La Nouvelle-Calédonie connaît une récession économique générale et le BTP est donc concerné. La difficulté est notamment liée à des échéances électorales sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie. Nous étions déjà en crise, le Covid-19 vient s'y ajouter. Heureusement, au plan sanitaire, nous avons été très peu impactés. En effet, nous sommes entrés en confinement le 23 mars 2020 et sortis avec un déconfinement partiel le 20 avril. Nous avons été le premier territoire français à sortir du confinement strict. Au début nous n'étions pas inclus dans le dispositif du chômage partiel. Nous avons rencontré nos élus, en expliquant que nous n'étions pas en mesure de faire les gestes barrières, faute de matériels et de formation. Puis, nous avons été inclus parmi les ayants droit pour le chômage partiel, ce qui s'est traduit par une baisse d'activité de 65 % pendant une quinzaine de jours.
Au début, une partie de nos effectifs, soit 40 % de notre masse salariale, a déserté les chantiers, par peur ou méconnaissance. Lorsque nous avons su que nous étions en confinement strict, nous avons été voir les salariés pour leur dire qu'ils devaient venir sur les chantiers, sinon ils ne seraient pas pris en charge. Le message est difficilement passé. Certains chantiers ont été interrompus par des maîtres d'ouvrage, par mesure de prudence. Nous avons eu des zones près des tribus où la population locale nous a interdit les accès sur différents sites de travaux. En l'occurrence, sur les îles Loyauté, tous les vols aller-retour ont été bloqués dans les premiers jours. Tous les travaux dans les îles ont été complètement arrêtés.
Nous avons manqué de directives au début de cette crise. Nous nous sommes retrouvés, en tant que chefs d'entreprises, avec une responsabilité énorme pour essayer de faire tourner l'économie et éviter qu'une crise économique ne s'ajoute à la crise sanitaire. Nous avons eu une perte d'environ 42 millions d'euros sur cette période, alors que le chiffre d'affaires du BTP en Nouvelle-Calédonie s'élève à 1 milliard d'euros. La perte de chiffre d'affaires est donc énorme (36 % pour certaines entreprises sur cette période), tout comme la perte de masse salariale.
Concernant les approvisionnements, les matières premières pour l'enrobé et le ciment, nous n'avons pas à craindre de pénurie mais nous avons des inquiétudes pour les produits fabriqués en Europe ou ailleurs, où les usines sont fermées. Pour l'instant nous avons un peu de stock mais nous ne savons pas comment nous allons être approvisionnés lors des prochaines commandes. Pour le fret aérien, nous sommes passés de deux vols tous les jours depuis la métropole, à deux vols par semaine. Le fret maritime lui, se poursuit normalement. Pour l'instant, à part la rupture avec les usines en Europe, nous n'avons donc pas encore de répercussion.
En revanche, nous avons actuellement un énorme problème avec les agents de maîtrise, les techniciens supérieurs, qui venaient faire des séjours d'environ une semaine en Nouvelle-Calédonie pour des programmations d'engineering, de machines. Nous sommes complètement à l'arrêt, des chantiers vont bientôt se bloquer, à l'instar de trois centres commerciaux (deux en rénovation, un en phase de livraison) où tout le système d'incendie ne peut pas être mis en fonctionnement. Le chantier ne peut être achevé et on ne pourra pas ouvrir ces installations.
Un technicien qui vient en Nouvelle-Calédonie a une quatorzaine obligatoire dans un hôtel puis une semaine dans un lieu si possible sécurisé. Les techniciens ne viennent plus, puisqu'il est impossible pour une entreprise de prendre en charge ces frais-là. Nous avons discuté avec le gouvernement de Nouvelle-Calédonie afin de trouver des solutions. Nous sommes donc face à un mur et la situation devient problématique. J'évoquerai des cas encore plus sérieux, tels que ceux de trois usines de nickel en Nouvelle-Calédonie, dont deux à pyrolyse qui nécessitent un travail d'entretien permanent. Les équipes spécialisées sont rares dans le monde. Normalement, des équipes de Portugais viennent faire ces travaux mais nous ne pouvons plus les faire venir. Or, ces fours doivent impérativement être entretenus.
