relation entre les citoyens, mais, sans confiance, il ne peut pas y avoir de croissance.
Or, de tous les peuples européens, nous sommes celui qui a le moins confiance en l’avenir, qui est le plus sceptique vis-à-vis de ses dirigeants – d’ailleurs, je veux bien mettre dans le même paquet le Gouvernement et le Parlement, car je pense que les Français le font, monsieur le Premier ministre.
Les Français ont sans doute quelques raisons d’être aussi défiants, parce que tous les piliers de nos institutions, les uns après les autres, ont été ébranlés. La République est défiée à Dijon quand les différends entre bandes s’y règlent non pas au commissariat ou à la préfecture, mais dans une mosquée ; elle est défiée quand les enclaves communautaristes séparatistes se multiplient, partout en France, et que l’on y échappe à la règle commune ; la démocratie est fragilisée par l’abstention dramatique aux élections locales, comme nous l’avons tous constaté ; elle est fragilisée quand vous légitimez le tirage au sort, la démocratie du hasard, la démocratie de la courte paille !
Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.
Oui, la justification de la décentralisation, c’est d’abord de recoudre le fil de la confiance dans la proximité. Avec la loi NOTRe et d’autres textes, nous avons, au contraire, construit la société de la défiance, c’est-à-dire de l’éloignement ; vous devrez construire la société du rapprochement, de la proximité, laquelle garantit l’efficacité, comme nous l’avons montré en pleine crise du covid. La décentralisation se justifie aussi par le lien social, car le lieu, c’est le lien – vous êtes un homme du territoire. La proximité, c’est l’espace de la confiance, qu’il faut reconstruire.
Toutefois, gardez-vous de faire de la différenciation avant de faire de la décentralisation ; posez d’abord un cadre général, pour ensuite différencier. En faisant l’inverse, vous mettriez la charrue avant les bœufs, je vous le dis solennellement au nom de mon groupe.
L’État-nation est, lui aussi, fragilisé, alors qu’il est notre façon d’être au monde. Cette figure historique collective française est terriblement ébranlée. L’État bureaucratique s’est formidablement dilaté, au fur et à mesure que l’État régalien se rétractait. Ainsi, le Président de la République n’a pas dit un mot, le 14 juillet, du meurtre d’une jeune gendarme, pas plus que du lynchage, à Bayonne, d’un chauffeur de bus !
À Aiguillon ou à Bayonne, pourtant, c’est la loi de la violence ordinaire qui a prévalu. La France est désormais le pays d’Europe qui affiche le taux d’homicides le plus élevé en proportion de sa population. Aussi, construirez-vous les prisons nécessaires ? Le numerus clausus carcéral tiendra-t-il encore longtemps lieu de politique pénale ? Ce sont des questions concrètes auxquelles vous devrez répondre, parce que l’État a été fragilisé.
Le tissu de la nation française a été déchiré par un communautarisme, par un séparatisme et par un sécessionnisme qui, pour l’instant, n’ont trouvé face à eux qu’une pensée molle et des actes faibles. Que ferez-vous ? Reprendrez-vous les propositions du Sénat, par exemple, en matière d’interdiction des signes ostentatoires lors des sorties scolaires ? Il faudra poser des actes concrets, prendre des décisions urgentes et courageuses.
La nation est fragilisée quand certains veulent la voir désignée coupable, éternellement, « coupable de culpabilité », comme le disait un personnage des Fraises sauvages de Bergman.
Si, pour être aimable, la France doit d’abord se reconnaître coupable, comment nous, Français, qui n’aurions alors de notre histoire qu’une vision lacrymale et pénitentielle, pourrions-nous nous projeter dans l’avenir pour surmonter l’épreuve ? Si l’on dit que la France est un contre-modèle, comment pouvons-nous prétendre que les jeunes générations, qui sont sur la voie de la sécession, s’agrègent à nos destins collectifs ? §Vous devrez porter fièrement les couleurs de la nation française et nos valeurs !
Je conclurai brièvement, monsieur le Premier ministre, pour dire la conviction qui m’habite : vous ne pourrez pas répondre à la dépression économique et sociale sans répondre à la dépression civique, c’est-à-dire à la défiance – cette défiance qui est fille de l’impuissance, cette impuissance que plus aucun artifice de communication ne parvient désormais à masquer.
La politique crève de cette obsession de crever l’écran. Depuis le début du quinquennat – et sans doute depuis bien avant, évidemment –, nombre de Français sont perdus : ce qu’ils veulent retrouver dans la politique, ce n’est pas un nouveau chemin, ce n’est même pas un nouveau monde ; ce qu’ils veulent retrouver, c’est la France, avec son audace, avec sa fierté, avec sa destinée – un peuple libre, uni face à l’épreuve, uni dans un idéal français, cet idéal qui nous rassemble, quelles que soient nos appartenances partisanes ou géographiques.
C’est cet idéal français qui doit dessiner notre chemin, qui doit être notre seule perspective. Si vous empruntez ce chemin, nous serons à vos côtés ; si vous vous en détournez, nous combattrons votre politique. Vive la République et vive la France !
Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Philippe Pemezec et Jérôme Bascher, ainsi que Mme Jacky Deromedi, se lèvent et applaudissent.
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe socialiste et républicain.
Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, la responsabilité qui est la vôtre, monsieur Castex, est lourde. En prenant les rênes du Gouvernement, vous avez le devoir de conduire la politique de notre pays. Cette tâche est écrasante, nous le savons, et elle revêt aujourd’hui un caractère particulier, que l’on pourrait qualifier d’historique.
Historique comme la crise que nous traversons. Dans une telle période, votre rôle est de veiller à ce que les Français soient protégés, face à un virus mortel pour certains organismes, face aux conséquences d’une maladie qui mine nos habitudes, nos manières de vivre, de travailler, face à l’effondrement économique et social, qui a été abordé à plusieurs reprises dans les discours précédents, alors que les signes avant-coureurs d’une seconde vague se multiplient.
Le Président de la République, qui vous a précédé dans les annonces et les déclarations, a voulu tracer un nouveau chemin et a évoqué « les jours heureux ». Aussi, c’est une déception, monsieur le Premier ministre, quand nous découvrons vos déclarations, tant à l’Assemblée nationale que, aujourd’hui au Sénat.
Un élément manque, mes chers collègues : c’est l’urgence. Le groupe socialiste et républicain vous demande d’agir depuis de longs mois. Un plan de relance d’ampleur devrait être lancé ; malheureusement, à chacune de nos demandes, c’est la même rengaine : « Vous allez voir ce que vous allez voir dans le prochain projet de loi de finances rectificative ! » « Vous allez voir ce que vous allez voir au mois de septembre ! » Finalement, je pense que nous verrons réellement quelque chose dans le projet de loi de finances pour 2021…
C’était hier, monsieur le Premier ministre, que vous auriez dû avancer sur cette question, et non pas au mois de septembre prochain. De la rapidité et des conditions mêmes de la reprise dépendront le coût économique, social et environnemental, mais aussi politique de la crise. Chaque jour perdu accroît la facture, accroît la fracture.
Votre majorité en a été la première victime lors des élections municipales du 15 mars et du 28 juin dernier. E j’ai bien compris que, aujourd’hui, il y avait une nouvelle victime, à savoir le président du groupe La République En Marche de l’Assemblée nationale.
Les réactions rapides que vous avez eues, avec le chômage partiel et les reports de charges, étaient nécessaires. Toutefois, ces mesures restent conjoncturelles. Elles ne dessinent en rien un futur rassurant pour les Français, qui subissent de plein fouet les plans sociaux et la baisse du pouvoir d’achat.
Je regrette d’ailleurs que, dans vos annonces, le pouvoir d’achat soit quasiment absent, exception faite pour les personnels soignants.
Après deux mois de confinement et une crise économique et sociale d’une ampleur historique, nous sommes placés face à un triple défi : soutenir le pouvoir d’achat amputé par la crise de ceux qui ont les revenus les plus modestes ; réorienter vers la consommation et l’investissement l’épargne que les ménages ont constituée pendant la période de confinement – 55 milliards d’euros ! – ; accompagner les secteurs dont l’activité a été la plus affectée – je pense à l’hôtellerie, à la restauration, aux loisirs ou à la culture, monsieur le Premier ministre, un secteur qui, manifestement, vous intéresse peu, d’après vos différents discours.
Pour cela, nous avons proposé un chèque « rebond solidaire » pour les ménages, mais vous ne vous saisissez pas de cette proposition. Vous préférez ne pas revenir sur la baisse des aides personnalisées au logement, les APL, alors qu’il est urgent de réaffirmer leur rôle fondamental de redistribution, de cohésion sociale et d’amortissement de la crise.
Nous le savons, dans les crises, ce sont toujours les plus fragiles qui paient l’addition finale. Alors que 700 000 jeunes vont entrer sur le marché de l’emploi, vous avez axé vos annonces sur la facilitation de l’embauche des jeunes par les entreprises. C’est bien, mais ce n’est pas suffisant.
Vous redécouvrez manifestement l’intérêt des emplois aidés. Mais alors, pourquoi les avoir supprimés, ou quasiment, à partir de 2017 ? Sans chômage, sans RSA, que ce soit dans les campagnes ou dans les quartiers, les jeunes sont les plus éloignés de l’emploi et cette crise les repousse encore plus loin dans les marges de notre société.
Vous annoncez, monsieur le Premier ministre, 100 000 services civiques. J’ai été ministre de la jeunesse, et je peux vous dire qu’on ne crée pas en claquant des doigts 100 000 services civiques ; ils doivent correspondre à des missions utiles pour la société. Permettez-moi de vous le dire simplement.
La pauvreté n’est jamais un choix ; il faut la combattre. Vous avez appelé à ce que vous soient transmises des propositions. Chiche ! Nous avons une proposition : le revenu de base. Dix-neuf départements de gauche ont dit depuis deux ans leur disponibilité pour l’expérimenter : donnez-leur les moyens de le faire ! Dans 1 500 quartiers de la politique de la ville où ce revenu de base serait bien utile, les populations sont confrontées à une perte, voire à un effondrement de leurs ressources. L’aide alimentaire y est devenue incontournable.
Vous avez annoncé la relance des chantiers de l’ANRU, l’Agence nationale pour la rénovation urbaine. Seraient-ils en panne ? Cette mesure est nécessaire, mais la rénovation urbaine ne doit pas être isolée d’une politique globale : il faut donner les moyens au secteur associatif, aux travailleurs sociaux et aux médiateurs de revenir activement sur le terrain et mettre en œuvre un plan de 30 000 emplois aidés en ciblant les étudiants et les jeunes dans les quartiers.
