Je vous remercie de nous avoir conviés à cette table ronde qui sera forcément constructive quant à ce qui pourrait être déployé sur nos territoires.
J'aborderai d'abord les mesures prises par les bailleurs ultramarins pendant la crise, puis l'impact de celles-ci avant de traiter les leviers de relance et pour finir avec l'Europe et les synergies à mettre en oeuvre.
La crise du BTP existait avant la crise sanitaire qui est venue l'accentuer. Pendant le confinement, nos bailleurs ont engagé sur les territoires une sécurisation des personnels, pour leur permettre le télétravail, ou quand ils travaillent sur site, le faire avec toutes les précautions nécessaires. Ils ont servi de relais pour la communication sur toutes les mesures sanitaires et ont continué leur activité d'exploitation, hors chantier. Effectivement, en exploitation, l'entretien des bâtiments s'est avéré très rapidement nécessaire, pour permettre aux personnes confinées d'être en sécurité, tout en assurant la propreté des lieux et l'évacuation des déchets. À La Réunion, le problème des déchetteries fermées a donné lieu à un partenariat avec les EPCI, pour ne citer qu'un exemple. S'agissant du soutien aux entreprises, il est très important de dire que les bailleurs, en dépit de l'impact de la crise, ont tenu à assurer des paiements très rapides. Ils ont même accéléré les paiements aux entreprises pour les prestations déjà accomplies.
En matière d'accompagnement social, les vulnérabilités en outre-mer sont autrement plus importantes que dans l'Hexagone, notamment pour la population âgée, qui a bénéficié d'un accompagnement particulier. Outre des appels téléphoniques, nous avons assuré un véritable relai, avec les CCAS et les prestataires d'interventions, auprès des personnes âgées pour les repas par exemple. Nos bailleurs ont assuré, à La Réunion, l'accompagnement et le logement d'urgence des femmes victimes de violence. Une convention signée avec la CAF permet au bailleur social de se soustraire à l'obligation de signaler les impayés qui ont beaucoup augmenté pendant la crise, pour que les familles bénéficient quand même des allocations sociales. Comme vous le savez, si un impayé est signalé, l'ensemble des allocations est bloqué. Cette convention a donc permis de permettre aux familles de respirer financièrement.
Les deux pans de notre activité que sont la construction/réhabilitation et l'exploitation des logements proprement dite ont été impactés. Comme ailleurs, l'impact sur la construction des chantiers en cours a été énorme puisque tout s'est arrêté. Pour la réhabilitation, il n'a pas été possible, sauf pour les logements vacants, de maintenir l'activité car les locataires en sites occupés refusent, encore maintenant, la reprise des chantiers. Les gens veulent se sentir en sécurité. Tous ces chantiers ont donc enregistré un retard conséquent, qui impactera les loyers et donc les recettes des bailleurs.
Avant la crise, nous avions déjà, et cela est particulièrement vrai pour La Réunion compte tenu du prix du béton, des appels d'offres infructueux. Cela soulève des interrogations. Environ un chantier sur deux connaît une défaillance des entreprises. Ce qui veut dire que les entreprises déposent le bilan pour les chantiers en cours, ce qui relance la procédure des appels d'offres, etc. In fine, ce phénomène est destructeur pour le tissu économique du secteur du BTP mais engendre également des retards conséquents pour les bailleurs sociaux. En matière d'exploitation, les impayés ont effectivement augmenté comme nous pouvions nous y attendre. De plus, le poids de l'économie informelle sur nos territoires va nécessairement impacter la vulnérabilité des familles, il faut en prendre conscience.
Dans un second temps, il convient de relever le problème des impayés. Un bailleur en particulier, que je ne peux citer, a recensé une augmentation de 29 % des impayés. Cela interpelle et en dit long sur l'impact de cette crise que l'on mesurera pleinement d'ici trois mois.
Pour répondre à la question sur les demandes de logements et la nécessité de redoubler d'efforts, nous observons en effet que la demande de logements est importante. C'est vrai dans les DOM. En Nouvelle-Calédonie, le système de financement est particulier et n'émarge pas sur la LBU mais s'inscrit dans le cadre de la défiscalisation. Sur ce territoire, il serait utile d'adapter l'offre à la demande en ce sens que les loyers « de sortie » ne sont pas acceptables pour les niveaux de revenus des Calédoniens. On pourrait considérer que le PIB calédonien est élevé, comme à Saint-Pierre-et-Miquelon. Or, le montant du PIB est biaisé par l'exploitation du nickel en Nouvelle-Calédonie, comme par la pêche à Saint-Pierre-et-Miquelon, ce n'est pas révélateur de la vulnérabilité des familles et de la réalité sociale locale. Il y a un important travail d'adaptation du parc social à faire en Nouvelle-Calédonie, et des investissements massifs à mener dans les DOM.
Sur le partage des surcoûts, il y a effectivement des accords au niveau national, comme le rappelait le président Yché. La situation est très différente d'un territoire à un autre avec une estimation variant de 4 à 15 %. Pour un bailleur social, dans son bilan d'opération, les imprévus dépassent en règle générale rarement 3 %. Au-delà, si le bailleur social porte cette charge sur son bilan, cela se traduira par une augmentation du loyer. Le revenu moyen est deux fois moins important que dans l'Hexagone. Pour nos compatriotes des territoires ultramarins, il n'est pas raisonnable de penser que cette charge soit portée par le locataire. Nous le concevons parfaitement, et nous sommes aussi solidaires des fédérations du BTP dont nous comprenons parfaitement les difficultés, qui par ailleurs rejaillissent sur notre activité. Une défaillance d'entreprise impacte aussi le bailleur dans son activité et nécessite beaucoup de démarches coûteuses. Néanmoins, nous ne pensons pas que le partage de surcoût soit la solution.