Pour les aides de l'État, en Nouvelle-Calédonie, environ 15 200 salariés ont bénéficié du chômage partiel, dont 13 % dans le secteur du BTP. Nous étions le quatrième secteur le plus demandeur pour le chômage partiel après le tourisme, la restauration et les services. Cela nous a permis d'avoir un peu de temps pour mettre en place ces fameux gestes barrières, mais nous avons eu, comme mes confrères ultramarins, des problèmes d'approvisionnement ne serait-ce que pour les masques, le gel, etc. Au début, les hôpitaux de Nouvelle-Calédonie ont demandé aux entreprises du BTP de leur fournir des masques FFP2 ou FFP3. Ce sont donc les entreprises du BTP qui leur ont donné des masques au début de la pandémie. Le temps que le réapprovisionnement se mette en place normalement, nous avons donc été nous aussi, en situation de pénurie. Le chômage partiel a donc quand même permis de mettre nos salariés dans une situation de distanciation acceptable sur un chantier en diminuant les effectifs. Le prêt garanti par l'État est aussi très sollicité par les entreprises, il s'avère vraiment nécessaire en raison de cette perte de chiffre d'affaires. Nous verrons sa répercussion dans un trimestre. Le chef d'entreprise a besoin de visibilité pour souscrire à ce prêt et nous ne disposons, là aussi, que d'une visibilité très réduite sur le secteur du BTP à moyen et long termes.
La Nouvelle-Calédonie est compétente en la matière ; l'ordonnance du 22 avril ne nous concerne pas.
Pour le redémarrage des activités, les maîtres d'ouvrage, tant publics que privés, ont été très solidaires. Nous sommes des îliens, la solidarité a été tout de suite très forte. Des maîtres d'ouvrage nous ont appelés pour signer des ordres de service afin de nous arranger ; ils ont été très réactifs face à notre situation. Le chiffre d'affaires du BTP en Nouvelle-Calédonie provient à 60 % du secteur privé et à 40 % du secteur public. Sur le total, 30 % sont les maîtres d'ouvrage sociaux. Trois maîtres d'ouvrage sociaux représentent 30 % de notre chiffre d'affaires.
La crise à laquelle nous sommes confrontés, avec les différents référendums mis en place sur le devenir de la Nouvelle-Calédonie, a gelé une grande partie des investissements du privé. Nous nous sommes donc tournés vers le secteur public pour lui demander de soutenir notre activité. Il a essayé de le faire mais ses moyens financiers sont très réduits. En l'occurrence, la Direction des infrastructures, de la topographie et des transports terrestres (DITTT) - notre principal donneur d'ordre public -, nous a dit clairement que ses fonds d'investissement ont été utilisés pour gérer la crise, par exemple les hôtels réquisitionnés pour les quatorzaines des Calédoniens qui n'étaient pas encore rentrés sur le territoire. Les projets existent donc mais les caisses sont vides.
Quant aux surcoûts, nous sommes sur une crise d'activité et la compétition entre les entreprises est très dure. Nous avons des frais imputables au Covid-19, mais nous ne pouvons pas demander aux maîtres d'ouvrage de les assumer (ils sont estimés entre 5 et 10 % puisque nous avons été moins confinés qu'en métropole). Cependant, les gestes barrières nous ont imposé des changements de cadence, sur le transport du personnel également. En effet, le transport urbain ne fonctionnait plus, le covoiturage non plus, nous organisions des navettes dans les quartiers avec les véhicules des entreprises. Ce transport peut-il être pris en charge ? Le gouvernement de Nouvelle-Calédonie est ouvert mais il n'a plus de moyens. Il a dû recourir à une aide du Gouvernement français, même si le montant obtenu n'est pas celui qui était demandé.
Pour les leviers prioritaires, la relance économique avait été demandée avant la crise de Covid-19. Nous avons listé les grands projets nécessaires. Nous ne demandons pas la création d'une énième usine de nickel, nous en avons déjà trois et nous avons un hôpital flambant neuf. En revanche, des grands projets structurants seraient nécessaires comme l'assainissement et l'eau. Notre lagon a été inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO. Cependant, à part Nouméa et les grandes villes autour qui commencent à s'équiper en stations d'épuration, aucune des communes de l'intérieur du territoire ou des îles Loyauté n'est équipée d'un traitement des eaux digne de ce nom. Nous avons encore beaucoup de communes confrontées à d'énormes pénuries d'eau en période de sécheresse. Il existe un projet de barrage dans le Nord mais il peine à voir le jour. Nous avons des problèmes avec les liaisons routières entre Nouméa à l'extrême Sud et Koumac et Koné à l'extrême Nord. Regardez les statistiques du nombre de morts par an, nous sommes parmi les plus mauvais élèves en termes de morts sur la route par habitant sur tout le territoire français. Nous avons des projets structurants, le gouvernement essaye de nous accompagner mais il faut des ressources pour les financer.