La remise en cause drastique et brutale de ces contrats a été une erreur, monsieur le Premier ministre. Reconnaissez-le. Ils constituent un levier de soutien fort et rapide, facilement mobilisable.
Autre absent de taille : vous avez peu parlé de l’Europe, finalement, tandis que se jouent aujourd’hui les négociations sur le plan de relance européen et le cadre financier pluriannuel.
Alors que la France sera l’un des pays les plus touchés par la chute attendue de son PIB, pourquoi attendez-vous septembre pour mettre en place un plan de relance ? Une partie de nos partenaires agissent vite, parfois même, comme en Allemagne, en tournant le dos aux politiques anciennes.
En France, finalement, pour Emmanuel Macron, la seule rupture politique a été de changer de Premier ministre. Le Président de la République est passé de l’art du « en même temps » à l’art du contretemps. La seule rupture que nous observons avec ce gouvernement concerne peut-être la grande cause du quinquennat, l’égalité femmes-hommes, qui a dû s’effacer devant les équilibres politiques nécessaires pour former le Gouvernement… Nous aurons l’occasion de vous interroger tout à l’heure sur ce sujet dans le cadre des questions d’actualité.
Plutôt que de la rupture, je vois de l’immobilisme, un immobilisme coupable quand il concerne des réformes qui ont fragmenté notre pays et fragilisé les plus faibles. Aujourd’hui, votre rôle, monsieur le Premier ministre, est de rassembler les Français, de les protéger, de les accompagner face à cette crise, mais certainement pas de relancer la réforme des retraites, qui a déjà laissé tant de traces.
Des centaines de milliers de Français sont descendues dans la rue pour lutter contre les mesures contenues dans ce texte. Le chiffon rouge de l’âge pivot sera peut-être retiré, mais la cicatrice de l’article 49, alinéa 3 sera toujours présente.
Ce projet a également suscité une forte opposition des syndicats, ouvriers comme patronaux. Permettez-moi de m’étonner, monsieur le Premier ministre, alors que vous prêchez « le dialogue, l’écoute, la recherche du compromis », que vous annonciez la reprise de cette réforme, dans une logique, permettez-moi de le dire, d’obstination décalée eu égard à la situation.
En faisant cela, vous remobiliserez les forces vives de notre pays contre un projet inique que vous auriez dû finalement abandonner, afin de ne pas pénaliser une nouvelle fois l’économie face à une forme de cataclysme social qui s’annonce.
Il en est de même de l’assurance chômage : votre réforme, celle qui est venue et celle qui vient, est très dure pour les Français les plus modestes. Le contexte économique et social dans lequel la pandémie nous a plongés la rend aujourd’hui particulièrement dangereuse. Je vous demande, monsieur le Premier ministre, au nom de mon groupe, non pas de l’amender, de la faire évoluer, mais de l’abroger purement et simplement.
L’environnement doit être aussi un axe fort du plan de relance. Vous avez raison : la rénovation énergétique des logements est indispensable. Le bâtiment représente 43 % de la consommation d’énergie finale en France et compte pour près du quart des émissions de gaz à effet de serre. C’est un gisement majeur de bénéfices environnementaux, économiques et sociaux.
Malheureusement, le dispositif que vous proposez nécessite une avance que de nombreux propriétaires ne pourront pas faire. Il faut démocratiser la rénovation thermique, en instaurant une « prime climat » qui permettra un préfinancement public et qui s’adaptera au niveau de revenus des propriétaires.
Cette crise est également l’occasion de repenser notre modèle et d’aller vers plus d’indépendance. Nous avons pu constater que la France n’était pas en capacité de répondre, à titre individuel, à l’urgence sanitaire. Manque de respirateurs, manque d’équipements de protection, manque de certains médicaments : cette crise a été un révélateur, ce dont, je crois, vous avez pris conscience.
Comme nous tous ici dans cette Haute Assemblée, vous partagez ces constats, mais quid de Luxfer, quid de Famar ? Les déclarations d’intention, c’est bien, monsieur le Premier ministre, mais cela ne suffit pas : il nous faut des actes, et je crains que nous ne les attendions encore longtemps. Depuis trois ans, votre majorité mène une politique plus bénéfique aux très riches et aux multinationales qu’elle n’est favorable aux précaires et aux PME françaises.
Suppression de l’ISF, mise en place de la flat tax, suppression de l’exit tax, baisse de l’impôt sur les sociétés pour les grandes multinationales, suppression de la taxe d’habitation pour les 20 % de contribuables les plus aisés : la liste est longue.
J’ai bien entendu le Président de la République, un peu recadré par vous-même et par Mme Gourault, ce matin, sur Public Sénat, sur ce dernier point. Je ne suis pas certain que, par vos décisions, vous exaucerez son vœu en l’espèce, même si nous comprenons que, finalement, la taxe d’habitation pourrait être un outil utile pour l’ensemble des Français quand il s’agit finalement de financer les services publics locaux.
En tout cas, demander aux entreprises de baisser les dividendes sans les y contraindre ne suffira pas. Demander des dons en faveur de l’hôpital public sans créer un nouvel impôt sur le capital, comme nous vous l’avons proposé, ne suffira pas, et cela ne trompe personne. D’ailleurs, la vraie question, monsieur le Premier ministre, est celle-ci : qui va payer et dans quelles conditions allez-vous assurer la redistribution dans notre pays pour faire face à la crise et aux dépenses que vous avez décidé d’engager ?