Des réflexions émanent des territoires. Faire porter cette charge sur la LBU nous semble en tout cas beaucoup plus pertinent, compte tenu à la fois de la structuration du tissu économique domien dans le BTP et de la vulnérabilité des ménages sur lesquels nous ne pouvons absolument pas faire porter cette surcharge.
Sur les leviers de relance, la chaîne de valeur économique du logement social est une chaîne vertueuse ; elle intervient selon un spectre économique large sur les secteurs primaire et secondaire, à travers la production et l'exploitation, le BTP, les fournisseurs de matériaux etc. L'exploitation touche aussi ce secteur des services à travers l'entretien des ascenseurs, des bâtiments, etc. C'est un véritable levier pour relancer la mécanique économique.
La réhabilitation est également un levier important : qu'elle soit lourde ou légère, elle implique des entreprises de petite taille. Nous savons tous que cela représente une forte proportion de nos entreprises. De plus, sur des chantiers de réhabilitation, lourde ou légère, nous pouvons mobiliser dans un temps beaucoup plus court que la construction d'un bâtiment. Comme vous le savez, trouver le foncier, faire l'étude, demander le permis, demander les financements... est souvent très long. Il faut donc faire les deux, mais en premier lieu de la réhabilitation car elle agira tout de suite sur l'économie. La construction est bien entendu aussi nécessaire pour que nous ne nous retrouvions pas dans le même cas de figure dans deux ans ou dans cinq ans.
Par conséquent, il faut intégrer la réhabilitation dans la réflexion. Quant aux modalités, il faut d'abord penser à alléger les conditions de prestations de commandes publiques. Si nous voulons agir rapidement, il faut compter sur la commande publique, au travers d'un relèvement des seuils, quand cela concerne des chantiers qui ne sont pas d'importance. De plus, même si certains ont peut-être des positions dogmatiques sur la question, à défaut d'un moratoire ou d'un effacement de dettes des charges sociales ou fiscales des entreprises, ce qui émane de nos adhérents, c'est qu'ils ne sont pas opposés à donner un marché à une entreprise qui a une dette fiscale ou sociale. Il y a comme un cercle vicieux, consistant à dire que si vous ne payez pas vos charges fiscales et sociales, vous ne pouvez pas aller sur les chantiers publics... Je ne dis pas qu'on a la solution, je n'ai pas la compétence ou la légitimité, mais nous pourrions étudier cette proposition.
L'autre point qui doit absolument être renforcé concerne les Directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) qui sont clairement très investies. On le voit au niveau des territoires, à chaque fois que l'on conduit un projet, elles sont là, elles sont actives. Il faut saluer le travail et le dynamisme de ces acteurs au plus près des préoccupations locales. Néanmoins, il faut encore travailler sur le dossier d'instruction et sur la mobilisation de la LBU. L'année dernière, cela a posé problème à La Réunion. On peut comprendre que les aides sociales soient différenciées sur les territoires en fonction des spécificités. En revanche, il n'est pas acceptable que le dossier d'instruction de la LBU soit différent d'un territoire à un autre. Les pièces constitutives devraient être les mêmes partout. Si, au niveau local, nous voyons des demandes particulières dans des domaines eux aussi particuliers, finalement cela ne permet pas de mobiliser correctement la LBU. Pour être plus efficaces, il faut jouer collectif, c'est un axe de travail qui pourrait s'avérer vraiment payant.
Un autre type de solution, pour l'utilisation de la réhabilitation comme levier de relance du secteur du BTP, serait d'étendre le crédit d'impôt hors zone Quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Si vous allez voir un bailleur social en lui expliquant qu'il mobilisera son crédit d'impôt en faisant une opération de construction, il commencera nécessairement par là où il a le plus de subventions, étant donné le coût de loyers que cela engendrera. Pour ne pas tomber dans un cercle vicieux, le crédit d'impôt hors zone QPV a du sens. Nous considérons que l'on peut ainsi aller plus vite et mieux.
Aujourd'hui, il y a une position dogmatique sur le fait de ne pas construire de logements dans les zones de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU). Nous savons tous que la mobilisation du foncier est très difficile dans les territoires d'outre-mer. Il faut agir dessus. En dehors des efforts que nous devrons faire pour aménager moins cher le foncier et permettre aux bailleurs sociaux de pouvoir accéder à ces chantiers, nous pensons qu'il faut construire des logements dans ces zones ANRU. En outre-mer, ce n'est pas un non-sens. Le dogme qui consiste à penser qu'il ne faut pas le faire car cela participe de la construction de quartiers difficiles n'y est pas applicable. 80 % de la population est éligible au logement social et c'est très compliqué dans un territoire où il n'y a pas de foncier ou de disponibilité. La mixité sociale ne peut pas être lue avec les mêmes critères que ceux de l'Hexagone. Il me semble qu'il faut lever ce genre de frein. Cela se fera forcément en concertation avec l'ensemble des acteurs, aucun bailleur n'ira dans un quartier s'il n'est pas sûr de trouver un locataire, il n'a pas intérêt à le faire. Des personnes âgées sont dans des zones ANRU car on ne peut pas reconstruire du logement social, elles refusent de quitter leur logement, cela bloque des opérations et cet aspect est à prendre en compte.