Intervention de Hervé Étile

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 28 mai 2020 : 1ère réunion
Étude sur l'urgence économique outre-mer à la suite de la crise du covid-19 — Table ronde sur le btp et le logement social

Hervé Étile, président de la Fédération régionale du bâtiment et des travaux publics de Martinique :

Le Covid-19 n'est qu'un facteur aggravant d'une situation qui dure depuis longtemps dans nos territoires. Le confinement et la réduction de l'activité ont eu des conséquences économiques sans précédent pour notre activité. La situation sanitaire et l'absence de matériel, le manque de stock et l'éloignement insulaire ont eu raison de l'activité. Quelques rares « tricheurs » ont continué à travailler sans respecter le confinement, ni les gestes barrières, ni les mesures d'hygiène sur chantier. Nous avons signalé ces manquements qui sont inacceptables. L'arrêt des liaisons maritimes et aériennes, l'augmentation record des coûts de fret, n'ont fait qu'enfoncer le BTP local dans cet immobilisme.

Les vols opérés par l'une des trois compagnies aériennes, Air France, n'avaient plus la même fréquence, ne transportaient que peu de passagers et le fret était réservé au matériel hospitalier. Les masques étaient réquisitionnés pour le personnel médical mais rien n'était prévu pour le personnel du BTP. Nous nous sommes donc retrouvés dans une période où l'État ne nous a pas demandé de ne pas travailler, mais où nous étions dans l'impossibilité de travailler puisque nous n'avions pas le matériel adéquat. Les négociants locaux en matériel de BTP ne pouvaient - et certains d'entre eux ne le peuvent toujours pas - nous communiquer de date d'arrivée pour les masques et le gel hydroalcoolique. Sur l'île, nous n'avons pas la possibilité de travailler selon les règles édictées par l'organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP), validées par le ministère de la santé. Le travail aujourd'hui se fait donc tant bien que mal, mais il apparaît que les entreprises ne travaillent pas dans les règles sanitaires requises actuellement.

La plupart d'entre elles n'a pas eu accès aux principales aides gouvernementales. Le FSE (les 1 500 euros pour les petites entreprises) et le chômage partiel, ont été peu utilisés. Aucune mesure forte et concrète n'a été prise pour le soutien massif de cette activité essentielle pour la Martinique, puisqu'elle rassemble près de 6 000 salariés, dans 4 530 entreprises et artisans du BTP. 80 % d'entreprises ont moins de 20 salariés. Nous estimons que la situation économique du BTP en Martinique est précaire, voire inacceptable, depuis 2002 en raison de plusieurs facteurs que sont la crise économique, les intempéries passées, la complexité administrative, l'accès à la commande publique, la fiscalité non adaptée au marché disponible, l'insularité qui nous empêche d'aller travailler ailleurs qu'en Martinique, les charges sociales qui pèsent sur le fonctionnement de nos entreprises... Cette difficulté d'accès à la commande publique, ainsi que le peu, voire l'absence d'information à court et moyen termes, impliquent des difficultés d'organisation pour les entreprises. Le niveau de prix est également trop bas, entraînant une concurrence féroce et suicidaire pour accéder à la signature d'un marché. Cette concurrence est en outre encouragée par les bailleurs sociaux.

Il serait nécessaire de s'intéresser au nombre de dépôts de bilan sur une année, pour déterminer combien ils coûtent à l'État. Et il serait judicieux de faire la balance avec ce que nous demandons depuis un certain nombre d'années, c'est-à-dire une révision de la fiscalité des entreprises outre-mer, celle des entreprises du BTP en tout cas. La rigidité du secteur bancaire est également à interroger, particulièrement vis-à-vis des entreprises du BTP, des PME, à qui aucune facilité n'est accordée (à moins d'apporter des garanties sans commune mesure avec la capacité des entreprises). Au contraire, les grands groupes nationaux bénéficient de facilités accordées par leurs maisons mères implantées en métropole, avec des taux inférieurs à ceux existant localement, sur un volume d'affaires incomparable.