Enfin, cette solidarité que nous appelons de nos vœux doit être territoriale. Il faut d’urgence porter secours à nos territoires les plus fragiles. Je pense à la Guyane, où vous étiez il y a quelques jours.
Ce sont ces territoires, ceux de l’outre-mer comme ceux de l’Hexagone, qui ont fait face à la crise au plus près des Français. Il convient d’en tirer toutes les conclusions. Nous ne voulons pas d’un nouveau big-bang territorial, monsieur le Premier ministre. Nous avons formulé des propositions. Ainsi, le Sénat a adopté une proposition de résolution présentée par notre groupe. Faites-en bon usage : elle est libre de droits pour imaginer le futur élan qui sera, je l’espère, le vôtre en matière de décentralisation.
Il est vrai que vous parlez beaucoup de territoires. Je crois que vous avez cité ce mot une cinquantaine de fois depuis hier. On peut sauter comme un cabri et prononcer ce mot. Mais tout ne viendra pas les territoires. D’ailleurs, je tiens à vous le dire, la notion de territoire pertinent, c’est un peu comme l’horizon : plus on s’en approche, plus il s’éloigne !
Tous les territoires ne viendront pas à notre secours. Il faut leur donner des moyens. Le groupe socialiste a fait des propositions utiles, que je tiens à vous rappeler.
La priorité doit être de clarifier la répartition des compétences au sein de la République. L’État doit enfin mener à bien la réforme de sa propre organisation déconcentrée et permettre l’autonomie des collectivités. Derrière le mot « autonomie », je place l’expression fiscale, monsieur le Premier ministre.
L’autonomie fiscale n’est pas un gros mot, et je la préfère à la notion d’autonomie financière, soutenue par le Président de la République, qui aboutit finalement au contrat de Cahors, un contrat scélérat au regard de la décentralisation – je vous le dis ici haut et fort, à cette tribune.
L’autonomie fiscale, c’est finalement permettre aux collectivités de décider librement ce qu’elles ont envie de faire pour leurs concitoyens, sous le contrôle démocratique qui intervient tous les six ans pour les communes, les départements et les régions.
La liberté des collectivités territoriales, c’est l’article 72 de la Constitution, et les conditions y sont clairement identifiées.
Pour passer le cap d’une rentrée économique et sociale qui sera difficile, monsieur le Premier ministre, il faut urgemment prolonger le plan de soutien aux collectivités par un « plan de rebond territorial ». Cette relance que j’appelle de mes vœux passera par les élus locaux. Pour cela, il convient de ne pas avoir de tabous, de les doter de plus de leviers d’action : plus de subsidiarité, plus d’expérimentations locales, plus de différenciation, plus de pouvoir réglementaire, plus d’interterritorialité, pour leur permettre d’exister face à un État qui, aujourd’hui, a besoin de partenaires.
Vous l’avez compris, le groupe socialiste et républicain ne peut pas trouver son compte dans votre déclaration, dans vos déclarations de politique générale. D’ailleurs, je crois que vous avez eu une bonne idée en ne demandant pas la confiance au Sénat.
Vous appelez à la concorde nationale, mais celle-ci ne se construit pas dans l’amnésie générale, dans l’anesthésie générale que portent finalement vos déclarations et encore moins dans l’amnistie générale pour les trois années qui ont précédé votre propre prise de responsabilités à Matignon.
Monsieur le Premier ministre, nous serons donc une opposition vigilante, exigeante, constructive et j’espère que, de temps en temps, vous saurez écouter votre opposition pour faire progresser votre politique nationale, au service des Français et de notre pays.
Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.
La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, monsieur le Premier ministre, « acte III du quinquennat », « nouveau souffle » ou encore « dépassement du politique » : peu importent les qualificatifs, votre nomination intervient à un moment particulier, celui de la pire crise sanitaire qui nous a frappés en un siècle. Elle inaugure aussi un nouveau cycle de la vie politique de notre pays, dont l’horizon aura pour terme l’élection présidentielle de 2022.
Nouvelle illustration, s’il le fallait encore, que la Ve République telle que nous la vivons doit être profondément repensée pour en casser la verticalité, pour réhabiliter les corps intermédiaires ou donner plus de souffle à la démocratie locale.
Or l’accélération des cycles politiques imputable à l’instauration du quinquennat, renforcée par le prêt à penser en 280 signes et le diktat médiatique, fait qu’il est de plus en plus difficile de bâtir et de tenir une vision de long terme pour notre pays.
Il faut bien le constater : notre société est psychologiquement épuisée après une succession de crises majeures. La peur de l’avenir paralyse les initiatives et tétanise notre jeunesse. Le sentiment de déclin est prégnant. Notre économie connaît ses pires moments depuis des décennies. Les fractures identitaires gangrènent de plus en plus de zones, quand d’autres territoires excentrés se sentent oubliés.
Votre feuille de route est un immense défi, à l’image de l’ambition que nous devons avoir pour la France : reconstruire une confiance durable entre les citoyens et leurs gouvernants pour relever notre pays.
Nous n’avons pas le droit de céder au défaitisme, car la République, notre bien commun, doit être défendue chaque jour.
