Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, PLFR 1, puis 2, puis 3, en attendant le quatrième… Les textes devaient s’enchaîner pour tenter de contenir les effets de la crise, qui s’annonce très profonde, mais, souhaitons-le, avec un rebond substantiel possible dès 2021, à la condition sine qua non de prendre les bonnes décisions en temps et en heure.
Parmi les questions que nous devons nous poser au moment d’examiner ce texte, celle du tempo des mesures est au moins aussi importante que celle du contenu.
Le Gouvernement avait qualifié les deux premiers textes « d’urgence », « de sauvegarde », et celui-ci de « résilience »… Mais ce troisième projet de loi de finances rectificative aurait pu être – rien ne vous en empêchait –, outre un plan de soutien complémentaire aux secteurs les plus en difficulté de notre économie, le grand plan de relance annoncé en fait depuis mars, dont les mesures, si elles avaient été adoptées en juillet, auraient pu être opérationnelles à la rentrée, au moment notamment où 700 000 jeunes arriveront sur le marché du travail et où, c’est à craindre, le nombre des défaillances d’entreprises va commencer à augmenter.
Le Gouvernement a fait un autre choix sans que nous en comprenions vraiment les raisons, sauf à considérer que le changement de Premier ministre et le remaniement ministériel ont bouleversé l’agenda. Le Parlement aurait pu travailler trois ou quatre semaines de plus avant la coupure estivale… Mais le texte de la relance ne sera prêt qu’à la fin du mois d’août et ne sera finalement intégré qu’au projet de loi de finances pour 2021, ce qui repoussera de facto la mise en œuvre des mesures décidées au début de l’année prochaine. Ces six mois perdus pourraient, au final, nous coûter très cher.
Avant d’en venir au détail du texte et à nos propositions, je veux, monsieur le ministre, revenir un instant sur la situation de la France d’avant et le tableau qu’en brosse généralement Bruno Le Maire. C’est aujourd’hui notre point de départ, avant la crise.
Le ministre de l’économie, des finances et de la relance met souvent en avant le net recul du chômage, sous les 8 % – c’est exact –, le regain d’intérêt pour l’apprentissage – exact là aussi –, la bonne tenue de l’investissement privé – exact également –, et même la bonne tenue de la consommation des ménages jusqu’en 2019 – exact encore.
Permettez-moi cependant de relativiser ces propos en rappelant simplement quelques chiffres.
Ceux de la croissance, d’abord : 2, 3 % en 2017 ; puis 1, 8 % en 2018 ; enfin, 1, 5 % en 2019. Une belle pente descendante, avec un acquis de croissance de seulement 0, 1 % pour 2020, avant la crise, ce qui est le plus mauvais chiffre depuis 2012.
Ceux du déficit du budget de l’État, ensuite : 67, 6 milliards d’euros en 2017 ; puis 76 milliards d’euros en 2018, et 92, 7 milliards d’euros en 2019, soit une belle pente ascendante. La raison en est simple : aucune réduction du déficit structurel en 2018 et 2019, pas plus que dans la loi de finances initiale pour 2020, donc avant la crise. Quant au déficit prévisionnel pour 2020, il était de 93, 1 milliards d’euros.
J’en viens au déficit public : 3 % du PIB en 2019. Pour la première fois depuis 2011, il est reparti à la hausse.
Quant à la dette publique, elle a frôlé l’an dernier les 100 % du PIB. Nul doute que ce seuil aurait été franchi en 2020 avec une prévision de croissance en berne, faute toujours d’effort structurel.
Alors oui, monsieur le ministre, il y avait quelques points positifs, mais le tableau d’ensemble était plutôt sombre. Surtout, en ces matières-là, il faut se comparer… Et là, pour le coup, la comparaison ne rassure pas, elle inquiète…
Nous avons abordé la crise dans une situation économique et financière bien plus dégradée que la plupart des autres États européens.
En 2019, nous étions en queue de peloton : sur 27, nous étions 23e pour la croissance et l’endettement public, 24e pour le taux de chômage, 26e pour le déficit public. Même avec un taux de chômage de 8, 1 % en février dernier, seules l’Italie, l’Espagne et la Grèce faisaient moins bien que nous.
Avec un taux de croissance de -0, 1 % au quatrième trimestre 2019, seules l’Italie, la Finlande et la Grèce faisaient moins bien que nous.
Avec 98, 1 % de taux d’endettement, seuls la Belgique, le Portugal, l’Italie et la Grèce faisaient moins bien que nous.
Avec un déficit public de 3 % du PIB en 2019, seule la Roumanie faisait pire que nous.
Nous n’avons donc pas appréhendé cette crise avec les mêmes armes que les autres pays européens qui, eux, ont fait des efforts pendant dix ans, ce qui leur permet de mieux aborder la situation.
Monsieur le ministre, vous n’êtes pas entièrement responsable de cette situation. Rappelons cependant que le retour à l’équilibre de nos comptes publics, prévu en 2021, au début du quinquennat, n’est plus qu’un vieux souvenir. Il vous a fallu essayer d’éteindre l’incendie provoqué par la crise des « gilets jaunes ». Voilà pourquoi 2020 s’annonçait déjà comme une année difficile.
Mais maintenant, l’incendie à éteindre est d’une tout autre ampleur et il y a urgence. Nous n’avons pas dix ans devant nous. Voilà pourquoi nous pensons que vous perdez du temps par rapport à nos grands voisins.
M. Le Maire a beau nous dire que l’effort de la France est comparable à celui de l’Allemagne, notre rapporteur général démontre, dans son rapport, qu’il n’en est strictement rien.