Intervention de Anthony Lebon

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 28 mai 2020 : 1ère réunion
Étude sur l'urgence économique outre-mer à la suite de la crise du covid-19 — Table ronde sur le btp et le logement social

Anthony Lebon, président de la Fédération régionale du bâtiment et des travaux publics de La Réunion :

Je souhaite poursuivre avec les questions de Mme Viviane Artigalas sur le redémarrage de l'activité. En métropole, il est fait état d'une reprise de la majorité des chantiers pour la fin du mois de mai. En tant que président de la commission BTP/logement de la FEDOM, je me permets de m'exprimer sur le tour de table effectué auprès de l'ensemble des fédérations des DOM. Il semblerait qu'à La Réunion et dans les DOM en général, la reprise soit plus lente. Dans plusieurs secteurs, nous savons même que des chantiers ne reprendront pas avant septembre ou octobre. Certains maîtres d'ouvrage jouent la carte de la sécurité et ne veulent payer aucun supplément. Le 10 juin, l'État devrait se prononcer quant à la détermination de l'affectation des surcoûts du Covid-19. Nous pensons que si les maîtres d'ouvrage devaient indemniser les entreprises au prorata du temps d'immobilisation, nombre d'entre eux seraient incités à reprendre l'activité plus vite que ceux qui le décident aujourd'hui en jouant l'immobilisme le plus total.

Nous n'avons pas été interrogés directement par le préfet Philippe Mahé dans le cadre de la mission que lui a confié le Gouvernement. Nous avons pourtant piloté à La Réunion des groupes de travail réunissant l'ensemble des acteurs sous l'égide du préfet de La Réunion.

Comme vous le savez, la situation du BTP est beaucoup plus dégradée que dans l'Hexagone. La structuration entrepreneuriale est en effet composée à 80 % d'entreprises de moins de 10 salariés (ce qui n'est pas le cas en métropole) d'une part ; le tissu est fragilisé par de longues années de crise suite à la crise de 2008 d'autre part. En 2019, La Réunion a connu son année la plus basse en termes d'activités du bâtiment depuis plus de 20 ans. Moins de 1 500 logements sociaux ont été construits l'année dernière alors qu'entre 5 000 et 6 000 logements annuels étaient construits dans les grandes années. Aujourd'hui, nous ne pensons pas pouvoir compenser les surcoûts du Covid-19, ni en trouvant des méthodes optimisées en termes de construction, ni en achetant mieux. Nous ne saurons pas construire plus et moins cher.

Je sais qu'il s'agissait de l'un des objectifs principaux du PLOM, mais nous n'y arrivions malheureusement pas déjà l'année dernière. Je pense dès lors que nous n'y arriverons pas cette année après l'épidémie de Covid-19. Nous n'avons pas de pistes pour compenser les surcoûts à moins, peut-être, d'un point de vue pratique, en refléchant les crédits LBU non consommés en 2020, en direction de l'indemnisation des maîtres d'ouvrages pour que, in fine, les entreprises en bénéficient.

Qui doit régler les surcoûts ? Nous pensons qu'il faut une équité dans le règlement, que ceux-ci soient assumés de manière équilibrée. L'État a pris sa part bien évidemment pour le côté salarial puisqu'il a abondé afin de maintenir l'activité partielle. Cependant, lors du temps d'immobilisation, les entreprises seules ont assumé les locations, les amortissements, les non mises en chantier, la couverture des frais généraux... Pour la reprise, ce sont les entreprises qui assument financièrement les surcoûts liés au Covid-19. De plus, surtout, le point le plus important, les entreprises assument seules la perte de productivité liée à la réorganisation de nos métiers, notamment avec le respect des gestes barrières. Elle est estimée entre 5 et 20 % selon les activités. Si nous n'avons pas d'aide forte et un appui de la part de nos instances, nous n'y parviendrons pas.

Nous avons des aides fortes en trésorerie pour ceux qui ont la chance de bénéficier du PGE. Néanmoins, sur la perte de rentabilité, le manque à gagner, la non-couverture des frais généraux, nous aurions besoin que le BTP soit inscrit en secteur de compétitivité renforcée. C'est une orientation forte que nous portons depuis la fin de l'année. Nous sommes conscients que cette évolution prendra du temps. En attendant, nous aimerions pouvoir bénéficier d'une exonération de charges de trois à six mois.

L'ironie de notre situation veut que le BTP, jugé essentiel à la vie de la Nation, soit retourné rapidement sur les chantiers. Nous n'avons donc pas eu d'arrêtés préfectoraux nous demandant de suspendre nos travaux. Ainsi, nos activités ne bénéficieront pas d'exonération de charges, d'où cette volonté d'inscription des entreprises du BTP en secteur de compétitivité renforcée, d'autant plus à La Réunion, où l'industrie du BTP est déjà en secteur de compétitivité renforcée. Il serait logique que les entreprises qui mettent en oeuvre les matériaux, les industriels de La Réunion, soient au même niveau de charges. Dans le cas inverse, une disproportion de concurrence risque de surgir, puisque certains industriels du BTP sont également des poseurs. Ils ne payent donc pas la même main d'oeuvre que les entreprises du BTP qui, elles, ne sont qu'en secteur de compétitivité traditionnelle et non renforcée.

Les leviers pour la reprise seraient donc, selon nous, une exonération de charges, une inscription en secteur de compétitivité renforcée et une prise en charge des surcoûts. Comment accélérer cette reprise ? Comme l'a évoqué Stéphane Brossard, en faisant le lien avec la stratégie d'avenir et le Plan logement outre-mer, nous pensons aujourd'hui qu'il ne faut surtout pas rediscuter ce dernier, à notre niveau en tout cas. Nous avons déjà passé de nombreux mois sur ces concertations et le risque est de perdre une nouvelle année ; l'ensemble des acteurs serait dans l'attentisme et l'immobilisme le plus total, retardant davantage la mise en service concrète du plan. Pour accélérer la reprise, le PLOM doit être opérationnel. Il est piloté par CDC Habitat et Action Logement ; à La Réunion en tout cas, les groupes de travail prévus pour démarrer ne se sont pas réunis. L'abondement conséquent annoncé est une aubaine pour l'avenir du territoire et les familles en souffrance, en demande de logements depuis plusieurs années.

Comment faire pour que ce plan soit réellement opérationnel ? Sur les territoires ultramarins, nous avons ciblé huit mesures particulières sur lesquelles nous pourrons revenir. Le PLOM semble être l'un des atouts principaux. Il doit démarrer sans plus attendre.

Enfin, concernant les communes, nous sommes inquiets puisque nous savons que certaines d'entre elles ont déjà du mal à régler les entreprises dans des délais convenables. Nous avons des délais qui varient entre trois voire six/sept mois de règlement. Bien évidemment, nous sommes pour la bonne santé de tous les organismes publics de notre territoire et nous savons que ce n'est pas simple. Nous n'avons pas la solution à notre niveau en tout cas.

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