Fort de la liberté d’esprit, de ton et de vote qu’il a toujours cultivée, mon groupe, le RDSE, entend soutenir tout ce qui contribuera à ce relèvement, par-delà les attaches partisanes, sans subir la pression de la rue ou des réseaux sociaux. Au nom du seul intérêt général.
Redonner confiance à nos concitoyens, c’est d’abord agir par des mesures simples et concrètes pour leur quotidien.
Ce que mon groupe attend, c’est que la promesse républicaine d’égalité soit une réalité. La crise sanitaire a montré que notre modèle social fonctionnait, n’en déplaise à ceux qui n’en regardent que le coût. Il faut maintenant aller plus loin sur le plan social pour « bâtir les fondations de la France de demain », comme vous l’avez dit.
Face à l’explosion de la précarité et du chômage, votre gouvernement se doit d’agir avec efficacité, afin de mieux accompagner les plus vulnérables et d’offrir, à tous, les mêmes chances de réussite. Tous ceux que la crise a frappés de plein fouet, pour qui ce virage social est indispensable.
La crise des « gilets jaunes » l’a bien souligné : nos concitoyens attendent avant tout une véritable justice sociale, notion que l’on ne saurait réduire à de l’assistanat. Mon groupe y attache une importance fondamentale. Il est temps, par exemple, que le plan Pauvreté tant de fois annoncé se concrétise !
Vous avez également déclaré vouloir promouvoir l’approche par les territoires, et je sais que cet hémicycle vous a écouté d’une oreille très attentive. Monsieur le Premier ministre, mon groupe a envie de vous prendre au mot, quand on sait que nos collectivités n’en peuvent plus de cette instabilité normative désespérante. Et bien sûr sans les financements qui permettraient d’y faire face !
Pourtant, la crise sanitaire a révélé de formidables initiatives des élus locaux, avec, très souvent, des préfets pleinement investis pour les soutenir. Allons plus loin pour une organisation encore plus vertueuse, avec une déconcentration d’abord soucieuse de l’efficacité et des spécificités locales – plutôt que d’en référer en permanence à Paris –, une décentralisation qui ferait confiance aux élus et qui leur permettrait de mettre en œuvre une véritable différenciation dans le respect des libertés locales et de l’unité de la République.
La réalité est tout autre. Nous le constatons quand nous croisons dans nos territoires beaucoup de souffrance et d’incompréhension, du fait de l’abandon de l’État : dans les zones rurales enclavées qui subissent les fermetures de services publics, dans les zones urbaines victimes de retards économiques et sociaux accumulés, dans les zones périurbaines, indispensables pourvoyeuses de main-d’œuvre, mais toisées par des métropoles devenues inaccessibles sur tous les plans.
Monsieur le Premier ministre, mon groupe est totalement investi pour défendre la dignité de nos compatriotes. Il ne saurait exister de citoyens de second rang du fait de leur lieu de résidence. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons proposé la création d’une Agence nationale de la cohésion des territoires, avec comme ambition de créer un outil au service de toutes les collectivités. Malheureusement, l’ANCT n’a pas répondu à ces objectifs, se transformant en une machine administrative obèse et édulcorée comme notre technocratie en a le secret.
L’égale dignité de nos concitoyens, c’est encore assurer le désenclavement de certains territoires, pour lesquels une ligne aérienne ou une desserte ferroviaire sont indispensables sur le plan économique. Nous comptons sur vous pour soutenir les collectivités et garantir le respect des obligations de service public des opérateurs. Je pense en particulier à l’aérien.
M. Jean-Claude Requier. Vous avez aussi annoncé vouloir réhabiliter les trains de nuit, les petites lignes et le fret ferroviaire. Nous ne pouvons qu’approuver, à la condition toutefois qu’il ne s’agisse pas de promesses non suivies d’actes. Il y va de l’attractivité, voire de la survie de nombreux territoires !
M. Marc Laménie applaudit.
Cela vaut tout autant pour le numérique, alors que la crise sanitaire a révélé de profondes inégalités en la matière. Mon groupe travaille en particulier pour que l’accès au très haut débit soit une réalité partout, mais aussi pour que la lutte contre l’illectronisme devienne une grande cause nationale, à la suite des travaux de la mission d’information dont nous sommes à l’origine.
Cela vaut encore en matière d’écologie, avec les défis immenses qui nous attendent et pour lesquels nos concitoyens sont prêts à changer leurs habitudes. Cela suppose toutefois de ne pas enfermer l’écologie dans une approche punitive, qui aggraverait les fractures sociales ou territoriales et servirait de prétexte à entraver le progrès technologique.
Monsieur le Premier ministre, si mon groupe cultive la liberté de vote, il ne transigera jamais sur la défense de la laïcité. Vous avez raison de dire que « la République, c’est la laïcité comme valeur cardinale, comme fer de lance de la société ».
Face aux velléités séparatistes, face à ceux qui veulent réécrire l’Histoire, il faut affirmer, sans jamais faiblir, que la laïcité est un facteur d’émancipation garantissant à chacun le droit de croire ou de ne pas croire. Aucune religion ou communauté ne peut revendiquer sa supériorité à la loi commune. C’est bien pour cela que la laïcité contribue à la concorde civile et à l’unité de la Nation, car elle rend les citoyens égaux devant la loi et dans la dignité.