J'évoquerai également le coût élevé des frais de Bpifrance pour les entreprises et le fait que l'aide est réservée à celles qui sont à jour de leurs cotisations, ce qui écarte beaucoup de petites entreprises qui pourraient prétendre à cette solution de soulagement. L'État, les parlementaires et les collectivités territoriales ne prennent pas la juste mesure du nombre de dépôts de bilan que nous sommes en train d'enregistrer et qui est catastrophique. La crise actuelle vient sonner le glas d'une profession moribonde. Les magasins sont aujourd'hui totalement dépourvus de masques et de gants, et nous ne savons pas comment refaire démarrer l'activité dans cette situation de pénurie de matériel.

Je poursuis avec l'ordonnance du 22 avril 2020, qui n'a pas vraiment apporté de solution, voire de résultat efficace sur le terrain. Certes, les entreprises avaient besoin de mesures d'accompagnement pour les salariés, leur mise en chômage partiel entre autres. Cependant, elles avaient également besoin de mesures fortes d'accompagnement, telles qu'une plus grande souplesse à l'accès aux marchés publics et aux logements sociaux, la mise en place d'un moratoire sur la dette des charges sociales et fiscales, voire même une annulation sur les deux dernières années afin de faire redémarrer les petites entreprises. Mon prédécesseur a bien signalé qu'à La Réunion, 80 % des entreprises ont moins de 10 salariés, c'est le cas également à la Martinique. La mise en place d'un contrat multipartite, signé avec l'entreprise, permettrait de garantir que 10 % du marché seraient réservés au paiement des charges fiscales et sociales au fur et à mesure de l'avancement d'un chantier.

Nous avons adressé un courrier au préfet, ainsi qu'au président de la collectivité territoriale, resté sans réponse jusqu'à présent. Je rappelle que la Fédération française du bâtiment compte 50 000 adhérents et plus d'un million d'employés sur l'ensemble de l'Hexagone. Nous avons trouvé dommage de ne pas avoir de réponse à notre proposition de sortie de crise qui était de sanctuariser les marchés pour nos petites entreprises avec un aménagement sur les charges afin que les entreprises aient une avance de démarrage. Aujourd'hui, nous sommes à la veille de dépôts de bilan en cascade lesquels coûteront une fortune à l'État (nous sommes en train de le quantifier avec un partenaire privé) ; nous souhaitons donc que soient étudiées nos propositions concernant ce redémarrage. Un apport de 15 % si possible avant démarrage, ainsi qu'un accompagnement auprès des entreprises locales pour la mise en place d'un paiement direct des fournitures, permettraient qu'il n'y ait pas de mélange de comptes et de chantiers. Nous préconisons l'injection de 6 millions d'euros par l'État, au minimum, dans le secteur du BTP local pour relancer l'activité. Au regard de la situation actuelle de ce secteur à la Martinique, ce montant serait bien plus favorable qu'un montant cumulé de dépôts de bilan, de dettes accumulées, auquel il faudrait rajouter les indemnités de chômage, etc.

Concernant le redémarrage de l'activité, la FFB Martinique n'a pas été consultée, à notre grand étonnement. Des réunions étaient organisées sans que nous soyons invités alors que d'autres instances étaient conviées. Nous avons formulé des demandes au préfet de la Martinique qui ne nous a pas répondu. Quant au redémarrage, il se fait de façon désorganisée, car l'asphyxie était de plus en plus forte entre mars et avril. Certaines entreprises ont bafoué l'ordre d'arrêt, et d'autres ont recommencé à travailler. Les maîtres d'ouvrage rechignent à payer les surcoûts que nous avons estimés à 30 %. Sur l'Hexagone, ce surcoût a été évalué à 20 % mais nous avons rajouté les frais liés à notre insularité, les difficultés d'approvisionnement, etc. Par exemple, aujourd'hui vous perdez au minimum une heure dans chaque magasin d'approvisionnement pour pouvoir amener le matériel sur chantier. Un de nos adhérents a dû revoir complètement son dispositif de transport car il avait mis en place un système de minibus pour amener ses salariés sur chantier, ce qui n'est plus possible.

Une synthèse rapide des difficultés recensées - puisque je pense que mes collègues vont reprendre les mêmes axes - montre qu'il est indispensable de faciliter l'accès à la commande publique, de relever les niveaux de prix, de geler les charges sociales et fiscales (et arrêter immédiatement les poursuites), de relancer les travaux structurants à moyen et court termes et, enfin, d'essayer de peser sur les banques pour qu'elles ne soient plus aussi frileuses sur notre secteur d'activité.

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