Nous serons donc à vos côtés pour faire respecter l’ordre public face à ceux qui défient l’autorité de l’État ou revendiquent de s’extraire de la loi commune. Il est encore temps d’agir avec force ! La situation est grave, chacun le sait, mais nous devons nous réunir pour faire en sorte que la République demeure une et indivisible !
Monsieur le Premier ministre, vous vous êtes présenté comme un homme de dialogue et de concertation. Nous espérons que, avec votre gouvernement, vous appliquerez à la lettre cette méthode dans vos rapports avec le Parlement, en particulier avec le Sénat.
Pour l’heure, et dans sa diversité et sa liberté, le groupe RDSE continuera à placer l’intérêt général de notre pays par-dessus toutes les contingences partisanes. C’est à cette aune –un mot dont la première syllabe se prononce un peu différemment dans notre terroir !
Sourires.
Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe LaREM.
M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour le groupe La République En Marche.
Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, dans cette dramatique crise sanitaire, vous avez, monsieur le Premier ministre, rappelé le rôle primordial qu’ont assuré celles et ceux qui, jour après jour, ont œuvré avec courage pour sauver des vies, des milliers de vies.
Face au risque réel de deuxième vague, le devoir de responsabilité que vous avez appelé de vos vœux s’impose à chacun d’entre nous. Collectivement, en tant que législateur, nous avons contribué à l’élaboration de politiques publiques efficaces. Au-delà de nos obédiences ou chapelles politiques, nous avons su être à la hauteur des enjeux.
Je tiens, à cette occasion, à rendre hommage au Premier ministre Édouard Philippe, votre prédécesseur, pour le travail considérable qu’il a mené avec l’ensemble des membres de son gouvernement, avec méthode, pédagogie et détermination, sur le front de la lutte contre la propagation du virus, sur le front de la sauvegarde de l’emploi et sur le front du soutien aux plus vulnérables.
Dès le début de la crise, un ambitieux plan d’urgence a été enclenché. Ainsi, 430 milliards d’euros ont été déployés, avec le recours massif au chômage partiel, les prêts garantis par l’État, la mise en place du fonds de soutien et de solidarité et une panoplie de mesures sectorielles sans lesquelles des pans entiers de notre économie auraient été réduits à néant. Je pense à l’aéronautique, à l’automobile, à l’hôtellerie, à la restauration, à la culture, et à bien d’autres encore.
Je tiens également à féliciter les élus locaux qui, tout au long de la crise, ont su illustrer leur rôle d’acteurs de proximité. Chacun d’entre nous, par nos échanges et nos contacts permanents avec eux, peut en témoigner : ils n’ont jamais ménagé leurs efforts.
Les élus locaux ont invariablement su répondre à l’urgence pour repenser la vie de leur territoire au service de nos concitoyens. Oui, les collectivités territoriales sont les maillons essentiels de la reprise.
Alors que les réformes ambitieuses menées par le Gouvernement pendant trois ans avaient permis au chômage d’atteindre son plus bas niveau depuis dix ans, au pouvoir d’achat de connaître sa plus forte progression et à notre pays de figurer parmi les plus attractifs du continent, nous avons su combattre ce virus avec réactivité et faire face aux difficultés.
La crise a révélé nos forces, mais également nos faiblesses.
Notre système de soins a tenu bon, lorsque celui de certains de nos voisins a fait défaut. Dans le même temps, la crise a révélé nos fragilités, parmi lesquelles notre trop grande dépendance aux industries étrangères, notamment dans des secteurs stratégiques. Mais l’heure n’est pas au bilan, elle est à l’action.
Monsieur le Premier ministre, vous avez reçu la mission d’organiser le déconfinement, avec une feuille de route précise, des étapes scrupuleusement respectées, un travail de pédagogie et un sérieux largement appréciés.
Ce sérieux, nous le devons à tous les Français qui, durant de longs mois, ont accepté de restreindre leurs libertés. C’est ce sens de l’intérêt général dont ont fait montre les Français qui doit nous inspirer et guider nos choix.
De par votre expérience d’élu local, vos compétences reconnues au-delà des clivages politiques, vous avez mené à bien, en lien avec les collectivités territoriales, les services de l’État et les élus locaux, une stratégie de déconfinement qui s’annonçait pourtant périlleuse. Vous avez permis une reprise progressive de nos déplacements, de nos activités, de ce vivre ensemble à la française auquel nous sommes attachés.
Pour que cette reprise perdure, nous devons faire preuve à la fois de solidarité, d’inventivité et de responsabilité.
La crise économique qui se profile a renforcé, chez les Français, cette peur du déclassement aux quatre coins du territoire national. Cette crise doit donc être l’occasion de réconcilier nos territoires, avec l’ambition de restaurer la confiance de nos concitoyens les uns envers les autres.
La République une et indivisible ne doit pas demeurer un vain mot. Elle doit s’incarner dans les actes que nous mènerons ensemble, collectivement. Chacun d’entre nous doit prendre pleinement conscience de la gravité de la situation à laquelle nous sommes confrontés.
Oui, mes chers collègues, nous sommes à la croisée des chemins. Soit nous agissons collégialement pour lutter efficacement contre les fragilités économiques, les situations sociales délicates, les difficultés rencontrées par nos concitoyens, soit nous sombrons dans le pessimisme mortifère, l’invective permanente, le culte de la division et de l’opposition.
Sachons être dignes des exigences légitimes des Français, qui attendent de nous, élus de la Nation, un esprit de concorde, de construction commune, en faveur du seul intérêt qui compte : celui de notre pays.
Pour ce faire, nous devons faire preuve d’humilité, rappeler ce qui a été réalisé depuis le début de la crise, mais également faire le point sur nos actions, sans craindre le jugement hâtif ou partiel de ceux qui pensent pouvoir faire mieux, davantage, tout le temps et dans tous les domaines.
Laissons-leur les certitudes. Tâchons d’emprunter pour notre part le chemin de la coconstruction.
Le président Larcher dit souvent que nous représentons les territoires, et certains vous reprochent aujourd’hui de faire trop appel aux territoires. Or quand on parle aux territoires, on ne parle pas seulement au Parlement, monsieur le Premier ministre, on parle aux Français qui, quotidiennement, sont confrontés aux difficultés que vous avez évoquées dans leur travail, dans leur santé, dans leurs déplacements. Ce sont ces réponses concrètes que j’ai entendues aujourd’hui.
Sachez que je ne crois pas à l’uniformité des politiques publiques, sorte de maladie qui a frappé notre pays tout au long de son histoire récente. C’est en raison d’une approche monolithique des difficultés rencontrées, comme des solutions envisagées, que nous avons été dans l’incapacité de penser un modèle d’inclusion qui puisse satisfaire l’ensemble de nos concitoyens, de Brest à Strasbourg, du Havre à Prades.
À ce titre, Monsieur le Premier ministre, vous avez exprimé votre soutien au droit à la différenciation, que vous souhaiteriez voir consacré dans une loi organique.
Farouche partisan de la décentralisation, je suis persuadé que nous devons entamer une nouvelle étape de celle-ci. La reprise économique et la lutte contre les inégalités sociales ne pourront être permises que si les territoires en deviennent les acteurs centraux.
Vous avez fixé un cap et tracé un chemin. La gestion à court terme des crises ou d’autres urgences ne peut être l’apanage d’une politique qui se veut ambitieuse. Notre politique doit s’inscrire dans le temps long : celui de la réflexion, de l’anticipation et de l’action.
Comme l’a rappelé Emmanuel Macron à l’occasion de son intervention télévisée, nous devons définir une perspective, engager des réformes nécessaires à la survie de notre système dans la concertation, l’écoute et le respect du travail en commun. Identifier les secteurs d’avenir, investir dans la transition énergétique, préparer un plan pour la jeunesse : tels sont les chantiers que vous annoncez et que nous soutiendrons.
Vous avez parlé des retraites, monsieur le Premier ministre. Cela fait trente ans que nous reculons sur ce problème !
Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.
Au moment où nous voulons engager une réforme ambitieuse et équitable, devrait-on une fois encore reculer, parce que ce ne serait pas encore le moment ? Je crois que le Gouvernement a raison de vouloir insister et mener à bien cette réforme aujourd’hui, dans la justice sociale et dans l’efficacité.
Nous nous réjouissons que les collectivités territoriales, les partenaires sociaux et les citoyens soient pleinement associés à la mise en œuvre concrète de cette reconstruction. Oui, nous ne pourrons agir les uns sans les autres, vous l’avez dit : les élus sans les administrés, les villes sans les campagnes, les entreprises sans les salariés et réciproquement. J’en ai la certitude : la reconstruction sera le fruit d’un travail collectif ou ne sera pas.
Vous avez présenté et détaillé les principaux axes du plan de relance. Vous avez évoqué la santé, la justice, les transports, l’emploi, les problèmes de proximité, l’environnement et l’écologie. Le soutien aux secteurs en difficulté, la prise en compte des enjeux démocratiques du futur et la valorisation du dialogue social sont autant d’outils efficaces dans cette période de crise à laquelle nous sommes quotidiennement et collectivement confrontés.
Je ne reviendrai pas sur l’ensemble des mesures que vous avez énoncées, monsieur le Premier ministre : lutte contre le décrochage scolaire, investissements massifs à hauteur d’un milliard et demi d’euros supplémentaires dans la formation, extension du dispositif d’activité partielle de longue durée, aménagements de la réforme de l’assurance chômage, rénovation thermique des bâtiments.
Le Ségur de la santé s’est achevé la semaine qui a suivi votre prise de fonction, monsieur le Premier ministre. Vous avez voulu qu’il se concrétise par des avancées sans précédent.
Mes chers collègues, quel gouvernement depuis trente ans aura fait autant pour effacer la dette des hôpitaux, pour mieux rémunérer le personnel soignant, pour permettre d’investir à l’hôpital ? Personne ne l’a jamais fait à cette hauteur ! Ceux qui s’interrogent aujourd’hui pour savoir si le Gouvernement agit devraient lui donner acte de ces avancées dans le seul domaine de la santé.
Investissement et transformation seront les maîtres mots de l’action du gouvernement que vous avez l’honneur de diriger, monsieur le Premier ministre. Nous nous en réjouissons.
Je retiendrai deux éléments fondateurs de votre intervention : une ambition claire et une obligation de résultat concret. Ce sont notre détermination, notre énergie et notre capacité à rebâtir qui permettront à notre pays de relever les immenses défis qui se présentent à tous.
M. François Patriat. Après vous avoir entendu, après avoir écouté vos propositions à la fois concrètes, pragmatiques et de proximité, ainsi que leur séquençage dans la durée des 600 jours qui nous restent, monsieur le Premier ministre, le groupe La République En Marche vous apportera son soutien.
Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à vous remercier pour la qualité des propos que j’ai entendus ce matin – elle ne me surprend pas.
Ne doutez pas, mesdames, messieurs, de notre détermination très forte dans ce contexte si particulier à vouloir poursuivre et accélérer la relance de notre économie. Tel est notre premier objectif.
Je n’ai d’ailleurs pas perçu dans la majorité des expressions publiques de divergence fondamentale, …
… ni sur les principes – restaurer la croissance la plus forte possible, la plus riche en emplois, la plus tournée vers la transition écologique –, ni sur le contenu de nos propositions que la concertation améliorera, j’en suis certain, ni même sur la méthode que j’ai proposée, à savoir le dialogue, la proximité et le pragmatisme.
J’ai entendu des interrogations sur le financement de ce plan.
Elles sont légitimes. Ces interrogations ont été exprimées de façon traditionnelle, c’est-à-dire que, après s’être accordés sur l’idée de ne pas créer de dette pour les générations futures et de respecter les équilibres, les mêmes intervenants proposent des baisses d’impôts, tandis que d’autres nous reprochent de ne pas en faire assez…
Je crains que, à l’arrivée, le solde ne s’en trouve guère amélioré.
Mais quelle est donc votre réponse quant au financement ? Comment financerez-vous ?
Il s’agit tout d’abord, monsieur le sénateur, d’un plan d’investissement, et non de dépenses de fonctionnement pérennes, qui sera entièrement orienté vers la croissance, l’amélioration de la compétitivité de notre économie et la formation des hommes et des femmes de notre pays.
Il y a certes, cela a été relevé, une exception forte : il s’agit du Ségur de la santé. Mais je veux dire clairement que nous devrions toutes et tous nous en réjouir, mesdames, messieurs les sénateurs, tant nous ne faisons qu’œuvre de rattrapage, et tant notre système de santé est sans doute le bien le plus précieux de notre système de protection sociale et de cohésion nationale.
M. Jean Castex, Premier ministre. Ne pas le faire dans les circonstances que nous venons de traverser eut été une erreur profonde. Revendiquons ensemble cette reconnaissance juste de la Nation à l’égard de tous ces personnels.
Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.
Pour autant, j’entends – et je partage ce point de vue – que cela doit s’accompagner d’une amélioration de l’organisation de notre système de santé, qui est d’ailleurs tout à fait dans la logique de transformation que nous revendiquons.
Par ailleurs, vous me donnez, et je vous en remercie, l’occasion de vous parler d’Europe.
J’ai eu l’honneur d’apporter, très modestement, ma contribution à la gestion de la précédente crise de 2008-2010. Je l’ai vécue de l’intérieur. Elle était difficile, et l’on explique, hélas à juste titre, que celle dans laquelle nous sommes engagés aujourd’hui sera beaucoup plus forte. Je perçois toutefois une différence, qui a été justement soulignée par le président Malhuret : il n’y a pas eu de véritable solidarité européenne dans la gestion de la crise de 2008, malgré les efforts alors déjà déployés par la France.
Quelque 35 milliards d’euros du plan de relance que nous vous soumettrons sont financés par l’Europe. C’est une différence majeure, à laquelle, je me permets de vous le rappeler, la France et le Président de la République ont apporté une contribution décisive.
Vous avez raison, nous devons poursuivre cette approche européenne et l’amplifier en matière de politique industrielle. Les grands champions doivent être européens. Ne racontons pas de mensonges à nos concitoyens : la France ne pourra pas agir seule en la matière. De même, la politique écologique doit être européenne. J’ai entendu parler de taxe carbone aux frontières et d’une évolution, à laquelle je souscris pleinement, de la politique de la concurrence et des règles qui la structurent.
Beaucoup ont évoqué, comme je l’ai fait moi-même, la perspective d’utiliser cette crise comme une opportunité. Cela vaut aussi pour l’Europe, qui doit retrouver à cette occasion de la crédibilité auprès de nos concitoyens.
Vous avez été nombreux à rappeler que la crédibilité renvoie à la confiance. Nous ne réussirons la mise en œuvre de tous ces plans, de toutes les propositions que vous avez formulées sur toutes les travées que si les Françaises et les Français prennent conscience de la nécessité de lutter avec nous contre la crise, de se mobiliser, comme beaucoup l’ont fait dans la dimension sanitaire de cette dernière.
Pour cela, il nous faut retrouver, à l’occasion de cette crise, les bases de la confiance. Pour cela – je me retrouve dans les propos de beaucoup d’entre vous –, nous devons ensemble porter les valeurs d’autorité de l’État, de respect de la laïcité républicaine, d’écoute, de sens des responsabilités, de courage dans la conduite de réformes indispensables à notre pays. Nous devons incarner ces valeurs, afin de vaincre et de sortir plus forts de ce moment incontestablement très difficile.
Soyez assurés que je ne perds pas de vue l’immensité de la responsabilité qui pèse sur mes épaules. Mais c’est précisément parce qu’elle est immense que j’ai la conviction intime que je ne pourrai m’en affranchir qu’en mobilisant et en impliquant non seulement la représentation nationale, mais même l’ensemble de notre pays, sous l’autorité du Président de la République, autour du service de l’intérêt général.
Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et Les Indépendants, ainsi que sur des travées du groupe UC.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à douze heures quarante-cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Philippe Dallier.